Peyrelevade

  • CADA de Peyrelevade, mobilisation pour un accueil digne de ce nom

    Le 21 novembre 2020, une centaine de personnes manifestaient devant le Centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) de Peyrelevade pour réclamer de la part de Forum Réfugiés, la structure qui gère le lieu, des améliorations concrètes dans l’accueil réservé aux résidents. Un bâtiment infecté par des cafards depuis plusieurs mois, des cuisines sous-équipées et des demandes de la part des résidents qui restent sans réponse... Autant d’éléments qui ont fait réagir. Des résidents nous disent leur quotidien.

     

    cada peyrelevade

     

    cada peyrelevade cafardsLe CADA de Peyrelevade a ouvert ses portes en 2015 à l’initiative de son maire. L’enthousiasme était au rendez-vous, mais très vite des difficultés ont émergé entre les différents acteurs administratifs et associatifs sur les politiques d’accueil et de suivi à long terme des personnes accueillies. Dans le même temps, des habitants des villages alentours et certaines associations se sont engagés dans l’accueil. Le MAS (Montagne accueil solidarité) et la Cimade de Peyrelevade se sont affirmés dans leur mission de suivre les déboutés du droit d’asile et le réseau associatif local a hébergé d’anciens résidents du CADA dans différents villages du Plateau. Des échanges avec la mairie de Peyrelevade et les gérants du CADA ont été initiés, soit par des résidents du CADA, soit par des bénévoles associatifs, sans succès, pour trouver des solutions aux problématiques soulevées par les résidents (manque de transports ou absence de connexion internet par exemple), tant et si bien que les clivages entre les parties en présence n’ont fait que s’accentuer.

     

    Humiliation

    Le 10 Juillet 2019, une lettre des résidents, reprenant des demandes essentielles (plus d’équipement dans les cuisines, le wifi et la mise en place de transports), signée par l’ensemble des résidents (moins une personne), a été adressée à Forum Réfugiés qui gère le CADA, ainsi qu’en copie à la mairie. Une démarche qui a été très mal interprétée par le personnel du CADA. Le MAS et le Syndicat de la Montagne limousine ont eu vent de ce courrier et il en découla des échanges difficiles avec la mairie et la direction de Forum Réfugiés mais sans que le nœud du problème, qui reste la situation que vivent les résidents du CADA, ne soit traité. Si la tension est retombée ensuite, la situation n’a cessé de se dégrader, ce qui n’a pas facilité la tâche à la nouvelle directrice arrivée à cette période. Heureusement, le premier confinement s’est passé sans trop de problèmes. Sauf que cet été,  le personnel du CADA, face à une invasion prononcée de cafards, a pris l’initiative de rentrer dans les espaces privés des résidents, en leur absence, pour retirer sans sommation meubles et appareils achetés par leurs propres moyens... pour justement pallier le déficit occasionné par la non prise en compte de leurs demandes. Comme le dit un ancien résident, cela a été « une énième humiliation », si l’on considère les propos désobligeants et intimidants tenus par certains membres du personnel à l’endroit des résidents.

     

    Une manifestation et une commission

    cada peyrelevade 1Une deuxième lettre des résidents a été rédigée le 10 novembre 2020 comprenant 12 points pour l’amélioration des conditions de vie dans le centre. Suite à cette lettre, un contact téléphonique et un courrier de Forum Réfugiés démontraient un manque de volonté évident, y compris de reconnaître la situation réelle et de faire ne serait-ce qu’un pas dans le sens des revendications des résidents. Un courrier spécifique a été par ailleurs envoyé aux services de la Préfecture (DDCSPP) et à L’Agence régionale de santé (ARS) afin de signaler la situation alarmante des conditions de vie dans ce centre. Un appel à manifester devant le CADA a été lancé et a mobilisé une centaine de personnes le 21 novembre. Les prises de parole se sont succédées sans se concentrer sur les vrais problèmes. Le plus triste est que les concernés se sont enfermés dans leurs chambres par peur de représailles, même si quelques-uns ont brandi à travers leurs fenêtres des cartons reprenant leurs demandes. Le samedi 28 novembre, une commission de travail entre des membres du groupe exilés du Syndicat de la Montagne limousine, la mairie de Peyrelevade (et prochainement avec la direction de Forum Réfugiés) s’est réunie une première fois afin de tenter une ultime approche pragmatique. Cette commission devrait se réunir régulièrement afin de voir aboutir les demandes des résidents.

