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Domestiquer un tissu associatif en domestiquant l’État territorial en Limousin ?

Date
dimanche 1 juin 2025 10:06
Numéro de journal
91
Auteur(s)
Pablo Corroyer
Visite(s)
6 visite(s)

Dès 2022, IPNS avait enquêté et alerté sur les atteintes aux libertés associatives (cf. dans notre n°81, l'article « Les préfectures coupent sournoisement les vivres aux associations »). Depuis, plusieurs médias (Le Monde, Médiapart, Libération, etc.) ont documenté ces situations. Aujourd'hui, c'est un chercheur postdoctorant en science politique de l’Université de Lille (Ceraps), Pablo Corroyer, qui nous présente les résultats d'une enquête qu'il a menée sur le Plateau pendant un an. Sa recherche corrobore les informations parues dans la presse, mais elle permet aussi de mieux comprendre, comment les attaques contre certaines associations s'inscrivent dans la généralisation d'une politique sécuritaire dominée par le paradigme « anti-terroriste ».

 

J’ai le plaisir de partager avec vous les tout premiers résultats d’une enquête sociologique que j’ai réalisée cette année dans le cadre du projet ANR « Libertés associatives et initiatives citoyennes ». Nous sommes un groupe de chercheuses et chercheurs mais aussi d’acteurs associatifs travaillant à comprendre les mutations du monde associatif dans la France contemporaine. Nous nous intéressons à la façon dont l’organisation des associations, leurs financements et autres relations de dépendance déterminent une certaine qualité des libertés associatives. Pour poursuivre cet objectif de recherche, j’ai choisi d’enquêter dans le Limousin, d’où nous étaient parvenus des échos de coupures de subventions à l’égard de plusieurs associations. Avant de commencer réellement l’enquête, je ne soupçonnais pas encore, non seulement l’étendue du phénomène, mais aussi à quel point celui-ci n’a rien de contingent.

 

Planning Familial 19

 

Une quarantaine de cas

J’ai dénombré près de 30 associations de Creuse et de Corrèze qui ont subi des formes de disqualification et de tentatives d'ostracisation financière, depuis 2016 au moins mais, pour la plupart, depuis 2021. Il est probable qu’il y ait en réalité une quarantaine de cas. Ces entraves concernent un univers associatif trans-sectoriel, mais il s’agit surtout d’associations dont l’objet social se partage entre création artistique, action culturelle, éducation populaire, média local, défense de l’environnement, féminisme. Si l’on doit donner les noms des institutions responsables de ces entraves, cela donne une liste à la Prévert d’acronymes : la DRAC, la DRAJES, la CAF, la DDDFE, le DASEN, l’ARS, le ministère de la Culture, la DDETSPP, quelques collectivités locales et, bien sûr, les préfectures de département et de la Région Nouvelle Aquitaine. Je comprends aussi ce phénomène comme non contingent car l’enquête a progressivement souligné les évolutions systémiques de l’État territorial et du financement du monde associatif qui permettent aujourd’hui ces formes de répression.
L’étendue du phénomène m’a conduit à réaliser une enquête au niveau mésologique, c’est-à-dire au niveau d’un territoire assez large, permettant d’englober un ensemble d’institutions, de services, d’agences, et bien sûr d’associations. Je suis donc parti de micro-événements touchant telle ou telle association. Face à la presque absence de motif clair ou assumé de la part des institutions, ces associations ne comprennent pas vraiment ce qui leur arrive, dénoncent l’arbitraire des pouvoirs publics, ici ou là un « fait du Prince » qui aurait conduit à leur ostracisation financière. L’arbitraire est essentiellement un qualificatif normatif : en dénonçant une décision qui parait abusive, irrégulière, trop « politique », l’accusation d’arbitraire charrie surtout une définition de ce que devrait être le rôle social de l’État et celui des associations.

