À l’automne 2014, nous manifestions afin d’obtenir un logement pour Maria et ses deux enfants déboutés du droit d’asile et contraints de quitter le CADA (Centre d’accueil de demandeurs d’asile) sans solution d’hébergement. L’ouverture du CADA à Eymoutiers quelques mois plus tôt avait suscité un vaste élan de solidarité envers les résidents de la part de particuliers, des associations et des élus, tous désireux d’accueillir dignement ces nouveaux habitants. À l’été 2014 nous hébergions et accompagnions les premiers déboutés. Seule une minorité de demandeurs obtiennent l’asile (avec des taux très variables selon les nationalités). En effet, les critères d’obtention de l’asile sont très restrictifs et ne couvrent pas tous les cas où les personnes sont en danger. Souvent les personnes ont des difficultés à prouver ce qu’elles disent : les persécuteurs ne délivrent pas d’attestations de persécution ! Parfois, elles ont tout simplement du mal à raconter ce qui s’est passé. Se voir refuser l’asile ne signifie pas que l’on n’a pas de droit au séjour à un autre titre, mais il faut quand même quitter le CADA et c’est la fin de l’allocation de demandeur d’asile. C’est le règlement imposé par le ministère. Que deviennent alors les liens créés entre les gens : « Au revoir et merci pour la rencontre ; bon retour chez vous » ? Ou bien… C’est dans ce contexte que fin 2014, nous décidions de créer l’association Le Mas (Montagne Accueil Solidarité) officiellement créée début 2015.
Depuis 7 ans, Le Mas a assuré l’hébergement de 92 personnes (adultes et enfants) dans des appartements mis à disposition gratuitement par des particuliers, la paroisse et la mairie. Nous avons toujours trouvé une solution pour ne pas laisser des personnes à la rue mais cela a parfois tenu du miracle, de même que pour nos finances ! Le Mas a géré les déménagements, l’ameublement et l’entretien des logements (petits travaux), veillé à la scolarisation des enfants, payé les assurances et les fluides, les fournitures scolaires, assuré les covoiturages vers Limoges, prêté les sommes nécessaires au paiement des titres de séjour (à ce jour, parfois jusque
475 € par adulte). Nous avons un temps animé un groupe de parole au CADA. Pour nous financer nous avons organisé et participé à de nombreux événements festifs ou militants en fournissant des repas préparés conjointement par les bénévoles et des personnes étrangères, hébergées ou non, tout en médiatisant nos actions. Cela a aussi permis des rencontres entre hébergés et habitants.
Nous ne mettons pas de limite de temps à notre accueil tant que les personnes ne sont pas régularisées. Certaines sont parties tenter leur chance ailleurs. D’autres ont obtenu des titres de séjour, mais il a fallu du temps. Pour Maria ce fut 6 ans. Elles ont quitté l’association, travaillent et sont à ce jour parfaitement intégrées.
Le Mas compte aujourd’hui une vingtaine de bénévoles actifs et est soutenu par une centaine de sympathisants. L’association s’inscrit dans un vaste réseau créé au fil des années en Limousin autour des CADA de Peyrelevade et d’Eymoutiers, de l’HUDA (Hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile) de Peyrat-le-Château et de diverses associations de soutien aux exilés. Nous avons établi des partenariats avec des acteurs multiples, associatifs, caritatifs, des élus, des mairies, des assistants sociaux de secteur, des enseignants, etc…
Fin 2021, au détour d’une rencontre inter associative sur le Plateau de Millevaches qui a réuni 80 personnes, nous avons fait le constat du manque chronique de solutions d’hébergement et de l’aberration d’interdiction de travailler pour les exilés.
Au fil des différentes réformes (3 depuis 2014) il est devenu de plus en difficile pour les étrangers d’obtenir des papiers. La réforme de 2016, qui a transféré le traitement des demandes de séjour pour soins du ministère de la Santé à celui de l’Intérieur, a considérablement réduit l’octroi de ces titres particulièrement pour celles et ceux qui souffrent de troubles post traumatiques (1). Même avec des promesses fermes d’embauche, y compris dans des métiers en manque de personnel, il est devenu impossible d’obtenir la régularisation nécessaire pour avoir le droit de travailler.
En 2021 nous avons perdu la jouissance de plusieurs logements que les propriétaires ont vendus ou reloués et à l’été 2021 nous avons même dû héberger sous tente et sous une pluie battante une famille de 9 personnes avec plusieurs jeunes enfants avant de trouver une solution...
Durant l’hiver 2022 c’est une famille de 6 avec des enfants en bas âge qui est contrainte de quitter le CADA. Nous n’avions de solution d’hébergement que très temporaire. C’est alors que nous décidons d’occuper un immeuble vacant. Début avril 2022, une occasion fortuite nous permet de visiter un immeuble, propriété de l’ODHAC, 29 rue de la République à Eymoutiers. L’immeuble est vide depuis 6 ans. Il comporte 11 logements T1 et T2. Nous sommes surpris par son bon état et nous décidons de l’occuper le 6 avril 2022. Au départ de l’occupation, la mairie d’Eymoutiers nous a proposé une médiation avec l’ODHAC. De ce rendez-vous est ressorti une menace d’expulsion, mais la porte restait ouverte pour une possible convention (type commodat) entre l’ODHAC et notre association pour pérenniser l’utilisation du lieu et mettre les familles en sécurité. Nous nous engagerions à payer les fluides et les assurances, assurer le petit entretien et le gardiennage. Nous avons le soutien de la fondation Abbé Pierre.
Le 29 avril 2022, nous avons reçu l’assignation au tribunal en vue d’une expulsion. L’ODHAC a expliqué par voie de presse qu’il ne pouvait héberger des sans-papiers (2). Fin mars 2022, le Conseil départemental avait annoncé dans son magazine “La Haute-Vienne terre d’accueil et de solidarité […] pourra mettre une trentaine de logements à disposition. L’ODHAC réserve de son côté des logements qui pourront accueillir une centaine de réfugiés”... ukrainiens. Ironie de l’histoire : la première famille que nous avions accompagnée en 2014 était ukrainienne !
Montagne Accueil Solidarité, Eymoutiers