Tout a commencé avec un communiqué du CLAMMG (Comité laïque des amis du monument aux morts de Gentioux) et de la Fédération de la Creuse de la Libre pensée. Adressé aux “organisations, aux militants et aux élus qui participent au rassemblement pacifiste du 11 novembre 2015 à Gentioux“, daté du 2 novembre, il relate une “réunion de travail“ du 30 octobre 2015 tenue à la demande de “Madame le maire, avec le représentant du CLAMMG, trois gendarmes, l’instituteur et trois représentants de la population.“ Il y fut question des “incidents du 11 novembre 2014“, de la “mise en place d’un service d’ordre visible et clairement identifiable“, de “diffusion de consignes...“ Il est alors précisé qu’ “aucune banderole ou bannière ne devra être déployée autour du monument pendant la cérémonie municipale (…) aucune invective, aucun cri, aucun sifflement hostile.“ Bref, hors la parole officielle de la mairie et de la Libre pensée, c’est : silence dans les rangs !
Aussitôt une première réaction d’ “habitants du Plateau“ s’exprime. Après “l’incroyable communiqué“ (résumé ci-dessus), les signataires de ce texte à tonalité situationniste rappellent que “le monument aux morts de Gentioux, ostensiblement antimilitariste et porteur d’un message de défiance envers ceux qui organisent les guerres et y envoient crever les petites gens, a toujours été méprisé par les institutions de la République, sans doute eu égard à leur propre rôle dans les massacres...“ Ce communiqué invite “les participants au rassemblement à prendre toute initiative comique à même de renvoyer à leur ridicule celles et ceux qui prétendent faire taire les banderoles, bannières et autres cris de révolte ou de dégoût.“
Devant la situation qui pointe et qui annonce un 11 novembre particulièrement mouvementé, quelques habitants de Gentioux réagissent. Leur communiqué exprime le souci de bien expliquer la position des antimilitaristes, notamment en ce qui concerne le 11 novembre 2014 avec l’évocation de la mort de Rémi Fraisse, pour être mieux compris d’une population avec laquelle ils ont des contacts quotidiens. “Même si certaines personnes ne sont pas de très bonne volonté, font des amalgames, ne sont pas très tolérantes, on est plusieurs à ne pas pour autant abandonner l’espoir de voir l’ambiance à Gentioux s’améliorer un peu, pour qu’au moins on puisse se parler sans trop de méfiance ou d’hostilité injustifiées.“
Un quatrième communiqué sort quelques jours plus tard sous le titre : “Pourquoi nous n’irons pas à Gentioux le 11 novembre“. Il a été diffusé par courriel puis distribué en tract à l’entrée du bourg de Gentioux le 11 novembre. Au vu de la manière dont est envisagée la cérémonie, ses auteurs considèrent que le 11 novembre à Gentioux n’est plus un rassemblement antimilitariste : “Qu’est devenue cette cérémonie pour devoir s’assurer de la présence d’une milice pour museler toute expression jugée, par avance, malvenue, lors de son déroulé ? (…) Décidément, cette année, c’est en n’y allant pas qu’on rendra hommage à tous les fusillés pour l’exemple, à toutes celles et ceux qui s’opposent à l’instauration d’un ordre inique qui mène notre monde à la ruine (…) À bas toutes les polices politiques, vive la pensée libre !“
La Montagne du 12 novembre qui relate la cérémonie de la veille note que “41 personnels des forces de l’ordre (ex RG et gendarmes compris) étaient requis pour assurer la surveillance des lieux, mais que “tout s’est bien passé“. Parmi ces vaillants représentants de l’ordre, un gendarme a filmé toute la manifestation. “L’organisateur, Régis Parayre, n’a pas mâché ses mots contre ceux qui voulaient rééditer ”les incidents” de l’an dernier : ”Pour ceux qui l’ignoreraient encore, en amont de notre rassemblement, une partie de la planète du Plateau s’est emballée dans le registre de l’ignoble.” Bref, la Libre pensée n’a guère le goût pour la pensée libre...