 

Des actes de répression fuyants

Je suis tout de même parti de ces actes de répression qui se caractérisent par le fait d’être fuyants, non-dits. Dans leurs discours officiels, les pouvoirs publics annoncent simplement faire leur travail d’évaluation des performances des associations locales, dans un contexte de restriction des budgets disponibles. Le conflit n’est jamais thématisé comme tel par les acteurs publics. La « loi naturelle » qui est cependant perpétuellement rappelée, c’est bien cette mise en marché, cette mise en concurrence des associations. Je n’aurai pas le temps de le détailler, mais il faut garder à l’esprit à quel point la précarisation financière - qui est aussi une précarisation temporelle – alimente une fragilité structurelle des associations et de leurs travailleurs et travailleuses.
Pour objectiver les relations État-associations, quelles ont été mes conditions d’enquête ? Les acteurs associatifs étaient prompts à m’accorder un entretien. J’ai cependant pu, dès le début, accéder à la parole des agents publics, bien que plus difficilement. Malgré, ou grâce à un contexte agité de médiatisation et de tensions locales, la plupart de ces agents ont accepté de me rencontrer, bien que visiblement très inquiets d’être identifiés par leur hiérarchie. Je précise ici, qu’hormis une vingtaine d’entretiens et l’observation de moments de réunions inter-associatives, j’ai également étudié un large corpus de presse, de documents administratifs internes, de courriers échangés entre divers acteurs, de pièces de recours administratifs…
L’une des questions que je me suis posée est simple : comment expliquer le durcissement du traitement étatique du monde associatif en Limousin ? L’hypothèse que j’ai commencé à travailler est que la domestication de ce tissu associatif est le résultat d’une domestication de l’État territorial lui-même, au moyen d’une concentration des services et d’une « sécuritisation » de leurs politiques. Je commencerai par montrer en quoi les sanctions financières à l’égard d’une vingtaine d’associations sont rendues possible par une re-concentration des services de l’État territorial, sous la tutelle du pouvoir préfectoral et donc, en dernière instance, du ministère de l’Intérieur (I). Ensuite, je me demanderai si le phénomène répressif à l’œuvre en Limousin actuellement ne témoigne pas d’une extension et d’une sédimentation du paradigme anti-terroriste au sein de la vie ordinaire des administrations locales (II).

 

I- Domestiquer la vie associative en domestiquant l’État territorial ?

Un résultat est clair à présent. La grande majorité des entreprises de disqualification et d’ostracisation financière en Limousin sont le fruit de demandes et d’injonctions émanant des préfectures de département et de région. Ces dernières transmettent des listes d’associations à ne plus financer, la plupart du temps sans la moindre explication. La question est : comment ces demandes ou injonctions ont-elles pu être entendues, et surtout suivies, par la plupart des services de l’État, agences ou organisations de sécurité sociale ? Commençons par dire que le corps préfectoral est un acteur majeur de la police administrative, c’est-à-dire qu’il est essentiellement chargé de maintenir l’ordre public et de coordonner les politiques publiques locales. Il dépend directement du ministère de l’Intérieur. Or, étant donné l’histoire institutionnelle de notre pays, il n’y a rien d’évident à ce que ce corps préfectoral ait acquis sous son pouvoir la plupart des services déconcentrés de l’État. Pour comprendre, il nous faut donc remonter une quinzaine d’années plus tôt.

 

Re-concentration des services déconcentrés de l’État

Durant les premières années de la décentralisation et de la déconcentration, grosso modo de 1982 au milieu des années 2000, les collectivités locales gagnent en pouvoir et en autonomie, tandis que le corps préfectoral en ressort plutôt affaibli. À ce moment-là, chaque service déconcentré de l’État, au niveau des départements et des régions, est rattaché à son propre ministère de tutelle : l’Agriculture, l’Equipement, la Santé, le Travail, la Culture, etc. Au milieu des années 2000, de hauts fonctionnaires issus du corps préfectoral et du ministère de l’Intérieur, soutenus par le ministre puis président Nicolas Sarkozy, entreprennent une vaste réforme de l’administration territoriale de l’État, dite RÉATE, notamment pour remédier à cette perte de pouvoir.
L’idée d’une fusion de services déconcentrés est alors promue comme un vecteur de rationalisation de l’action publique, à la fois parce qu’elle permettrait de mieux piloter les services en limitant les redondances et les concurrences entre eux, mais aussi parce que de telles fusions permettraient des économies budgétaires. En 2010, les Directions départementales interministérielles, ou DDI, sont mises en place, résultats de la fusion de plusieurs services déconcentrés ; les directeurs de ces DDI répondent alors au Premier Ministre, car le ministère de l’Intérieur n’a pu, lors des négociations, l’emporter sur l’ensemble de ses revendications. Plusieurs ministères centraux perdent donc peu à peu de leur capacité de pilotage départemental autonome. Entre 2019 et 2021, de nouveaux décrets renforcent ce mouvement de re-concentration des services déconcentrés de l’État, et placent les DDI, ainsi de plus en plus resserrées, entre les mains des préfets et sous la tutelle du ministère de l’Intérieur.

