Le porteur du projet CIBV indique avoir des “objectifs environnementaux forts“, passant par “le reboisement et la préservation de la biodiversité du massif forestier“. Cela me semble pourtant incompatible avec le mode d’approvisionnement annoncé, basé à “50% sur les souches et rémanents“ et “40% sur les bois destinés aujourd’hui à la production de plaquette forestière“ (essentiellement des accrus et taillis de faible taille, d’une richesse et d’une diversité représentant un véritable atout pour le reste du massif forestier).
Concernant l’affirmation que lors des “coupes rases“ actuelles, tout ceci est déjà appliqué (dessouchage, andainage…), elle me semble totalement déplacée et fausse. La réflexion présente ne vise pas à discuter des modes de gestion forestière et notamment du principe de la coupe rase ou d’une opposition entre sylviculture douce et intensive. Le propriétaire forestier et son gestionnaire restent libres de gérer leur forêt comme bon leur semble. Cependant, si les effets de pratiques basées sur la coupe rase avec andainage sont déjà fortement négatifs sur une station, les matières organiques et leur cortège de bienfaiteurs vitaux à moyen et long termes ne sont pas exportés. Ils restent à proximité, sur les andains, les différents réseaux d’échanges mettant simplement plus longtemps à se remettre en place. De plus, même dans le cas de coupes rases, le développement des connaissances aujourd’hui est en train de changer progressivement et très largement les pratiques de préparation des reboisements, puisque les souches ne sont bien souvent plus arrachées (mise en andain des branches uniquement, sans dessouchage ; simple broyage des branches afin de conserver les minéraux en place tout en facilitant la replantation ; plantation en potets à l’aide d’engin de poids et d’envergure très réduits…). Nombre d’entreprises locales de travaux forestiers ont aujourd’hui investi sur du matériel permettant ces nouvelles pratiques, investissement qui s’avèrerait inutile dans le cas d’un export total des souches et rémanents.
Ainsi, il me semble donc qu’une pratique consistant en l’export de souches et de rémanents reviendrait à appauvrir le capital d’une station forestière, et donc, contrairement à ce qu'annonce le porteur de projet, à dévaloriser la parcelle sur laquelle on interviendrait plutôt qu’à la valoriser. Le propriétaire en sera évidemment pour ses frais : perte de productivité, nécessité d’une fertilisation artificielle, risques accrus pour les peuplements sylvicoles futurs, etc. En tant que conseiller pour les propriétaires, je ne peux me permettre de les inciter à pratiquer des telles actions désastreuses vis-à-vis de l’équilibre économique recherché, a minima.
Quand on parle de “valorisation“ d’une ressource et que l’on travaille sur une matière première vivante, il s’agit avant tout d’en assurer la pérennité. Comme disaient nos anciens, “on n’abat pas la vache que l’on veut traire“. Or, nous avons vu ci-avant que la source d’approvisionnement majoritaire de CIBV représente un risque accru pour cette pérennisation.
Revenons sur deux exemples cités par le porteur de projet : les pays scandinaves et certains états allemands. Ces pays ont en effet choisi d’accroître les prélèvements sur les rémanents et, de façon accessoire, sur les souches, depuis quelques années. Ce qu’il oublie de mentionner, c’est qu’avec pourtant encore peu de recul, ceux-ci ont dû réagir rapidement face au constat d’appauvrissement des sols et à la baisse significative de leur fertilité. Ils sont aujourd’hui en train de développer des techniques et des moyens d’épandage de cendres dans les parcelles dévastées, à grand renfort de fonds publics, pour tenter d’endiguer la catastrophe. Et même les solutions tentées actuellement ne sont pas suffisantes, puisque le retour de cendres crée de nouveaux déséquilibres organo-minéraux et des pollutions indirectes (…).
La question se pose donc de savoir quel type de territoire nous souhaitons en termes de durabilité. Quelle attractivité économique, touristique / sociétale, aurait un territoire présentant une érosion accrue des sols, une baisse de qualité de l’eau, une baisse de biodiversité et d’attrait paysager / environnemental, une baisse de productivité d’une ressource essentielle telle que le bois et donc une économie locale devenue obsolète, à remanier ? La position de certains élus du territoire semble ambigüe. Ils ne semblent pas véritablement peser les incidences positives et négatives sur le moyen et long terme pour leur pays et leurs administrés. Au-delà de l’effet d’annonce d’un projet innovant, d’une indication aléatoire de création de quelques emplois (sans aucune garantie), la confiance qui leur est accordée ne devrait-elle pas les enjoindre à raisonner plus loin qu’à très court terme et à attendre des garanties et des réponses sur tous les enjeux impliqués par ce projet ?
Julien Cassagne, Gentioux