Samedi matin 22 avril, il est 9 heures et il pleut. Les voitures arrivent sur la place de la bibliothèque à Nedde. Combien sommes-nous pour faire cette visite dans le Puy de Dôme ? Sept personnes, ça va, nous allons pouvoir faire le voyage avec deux véhicules. Les techniciens de Télé Millevaches sont là, ils prennent déjà des images, nous expliquent un peu le déroulement : ils veulent monter ce reportage un peu comme une enquête alors ils nous installent des micros et nous annoncent qu’ils vont tourner dans la voiture pendant le voyage. 9 h 15 : Nous partons, nous passons par la Courtine. C’est le plus court, mais la route est un peu plus sinueuse. Télé Millevaches prend des images des paysages que nous traversons et nous interviewe, Vincent et moi. 11 h : Nous arrivons à Tortebesse. J’appelle Laurent Mège pour qu’il m’indique la route pour aller chez lui au village des Plaines. Il est en train de changer un troupeau de vaches et j’entends son chien aboyer. Ce n’est pas compliqué, c’est tout droit, me dit-il. Nous continuons, voyons le panneau « les Plaines », puis une ferme. Nous sommes arrivés.
Depuis le témoignage de Laurent Mège lors de la réunion publique du 29 octobre 2022 à Nedde, j’appréhendais un peu cette visite. Qu’allons-nous découvrir ? J’aperçois une femme et un homme derrière une baie vitrée, je m’approche, c’est Mme Mège et le voisin M. Morge qui est aussi éleveur, ils nous attendent. Laurent Mège arrive, toujours aussi dynamique. Ils nous invitent à nous installer autour de la grande table, Télé Millevaches filme toujours mais nous finissons par les oublier. Laurent Mège nous montre des plans et divers documents, c’est une ferme familiale depuis trois générations où ils produisent du lait pour une coopérative qui fabrique divers bleus d’Auvergne et des tommes. Son troupeau est constitué d’environ 70 vaches montbéliardes qui produisent une moyenne de 7 500 litres de lait par an. Ils ont deux bâtiments : un pour les génisses qu’ils gardent, et un autre où sont les laitières avec la salle de traite attenante. En 2014, Laurent Mège décide de rénover une grange en maison d’habitation et comme il n’y a pas de possibilité d’internet par ligne téléphonique, il fait une installation par parabole type Nornet afin de faciliter ses démarches administratives, notamment ses déclarations. Pour son voisin M. Morge qui est à 900 m du parc éolien mais de l’autre côté, c’est un peu la même situation et les mêmes problèmes. Son épouse est vétérinaire salariée dans un cabinet et fait tout pour les aider mais elle subit des pressions de l’ordre des vétérinaires. Pour cette raison, elle n’a pas voulu témoigner car elle a peur de perdre sa place. En 2018, un parc de 6 éoliennes de 90 m de haut, relativement petites comparativement à d’autres, s’implante sur la commune voisine à 900 m de leur village. Ils n’ont a priori rien contre les éoliennes mais à partir de là, les ennuis commencent : tout d’abord, plus d’internet ! Ils changent la box, puis l’ordinateur mais rien n’y fait. Les diverses déclarations se font en retard, ce qui leur vaut des réprimandes. Évidemment sans internet, c’est moins facile. Un jour un technicien un peu plus perspicace que les autres demande : « Quel changement y a-t-il eu depuis que vous avez la parabole ? » - Nous avons un parc éolien en face de chez nous ! En fait, comme les éoliennes sont situées en face de la parabole, les pales coupent le faisceau.