     

    Un groupe exilés

    Un groupe exilés du Syndicat de la Montagne, créé il y a un an autour des différentes problématiques sur les conditions de vie au CADA de Peyrelevade est resté sans activité pendant quelques mois, d’autres espaces liés au soutien aux exilés mobilisant déjà chacun.e. Ce groupe s’est remis en marche activement suite à la nouvelle alerte lancée par des résidents du CADA en novembre. De nombreux sujets sont apparus autour de cette lutte qui vont au-delà de ce CADA et pourraient concerner d’autres groupes de soutien aux exilés (la création de transports pour les centres isolés, la création d’un syndicat de résidents, la création de cellules de suivi psychologique avec interprètes, des gratuiteries de vêtements ou du matériel, des commandes groupées de nourriture venant de loin, etc.). Autant de besoins ou propositions que le groupe exilés pourrait prendre en main et partager ensuite avec tous les groupes locaux... 

    Vous pouvez le contacter Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. 

     

    Paroles de résidents

    On n’est pas comme des esclaves !
    Je suis au CADA depuis 1 an. Je n’ai pas d’aide pour payer la cantine de mes 3 petits enfants à l’école de Peyrelevade. C’est trop cher. Les cafards, il y en a beaucoup, ils viennent surtout la nuit. On m’a donné seulement deux petites caisses en plastique pour stocker ma nourriture. Les responsables ne m’ont pas encore expliqué pour les nouveaux produits contre les cafards. Moi je suis ok pour être relogée 1 ou 2 mois le temps qu’ils mettent les bons produits. Je pense que leurs produits ça va pas marcher. Ils ont fait ça cet été et ça n’a pas marché. On m’a volé un congélateur, un micro-onde, un cuiseur à riz, un fer à repasser, un tapis, une bibliothèque, ça fait presque 100 € tout ça. Quand je suis rentrée dans ma chambre, tout ça avait disparu. On n’est pas là comme des esclaves !

    On n’est pas en prison !
    On est arrivé il y a 9 mois. Notre chambre elle est très propre, on nettoie tout le temps surtout contre les cafards. Pour internet, on a reçu des codes mais ça n’a jamais marché. Cet été, ils nous ont pris un blinder (10 €), un micro-onde, un fer à repasser, deux meubles... je ne sais plus les prix. Ils nous ont dit : « On va vous rendre l’électroménager après. » Les cafards il y en a beaucoup. Ils arrivent en masse le soir. On ne sait pas à qui s’adresser pour parler de nos conditions de vie, mais personne n’est content ici ! On partage une petite chambre à 2. On nous a donné une petite caisse en plastique pour stocker notre nourriture mais c’est trop petit. Elle fait 60 cm de long, 40 cm de large et 40 cm de hauteur. Le couvercle il se dépose dessus mais il ne se clipse pas. Ça fait longtemps qu’ils ne nous amènent plus faire des courses à Limoges, à cause du confinement, puis des vacances d’été, puis parce que certains résidents ont eu le corona. Pour les courses tu as la pression, ils te disent “tu as 25 minutes ici, puis 40 minutes là“. On est allé discuter et ça a un peu changé. On a dit : « on n’est pas en prison ! » La cuisine, il faut changer la cuisine, c’est le plus important. T’as vu la cuisine ? Et puis on ne peut pas être plus de 2 à la fois. Alors on y va le matin ou le soir. Parfois je dois attendre au moins 2 heures. Et aussi le transport c’est le plus important pour être autonome, pour être plus à l’aise. Et le wifi pour tous ! Et la machine à laver, on ne peut faire une machine qu’une fois par semaine, c’est très chiant. Ici on s’ennuie.

    Le CADA il est sale
    Je suis ici avec ma fille de 2 ans et demi depuis un an. Il y a beaucoup de cafards, on ne peut déposer la nourriture nulle part. Ils vont dans mes habits, partout. Cet été ils ont pris une machine pour faire à manger pour la petite, j’ai été demandé et ils me l’ont rendue. Le Cada il est sale, il est dégueulasse, il y a plein de cafards partout, ils sortent des murs...

    Ça fait deux ans qu’on est là
    On est une famille entassée dans deux petites pièces. On n’a aucune activité proposée, rien à faire, on se lève, on mange, on dort. Mon fils avant était heureux, maintenant il est toujours fatigué, triste. Nous sommes très serrés et c’est pas bien pour le moral et la tête d’être en promiscuité, surtout dans un village sans transport, isolé de tout. La seule chose qu’on peut faire c’est d’aller marcher, mais à force on connaît toutes les rues de Peyrelevade ! On voudrait voir améliorer l’installation des cuisines, et plus d’hygiène de tous les résidents, car il n’y a pas de maintenance (…) La chambre inoccupée à côté de chez nous est envahie de cafards, on a dû la nettoyer car ils passaient sous notre porte. Malgré ça, on en a encore partout (…) Pendant l’été on était là, on avait peur quand ils nous ont dit qu’ils allaient venir prendre les choses interdites par le règlement, car vu que ça fait longtemps qu’on est là, on a acheté quelques meubles pour être un peu bien dans cet espace. Ils nous ont pris une étagère en plastique toute neuve (et nous l’ont échangée avec des bacs en plastique qui ferment), un miroir, un petit canapé, un micro-onde et un presse fruits.

