IPNS : Comment et pourquoi est née l’association ?
La Courtine 1917 : L’association est née il y a 8 ans par la décision commune de citoyens de la région mais pas seulement, de passionnés d’histoire, des pacifistes, des libres penseurs, des historiens, d’élus, dont le maire de La Courtine, et de descendants de soldats russes qui furent sur le front français en 1916-1917.
Les fondateurs de l’association furent une cinquantaine à se rassembler le 24 janvier 2014 à la salle polyvalente de La Courtine, tous animés par la volonté de soulever la chape de plomb reposant sur cette histoire singulière et incroyable et si méconnue : celle des 16 500 soldats russes qui étaient en Creuse à l’été 1917 et des 10 300 d’entre-deux qui se mutinèrent pendant 3 mois au camp militaire, pour être sauvagement réprimés, canonnés et mitraillés les 16, 17 et 18 septembre.
Lors de cette première assemblée, des statuts y furent longuement discutés et adoptés, un conseil d’administration et un président en la personne de Jean-Louis Bordier y furent également élus. Depuis, La Courtine 1917 est devenue une association d’éducation populaire, nationale, historique et mémorielle. Elle est reconnue par les pouvoirs publics comme Organisme d’Intérêt Général (OIG) à caractère culturel et scientifique. Elle a organisé en 8 ans, dans des dizaines de départements, près de 80 conférences, présentations, débats, expositions, projections de films. Elle a aussi organisé pendant 3 jours à La Courtine en septembre 2017 « Les Journées du centenaire » commémorant le centième anniversaire de la présence en Creuse des soldats russes et leur mutinerie. Toutes ces initiatives, qui ont rassemblé des milliers de personnes depuis 8 ans, témoignent de l’intérêt de celles-ci pour la transmission de l’histoire.
IPNS : Parmi vos actions, vous éditez des Cahiers semestriels de près de 50 pages consacrés au corps expéditionnaire russe durant la première guerre mondiale et à la révolte de la Courtine en 1917. Le douzième vient de sortir. Mais y a-t-il encore des choses à découvrir sur ce sujet ?
LC1917 : En toute franchise, sur cette histoire des soldats russes et de leur mutinerie, nous sommes nous-mêmes étonnés par la somme et la diversité des documents, photos, témoignages, récits de vie, etc. auxquels nous avons eu accès et que, pour certains, nous avons publiés au cours de ces 8 années dans notre revue.
Près de 400 de ces soldats qui ne rentrèrent pas en Russie en 1920, restèrent en France pour y travailler et fonder des familles. Une vingtaine de descendants, petits-fils, petites-filles qui sont membres de notre association, nous apportent régulièrement des récits et documents passionnants concernant leurs grands-pères. C’est encore le cas dans ce dernier numéro de mars 2022 avec le récit de l’épopée de Feodor Zholobov, un tailleur-couturier soldat de la 1re brigade qui était avec les mutins à La Courtine.
Également dans ce numéro, nous publions un article d’un historien et chercheur russe, Maxim Tchiniakov, spécialiste du corps expéditionnaire russe qui collabore régulièrement avec notre association. Dans cet article inédit, nous apprenons l’existence et le rôle de 4 associations et organisations de la société civile franco-russes qui se sont constituées entre 1916 et 1920 pour venir en aide aux soldats.
Dans le numéro 8 des Cahiers, nous avons publié une interview parue en 1960 dans la revue Musica, celle de Paul Le Flem, compositeur de musique français, interprète auprès des brigades russes, qui dirigeait à La Courtine un orchestre de 80 soldats-musiciens-mutins !
Dans les 2 prochains numéros des Cahiers, nous allons publier un document inconnu de la quasi-totalité de nos lecteurs, y compris de ceux qui s’intéressent de près à cette histoire des soldats russes en France. Il s’agit d’un feuilleton en 15 numéros paru fin 1934 début 1935 dans un hebdomadaire pacifiste de l’époque « La Patrie Humaine » sous la plume de Charles Steber. Ce dernier est venu à La Courtine au début des années 1930, il a enquêté auprès de la population, il a rencontré en URSS des soldats qui étaient à La Courtine et il a écrit ce feuilleton saisissant qui s’intitule « La Saint Barthélémy Anti-marxiste de 1917, récit des massacres organisés des contingents russes à Brimont et à La Courtine ».
