Dans la plupart des dossiers qui ont été au cœur des débats publics ces derniers mois, de la vache folle à l’Erika, de l’amiante aux accidents de la route, des conséquences de la grande tempête de décembre 1999 à la crise des carburants de l’automne 2000, il y a toujours un élément commun que l’on oublie curieusement de rappeler : ces catastrophes sont des bénédictions pour notre Produit Intérieur Brut, ce chiffre magique dont la progression s’exprime par un mot qui résume à lui tout seul la grande ambition de nos sociétés matériellement développées et éthiquement sous développées : LA CROISSANCE !
Car les centaines de milliards que coûtent à la collectivité ces destructions humaines et environnementales ne sont pas comptabilisées comme des destructions mais comme des apports de richesses dans la mesure où elles génèrent des activités économiques exprimées en monnaie. Les 120 milliards de coûts directs des accidents de la route (qui en génèrent le triple en coûts indirects), pour ne prendre que ce seul exemple, contribuent à la croissance de notre PIB. A supposer que nous n’ayons aucun accident matériel ou corporel, ni morts ni blessés sur les routes de France l’année prochaine, notre PIB baisserait de manière significative, la France perdrait une ou plusieurs places dans le classement des puissances économiques et l’on verrait nombre d’économistes nous annoncer d’un ton grave que la crise est de retour. Et la situation serait pire si disparaissaient également de ces étonnantes additions une part des 170 milliards induits par les effets sur la santé de la pollution atmosphérique, les dizaines de milliards que vont coûter la destruction des farines animales, les quelques cent milliards qu’ont généré les destructions de la tempête de l’hiver dernier et d’une manière générale tout le plomb des destructions sanitaires, sociales ou environnementales qui ont cette vertu de se changer en or par l’alchimie singulière de nos systèmes de comptabilité.
Dans le même temps, toutes les activités bénévoles qui, grâce en particulier aux associations loi 1901, ont permis d’éviter ou de limiter une partie des effets de ces catastrophes, par exemple en allant nettoyer les plages polluées ou en aidant gratuitement des handicapés, n’ont, elles, permis aucune progression de richesse et ont même contribué à faire baisser le PIB en développant des activités bénévoles plutôt que rémunérées. Autant dire que nous marchons sur la tête et que dans le même temps où l’on célèbre le rôle éminent des associations à l’occasion du centenaire de la loi de 1901, nous continuons à les traiter comptablement, non comme des productrices de richesses sociales mais comme des “ponctionneuses de richesse économique” au titre des subventions qu’elles reçoivent. Notre société, malgré ses déclarations de principe, facilite beaucoup plus le “lucra-volat”, la volonté lucrative, que le bénévolat, la volonté bonne ; et il arrive trop souvent que ce qu’on pourrait appeler le “male-volat” ou volonté mauvaise, sous ses formes diverses, bénéficie de l’argent des contribuables comme en témoignent les exemples récents de pactes de corruption en vue de détourner les marchés publics. Il est donc plus que temps de nous atteler à ce chantier considérable du changement de représentation de la richesse et de la fonction que joue la monnaie dans nos sociétés. C’est pour l’économie sociale et solidaire un enjeu décisif et pour le mouvement associatif une occasion à saisir. Ils s’inscrivent en effet dans une histoire où le choix de la coopération, de la mutualisation, de l’association se veut prioritaire. C’est pour eux un piège mortel que de laisser s’imposer des critères qui ignorent les enjeux écologiques et humains et valorisent des activités destructrices dès lors qu’elles sont financièrement rentables. Il leur faut au contraire reprendre l’initiative et être aux premiers rangs de l’émergence d’une société et d’une économie plurielle face aux risques civilisationnels, écologiques et sociaux que véhicule la “société de marché”.