    Propos enregistrés en novembre 2020
  • Conditions d’accueil au CADA de Peyrelevade

    Une situation qui a peu bougé en un an et demi...

     

    En juillet 2020, des résident.e.s du CADA (Centre d’accueil de demandeurs d’asile) de Peyrelevade portent à la direction du centre un ensemble de revendications pour l’amélioration de leurs conditions d’accueil et saisissent le Syndicat de la Montagne limousine pour les soutenir dans leur démarche. Un groupe « Exilé.es » est alors constitué afin d’appuyer leur lutte et alerte l’ARS (Agence régionale de santé), la préfecture et différents media pour dénoncer les conditions de vie désastreuses dans le centre : cuisines sous-équipées, parfois vétustes, absence totale de suivi psychologique, presque aucun service de transport, aucun accès à internet… et surtout une grave infestation de cafards dans les bâtiments. À l’appel du Syndicat, en novembre 2020, un rassemblement a lieu devant les locaux pour protester de cette situation, plusieurs media locaux (France 3, La Montagne…) sont présents. C’est suite à cette mobilisation et sa médiatisation que la préfecture et l’ARS mettent en demeure Forum Réfugiés-Cosi (gestionnaire du CADA) d’éradiquer au plus vite les cafards (1). Où en est-on depuis ? Explications du groupe Exilé.es.

     

    cada2

     

    Des commissions mixtes pour tenter d’avancer... laborieusement...

    À la suite du rassemblement, nous proposons d’établir une commission de travail réunissant des membres de la municipalité de Peyrelevade, Forum Réfugiés-Cosi et des membres du groupe Exilé.es du Syndicat pour trouver ensemble des réponses aux problèmes exprimés par les résident.e.s. 

    Une première commission avec des élus et bénévoles associatifs de Peyrelevade, la directrice du CADA et des membres du Syndicat se réunit le 2 février 2021. Parmi les nombreuses demandes des résidents, la directrice du CADA en juge certaines légitimes à être travaillées au sein de la commission mais estime que d’autres sont du ressort exclusif de Forum Réfugiés-Cosi. Nous avons dans un premier temps accepté ce fait et commencé à travailler ensemble, pensant, sans doute naïvement, que cette première phase de coopération pourrait nous amener à aborder les autres sujets par la suite (amélioration des cuisines, mise en place du wifi…). Nous avons cependant demandé à être tenus informés des avancées sur ces sujets dont le Syndicat était exclu mais n’avons eu aucun retour de la part de Forum Réfugiés-Cosi. Après cette première séance de février, nous avons planifié des commissions à venir autour de cinq thématiques : les transports, l’alimentation et l’approvisionnement, les activités et le lien avec le monde associatif, les souffrances psychiques et les cours de français. L’idée était de travailler dans un premier temps en commission chaque sujet et d’organiser dans un second temps une réunion en invitant des résident.e.s du CADA et d’autres participants sur chaque sujet concerné. Quatre temps de travail en commission ont eu lieu.

     

    21 décembre 2021 : une dernière réunion. Quel bilan ?

    Cette dernière réunion a été l’occasion de revenir sur les actions envisagées et de faire le point sur cette tentative de travail commun.

    Concernant les souffrances psychiques, nous avions précédemment convenu qu’un courrier à destination de l’ARS soit rédigé par la directrice du CADA et cosigné par d’autres membres de la commission pour demander à ce que des interprètes soient mis à disposition des exilé.e.s non francophones comme ils en ont le droit. Mais cette décision est restée sans suite, le CADA ne voulant finalement assumer la responsabilité d’écrire à l’ARS… Lors de cette dernière réunion, la directrice du CADA a donné son point de vue : les faibles avancées de la commission et la non participation d’autres salariés du CADA seraient liées au traumatisme que le rassemblement de novembre 2020 aurait représenté pour eux. Dans ce cas, nous aurions trouvé plus juste que la direction du CADA encourage et soutienne une rencontre entre ses salariés et la commission Exilé.es du Syndicat pour revenir sur ce moment et engager une réelle coopération. S’il faut sans doute du temps pour réhabiliter les relations, il faut aussi la volonté et les moyens. Ainsi, nous déplorons que le Syndicat soit désigné par Forum réfugiés comme responsable de la souffrance de ses salariés, probablement pour ne pas questionner les logiques à l’œuvre, et qui dépassent largement le rassemblement qui a eu lieu.

