Nouveaux arrivants : le défi de l'accueil
De nombreuses personnes souhaitant s'installer sur le territoire du plateau de Millevaches ont des projets qu'on définit souvent, faute de mieux, comme "atypiques" : par la nature même du projet (éthique, valeurs, originalité donc complexité), par la forme qu'il prend (projets collectifs, combinaison d'activité, de statuts…), par la taille (petites structures), ou par la façon dont il est envisagé (projets de vie)… L'association Pivoine, créée pour les accompagner témoigne ici de son action et de sa rencontre avec ces candidats à l'installation.
Des profils"atypiques"
Originaires ou pas du milieu rural, ils y vivent ou ont le projet de s'y installer, ils sont jeunes ou moins jeunes, en couple, en famille, en collectifs ou seuls, vivent un moment charnière, le subissent ou s'en régalent, en tout cas sont dans une envie ou une nécessité de faire bouger des choses dans leur vie, de resituer les priorités. Ils souhaitent faire ce qu'ils aiment et espèrent en vivre, là où ils l'ont choisi et à peu prés comme ils l'entendent. Avec cette exigence en tête, la création de leur propre emploi est souvent la solution la plus évidente : pour certains "faire leur propre truc" est une condition incontournable. Pour d'autres c'est une contrainte qu'ils devront assumer. Cela passe parfois par la combinaison de plusieurs activités pour que l'ensemble soit viable, et aussi parce que c'est parfois frustrant de ne pas tout faire…
Alors pourquoi s'en priver ?
Ils n'ont pas l'âme du chef d'entreprise mais ont par contre le profond désir d'entreprendre (étymologiquement : action de commencer / se mettre à faire quelque chose). Une majorité d'entre eux entretient un rapport distancié à l'économique : la rentabilité immédiate de leur activité n'est pas la principale motivation. Ils ne font pas franchement la différence entre le travail et le reste de la vie, ou souhaiteraient la faire moins. Ils veulent aller vers ce qui fait sens pour eux, être le plus cohérent possible entre les valeurs qu'ils portent et la vie qu'ils mènent, plutôt qu'écartelés par les pressions d'un système capitaliste dont ils ne partagent pas les enjeux. Ils veulent trouver leur place quelque part, mais pas n'importe où, et s'impliquer dans ce coin là, créer des liens, faire des ponts. Pour le reste ils verront...
Ils ont des projets en lien avec l'environnement, ou la culture, sont artisans ou agriculteurs, font du social, du tourisme, proposent des services de proximité, font de l'informatique, ou sont artistes. Souvent un mélange…
Ils croient en un milieu rural vivant et y participent de fait.
Depuis plusieurs années des associations et des individus se sentent concernés par la démarche d'accueil sur le plateau de Millevaches. De nombreuses actions ont été menées dans ce sens en particulier par Le Réseau d'Acteurs de la Montagne Limousine. La qualité de l'accueil proposé aux personnes souhaitant s'installer sur ce territoire est aujourd'hui évidente. Cependant, certaines d'entre elles cheminent plus aisément vers la réalisation de leur projet en étant accompagnées durant cette période, ou au moins aiguillées de temps à autre, et souhaitent un accompagnement adapté à la nature de leurs projets.
L'expérience démontre que les motivations des personnes, leurs parcours personnels et professionnels exigent une approche particulière de leur projet de création d'activités, d'autant plus que la difficulté à ranger ces projets d'installation dans les cases de la création d'activité classique ajoute une difficulté supplémentaire au parcours d'installation qui tient souvent plutôt du parcours du combattant ! C'est pour accompagner ces projets qui ne sont pas "dans les clous" qu'a été créée Pivoine.
Pivoine, boîte à outils
Pivoine est une association loi 1901 qui s'est donné pour objectif principal l'accompagnement à la création d'activité en milieu rural sur le Plateau de Millevaches et la Montagne Limousine. Elle s'est dotée de plusieurs outils :
- La boutique d'initiatives rurales accueille et accompagne les porteurs de projets individuellement, leur offre un cadre qui respecte l'évolution des projets et des individus ou groupes qui les portent. Elle est ouverte à des projets au stade de l'idée ainsi qu'à des projets qui ne comportent pas de dimension économique.
- Le parcours de formation "entrepreneur rural" propose sur une période de six mois une série de modules collectifs d'une semaine sur des thèmes liés à la création d'activité (définir et structurer son projet, choisir des statuts…), en alternance avec des temps de stages pratiques, des rencontres avec des personnes ayant créé leur activité et des temps de suivi individuel.
Pour Pivoine, la notion de "formation" est utilisée au sens de "donner de la forme à quelque chose", poser l'ossature, le cadre qui donne de la marge de manoeuvre, de la liberté.
Lucie Rivers Moore et Mélanie Boyer
- Des mots à préciser
Dans une période où certains termes "séduisants" sont utilisés dans des contextes et avec des objectifs très divers par des personnes et structures avec des points de vue différents, il nous semble important de préciser le sens que nous mettons derrière les mots afin de mieux situer nos actions.
Accompagner : être présent auprès de quelqu'un ; action de renforcer ou de protéger.
L'accompagnement nécessite, de ce point de vue, la co-existence de plusieurs éléments : la durée, la distance et la proximité.
Projet : Le projet est la projection au devant de soi de ses désirs (Etymologie - du latin projectus : ce que je jette devant moi). De cette approche, plusieurs conséquences : le projet est lié à l'individu dans toutes ses dimensions et n'est jamais transposable : il vient des tripes de chacun (tout autant que de sa tête) et ne peut se travailler qu'en tenant compte de qui le porte et de son histoire. Le projet n'est pas toujours cohérent, rationnel, construit, réaliste... mais c'est quand même du projet. Travailler à sa réalisation nécessitera de faire le tri dans l'iconoclaste, le désordre et le bouillonnant : il s'agit de travailler aux négociations, de lâcher par endroit, faire le deuil de certains rêves et d'organiser l'action. Le projet n'est jamais terminé : il se modifie et se complète en permanence face à l'évolution de l'individu et aux réactions de l'environnement. L'individu qui porte un projet investit tout ses moyens, ses forces, son énergie dans la réalisation de celui-ci. D'une certaine manière le projet est vital, au sens où les désirs sont du côté de la vie.
L'inverse de se projeter est s'adapter : c'est-à-dire se situer du côté des désirs que l'environnement a pour soi. Dans ce cas, il ne s'agit plus de ses désirs mais de ses besoins.
Viabilité : Etymologiquement du latin via (voie) : "où l'on circule aisément", (quand c'est viable c'est que ça va bien) et du français vie quand l'adjectif viable signifie "remplit les conditions nécessaires pour durer".
L'habitude veut que ces "conditions pour durer" soient ramenées à la seule condition du revenu monétaire dégagé par une activité. Ainsi viabilité est souvent confondue avec rentabilité. Mais en référence à l'étymologie première, on voit bien que la viabilité dépasse le concept du revenu : une activité rentable peut ne pas être viable (trop pénible, trop déstabilisante, trop polluante) et une activité peu rentable peut s'avérer viable car d'autres sources de revenus ou un mode de vie plus autonome viennent compenser, équilibrer, et permettre aux gens de vivre.
Extraits du "dictionnaire" réalisé par Xavier Lucien dans le cadre du programme européen DORA / EQUAL