Puis ça commence avec le troupeau de laitières : la production de lait baisse, les vaches sont bizarres, elles se regroupent dans une partie de la stabulation et restent comme un troupeau de moutons collées les unes aux autres. Soit elles ne boivent plus du tout, soit elles boivent beaucoup à la fois. Elles refusent de rentrer dans la salle de traite, se couchent et finissent par mourir. M. Mège perd jusqu’à neuf ou dix vaches par semaine soit environ 50 à 60 animaux par an. Les vétérinaires viennent, sept se succèdent mais ne comprennent pas ce qui se passe. Ils font des analyses qui ne donnent rien, certains finissent même par penser qu’il ne soigne pas bien ses animaux. Dépité, M. Mège fait faire des analyses toxicologiques à base de poils de ses vaches et là sont détectés des taux anormalement élevés de fer, zinc, cuivre, plomb, cadmium. Il effectue les mêmes analyses sur sa famille à partir de leurs cheveux et le résultat est le même que sur leurs vaches. C’est un peu normal, ils vivent en complète autarcie. Potager, volailles, charcuterie, viandes, lait, œufs, tout est produit sur la ferme. Ils se tournent vers des géobiologues qui commencent à parler de champs magnétiques dus au parc éolien installé sur une immense nappe phréatique. À ce moment-là, nous décidons de sortir de la maison pour aller voir les bâtiments et les animaux. Nous n’avons toujours pas vus les éoliennes. Nous commençons par le bâtiment des génisses, et là c’est le choc ! Un premier box de 6 ou 7 petites vaches bizarres avec des têtes d’adultes mais avec des petits corps et des gros ventres. Il nous lance : « Quel âge ont-elles à votre avis ? » Comme il y a des agriculteurs dans le groupe, certains disent 5 mois, 8 mois… Et bien non, elles ont 12 mois. De toute façon il n’a plus de problèmes avec les mâles, les vaches ne font plus que des femelles. C’est stupéfiant ! Dans un autre box, une quinzaine de jeunes génisses : certaines sont plutôt jolies et d’autres un peu mieux que celles du premier box, mais quand même avec un problème. Les plus jolies ne sont pas nées ici, car voyant que tout s’effondrait, en 2021, il décide d’aller dans un autre bâtiment situé à 8 km qu’il loue pour l’hiver. Il déménage les vaches et là, quelle stupeur, les animaux rentrent dans le bâtiment comme si elles l’avaient toujours connu, il décide d’utiliser la salle de traite sans faire de frais et là aussi les vaches rentrent pour se faire traire sans aucune difficulté. En trois semaines la production de lait remonte, les vaches vont mieux et le moral remonte également. Il reste dans ce bâtiment pendant cinq mois, refait des analyses toxicologiques et tout est redevenu normal.
Ensuite, nous allons voir les laitières dans l’autre stabulation. Là on aperçoit enfin les éoliennes, il y en a six, elles sont dans la brume et ne sont effectivement pas immenses. Dans un pré attenant, on voit des pierres genre menhirs installées par M. Mege. Elles sont pointées au-dessus des veines d’eau qui traversent le bâtiment pour en atténuer les effets. Pouvant peser jusqu’à 2 tonnes, certaines se sont fendues. Cela prouve bien la force qui se dégage de la terre. Ensuite, nous rentrons dans le bâtiment par la salle de traite, là il nous montre avec une baguette le champ magnétique présent à l’entrée du passage des vaches. La baguette se met à tourner. C’est la raison qui empêche les vaches de rentrer dans la salle de traite. Les vaches sont plutôt tranquilles, certaines sont couchées et en bon état de santé, mais toujours un peu sur le qui-vive. Nous avions complètement oublié Télé Millevaches qui ne filme plus, plus de batterie, mais juste le temps de revenir à la voiture et c’est reparti pour la conclusion.
Nous décidons de rejoindre la maison et conclure un peu cette matinée de visite. Laurent nous explique pourquoi il met autant d’énergie dans ce combat : il ne veut pas que ce qu’ils vivent avec son épouse et son voisin M. Morge ne se reproduise ailleurs. Plusieurs fois dans la matinée, il nous a lancé : « Maintenant, je ne veux plus fermer ma gueule, je n’ai plus rien à perdre ! ».
Depuis deux semaines, Laurent Mège travaille comme ripeur pour une entreprise de ramassage d’ordures ménagères. Ne pouvant plus rembourser les prêts de l’exploitation, il décide de passer ses permis poids lourds afin de devenir salarié. Son épouse va rester sur l’exploitation pour continuer la production de lait. Tandis que nous les remercions pour leur disponibilité et leurs témoignages, ils nous encouragent fortement à tout faire pour empêcher l’implantation de ce parc éolien chez nous à Nedde. L’agence immobilière qui souhaitait témoigner finalement se défile, elle a trop peur de perdre des clients. Le représentant de la chambre d’agriculture ne vient pas au rendez-vous. Télé Millevaches enregistre son témoignage par téléphone, il dit soutenir les agriculteurs en difficulté et comprend leur détresse. Florent Tillon de Télé Millevaches commence à comprendre pourquoi les témoignages sont difficiles à obtenir : tout le monde subit des pressions. C’est l’omerta. Il y a beaucoup de projets en cours dans les communes avoisinantes, dans des forêts domaniales et à terme, ce sera près de 240 éoliennes qui seront installées sur les montagnes tout autour de chez eux…
Paul Gerbaud, pour l’association ESC