    Blaireau colere2Nous rappelons que cette manifestation était un rassemblement pacifique, avec des prises de parole, de soutien et de témoignage. Ce qui était dénoncé était bien la violence de la situation, en relation avec les choix de gestion de Forum Réfugiés-Cosi, en aucun cas les salariés de l’établissement n’ont été mis en cause. De nombreux médias locaux ont couvert ce sujet en considérant la gravité de la situation.  

    Du côté du Syndicat, nous avons fait état de notre scepticisme et de nos doutes quant à la pertinence de continuer dans de telles conditions, ainsi que de nos questionnements sur ce qui a fait obstacle à la coopération. Nous n’avons pas pu associer les personnes résidant au CADA à ces discussions et trouvons difficile voire insensé de continuer sans elles, premières concernées.

    Aujourd’hui nous avons plutôt un sentiment d’échec quant à cette expérience. Leurs conditions de vie  n’ont pas franchement changé. Même si les cafards ont été éradiqués et que des travaux ont commencé dans l’une des cuisines, il n’y a toujours aucun accès à internet, pas de nouveaux transports mis en place, aucun suivi psychologique avec interprète, très peu d’activités… La cuisine, qui devait être restaurée depuis le rassemblement de novembre 2020, n’est en travaux que depuis le mois de septembre 2021, et est depuis toujours inaccessible ! Le centre étant très peuplé, les résident.e.s, dont beaucoup de familles, doivent se partager les deux cuisines restantes, qui sont sous-équipées et vétuste pour l’une d’entre elles.

    Nous n’avons pas non plus obtenu d’éléments sur les finances de Forum Réfugiés-Cosi, qui nous auraient éventuellement permis de comprendre pourquoi d’importants travaux de fond et d’amélioration des conditions d’accueil ne sont pas entrepris.

    Nous avons le sentiment d’avoir perdu le rapport de force que nous avions engagé lors du rassemblement de novembre 2020 et sommes désolés de n’avoir pu répondre aux demandes des personnes qui se sont confiées à nous en nous demandant de les soutenir dans leur démarche. Sans doute, notre erreur principale aura été d’accepter pour cette commission la participation de la seule directrice du CADA comme représentante de Forum Réfugiés-Cosi sans la présence de sa hiérarchie : elle n’a vraisemblablement pas le pouvoir d’agir réellement sur les situations vécues par les résident.e.s.

     

    Et maintenant ?

    Si nous déplorons l’échec de cette tentative de travail commun avec Forum Réfugiés-Cosi en tant que structure gestionnaire, nous n’abandonnons pas ce que nous avons entrepris. Nous ne désespérons pas de trouver des possibilités de coopérer sur des aspects beaucoup plus opérationnels avec la mairie de Peyrelevade, autour de la mobilité par exemple, et avec l’équipe de travailleurs du CADA, si certain.es y sont ouverts, en vue d’améliorer le quotidien des résidents. 

    Le Syndicat s’est notamment attelé de manière autonome à la question des transports : un groupe dédié à ce sujet travaille actuellement à la réhabilitation de lignes non fonctionnelles et à la mise en place de solutions nouvelles pour que les habitant.e.s de la Montagne limousine aient la possibilité de se déplacer librement vers les gares et les villes. Tous les centres d’accueil et d’hébergement seront desservis par ces trajets.

    Nous continuons et continuerons de travailler aux buts que nous nous sommes fixés : défendre les habitant.e.s de la Montagne limousine et permettre à toutes et tous de vivre dignement d’où qu’on vienne. 

     

    Le Groupe Exilé.es du Syndicat de la Montagne limousine

    1 Pour plus de détails, lire l’article paru sur le site du Syndicat de la Montagne limousine : « Retour sur la création du groupe Exilé.es en soutien aux résident.es du CADA de Peyrelevade »: https://s.42l.fr/CADA et IPNS n° 73.

     

    Forum Réfugiés a surfacturé l’hébergement et met sous pression ses salarié.es

    La journaliste Feriel Alouti a enquêté* sur Forum Réfugiés et révélé que cette association facturait aux résident.es plus que la somme légalement due pour l’hébergement en CADA ! La gestion du personnel est elle aussi catastrophique : Forum a été condamnée quatre fois aux prud’hommes depuis 2019, la dernière fois pour harcèlement moral. Beaucoup de salarié.es démissionnent.

