Le problème fondamental de notre territoire est sa sous-capitalisation. C’est-à-dire que l’épargne locale ne s’investit pas sur le territoire qui ne draine pas non plus, ou très difficilement, d’épargne extérieure. D’où une situation qui ne permet pas de trouver toutes les aides et capitaux souhaitables pour répondre aux besoins repérés. Depuis fin 2012, un groupe d’habitants se réunit et travaille en collaboration avec l’association De Fil en réseaux pour mettre en place un nouvel outil, le fonds de dotation, qui pourrait venir compléter les différentes solutions souvent très imaginatives déjà expérimentées sur le Plateau. Opérationnel depuis le début de 2013, ce fonds vient de soutenir deux premiers projets.
Créé dans le cadre d’une loi de 2008 (le cœur des années Sarkozy), cet outil importé des États-Unis par les théoriciens de l’ultra-libéralisme se veut un moyen de faciliter les relations entre les entreprises (et les personnes privées riches) et les projets d’intérêt général en évitant le montage d’une fondation, dispositif jugé trop complexe et trop encadré. L’idée sous-jacente étant de permettre aux pouvoirs publics de se désengager progressivement du financement associatif. Le corollaire de cette option étant le développement du soutien des actions d’intérêt général par le privé (entreprises et particuliers les plus riches) ce qui en soit est largement discutable. On en est encore loin, bien entendu, puisque le financement par le mécénat ne représente que 3% de l’ensemble des financements associatifs, mais l’idée fait son chemin.
Si le modèle traditionnel du fonds de dotation est donc celui de l’entreprise ou du particulier mettant en place son fonds de dotation et choisissant, seul ou avec un comité ad’hoc ses secteurs d’intervention, d’autres utilisations ont vu le jour. C’est ainsi qu’un certain nombre de fonds ont été créés par des associations d’intérêt général, seules ou en groupe. Il faut en effet préciser qu’une association (en dehors de celles reconnues d’utilité publique) ne peuvent recevoir que ce que l’on appelle des dons manuels, c’est-à-dire des sommes relativement modestes, et surtout qu’elle ne peuvent recevoir ni donations (grosses sommes) ni legs, ni lancer des campagnes d’appel aux dons (sauf exception), toutes opérations autorisées pour les fonds de dotation. Créer en commun un fonds de dotation mutualisé permet donc à des petites associations de se lancer ensemble dans la recherche des financements privés toujours compliqués à mobiliser quand on reste isolé. La redistribution de l’argent collecté par le fonds de dotation leur permet ainsi de disposer de financements complémentaires, qu’elles n’auraient pu obtenir autrement.
Une autre forme d’utilisation, celle privilégiée par le groupe d’habitants du Plateau, a été l’utilisation du fonds de dotation comme outil de réappropriation locale de la collecte de dons. L’idée de base est relativement simple : vous habitez un territoire, donc vous avez intérêt à ce qu’il s’y passe le maximum de chose. Faire un don dans ce cadre-là n’est plus simplement un acte de solidarité mais devient aussi un acte d’acteur local soucieux des orientations à impulser. L’originalité du montage consiste dans l’articulation entre la structure gestionnaire (le fonds de dotation) et la structure décisionnaire (l’association). Le principe de base : chaque donateur, quelque soit le niveau de don effectué, devient membre de l’association décisionnaire qui fonctionne sur une base horizontale (chaque réunion est ouverte à tous les membres qui ont chacun les mêmes droits de vote). Bien évidemment cette participation reste libre et si une personne ou une entreprise souhaite faire un don mais ne pas participer à l’association cela est tout à fait possible. C’est l’association décisionnaire qui est l’actionnaire unique du fonds de dotation dont elle nomme les administrateurs. Les dits administrateurs mettant en oeuvre les orientations qui ont été décidées par l’association.
Finalement ce type de fonctionnement crée les conditions de prise en charge collective du développement humain du territoire sur lequel on habite et vient revisiter la notion même d’imposition. On peut parler d’une forme d’impôt volontaire et autogéré, impulsant les soutiens et les développements que l’assemblée des imposables volontaires souhaitent mettre en œuvre. Une préfiguration de ce que devrait devenir à terme l’impôt sur le revenu ?
Alain Détolle