Il suit son père dans ses migrations maçonnantes sur les chantiers du percement du canal du Nivernais. Orphelin de son père, à 14 ans il parcourt les routes de France ; il est le goujat d’un tuilier pendant deux ans. Il arrive à Paris en 1840 ; où il est embauché comme garçon maçon. En février 1848 il travaille comme “compagnon de remplissage sur le chantier dirigé par Martin Nadaud pour la construction de la mairie du XII° arrondissement, aujourd’hui V° arrondissement place du Panthéon. Ce chantier important avait débuté en 1846 et Martin Nadaud pour l’obtenir avait fait valoir la compétence de ses compagnons. Depuis quand notre Antoine était-il en compagnonnage avec Martin Nadaud ? On l’ignore. Mais il était un pratiquant assidu et passionné de l’un ou l’autre des nombreux cours professionnels qui fleurissaient à la même période. Henri Langlois, l’un de ses compagnons de la Chambre Consultative des Associations Ouvrières, évoque cette période de sa formation professionnelle et culturelle en le décrivant comme “possédé du démon de l’instruction, il ne descendait de son échafaudage que pour courir à ses livres ou aux cours du soir“. Dans ses écrits Cohadon fait état de ses très nombreuses lectures, montrant ainsi son désir d’acquérir et d’élargir son univers culturel. Il se lance très tôt et s’engage dans les débats des clubs politiques qui se réunissent autour de Cabet, Fourier, Proudhon, Pierre Leroux et tant d’autres, dans le Paris bourgeois de la monarchie de Juillet. C’est là qu’il construit sa stature de militant, acquise dans ce triple apprentissage professionnel, culturel et politique. Son apprentissage d‘homme politique, les évènements révolutionnaires de 1848 et la naissance de la seconde république s’en chargent rapidement. Elles lui assurent les solides assises d’une éducation politique où se conjuguent vie professionnelle et engagement militant dans la cité.
Ainsi, dès les premiers jours de février 1848 il est élu au Comité central des ouvriers du département de la Seine par la corporation des ouvriers maçons et tailleurs de pierre. Il a alors toute la confiance de Martin Nadaud. Tant et si bien que celui-ci le délègue pour siéger à sa place à la Commission ouvrière voulue par Louis Blanc afin d’obtenir du gouvernement provisoire la création d’un ministère du travail.
Avec l’expérience qu’il avait acquise comme conducteur de travaux dans la conduite de gros chantiers de construction Martin Nadaud est conscient de la nécessité de revoir le mode de l’organisation ouvrière dans la production. Avec d’autres il veut modifier le système du salariat notamment dans les métiers du bâtiment et promouvoir la création d’associations ouvrières de production. Dès le mois de juillet 1848, Nadaud crée L’association fraternelle des maçons et tailleurs de pierre, il en assure la présidence. Dans la liste des sociétaires on retrouve Antoine Cohadon.
C’est au titre de son appartenance à cette association de production ouvrière où il travaillera jusqu’à sa disparition en 1870, qu’Antoine Cohadon s’engage et participe à l’éclosion du mouvement coopératif en France. Sans entreprendre une histoire de la coopération rappelons simplement que la France y est entrée bien plus tardivement que ses deux grands voisins. L’Angleterre la première avec la coopérative de consommation des Equitables pionniers de Rochdale dans la région industrielle et ouvrière de Manchester et l’Allemagne avec la naissance des coopératives de crédit mutuel, les fameuses caisses Raiffeisen. Il est par ailleurs intéressant de noter que nos deux nations voisines engagées dans le développement du capitalisme industriel ne s’intéressent guère à la coopérative de production. Focalisées dans la problématique du salariat, l’association de production demeure pour elles un relent ou un refuge toléré de l’antique solidarité corporative. A l’inverse pour la France, entrée plus tardivement dans la société industrielle, l’héritage de la Révolution imprime sa marque sur la pensée coopérative. L’égalité et la fraternité sont les marqueurs de cet héritage. En privilégiant l’association de production on vise à échapper au statut et à la soumission du salariat. La seconde république est le berceau de l’association ouvrière de production que Marx estampille comme “le socialisme utopique“.
Antoine Cohadon, déjà dans la coopération de production, signe son premier engagement officiel dans la nébuleuse coopérative “le 27 septembre 1863 huit citoyens habitués à la lutte et éprouvés par la persécution créent la première banque populaire de France : la société du crédit au travail“. Cohadon est le troisième sur la liste conduite par Jean Pierre Beluze un disciple et gendre de Cabet qui sera le meilleur propagandiste des associations en publiant la même année “Les associations conséquence du progrès“. Le Crédit au travail constitue la réalisation coopérative la plus dynamique et surtout la plus inventive du Second Empire, malgré une durée d’existence relativement courte puisqu’elle fait faillite en 1869, alors qu’en 1867 l’Almanach de la coopération recense sept établissements de crédit coopératif analogues au Crédit au travail.
A nouveau en 1864, 27 citoyens dont Cohadon et Beluze font paraître une brochure “Association générale d’approvisionnement et de consommation“. Ils entendent promouvoir les idées émises dans Les équitables pionniers de Rochdale paru en France en 1862. Et dans le même temps ils fondent l’association d’approvisionnement et de consommation “La Sincérité“. Ainsi durant les deux décennies du Second Empire après un temps de suspicion et de répression le mouvement coopératif se développe dans les trois sphères de la production, du crédit et de la consommation. En 1865 un comité dit Comité des seize est constitué et chargé de rédiger des statuts généraux pouvant convenir aux trois formes de la coopération. Cohadon est l’un des seize, il est aussi membre de la commission de contrôle. En décembre 1864 il est co-signataire d’une Lettre aux ouvriers qui est une sorte de manifeste de la pensée coopérative d’inspiration proudhonienne. “L’association est un instrument de progrès, elle fait le bien de l’individu par celui de la collectivité, elle fait celui de la collectivité par celui de l’individu“.
Pendant les deux dernières décennies de sa vie (1880-1910) il milite ardemment au service de la coopération. Il multiplie réflexion et illustration sur les principes de l’idéal coopératif qu’il a servi. Il est l’inventeur du slogan : la coopération doit prendre l’homme au berceau et le soutenir jusqu’au tombeau.