    * « En toute irrégularité, Forum réfugiés surfacture des places d’hébergement », Mediacités, 16 novembre 2021 ; « Souffrance au travail, la crise interne qui ronge Forum réfugiés », Mediapart, 26 février 2022.
  • Des éoliennes dans le paysage limousin

    Au cœur du Parc Naturel Régional de Millevaches en Limousin, les premiers géants d'acier de la région ont fait leur apparition. A Peyrelevade, depuis novembre 2004 où le chantier se finalisait, se sont quelques cinq cents curieux qui, chaque week-end, montent au village de Neuvialle admirer ces six belles du vent. Du haut de leurs 65 mètres elles apportent une note pittoresque dans ce paysage caractéristique de la Mijoie.

    eolienne peyrelevadeA partir de ce succès dont tout le monde parle, une association "Energies pour demain" s'est créée. Elle a pour but de promouvoir et développer les énergies renouvelables sur le plateau de Millevaches. Pour l'animation de ce projet, Rémi Gerbaud un jeune chômeur de Faux-la-Montagne a fait valoir ses compétences techniques dans ce domaine. Il a ainsi créé son emploi. Pendant deux mois, il a collecté, travaillé, vulgarisé une masse d'informations. Et aujourd'hui l'association propose une découverte touristique et pédagogique du site.

    Ce projet a été bien accueilli par des partenaires tels que les offices de tourisme, les élus de la Région et de la Communauté de communes … il a reçu l'appui de l'Agence pour l'Environnement et la Maîtrise de l'Energie (ADEME).

    Le point de rendez-vous des visites sur le site est matérialisé par une cabane en bois. Les curieux y trouvent toutes sortes de renseignements pratiques, de brochures explicatives sur les différentes sources d'énergie (géothermie, panneaux solaires, biomasse...). L'animation s'appuie sur des panneaux pédagogiques illustrant les propos de l'animateur. On y aborde entre autres les différentes étapes de la construction du site, l'impact paysager au cours des différentes saisons, la quantité d'énergie produite, le seuil de rentabilité, etc. Elle est complétée par des exercices pratiques comme la mesure de la nuisance sonore ou de la vitesse du vent.

    La première animation s'est déroulée le samedi 4 juin dans le cadre de la semaine du développement durable. Elle a réuni cent-cinquante personnes, parmi lesquelles trente-cinq élus de Haute-Vienne. Après ce premier succès encourageant, d'autres animations sont programmées pour cet été : les après midi des samedis et dimanches à partir du 1er juillet, et tous les jours du 15 juillet au 15 août. D'ores et déjà, les demandes affluent de la part d'associations locales, de groupes d'élus souhaitant mettre en place de tels projets, de structures scolaires, de groupes de retraités.

    Unique en son genre cette prestation semble répondre à une curiosité alimentée par les préjugés et autres idées reçues sur les éoliennes, leur impact environnemental et paysager, leur capacité de production, etc. Elle s'inscrit dans la vogue actuelle pour le tourisme dit industriel, celui-là même qui voit défiler des milliers de curieux sur le viaduc de Millau par exemple.

    eolienneMais la vocation de l'association est bien de sensibiliser tous les publics à l'intérêt et au développement des énergies propres et renouvelables, d'en expliciter les différentes illustrations, afin de faire prendre conscience à tout un chacun de sa responsabilité face à sa consommation d'électricité.

    Le contexte européen de politique actuelle de développement des énergies renouvelables encourage ce genre d'initiatives. D'ici 2010, la France doit multiplier son quota de production d'électricité par énergies renouvelables par deux pour atteindre les 21 % de sa production totale. Cette politique devrait être créatrice d'emplois, comme ce fut le cas en Allemagne qui compte environ quarante fois plus d'éoliennes qu'en France et où 45 000 emplois ont été créés dans le secteur de l'éolien. La France plafonne péniblement à 405 mégawatts de puissance installée, alors que l'Allemagne s'enorgueillit d'en produire 16 209 fin 2004.

    A un niveau plus local, cette animation et les objectifs de l'association concordent avec la volonté de valoriser et promouvoir les énergies renouvelables auprès du grand public. Politique illustrée par le projet de construction d'une maison des énergies renouvelables. Au delà du caractère innovant de ces installations, c'est aussi une heureuse opportunité pour nous interroger sur notre consommation énergétique.

    Gageons que nous n'avons pas fini d'entendre parler de ces énergies propres et accessibles à tous, pour repenser notre consommation d'énergie et déjà nous orienter vers plus de sobriété. Espérons aussi que nous pourrons dans quelques années renommer à Peyrelevade notre fournisseur d'électricité : "Eoliennes de France (EDF)".