 

assoc1Injonctions préfectorales

En quoi ces mutations de l’administration territoriale affectent-elles le financement et le contrôle de la vie associative ? Pour prendre le cas de la Corrèze, vous avez une DDI qui s’appelle DDETSPP (Direction départementale de l’emploi, du travail, de la solidarité et de la protection des populations). Cette DDI est le résultat de la fusion de services de politiques de cohésion sociale comme l’hébergement d’urgence ou la réinsertion, d’anciens services de contrôle vétérinaire des abattoirs ou encore de réglementation et d’inspection du travail (l’ancienne DIRECTE), Le directeur de cette DDI est actuellement issu de l’Inspection du travail, et ne connaît donc pas les enjeux liés aux politiques d’asile et d’hébergement. Aux dires de certains de ses agents, cette DDI est en effet pilotée de manière de plus en plus serrée par le préfet de département. Dès lors, lorsque celui-ci dit aux agents : « Ne financez plus le Planning familial de Corrèze et le média associatif historique Télé Millevaches », les agents ont difficilement le choix de ne pas répondre à cette injonction. Dans ce service et dans d’autres, certains fonctionnaires ont cependant fait preuve de réticence voire de résistance à exécuter l’injonction préfectorale jusqu’au bout. Le préfet demande en effet aux agents qui instruisent les demandes de subventions des associations blacklistées, d’inventer des motifs de refus : par exemple, le fait que le dossier serait incomplet, ou bien que l’association ne réaliserait pas d’actions sur l’ensemble du département, ou bien qu’elle n’interviendrait pas assez dans les écoles, ou bien encore que les crédits publics sont insuffisants. Cette demande d’invention de motifs a semblé créer une difficulté, voire une souffrance, chez ces agents publics, dans la mesure où elle les contraint à rompre la relation de confiance qu’ils avaient jusque-là construite avec les associations partenaires.

 

Liste noire

Ce cas de la DDETSPP est le plus évident, mais il est intéressant de prendre le cas de services déconcentrés qui ne sont pas, en principe, sous la tutelle réglementaire des préfets et donc du ministère de l’Intérieur. Quelles marges de résistance sont possibles ? Au sein de la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) de la Nouvelle Aquitaine, une liste noire d’associations à ne plus financer, évolutive selon les années, circule également. Ce cas est intéressant puisque, ni à ma connaissance ni à celle des fonctionnaires du service, la DRAC n’a l’obligation réglementaire d’obéir aux demandes préfectorales. Or, beaucoup de subventions, pour lesquelles les agents instructeurs avaient donné leur aval, ont été bloquées, retardées ou retirées. Cette situation est aujourd’hui routinisée, bien qu’elle n’ait ni existence légale, ni existence publique puisque la préfecture continue de nier qu’une telle liste noire existe. Cela montre en tout cas les capacités d’un acteur institutionnel, le ministère de l’Intérieur, à s’imposer à d’autres acteurs, quitte à déjouer les canaux bureaucratiques ordinaires.

