Les pesticides regroupent principalement les produits destinés à tuer les herbes concurrentes, les ravageurs ou les champignons responsables de maladies. En langage technique, le vocabulaire est plus élaboré, on parle de produits phytosanitaires, voire de produits phytopharmaceutiques. Puisque ces mots nous évoquent la médecine, regardons s’il y a analogie ou antagonisme.
Le recours aux pesticides s’inscrit dans une démarche similaire à la médecine allopathique : on considère que toute maladie, tout ravageur, mérite d’être combattu indépendamment de son contexte. Schématiquement, il faut tuer, sans s’intéresser aux causes favorisant les maladies. Considérer une pathologie sans s’intéresser à l’être vivant dans sa globalité (que nous soyons végétal, animal ou humain) conduit généralement à résoudre le problème à court terme, mais pas à longue échéance. Notons donc déjà une limite dans le concept même de l’usage des pesticides.
Pour les végétaux, l’utilisation de pesticides ne se limite pas à la lutte contre les maladies, on traite contre les herbes concurrentes. Chez soi, on peut traiter la pelouse contre la mousse, les rosiers contre les pucerons, les allées et les bords de clôture pour qu’ils soient “propres“... Ces quelques exemples montrent que le recours à ces molécules chimiques s’est généralisé, comme si ces molécules étaient nourricières. Nous sommes bien loin de l’usage sous-entendu par la terminologie “phytosanitaire“.
En homologuant un pesticide, il est accepté qu’il y ait des résidus dans le végétal et dans l’environnement. On définit ainsi sa Limite Maximale Résiduelle (LMR) qui est fixée par type de denrées consommées. Si vous doutez, consultez sur la toile le catalogue E-phy (catalogue des produits phytopharmaceutiques homologués en France). Pour illustrer mes propos, prenons un exemple avec un herbicide en relevant les LMR légales exprimées en mg/kg du glyphosate (matière active du Round Up notamment) :
Or, les végétaux sont le premier maillon de la chaîne alimentaire et nous allons donc retrouver, en toute légalité, des traces de ces molécules dans notre alimentation. Nous voilà devant un grand paradoxe, ces molécules phytopharmaceutiques deviennent notre quotidien ! Il en est de même pour les autres maillons de la chaîne alimentaire (insectes pollinisateurs, faune du sol, insectes auxiliaires, oiseaux...) et pour l’environnement (air, eau, sol...).
Depuis une vingtaine d’années, des campagnes de mesures ont montré la présence de pesticides dans l’atmosphère, dans l’eau de pluie et le brouillard, sous forme de gaz ou d’aérosols. Un exemple avec l’étude Airparif 2006 – Elle portait sur 5 sites étudiés en zone francilienne avec 5 sites de prélèvements répartis du centre de Paris à 55 km en Beauce. Pour la période du 13 au 20 juin 2006, les relevés ont montré une moyenne de 9 molécules différentes par site. Cet exemple est à l’image des autres résultats. Les concentrations en pesticides sont de l’ordre du nanogramme/m3 (1 ng = 10-9g). Or, il y a autant de pesticides dans 20 m3 d’air (volume d’air respiré quotidiennement) à 10ng/m3 que dans 2 litres d’eau à 0,1 µg/l (microgramme par litre). Pourtant, il n’y a aucune réglementation des pesticides dans l’air, ce quel que soit le pays!