Pourquoi y-a-t-il une si belle entente, à première vue contre nature, entre la Libre pensée et le CLAMMG (représentés par Régis Parayre) et Dominique Simoneau, maire de Gentioux ? Deux motifs de rapprochement existent entre eux. Le premier est qu’ils communient dans un laïcisme jacobin, extrémiste et sectaire. Dominique Simoneau s’est illustrée, avant et après son élection, par une attitude constamment hostile aux nouveaux habitants de la commune et à ceux qui les soutiennent. Ainsi, a-t-elle tenté (heureusement en vain) d’obtenir la radiation des listes électorales de ceux qui habitent dans des yourtes. Par ailleurs, un des reproches essentiels qu’elle formule à l’égard des néo-ruraux concerne quelques (rares) familles qui scolarisent leurs enfants à la maison. Elle le ressent comme une atteinte intolérable au monopole de l’école publique.
Du côté de la Libre pensée, organisation plus que centenaire, la diversité idéologique des adhérents (avec notamment des libertaires et divers socialistes) n’est pas reflétée chez ses dirigeants qui sont presque toujours des trotskistes de l’espèce la plus sectaire (pour les initiés : les lambertistes du Parti des Travailleurs). La Libre pensée s’est par exemple illustrée en Limousin par ses attaques contre la Calendretta (école occitane). En invoquant le fait qu’il s’agit d’une école privée (même si elle est associative et non confessionnelle), elle a demandé et obtenu la suppression de la subvention que lui attribuait le conseil régional. Par ailleurs, c’est une organisation qui continue à diffuser en boucle des attaques contre les “curés“ qui datent de 1905 alors que les menaces religieuses actuelles sont tout autres.
Seconde raison : ils adoptent l’une et l’autre la même posture de co-propriétaires du monument de Gentioux et de cogestionnaires des manifestations qui s’y déroulent. Ceux qui étaient à Gentioux ce 11 novembre ont pu remarquer que, sans doute intimidés par le communiqué du 2 novembre, les groupes présents arboraient de modestes signes distinctifs (drapeaux, bannières) alors que la Libre pensée déployait une immense banderole. Ainsi, nul ne pouvait ignorer quelle place était assignée aux uns et aux autres. Lorsque les signataires du communiqué faisant suite à la réunion du 30 octobre parlent des “incidents“ du 11 novembre 2014, ils oublient de préciser que les esprits s’étaient un peu échauffés parce que les organisateurs avaient refusé de laisser lire au micro un communiqué évoquant la mort de Rémi Fraisse, tué par une grenade de la gendarmerie 20 jours auparavant. La réunion du 30 octobre en présence de la gendarmerie officialise l’institutionnalisation d’une manifestation qui a progressivement perdu de son caractère contestataire et opposé à l’ordre dominant.
La question se pose donc de savoir quelle attitude ceux qui ne se reconnaissent pas dans cette institutionnalisation vont pouvoir adopter à l’avenir. Pour ma part, je ne souhaite pas renoncer à ce rassemblement et je ne pense pas non plus qu’il y ait un intérêt quelconque à s’opposer frontalement aux “officiels“. Il me semble possible de s’accorder sur trois points. 1) Il n’a jamais été question d’empêcher la mairie de Gentioux de procéder à sa cérémonie. Cela a toujours été le cas, y compris en 2014, où la mairie a retardé arbitrairement son déroulement. 2) Quant à la manifestation des pacifistes et antimilitaristes, elle peut être coordonnée par le CLAMMG, à condition que la parole ne soit pas refusée à certains et que les modalités de participation ne soient pas autoritairement formatées mais librement débattues entre tous. 3) Cette manifestation se caractérise par des expressions multiples, même si elles sont parfois contradictoires. De la libre parole naissent des débats féconds. Dans le calme, mais sur des positions antimilitaristes affirmées avec force, continuons à participer à ce rassemblement qui permet la rencontre de ceux qui aspirent à une société débarrassée de la guerre et des militaires. Ne nous laissons pas déposséder de ce moment !