L'association de soins intercommunale s'est créée en 2014 suite à la rencontre de plusieurs personnes préoccupées de permettre et de développer un accès libre (sans contrepartie de papiers ou de ressources) à des soins de qualité et adaptés aux besoins des personnes ne pouvant bénéficier du système de santé ou s'en défiant. Elle est constituée d'une dizaine de personnes ayant des formations médicales, paramédicales ou secouristes. Nos pratiques de soins se sont enrichies du partage d'expériences sur le terrain qui fut permis notamment par des rencontres entre soignants, usagers, aidants, street medics et praticiens autour de la santé et de ses enjeux politiques.
Il y a une situation d'urgence sanitaire au niveau institutionnel qui est remis en cause par le personnel hospitalier depuis des années. Il est de plus en plus difficile de faire un accueil suite aux coupes budgétaires et à la privatisation. Les suicides de soignants ne sont qu'un symptôme de cette stratégie économique à court terme. Un autre symptôme est que de plus en plus de gens ne peuvent se soigner. Un autre est l'usage d'armes de guerre par la police pour maintenir la peur à même les corps. Un autre le laisser-pourrir aux frontières de camps invivables. Il est difficile de parler de valeurs quand des situations d'urgences vitales sont en jeu...
Ces dernières années, l'armement des forces de l'ordre s'est intensifié et diversifié. Que ce soit celui de la police armée ou celui de toutes les polices bureaucratiques... Dans des luttes très diverses il y avait des camarades passionnées par le soin mais aussi, et de plus en plus, nous étions nombreux à avoir eu des blessures, des séquelles, de grenades et de flashballs. C'est pourquoi nous sommes un certain nombre à nous être retrouvés sur ces questions : comment faire face aux blessures lors d'affrontements avec la police ? Qu'est-ce qu'on fait face à ces formes de capture des corps que sont les hôpitaux ? Ou dans un service psychiatrique qui capture les âmes ? Comment on se forme, quels outils fabriquer, comment se réapproprier des manières de nous soigner ? Comment sortir en somme de l'impuissance ? L'idée d'avoir un outil mobile facile à nettoyer et où le matériel ne s'abîmerait pas, où nous pourrions faire des examens et des sutures par exemple, fut une réponse parmi d'autres.
Se doter d'outils mutuels pour aller là où l'accès aux soins est rendu difficile, voire criminalisé, fut à l'origine de l'achat et de la mise en place d'un usage coopératif d'une ambulance autonome. Nous ne cherchons pas à palier au manque de l'État et du système hospitalier. Nous souhaitons créer la possibilité de se soigner et d'avoir accès à des soins spécialisés de qualité pour tous sans discrimination de statut social. Nous refusons la présence policière dans les hôpitaux comme dans les centres d'accueil. C'est pour cela qu'il nous a semblé nécessaire d'organiser quelques moyens pour porter cette position de manière pratique, par exemple par notre présence lors de manifestations ou aux frontières, sans douter qu'elle ne pourra suffire en elle-même... C'est en 2015, trois ans après la tentative ratée de l'expulsion de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, que nous avons acheté cette ambulance collective. On en cherchait une pas trop chère. On avait mis un peu de sous en commun et surtout on a eu un don d'une personne qui souhaitait soutenir une expérience politique autour du soin. Il s'agit d'une ancienne ambulance de la protection civile luxembourgeoise. On est allée la chercher dans l'Est avec un camarade mécanicien. Depuis elle a sillonné pas mal de routes. Elle est prise en charge par un collectif qui s'est recomposé autour de différentes luttes. Celui-ci était composé de camarades qui avaient déjà des liens, qui étaient intéressés par les questions de santé dont certains avaient des formations spécifiques autour du soin.
La décision d'avoir une ambulance avait été précédée par des rencontres régulières pendant quatre ans avec des gens des quatre coins de l'hexagone et d'ailleurs, centrées sur ce que peut vouloir dire des pratiques de soins autonomes. Parallèlement, c'est très important, il a été possible de tisser des liens avec des médecins dans des services hospitaliers qui ne vont pas balancer les blessés aux flics. Bref, il a été possible de créer des liens de confiance pour pouvoir emmener à l'hôpital quelqu'un de blessé après une manifestation sans craindre son arrestation.
On a aussi besoin de soins au quotidien, parce qu'on est dans des collectifs qui font des chantiers, qu'on peut se blesser, que certains amis vivent des situations de crise qui peuvent les amener dans un service psychiatrique, qu'il y a à explorer des formes médicamenteuses qui échappent aux laboratoires pharmaceutiques. D'autre part nous connaissons pour y vivre, le besoin sur le plateau d'une organisation locale et adaptée à ce territoire loin des structures hospitalières de plus en plus centralisées. C'est une particularité locale que de penser entre ceux et celles concernées les moyens de répondre aux situations qui demandent des ressources collectives. Il y a donc eu plusieurs initiatives autour de la santé, sur la mise en réseau des professionnels de santé, sur l'accueil des personnes âgées, et aussi sur la formation aux premiers gestes de secours. Ces formations sont la base de notre souci d'autonomie et de diffusion des savoirs. Il y en a pour tous les âges et cela fait partie de nos activités comme moyen de toujours renouveler notre propre apprentissage et susciter l'intérêt de rejoindre notre association.
Comme une ambulance classique, avec un brancard, certains instruments et médicaments indispensables... Nous avons aussi des baumes que nous faisons nous-mêmes, par exemple un baume pour soigner des chocs qui est très efficace. Il y a des tiroirs où tout est noté par spécificité. On a aussi un petit tiroir bibliothèque, des affaires de la vie quotidienne. Quand on allait dans les camps de migrants à Calais, il y avait des besoins de base qu'il fallait anticiper : chaussettes, préservatifs, tampons, brosses à dents... Quand on a des potes formés en médecine chinoise qui peuvent être là, on a aussi des tiroirs pour cela.
Mais toute situation ne requiert pas l'ambulance. Parfois il faut être mobile, réactif, dans une logique qui accompagne un certaine forme d'offensive. Là, il n'y a pas de place pour l'ambulance sauf comme une sorte d'arrière-garde. C'est pour cela qu'il serait important que plein de gens puissent donner rapidement des premiers secours. Pour ne pas avoir à gueuler “medic“ toutes les 10 minutes. Car il y a beaucoup de gestes que n'importe qui devrait savoir : comment stopper une hémorragie par exemple. Mais il y a forcément une spécialisation, des formes de délégation : il faut avoir des formations spécifiques, tout le monde ne peut pas faire certains gestes. Mais ça ne veut pas dire tout déléguer à l'institution de soin. Il faut parvenir à s'autonomiser sur des questions de base, de telle sorte que les formes de lutte prennent corps avec tous leurs éléments, dont les soins de premiers secours.
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