     

    Energies pour demain
    Président : Pierre Coutaud, maire de Peyrelevade

     


     

    Les énergies renouvelables, l'Europe et la France

    Lorsqu'on compare la politique énergétique menée en France à celle que préconise l'Union Européenne, on peut se demander comment la France va s'insérer dans l'Europe vis-à-vis des énergies renouvelables. Pour cela comparons la Directive Européenne et la loi d'orientation française.

     

    Les énergies renouvelables en Europe :

    • 1ère priorité européenne
    • En 2010 : 12% de la consommation
    • Promotion de l'accroissement du pourcentage d'énergies renouvelables
    • Série de mesures de soutien : aide publique, prix intégrant les coûts sociaux et les coûts externes, aide à l'investissement, soutien des prix, obligation d'achat ou appel d'offres, certificats verts, garantie d'origine renouvelable délivrée par des organismes indépendants
    • Réduction des obstacles réglementaires, rationalisation des procédures administratives
    • Nomination d'un médiateur
    • Faculté de priorité d'accès au réseau, de priorité de distribution

     

    Les énergies renouvelables en France :

    - 2ème priorité après le nucléaire

    • En 2010, 10% de la consommation
    • Refus de mesures en faveur de la consommation d'énergies renouvelables
    • Obligation d'achat, une seule fois, sans intégrer les coûts d'investissement, les coûts d'exploitation, les coûts sociaux et externes.
    • Puissance éolienne minimale : 20 Mw
    • Multiples obstacles pour l'éolien
    • Aucun médiateur
    • Aucune priorité d'accès au réseau et à la distribution

     

    L'énergie d'origine renouvelable possède un aspect stratégique, de par la dissémination des centres de production et la proximité des lieux de consommation. En outre, toutes ses caractéristiques s'intègrent dans le développement durable (pas de CO2, pas d'effet de serre, matière première inépuisable, sans conséquences néfastes à court comme à long terme). Les producteurs indépendants ont, de plus, un rôle important sur le plan local : diminution des pertes en ligne haute tension du fait de la consommation à proximité, source de revenus pour les collectivités (taxe foncière, taxe professionnelle), création d'emplois induits.

    L'électricité d'origine renouvelable ne peut pas être un alibi écologique à une politique pro nucléaire. Pourquoi tant de difficultés administratives pour l'implantation d'éoliennes ? Pourquoi une si grande différence entre la France et l'Allemagne par exemple ? Pourquoi la Directive Européenne sur les énergies renouvelables n'a-t-elle pas été transposée en France alors qu'en octobre 2005 le bilan doit en être fait dans tous les états membres ?

     

    Geneviève Coutier
  • Des groupements pastoraux pour remettre en valeur des terres abandonnées

    Le plateau de Millevaches est une terre historique de pastoralisme. L’élevage ovin et la conduite des troupeaux étaient largement liés à des usages collectifs des territoires et basés sur les droits de parcours et de vaine pâture. Un héritage qui a été perdu mais qu’il s’agit de retrouver grâce à la création de groupements pastoraux.

     

    troupeau

     

    Dès le Moyen Âge, l’usage collectif de certaines terres permettait de faire paître gratuitement son bétail en dehors de ses terres, dans les landes et les tourbières souvent communales. Pendant des siècles, les dents des brebis ont ainsi façonné les paysages en une mosaïque de milieux agropastoraux typiques abritant leurs cortèges d’espèces inféodées. Cependant, considérés comme un frein à l’entreprise individuelle et au progrès agricole, ces droits d’usage sont progressivement limités puis supprimés dès 1889. La notion de propriété individuelle s’impose. 

     

    Remettre en pâturage des espaces délaissés

    La suppression des parcours affecte les paysans les plus pauvres accentuant l’exode rural des terres du Plateau. Au cours du XXe siècle, la modernisation de l’agriculture favorise l’abandon des pratiques agricoles traditionnelles. Les systèmes d’élevage reposent de plus en plus sur la culture fourragère et les vaches remplacent progressivement les brebis. L’exploitation pastorale disparaît peu à peu. Les landes et les tourbières considérées comme des milieux peu productifs, et peu mécanisables pour ces dernières, sont délaissées. Or en l’absence de pâturage, ces milieux semi naturels vont se fermer, s’envahir d’espèces colonisatrices telles que la molinie pour les zones humides ou de ligneux, comme le genêt et le bouleau sur les zones plus sèches, et le cortège animal et végétal va perdre en diversité. La remise en pâturage de ces milieux représente donc une priorité pour le Conservatoire d’espaces naturels du Limousin (CENL). Ce mode de gestion, intégré au circuit économique local, permet non seulement aux agriculteurs d’être acteurs de la conservation de ces milieux mais également de pérenniser les pratiques adéquates grâce notamment à la signature de baux ruraux à clauses environnementales et de mesures agro-environnementales.

