Pour nous, Alain Carof était beaucoup plus qu’un auteur fidèle et régulier. Ses avis étaient recherchés, ses propositions écoutées. Il est venu à nos réunions mensuelles jusqu’au bout, apportant comme toujours un regard amical et pertinent, dans le plus grand respect des autres. Et il nous présentait souvent des trouvailles : un bouquin, un sujet, un auteur. Je souhaite ici mettre en avant trois aspects de son œuvre, un mot qu’il n’aurait pas aimé, et pourtant œuvre il y a. Avec un esprit d’équipe sans faille, il était partant pour toutes les aventures intellectuelles, presque toujours dans le cadre d’associations qui lui doivent énormément. Celles, nombreuses, où il œuvra, celles où il sut s’intégrer à des recherches collectives : Les Maçons de la Creuse, Rencontre des Historiens Limousins (RHL), Société des Sciences Naturelles Archéologiques et Historiques de la Creuse (SSNAH)… et IPNS évidemment.
Vous remarquerez que tout ceci tourne beaucoup autour de la Creuse, dont il avait fait sa terre d’élection – au sens de terre d’accueil. Mais en réalité, Alain était un citoyen du monde, et ses horizons étaient vastes, des horizons sans frontières, un « no-border » avant la lettre. Parcourez ses nombreux articles publiés dans IPNS, et vous en aurez un aperçu. Parmi ses travaux remarquables, il en est un qui restera une référence : Inventaires au pays de Vassivière, 2012 (SSNAHC)2. Dans ce livre de 76 pages, on peut prendre toute la mesure des centres d’intérêt et des compétences de l’auteur. Il s’agit d’une version développée de « Vassivière, l’invention d’un paysage » (PULIM, 2010)3. Ce volume des « Études creusoises » n’a aucune prétention à être la mémoire de Vassivière, il ne visait pas plus à l’exhaustivité. Et pourtant, pour connaître l’avant du barrage, sa chronologie, l’organisation collective autour du lac, ses panoramas naturels et humains, les enjeux d’aujourd’hui, personne n’a fait plus et mieux. Y a-t-il un lien entre les maçons migrants et le château de l’île ? Noms de lieux et de personnes se recoupent-ils ? Quel est cet étrange village à la renommée désormais internationale ? Du village au château, puis au lac donc à l’île, tout est dit.
En Limousin depuis des décennies, Alain Carof a été un sociologue de référence, enseignant universitaire, grand historien, féru de sciences politiques, ethnologue, observateur de l’aménagement. Parmi ces grands penseurs qui avaient toutes les compétences, il me fait penser à un de ses maîtres à l’EHESS, Claude Lévi-Strauss. Alain était de ceux qui croisent les différentes sciences humaines et naturelles, qui étudient l’être humain sous toutes ses facettes. L’humanité : voilà son sujet essentiel. C’est pourquoi, bien que né en Bretagne, il connaissait tout ce que notre pays doit à la mémoire des fameux maçons de la Creuse (et un peu au-delà). Il nous a ainsi livré des pages remarquables sur un compagnon de Martin Nadaud, Antoine Cohadon4. Au contraire de nombreux néos, d’hier comme d’aujourd’hui, il a su comprendre et souligner tout ce qu’il y avait d’important avant lui et avait montré son goût à parler des autres, des Turcs par exemple, nombreux en Creuse dès les années 1970 (revue Hommes et migrations, 1994), aussi dans les nombreuses notes de lectures offertes à la revue Études Rurales ou à la Revue Française de Sociologie, et bien sûr à son cher IPNS.
Alain n’était pas omniscient, mais presque. Cette remarque le ferait bondir, mais sa curiosité, la variété et la richesse de ses travaux en témoignent. À titre plus personnel, nous nous rejoignions dans le goût pour l’histoire. Certes, l’histoire sociale, les mœurs et les mentalités, le passionnaient. Mais le plus remarquable à mes yeux est cette attirance pour l’histoire des techniques industrielles. On lui doit, entre autres, une histoire de la taille du diamant à Felletin (IPNS, 2009), son apport à une histoire de l’école des métiers du bâtiment du même lieu [5], la conception d’une exposition « Énergie et bâtisseurs » des moulins sur la Creuse au barrage des Combes, et encore plus récemment, en 2015, « Les rives de la Creuse, couloir d’innovation et de mobilité dans les métiers du tapis et de la tapisserie »6. Si je n’ai jamais bien compris l’origine de cette attirance, je crois avoir une petite idée. De l’énergie aux plus nobles productions, il me semble que c’est le trait d’union étroit entre homme et nature qui est valorisé. Le premier respectueux de la seconde, en somme une harmonie, qu’Alain aimait, et qui n’existe plus tout à fait.
Voici terminé ce rapide panorama, pour moi très émouvant. Alain nous manquera énormément, mais il aura laissé des traces indélébiles. Au revoir vieux frère.