Et nous avons encore beaucoup de pépites de ce type sous le coude…
IPNS : A côté de cette publication, avez-vous d’autres actions ou projets ?
LC1917 : Voici en résumé quatre de ces projets qui pour trois d’entre eux vont voir le jour en 2022.
Après avoir co-édité un premier livre en 2017 avec les Ardents Editeurs : « Le Limousin et la Révolution russe », nous publions au mois de mai prochain les mémoires d’un soldat russe, mutin de La Courtine. L’ouvrage publié en URSS en 1960, est traduit aujourd’hui pour la première fois par notre association. L’auteur, Dimitri Lissovenko, raconte en détail son parcours de soldat de la 1re brigade du corps expéditionnaire russe en France entre 1916 et 1918. Il dévoile avec précision l’organisation de la mutinerie de La Courtine à l’été 1917 et sa répression. Déserteur d’une compagnie de travailleurs à Besançon, emprisonné en Suisse, il est rapatrié en Russie en 1918.
Le « Chemin de Mémoire » à La Courtine embarquera le visiteur sur la trace des mutins par une scénographie créative avec panneaux photos, textes, fresques, installations numériques et sonores… Ce sera un circuit pédestre accessible à tous. Ce projet est porté par la Communauté de communes Haute-Corrèze Communauté, soutenu par la commune de La Courtine, la Région Nouvelle-Aquitaine, les conseils départementaux de la Corrèze et de la Creuse, la DRAC, la DDCSPP. Avec l’association, nous en sommes les initiateurs, les conseillers scientifiques et co-animateurs du Comité de pilotage. La communauté de communes est maître d’œuvre de ce projet. Le Chemin de mémoire devrait voir le jour en 2023 avec une inauguration prévue pour juin 2023.
Cette pièce qui retrace l’épopée des soldats russes est coproduite par La Courtine 1917 et « L’Atelier du Soir » de Limoges, association qui donne des cours de théâtre (https://www.atelier-du-soir.fr/).
Le recrutement des 8 comédiens a été réalisé à Limoges, avec le concours de Frédéric Choffel, auteur et metteur en scène de la pièce. La première représentation aura lieu à Ussel le samedi 25 juin à 20h30 au Centre culturel Jean Ferrat, la seconde à La Courtine le 26 juin à 15h, jour de l’arrivée des mutins russes à La Courtine en 1917. La pièce est destinée à être jouée le plus possible en Limousin et ailleurs en France. Les lecteurs d’IPNS qui souhaiteraient faire venir la troupe dans leur commune peuvent contacter l’association.
Il s’agit d’un concours d’écriture de nouvelles sur le thème « Les soldats russes à La Courtine en 1917 ». Il est lancé depuis la mi-janvier auprès des élèves de 1re des lycées du Limousin, de La Rochelle et de Rochefort. Le jury constitué nationalement, est composé d’enseignants, d’historiens, d’écrivaines, de représentants d’établissements culturels, de descendants des soldats russes, d’adhérents de La Courtine 1917, au total 12 personnes. Nous venons d’être contraints de reporter cette initiative en 2023 pour deux raisons : les retards et la désorganisation dans les programmes des lycées provoqués par la situation sanitaire et d’autre part la situation politique du moment avec la guerre et l’occupation de l’Ukraine. Force est de constater que la situation en 1917 était l’inverse de celle d’aujourd’hui : les soldats russes sous la conduite d’un autocrate font la guerre et sèment la mort alors que les soldats russes à La Courtine il y a 105 ans s’étaient révoltés pour ne plus faire la guerre et ont écrit ainsi avec leur mutinerie une des plus belle page du pacifisme.