Simple supplétif d’un emploi public en pleine transformation ou véritable vivier d’emplois alternatifs et innovants ? Ultime avatar de la recomposition libérale de notre système économique ou “sésame“ pour résoudre les contradictions de ce même système ? On se gardera bien de trancher pour l’heure. Toujours est-il qu’il nous semble nécessaire de nous interroger sur les vertus supposées du secteur associatif, comme sur les maux dont on l’accable parfois un peu vite.
Eléments chiffrés, entretiens avec des salariés associatifs, point de vue d’un syndicaliste de la CGT, le tour d’horizon proposé n’est certes pas exhaustif mais entend proposer une première lecture de ce sujet “pas si simple“.
255 000 emplois créés entre 2002 et 2007, 175 413 établissements associatifs à l’origine de 1,7 M de postes soit un emploi privé sur 10. Les chiffres sont éloquents au niveau national pour dire l’importance que revêt le secteur associatif dans l’économie nationale.
Le Limousin n’échappe pas à la règle : plus de 2065 établissements associatifs occupant près de 20 000 salariés à l’heure actuelle, soit plus d’un emploi salarié sur dix. Et que dire de la montagne limousine où quasiment le tiers (32,5 %) de l’emploi salarié total est concentré dans le secteur associatif, avec une forte prédominance de grosses structures gestionnaires d’équipements sanitaires et sociaux !
Si l’on ajoute que le taux de maintien de l’activité des associations est supérieur à celui des entreprises, il n’est guère surprenant qu’elles fassent l’objet de bien des sollicitudes, quel que soit le niveau d’administration concerné (cf. par ex. le dispositif “emploi associatif“ voté par le Conseil Régional du Limousin).
Pour être complet, il faut néanmoins nuancer ce panorama positif. Si entre 2000 et 2006, l’emploi associatif a progressé de 14 % en Limousin, il faut encore faire remarquer que plus de 80 % des associations limousines comme françaises ne s’appuient que sur le bénévolat pour fonctionner. Et que si emploi il y a, il est souvent occasionnel ou à temps partiel, avec 53 % seulement des salariés en Contrat à Durée Indéterminé (CDI) (89 % des emplois salariés en France sont des CDI), positionné dans de petites ou très petites équipes (près de 50 % des associations n’emploient qu’un ou deux salariés), et concentré dans le domaine des services à la population (en Limousin, 62 % des salariés dans l’action sociale et la santé, 15 % dans l’éducation et 7 % dans l’animation sportive et culturelle).
Autant dire que les risques de précarité d’emploi et d’isolement professionnel sont aussi réels que la capacité de ces salariés à explorer de nouveaux champs de travail et à prendre le relais de la puissance publique.
L’emploi associatif croît aujourd’hui deux fois plus vite que le nombre d’emplois statutaires dans la fonction publique. Cette place croissante de l’emploi associatif interroge à une époque où le service public, support traditionnel de mise en œuvre des valeurs républicaines de solidarité et d’égalité, fait l’objet de critiques récurrentes liées à sa supposée inefficacité et à son coût de revient.
Et il est difficile de ne pas mettre en parallèle cette croissance avec la recomposition de l’action publique en cours dans le cadre de la Révision Générale des Politiques Publiques (la RGPP). Car si l’on ne peut véritablement parler de désengagement des acteurs publics, ceux-ci continuant généralement à financer les services assurés par le secteur associatif, ce phénomène témoigne bien d’une mutation à l’œuvre, que traduit le terme de “défaisance“. Il y a aujourd’hui transmission croissante au secteur associatif de missions de service public – dans la santé et le social, la culture, l’animation, … -, en lien avec une volonté de redéfinition du périmètre de l’action publique. De la même façon qu’une partie de la mise en oeuvre des services publics est déléguée à des entreprises privées, le secteur associatif assume de plus en plus une part de la production de l’intérêt général.
Cette mutation ne s’inscrit pas dans un cadre stable. Assurés initialement par des agents de la fonction publique, dotés d’un statut leur permettant d’assumer leur fonction dans un cadre suffisant d’autonomie et de sécurité, les services transférés le sont aujourd’hui par des structures de droit privé, où voisinent bénévoles et salariés, à la lisière du secteur marchand et non marchand et où la capacité d’innovation et de réactivité côtoie l’idéalisme associatif, voire un certain angélisme quant aux conditions de travail et de rémunération. Cadre d’évolution salariale imprécis, prise en compte variable des frais de déplacements, de repas …, conditions de travail parfois spartiates, forte demande de disponibilité à la limite de la militance, éclatement de la notion de corps et de la capacité de négociation qu’elle entraînait, les conséquences de ce glissement sont nombreuses et parfois vécues douloureusement.
L’on peut donc se demander si le travailleur associatif n’est pas aujourd’hui le travailleur à bas coût de l’utilité sociale, victime – parfois consentante - d’un double déni de reconnaissance :
S’il ne s’agit pas de brosser ici un portrait à charge de l’emploi associatif, dont on verra plus loin les bénéfices, il n’en reste pas moins vrai que le hiatus est réel entre le sens donné à l’emploi associatif et les conditions dans lesquels il s’exerce. De la résorption de celui-ci dépend probablement la stabilisation de ce segment majeur de l’emploi.