Pour les eaux destinées à la consommation humaine, la législation du Code de la Santé Publique sur les pesticides prévoit les valeurs limites suivantes :
Cela veut dire que, légalement, l’eau du robinet peut contenir des pesticides. Le choix de ces normes européennes en matière de pesticides relève moins d’analyses toxicologiques que d’une prise de position visant à se rapprocher du risque zéro. Il s’agit donc moins d’un choix de santé publique que d’un choix politique et environnemental : dès lors que dans l’état naturel, il n’y a pas de pesticide dans l’eau, il ne doit pas y en avoir non plus dans les eaux de consommation. Or, la réalité montre que les pesticides sont bien présents dans les eaux brutes. Leur norme est 2 µg/l par substance et 5µg/l pour le total. Le rapport IFEN de 2005 sur les pesticides dans les eaux brutes a montré que sur 489 molécules recherchées, 233 ont été quantifiées au moins une fois dans les eaux de surface. Des pesticides ont été détectés dans 91% des points de mesure pour les eaux de surface et dans 55% pour les eaux souterraines. En Bretagne, sur les 104 usines de production d’eau potable installées sur les rivières et sur les captages souterrains, 63 ont été contraintes de s’équiper de dispositifs de traitements des pesticides. En rappelant qu’1g de matière active pollue 10 millions de litres d’eau, nous comprenons l’ampleur du problème qui nous concerne tous. Cela se concrétise par des eaux de consommation qui sont occasionnellement non-conformes. Un exemple avec le bilan officiel du suivi de la qualité des eaux du robinet réalisé en 2005, en Mayenne, il montre que 7,6% de la population n’a pas eu à sa disposition une eau toujours conforme vis-à-vis des paramètres “phytosanitaires“, c’est à dire que la norme de 0,1 µg/l a été dépassée, ce pour les matières actives suivantes : alachlore et diuron, matières actives d’herbicides aujourd’hui retirées du marché.
En France, les résidus de pesticides dans l’alimentation sont contrôlés par la Direction Générale de l’Alimentation (DGAL) et la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) . Le rapport des analyses réalisées montrent les faits suivants:
Globalement, sur fruits et légumes, les molécules les plus retrouvées sont celles des insecticides et des fongicides.
Intéressons-nous maintenant à une étude coordonnée par PAN-Europe, et soutenue par le Mouvement pour le Droit et le Respect des Générations Futures (MDRGF) pour la France, Global 2000 pour l’Autriche et Greenpeace Allemagne. 40 bouteilles de vin rouge ont été analysées, en provenance de France, d’Autriche, d’Allemagne, d’Italie, du Portugal, d’Afrique du sud, d’Australie et du Chili. 34 étaient issues de l’agriculture intensive et 6 de l’agriculture biologique.
Résultats : 100% des vins conventionnels testés contaminés. En effet, chaque échantillon testé contient en moyenne plus de 4 résidus de pesticides différents: les plus contaminés d’entre eux contenant jusque 10 pesticides !
Niveau de contamination : Les niveaux de contamination dans cette étude sont variables et ne dépassent pas les limites maximales autorisées (LMR). Cependant, il est à noter qu’il n’existe pas de LMR vin a proprement parler mais qu’on se réfère à celles utilisées pour le raisin qui sont très élevées. Il faut en outre préciser que les niveaux de contamination observés dans le vin sont considérablement plus élevés que les niveaux tolérés pour les pesticides dans l’eau puisqu’on a trouvé dans certains vins testés des quantités jusqu’à plus de 5800 fois supérieures aux Concentrations Maximales Admissibles (CMA) autorisées par pesticide dans l’eau du robinet !
Risques sanitaires. Ces nombreux résidus témoignent d’une utilisation très intensive de pesticides en viticulture. Parmi ces résidus trouvés de nombreuses molécules sont des cancérigènes possibles ou probables, des toxiques du développement ou de la reproduction, des perturbateurs endocriniens ou encore des neurotoxiques.
Vins biologiques. Les vins biologiques analysés ne renferment pas de résidus de pesticides à l’exception d’un échantillon de Bourgogne dans lequel on a trouvé des quantités faibles d’un produit. Cette présence est expliquée par les dérives des pulvérisations en provenance des parcelles voisines. Cette contamination des viticulteurs biologiques, quoique rare et à de faibles quantités, nous interrogent sur l’emploi généralisé des pesticides.
Le cas du vin permet de mettre en exergue le problème de la contamination généralisée des aliments par les pesticides en agriculture conventionnelle.
Toutefois, notons tout de suite une limite de l’étude sur les sources de contamination. En la limitant aux sources de contamination touchant directement l’humain, nous évinçons des impacts considérables et mal connus des pesticides sur la vie dans les sols et leur fertilité. D’autre part, nous occultons aussi les conséquences des pesticides sur la résistance des plantes aux maladies. Ces deux aspects non traités dans cet article ne peuvent être passés sous silence.
Monique Douillet