Début 2014, la commune de Faux-la-Montagne, encouragée par la Caisse des dépôts, décide d’élargir le travail d’urbanisme réalisé sur l’écoquartier en s’inspirant de l’étude-action menée à Gentioux.
Avec une question centrale : comment réhabiter les centres bourgs et remobiliser l’habitat vacant ? Car ici, comme souvent en moyenne montagne, la vie a tendance à se retirer des centres, délaissant le bâti ancien pour, au mieux, s’installer en périphérie.
À cette question, aucune solution évidente, mais une hypothèse, qui s’est muée au fil du temps en réponse : réoccuper les centres bourgs suppose certes d’agir sur les logements eux-mêmes, mais au moins autant, sinon plus, sur ce qui fait la qualité de la vie dans les bourgs, c’est-à-dire la présence d’espaces de rencontre, de lieux où l’on puisse prendre le temps de se croiser, de discuter, la possibilité de s’arrêter ou de cheminer au calme, l’opportunité d’une certaine densité qui soit propice au lien social.
La Villedieu : conserver absolument la qualité de la lisière entre le bourg ancien et le “grand pré“
Pour en arriver là, une même méthodologie a été appliquée à chaque bourg, avec un bonheur varié : des entretiens individuels avec des habitants et des usagers du bourg (résidents secondaires, bailleurs sociaux, ...) et des moments collectifs de balades et d’ateliers, en cherchant à favoriser l’expression des besoins des uns et des autres de manière à formuler des hypothèses le plus partagées possible.
Ateliers de lecture paysagère, ateliers d’urbanisme, ateliers ”projets” se sont enchaînés dans chacune des cinq communes, jusqu’à permettre l’émergence d’orientations générales d’aménagement et l’identification de ”lieux de projet” susceptibles de répondre aux attentes identifiées.
Parallèlement, un travail spécifique a permis, en atelier, de faire le point sur l’occupation du bâti en centre-bourg, avant qu’une analyse plus fine (sur Faux-la-Montagne) n’aboutisse à des préconisations stratégiques quant au devenir des maisons vacantes.
Rien d’original à première vue en terme méthodologique. Si ce n’est que ces phases ont largement fait appel à la participation des habitants, premiers “experts“ en terme d’usage de leurs lieux de vie. Pour cela, adieu savant jargon ! Il est au contraire nécessaire de privilégier des outils appropriables par le plus grand nombre, et surtout de les diversifier puisque tout le monde n’a pas la même manière d’imaginer et d’expliquer !
C’est ainsi qu’ont été installés systématiquement des temps de discussion et d’échange à bâtons rompus, sur le “terrain“ en balade ou à l’occasion d’un repas partagé, et que les outils utilisés ont été les plus variés possibles : croquis, plans, photos, films, analyse de cartes postales et photos anciennes, mise en situation et en espace.
A l’issue de ces ateliers, émergent des récurrences fortes, liées à l’homogénéité du territoire concerné et à la similitude des problématiques rencontrées par toutes les petites communes rurales de moyenne montagne (en gros, traiter les conséquences de la faible densité et de l’éloignement des pôles urbains).
Ce sont ces récurrences, traduites dans des schémas d’intentions, qui pourraient alimenter une politique publique de l’habiter en milieu rural.
Les ateliers de lecture paysagère ont été l’occasion de mettre en exergue un élément de qualité que l’on retrouve dans la plupart des bourgs : la pénétration d’espaces naturels au plus près du bourg historique et la qualité globale du lien entre espace bâti et espace naturel qui en résulte. Pour préserver cette qualité, il est essentiel d’identifier les fronts bâtis à respecter scrupuleusement et de les distinguer des espaces qui pourraient être urbanisés sans contrevenir à la logique générale d’implantation du bourg.
“Avec le café, c’était vivant. Du jour où il a fermé … ça c’est perdu. Maintenant, c’est mort, mort, mort !“
Déclin des activités commerciales et de services, fermeture des cafés, ... Il n’est pas un bourg où la disparition des lieux de sociabilité n’ait été évoquée.
S’il est illusoire dans la plupart des cas de penser réactiver un passé qui n’est plus, ce n’est pas pour autant qu’il n’y a plus rien à faire. Plusieurs projets germent d’ailleurs, qui tentent d’associer de manière originale activités commerciales et activités d’animations, de façon à se rencontrer, discuter, se connaître.