     

    Pâturage itinérant

    En 2017, avec la création de 3 groupements pastoraux sur le Plateau, un nouveau type de partenariat émerge entre le CENL et des éleveurs ovins en brebis limousines. L’idée de départ est d’entretenir et de valoriser les milieux naturels du Plateau en mettant en œuvre un pâturage itinérant 6 mois par an. Pour les espaces naturels, c’est le mode de gestion pastorale idéal puisque, outre le fait de ne pas clôturer toutes les parcelles, ce qui peut représenter un énorme investissement, la conduite de troupeau par un berger permet une gestion très fine du chargement et une adaptation de la pression pastorale au gré des besoins des milieux. Pour les éleveurs, il y a aussi de nombreux avantages : le regroupement des troupeaux, l’augmentation de la surface de fauche, la diminution de la quantité de travail par le partage, l’augmentation de la rentabilité des exploitations et, peut-être à la clé, la création d’emplois (sur 6 ans de gardiennage, 4 bergers installés sur le secteur). Les groupements pastoraux peuvent permettre des installations agricoles avec moins de surface tout en gardant une autonomie alimentaire, ils sont un outil pour rouvrir des surfaces et les réintégrer à la surface agricole. Ils doivent également permettre une meilleure rémunération du travail avec le développement de la vente directe.

     

    Les groupements pastoraux peuvent permettre des installations agricoles avec moins de surface tout en gardant une autonomie alimentaire

     

    Les Mille Sonnailles

    Lise et Fabrice récemment installés et riches d’expériences pastorales vécues dans plusieurs coins de la France, ont décidé de créer un groupement pastoral (voir l’encadré) avec Pascal, éleveur à Millevaches. Le GP des Mille Sonnailles est créé en avril 2017. L’idée est de mélanger les troupeaux des deux exploitations, pour les mener en estive sur deux sites du CENL : la tourbière du Longeyroux et les sources de la Vienne. Préalablement, un important travail de concertation portant sur la rédaction d’une convention pluriannuelle de pâturage reproductible a eu lieu. 

     

    Sur la tourbière du Longeyroux

    Sur la plus vaste tourbière du Limousin, certaines parcelles privées étaient à l’abandon depuis une trentaine d’années, et d’autres, dont la gestion est confiée au CENL, en défaut de pâturage depuis 2012, faute de clôtures et de financement pour les poser. La tourbière avait déjà fait l’objet dès 2007 de la mise en œuvre d’un pâturage ovin itinérant grâce à un contrat Natura 2000. Près de 40 hectares de landes et tourbières avaient ainsi pu être restaurés et pâturés pendant 5 ans. Cependant, malgré les efforts du CENL pour le renouveler, le pâturage itinérant n’avait pu être reconduit entre 2012 et 2016, faute de financement en période de transition entre deux programmes européens. Les efforts de restauration ont alors rapidement été effacés avec une recolonisation rapide par la molinie.

     

    brebis aux Cent Pierres

     

    Avec la création du GP des Mille Sonnailles et la nécessité d’avoir accès à des parcours cohérents, des recherches foncières sur le site ont eu lieu et plusieurs conventions entre le CENL et des propriétaires ont été signées. Au total, 60 hectares ont pu bénéficier dès 2017 de l’entretien pastoral du GP. En 2018, le troupeau s’est agrandi avec l’adhésion d’un nouvel éleveur. Le GP des Mille Sonnailles a pu contractualiser des mesures agro-environnementales climatiques sur des parcelles du CENL, de la commune de Meymac, de l’ONF et de plusieurs propriétaires privés. Ces aides ont permis de financer un poste de berger à temps partiel à partir de 2018. Issues de la politique agricole commune, elles sont versées annuellement et pour une période de 5 ans en contrepartie du respect et de l’application d’un cahier des charges pastoral adapté aux milieux naturels du Plateau.

     

    Des résultats visibles

    Sur le site des sources de la Vienne, également géré par le CENL, un peu moins de 20 hectares sont mis à disposition du groupement pastoral. Une cinquantaine d’hectares supplémentaires en cours d’acquisition par le CENL viendront s’ajouter aux surfaces à entretenir dès la saison prochaine.

    Les deux premières années de partenariat avec le GP sont une réussite aussi bien pour les éleveurs que pour le CENL. Les résultats sont déjà visibles et sont plus qu’encourageants. Les brebis sortent en bonne condition de l’estive et l’état de conservation et la diversité des milieux naturels s’améliorent. Certains aménagements sont prévus dès cet hiver pour améliorer le pâturage et les conditions de travail des bergers, comme par exemple la réalisation d’un parc de contention supplémentaire sur les landes d’A la Vue, derrière le parking du Longeyroux, ou encore la réparation d’une passerelle sur la Vézère en attendant le retour des brebis l’été prochain pour une troisième saison pastorale. 

