Thomas Gibert, paysan à Coussac-Bonneval et porte-parole de la Confédération paysanne de la Haute-Vienne, de retour du congrès national de son syndicat qui s’est déroulé l’été dernier, raconte comment cette question a été au cœur de ce congrès : « Cette année, les débats les plus houleux ont tourné autour de la question d’un point spécifique du rapport d’orientation invitant à «ne pas se laisser enfermer dans une logique institutionnelle». L’idée étant de constater qu’au niveau de la lutte, la Conf’ a toujours marché sur deux jambes. La première est le travail institutionnel, la négociation avec le pouvoir. L’autre est l’action directe plutôt issue des modes d’action du syndicalisme révolutionnaire. Le rapport d’orientation suggère que, face à l’impasse dans laquelle nous nous trouvons, nous devons rééquilibrer la balance entre ces deux modes d’actions, une balance qui penchait jusqu’alors plutôt vers le travail institutionnel. Une motion proposant d’oublier totalement la deuxième jambe de l’action directe a largement été rejetée permettant ainsi d’affirmer clairement l’importance de cette stratégie de lutte. » Un rejet qui faisait suite au bilan que les syndicalistes paysans ont fait de leur action depuis plusieurs années : « Ce rejet reposait sur la question de l’efficacité de notre travail syndical qui, ces dernières années, n’a obtenu que de maigres victoires face à l’ampleur de la tâche pour mettre en place notre projet d’agriculture paysanne à grande échelle (…) Cela implique de peser dans le rapport de force face aux institutions et cela ne sera possible que lorsque nous serons pris au sérieux par ces dernières. » La rançon de cette stratégie d’action directe a ses revers. Lorsque le 27 mai dernier 200 paysans et paysannes de la Confédération paysanne se mobilisaient à Paris au siège de Pôle emploi pour interpeller le Président de la République sur les effets néfastes de la future PAC (Politique agricole commune) sur l’emploi paysan, la réponse des pouvoirs publics s’est traduite par un nassage des manifestants et la verbalisation de 75 d’entre eux. « Cette distribution systématique d’amendes, instrumentalisant le contexte d’urgence sanitaire à des fins de répression et d’intimidation syndicale, apparaît comme un moyen de pression financière pour réprimer la contestation syndicale. »1
La répression et l’intimidation touchent également des associations qui, de plus en plus souvent, se voient harcelées, contrôlées, poursuivies ou intimidées, alors même que leur action est plébiscitée par une majorité de Français. C’est pourquoi s’est créée en 2019 la Coordination des Libertés associatives qui a mis sur pied un observatoire dont le premier rapport, publié en 2021 sous le titre « Une citoyenneté réprimée », recense et analyse une centaine de cas d’atteinte aux libertés associatives. Un travail de recensement qui se poursuit et dont on peut retrouver les éléments sur le site de la Coordination2. De même, l’obligation nouvelle de devoir signer un « contrat d’engagement républicain » pour recevoir en tant qu’association une subvention publique, un agrément ou accueillir un volontaire en service civique (Cf. IPNS n°74, page 14), s’inscrit dans cette offensive contre la société civile au nom, bien sûr, de « bons principes ». Le Collectif des associations citoyennes qui réclame l’abrogation de ce décret propose des lettres types que les associations contraintes de signer ce contrat peuvent joindre pour expliquer leur désaccord et leur opposition3. Là encore, arrive un moment où la stratégie du dialogue et de la négociation bute sur un mur.
Le mouvement des Soulèvements de la Terre4 initié en 2020 et axé sur la défense de la terre, est un réseau de luttes locales qui veut impulser un mouvement de résistance et de redistribution foncière à large échelle (Cf. IPNS n°75, page 6). Il a mené différentes actions, contre les méga-bassines dans le Niortais, contre la bétonisation en Île-de-France ou contre des firmes comme Bayer Monsanto. Dans des échanges avec la Confédération paysanne, il s’interroge aussi sur les bonnes méthodes d’action. Dans le domaine agricole il note en particulier ce paradoxe : « Nos idées sur le foncier et l’agriculture sont minoritaires dans la profession et majoritaires dans l’opinion publique. » Appelant à « dépasser le modèle stratégique classique de la gauche paysanne » et persuadé qu’un changement de politique « par le haut » est aujourd’hui illusoire, il appelle à « renouer avec l’action directe et la diversité tactique (…) qui a toujours été au cœur des luttes paysannes », autour de plusieurs propositions : occupations de terres, présence et pression des habitants sur les institutions régulatrices (SAFER, Commissions départementales d’orientation agricole...), mais aussi veille foncière et constitution de réserves foncières expérimentales pour une « réforme agraire par le bas ». Autant de modes d’action déjà testés ici ou là mais qu’il s’agirait de généraliser sur l’ensemble du territoire. Pour cela le mouvement propose la création de comités de défense de la terre : « L’idée est d’inscrire le syndicalisme paysan dans un espace de composition plus vaste, une sorte de « syndicat de territoire » à même de peser sur les institutions (…) L’ambition est de créer un espace politique composite qui soit à la fois un comité de défense et une sorte de contre-institution, de contre-pouvoir local. Ces comités de défense de la terre pourraient s’organiser autour de trois piliers : une veille foncière communautaire, un axe activiste et un axe office foncier expérimental. » Une forme qui, chez nous, ressemble un peu à ce que tente de faire depuis trois ans le Syndicat de la Montagne limousine.
Michel Lulek