L’exemple de La Renouée à Gentioux, lieu hybride proposant du logement, un espace commercial dédié aux produits locaux, un espace d’animation, un espace de travail partagé et des locaux de service fait ici figure d’exemple : “Organiser un marché d’hiver, un endroit comme La Renouée, où on est au chaud, où on rencontre les producteurs, un lieu interface. Quelque chose qui ne fonctionne pas en vase clos. On serait assez nombreux, y compris parmi les anciens, à préférer l’achat local, mais à un coût abordable !“.
La Renouée, un espace multi-fonctions géré par l’association La Bascule
“Les places sont devenues des routes“, “Quel statut pour les petites ruelles ? La ruelle à côté de la pharmacie, il y a un truc qui pourrait se jouer si on interdisait le passage aux voitures.“
Ces citations, qui toutes se rejoignent pour déplorer que la voiture se soit immiscée dans la quasi-totalité des espaces publics, pourraient être multipliées à l’envi.
Si la voiture, indispensable en zone rurale peu dense, ne disparaîtra pas de sitôt, cela témoigne en tout cas d’un souhait commun de mieux partager l’espace entre automobile et piéton et de retrouver des endroits où l’on puisse s’arrêter, papoter, faire son marché, où les enfants puissent jouer tranquillement ...
”Beaucoup de chemins ont été accaparés, fermés.” Ce témoignage illustre la rupture d’un lien historique : celui des bourgs avec leur campagne. Remembrement, clôture des prairies, l’évolution des pratiques agricoles a marqué l’espace et hâté la disparition des ”chemins à talons”.
Aujourd’hui, l’enjeu est de retrouver ce lien, de permettre à chacun de sortir de chez soi et de profiter des environs pour de petites boucles de promenades.
Cette intention peut paraître incongrue dans un contexte rural marqué par l’omniprésence de la nature. Mais la morphologie des bourgs ruraux, composés d’un bâti souvent mitoyen présentant peu d’espaces extérieurs privatifs, conduit à une densité d’occupation forte, qui façonne une ambiance dans laquelle il n’est finalement pas si surprenant de rechercher un contact avec la nature : “Il n’y a pas de vert dans Faux. La petite dépression derrière l’église, il y a là un potentiel très chouette. Mais ce n’est pas accessible ...“
Au-delà de la prise en compte de ces quatre thèmes qui conditionnent “l’habitabilité“ des bourgs ruraux, c’est la nature même des politiques publiques tournées vers la revitalisation des bourgs qui est questionnée.
“Dans une commune, il y a deux points essentiels : la propreté et l’animation [...] Moi je préfère l’animation et les commerces. Qu’est-ce qui fait vivre ? L’animation !“. Ces propos d’une habitante rejoignent étroitement les conclusions du travail réalisé, qui invite les élus à relativiser l’importance des questions d’aménagement comme facteur en soi d’attractivité, au profit de politiques de soutien à l’animation et la vie sociale. Et plus particulièrement de politiques ouvertes à l’innovation sociale et économique, reconnaissant des modes d’organisation hybrides, à la croisée d’une économie marchande et d’une économie de service. Car à l’heure où la faible densité de population condamne économiquement la plupart des petites structures mono-actives (épicerie, bar, …), il s’agit bien de permettre l’émergence d’une nouvelle économie de la pluri-activité, adaptée aux contraintes d’un milieu rural de moyenne montagne. Tout comme il s’agit de permettre des formes d’organisation inhabituelles dans le champ économique (associations, sociétés coopératives d’intérêt collectif, …), mais capables de s’appuyer sur la mobilisation d’habitants et d’acteurs locaux fédérés autour d’un projet commun (La Renouée à Gentioux, le Constance Social Club à Faux la Montagne, ...).
Saint-Yrieix-la-Montagne, retrouver des raisons de fréquenter le bourg en ouvrant un lieu de commerce et d’animation.
Cette nécessité de réfléchir à des politiques favorisant le bien-vivre dans les bourgs n’interdit pas de s’attacher à la mise en œuvre de politiques directement dédiées à la mobilisation du logement. Mais, à nouveau, est posée la question de l’évolution de ces politiques et de leur adaptation aux particularités du territoire.
Les logements anciens de centre-bourg présentent en effet des caractéristiques qui compliquent leur ré-utilisation :
Et là encore, seules des innovations fortes dans la manière d’appréhender ce bâti et dans les façons de faire laissent entrevoir des possibilités de remise à niveau :
La-Villedieu : redimensionner la place pour réduire l’emprise de la voiture.
Stéphane Grasser