 

Tri et exclusion

Sans que je puisse m’y attarder ici, il faut noter que certaines institutions, essentiellement celles qui n’ont pas de tutelle préfectorale, ont parfois refusé de suivre, à plusieurs reprises, ces demandes d’ostracisation, comme l’ARS (Agence régionale de santé) côté Corrèze, ou la CAF de Creuse. Au sein d’un autre service, la DRAJES (Direction régionale à la jeunesse, à l’engagement et aux sports), qui s’occupe d’instruire les demandes au titre du FDVA, ce fonctionnement s’est plus encore institutionnalisé. Il faut voir que les agents de la DRAJES passent du temps à sélectionner et trier les nombreux dossiers de demandes d’associations. Lorsque la préfecture de Corrèze a exclu plusieurs associations qui avaient pourtant été validées par la DRAJES et le collège consultatif, la DRAJES s’est donc plaint du travail inutile que cela lui avait coûté. La solution qui a été trouvée, semble-t-il, est que la DRAJES, avant même d’envoyer les « piles » de dossiers aux commissions consultatives pour étude, envoie la liste des noms d’associations au préfet, afin qu’il fasse le tri. Certaines associations sont donc exclues a priori de l’instruction par le service.
Nous avons vu de quelle façon le durcissement du contrôle de la vie associative s’opérait en Limousin grâce à une domestication de l’État territorial. Il reste à déterminer pourquoi ces dizaines d’associations sont bannies du champ associatif légitime ? Mon hypothèse est que cette action publique d’exclusion d’acteurs associatifs est le résultat d’une large extension et d’une profonde sédimentation du paradigme anti-terroriste au sein de la vie administrative ordinaire.

 

II- Un paradigme anti-terroriste pour mener la vie administrative ordinaire ?

Il faut commencer par un rappel succinct des logiques et dynamiques du paradigme anti-terroriste des deux ou trois dernières décennies. Celui-ci tend à considérer les acteurs ciblés (c’est-à-dire les militants djihadistes, mais pas seulement), non comme des justiciables ordinaires mais comme des « ennemis » qu’il s’agit de neutraliser, et de neutraliser avant même qu’ils aient pu commettre des crimes. Le paradigme de la « guerre contre le terrorisme » justifie et conduit donc à une extension formidable des pouvoirs de police administrative, qui deviennent de plus en plus coercitifs et punitifs. On observe également du côté de l’institution judiciaire et du droit pénal, une prééminence de la logique du risque poussant à juger la dangerosité des personnes, de leurs comportements, opinions et intentions. En quoi ce paradigme aurait-il quelque chose à voir avec l’exclusion d’associations d’éducation populaire ou de protection de l’environnement ? Pour le comprendre, il faut, là encore, remonter le fil des évolutions législatives et administratives, en étudiant la loi dite « séparatisme », votée le 24 août 2021.

 

Désinhiber l'administration

Si l’on suit les propos de l’ex-secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur, Sonia Backès, dressant devant des sénateurs un premier bilan de cette loi en 2023, cette dernière se fonde sur la nécessité de réprimer préventivement, non plus seulement les actes (préparatoires à des actes) de terrorisme, non plus seulement les signaux de la « radicalisation ». Il s’agit de s’attaquer au « bas du spectre », c’est-à-dire au « séparatisme » qui consisterait à suivre des règles, notamment politiques, jugées supérieures aux « règles de la République ». La secrétaire d’Etat ajoute que le but principal de la loi est de « désinhiber l’administration », en lui donnant les moyens et surtout la légitimité de s’attaquer à des associations dont l’action ou l’idéologie pourraient laisser penser qu’elles appartiennent à ce « bas de spectre », qu’elles s’inscrivent sur ce continuum poreux qui pourrait mener, en dernière instance, au terrorisme. C’est tout l’esprit accompagnant la création du Contrat d’engagement républicain (CER). Il s’agit d’un instrument de police administrative susceptible de couper les vivres à une association dont certains membres peuvent être suspectés de « séparatisme ».

