Plus d’une page d’un article de fond dédié à la pêche de la carpe : IPNS nous régale ! Essayant d’imaginer la façon dont peut être perçu cet article chez le lecteur habituel d’IPNS, qui - postulat peut-être infondé - a découvert le sujet avec cet article, je ne peux m’empêcher de faire quelques commentaires.
J’ai pris ma première carpe au barrage des Combes en 1992. J’ai ensuite été un “carpiste“ assidu pendant une petite dizaine d’années, suite à l’autorisation de la pêche de la carpe de nuit en 1995. Je pratique encore cette pêche aujourd’hui de façon plus épisodique, et avec beaucoup de détachement.
Je suis d’accord sur l’essentiel des points développés. La course à l’armement technologique a été et reste hélas consubstantielle de l’évolution de la pêche de la carpe. Les notions de performance et de compétition qui en découlent ont rapidement perverti l’image traditionnelle de cette pêche, faite de patience, de rêverie au bord de l’eau, voire de poésie. Bien entendu, ne généralisons pas. Nous sommes quelques-uns a avoir résisté à la technologisation - les détecteurs de touche sont une des rares concessions faites à la modernité - et tenté de conserver une certaine finesse dans ce monde de brutes. Un exemple : utiliser des cannes de faible puissance et un fil de nylon, bien loin d’être des treuils, permettant au poisson de se défendre... même si, nous sommes bien d’accord, le but restera toujours à la fin de le faire entrer dans l’épuisette.
Dès l’apparition en France des techniques modernes de pêche de la carpe, importées par des pêcheurs anglais au début des années 1980, la bouillette a été une source inépuisable de fantasmes tenant plus de la sorcellerie et de la recherche de la pierre philosophale que de la raison scientifique. À ce sujet, il ne faut pas croire tout ce qui est raconté dans les revues carpistes, et encore moins dans les catalogues des marques d’appâts qui les financent via la publicité, à qui on peut faire autant confiance qu’à Monsanto. Cependant, même chez les carpistes les plus bornés, les amorçages massifs à la bouillette sont relativement peu pratiqués, et de moins en moins. Il y a une raison simple à cela : le coût du kilo de bouillettes toutes faites. Le carpiste “fashion-victim“ qui achète ses bouillettes d’une marque à la mode à 15 euros le kilo ne va pas pouvoir balancer 10 kg de camelote par le fond pendant très longtemps ! Or, la débauche de matériel onéreux exhibé par les carpistes ne signifie pas que ces derniers roulent sur l’or. Ils se recrutent plutôt dans des catégories sociales modestes.
En publiant la photo d’une carpe obèse, IPNS verse un peu dans le sensationnalisme : les variétés anciennes de carpes issues des pays de l’Est ont toutes un morphotype trapu avec un gros ventre, et ce depuis bien avant l’apparition de la bouillette. La carpe mythique de 37 kilos prise en 1981 par M. Rouvière, sur l’Yonne, a longtemps été considérée comme un record du monde. Elle avait un très gros ventre et pourtant, elle n’avait jamais mangé de bouillettes ! Pour s’en convaincre, on peut la voir, naturalisée, à la maison de la pêche de Levallois-Perret (c’était du moins le cas il y a une vingtaine d’années). Il faut savoir qu’aux débuts de la “révolution“ carpiste, les bouillettes étaient fabriquées essentiellement sur une base de protéines de lait - la fameuse caséine - et des dérivés. On y mettait aussi du gluten de blé pur : une véritable arme chimique ! Bref, les bouillettes affichaient alors des taux de protéines avoisinant les 90 % ! Conséquence logique de cette diététique charlatanesque: le “boilie-building“ des carpes est apparu sur certains plans d’eau dès le début des années 1990. Mais il ne faut pas généraliser : cela ne concerne que certains plans d’eau sur-pêchés. En aucun cas cela ne concerne nos plans d’eau du Plateau. Les carpes de Faux-la-Montagne sont encore de beaux poissons, avec une robe brillante, combatifs et en bonne santé apparente (pas de blessures, pas d’écailles manquantes, etc..).
Si on revient sur les amorçages massifs et le lien avec un pourrissement de l’eau, je pense qu’il y a de l’exagération dans ce qu’IPNS a écrit. Ce “phénomène inquiétant“ concerne “des lacs sur-pêchés“. Il faudrait certes s’entendre sur la notion de sur-pêche... mais je crois que nos lacs ne sont pas concernés. Avez-vous plongé pour vérifier ? Qui plonge par 4 à 10 mètres de fond pour observer dans le temps la dégradation d’un échantillon de bouillettes ? Vous évoquez “un dépôt nauséabond sur le fond de l’eau“ sous lequel “aucune vie ne se développe“. Même dans un “bassin de 10 hectares“, je vous laisse le soin de calculer la quantité de bouillettes nécessaire pour tapisser de façon continue le fond ne serait-ce que sur 100 m²...
En fin d’article, l’avertissement aux élus du Plateau me semble catastrophiste et contre-productif. Les problèmes de conflits d’usages entre différents modes de pêche et d’atteintes à l’environnement ne sont pas à nier. Je ne suis pas certain que beaucoup d’élus seront convaincus. Et quand bien même, ce serait grâce à un discours anxiogène et basé sur une peur en grande partie fantasmée, à tout le moins insuffisamment étayée. Au final, toutes ces histoires de pêche à la carpe doivent sembler bien futiles au lecteur... Et à mon avis, elles le sont.
Antoine Teuma