 

Faisceau d'indices

Qu’en est-il en Limousin ? Il est crucial de noter que le CER n’a jamais été utilisé officiellement par les autorités préfectorales pour justifier de l’ostracisation financière de telle ou telle association. De façon officieuse, informelle, il a cependant été utilisé à une dizaine de reprises au moins entre 2022 et 2023. Prenons un exemple : à l’occasion de la venue du ministre Darmanin à Tulle, plusieurs militantes féministes sont interpellées par la police pour avoir collé des affiches dans les rues. Un petit rassemblement a lieu ensuite devant le commissariat pour soutenir les militantes. À ce moment, une responsable de l’association Peuple et culture est vue par un agent des Renseignements territoriaux qui en fait le rapport. En 2022, alors que l’association demande un financement du FDVA, le représentant du préfet le refuse en expliquant aux membres de la commission consultative que l’association a fait du « prosélytisme contre l’État ». D’autres associations, retoquées lors de ces mêmes instances, sont accusées de « radicalisation » ou d’être « d’ultra-gauche ». Pour la grande majorité des cas, il est très difficile d’identifier ou d’isoler un motif clair de l’ostracisation. Il faut plutôt voir, des propos mêmes d’un représentant de préfecture en entretien, un « faisceau d’indices » qui pousse les autorités à considérer qu’une association n’est plus fréquentable ou finançable. Parmi ceux-ci, on peut voir : le fait que certains membres de l’association aient participé à une manifestation ; le fait que certains membres vivent dans des habitats légers qui n’ont pas bénéficié d’un permis de construire ; le fait d’avoir invité une autrice féministe polémique lors d’un festival culturel ; le fait qu’un membre se soit opposé à l’expulsion d’une exilée.
Raisonnement par capillarité
Mais le plus souvent, on comprend mieux cette politique en partant de l’acteur qui l’innerve, à savoir les Renseignements territoriaux (RT) : le regard policier fonctionne à partir de la logique du soupçon et de la dangerosité imputée aux personnes, dangerosité qualifiée notamment à partir de leurs opinions politiques. Le plus souvent, l’exclusion est le résultat d’un raisonnement par capillarité : cette association est à surveiller davantage, voire à ne plus financer, car elle a coorganisé un spectacle avec une association elle-même déjà ostracisée. Ou encore : cette association est problématique car plusieurs de ses membres ont déjà rencontré des militants de Tarnac ou du Syndicat de la Montagne limousine qui sont, eux, « bien évidemment » dangereux. Les services de renseignements semblent donc réaliser des cartographies affinitaires, désignant des liens qui entachent « l’honorabilité » d’acteurs associatifs, et justifient une répression préventive. Le raisonnement préventif par capillarité se retrouve typiquement dans le cadre des mesures de police administrative à l’encontre de musulmans durant l’état d’urgence de 2016-2017. Les RT n’ont pas attendu la loi « séparatisme » pour réaliser leur travail de surveillance. Ce qui a quelque peu changé depuis 2021 environ, c’est la légitimation, la « désinhibition », comme dit Sonia Backès, qui tend à étendre le spectre de ce à quoi l’État doit prendre garde ou doit exclure.

 

Conclusion

Les premiers résultats de mon enquête tendent à démontrer l’intensification et l’extension d’un processus déjà en cours dans d’autres domaines de l’action publique. Le cas du Limousin montre que l’on assiste, au sein de l’ensemble des politiques locales, à une diffusion prééminente de l’impératif sécuritaire : ce que des chercheuses et chercheurs appellent la « sécuritisation de l’action publique ». Cette notion se comprend comme la constitution d’« une toile d’araignée de prévention, d’inspection et de maintien de l’ordre qui s’est attachée aux routines de la vie urbaine et de l’interaction sociale et qui cherche à orienter les comportements vers des fins qui renforcent la sécurité publique et le profit commercial » (Schuilenburg, 2015). Il semble en effet se jouer, en Limousin, un enjeu de protection de la profitabilité commerciale des territoires, puisque les associations visées par la répression agissent, ou sont reliées à des acteurs qui agissent, contre des intérêts industriels majeurs, considérés comme « écocidaires » (sylviculture industrielle, projets de « méga-bassines »).
Le paradigme néolibéral d’action publique, ainsi que les intérêts d’un groupe professionnel (les préfets) ont permis une re-concentration de l’administration territoriale de l’État. Ce renouvellement hiérarchique a permis de consolider voire de créer des tutelles préfectorales sur des services ; de telles reconfigurations des bureaucraties locales ont elles-mêmes permis la propagation efficace de la préoccupation sécuritaire, du regard policier et du paradigme anti-terroriste au sein de politiques publiques locales très diverses.

 

Pablo Corroyer
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    Libertés associatives
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