    Sur Peyrelevade, la même forme de partenariat est mise en œuvre entre le groupement pastoral de Peyrelevade, la commune, le CENL et plusieurs propriétaires privés pour la gestion pastorale de plus de 34 hectares. Nul doute que d’autres GP verront le jour dans un avenir proche, pour plus de liens, plus de vie et une meilleure prise en compte de la biodiversité et des paysages de notre territoire.

     

    Marie-Caroline Mahé
    Conservatoire des espaces naturels Limousin, antenne du plateau de Millevaches

     

    Vous avez dit groupement pastoral ?

    La “loi pastorale“ (loi n°72-12 du 3 janvier 1972) reconnaît l’activité ancestrale de pâturage et d’estive et met à disposition des outils pour répondre aux attentes des gestionnaires, des propriétaires et des éleveurs. Elle offre la possibilité aux propriétaires de se regrouper au sein d’une association foncière pastorale pour assurer la mise en valeur de leurs terrains. Les éleveurs se réunissent quant à eux au sein de groupements pastoraux dans un objectif de mutualisation des investissements, de la main d’œuvre et du matériel. Le lien entre les deux structures prend la forme d’une convention pluriannuelle de pâturage.  Cette forme de partenariat, largement utilisée dans le sud de la France, commence à émerger sur le Plateau de Millevaches avec à ce jour, 3 jeunes groupements pastoraux.
  • Des médecins en Creuse ?

    ­Bêtement récidiviste et pourtant ministre !

     

    Depuis quelques mois le débat sur la démographie médicale s’étale dans toute la presse locale, régionale et nationale, et singulièrement en Creuse. Dans son numéro de l’hiver 2006-2007 IPNS  en avait parlé au sujet de la région de Felletin rappelant à l’occasion la nécessité d’une organisation équilibrée et équitable d’un système de santé à l’échelle du territoire national et donc la définition d’une politique de santé publique.

     

    Au début du mois de janvier 2008 c’est au tour de la ville de Guéret de s’inquiéter alors que deux généralistes et un pédiatre partent à la retraite sans  bien assurer leur succession et que l’âge avancé de leurs confrères risque de rendre la situation très préoccupante à plus ou moins court terme. Et depuis il ne s’écoule pas de semaine sans que la presse alerte l’opinion publique sur le désert médical creusois.

    Le déficit médical creusois en médecins généralistes et plus encore en spécialistes est une certitude. Les chiffres en sont cruellement révélateurs : quand il y a 174 médecins spécialistes pour 100 000 habitants en France il n’y en a que 74 en Creuse pour la même population, et comme celle-ci est aussi proportionnellement plus âgée elle est davantage demandeuse de soins de santé. D’ailleurs cette pénurie n’affecte pas que le corps médical, elle touche l’ensemble des acteurs de santé, que ce soient les infirmières, dentistes, ophtalmologistes, manipulateurs de radio, kinésithérapeutes, sages-femmes, etc.

     

    Une telle situation n’est pas spécifique à la Creuse ; elle est préoccupante à l’échelle de tous les départements à dominante rurale. Elle nécessite l’invention d’une politique de santé publique. Mais les réponses de l’Etat sont désespérément vides de bon sens. Et pour en rester à la Creuse les propositions de la ministre de la santé publique sont désastreuses pour ne pas dire outrageantes. Lors du congrès national d’un syndicat médical, des jeunes médecins s’interrogeaient sur un projet de texte susceptible de leur imposer des installations en zone déficitaire. Cette bêtasse de Roselyne Bachelot n’a rien trouvé de mieux à  déclarer : “Oh, on ne va pas vous obliger à vous installer en Creuse !“. Notre ministre bonasse - selon les dires d’un de ses parents creusois - ne faisait que reprendre ce qu’elle avait lu sur les calicots des internes en médecine manifestant à l’automne dernier pour le droit à leur liberté d’installation sur le territoire : “Tout sauf Guéret“, “Jamais en Creuse“. Il est à craindre que cette carence d’intelligence politique combinée avec un corporatisme non moins pitoyable du monde médical ne favorisent guère les quelques solutions qui s’ébauchent ici et là. Gageons que les projets creusois de “maison médicale pluridisciplinaire“ de proximité comme il en existe à Gouzon, La Courtine ou Faux la Montagne assureront demain un véritable service de santé publique.

     

    Alain Carof­­

     

    maison medicale gentioux

     

    Tant qu'on a la santé

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    Sur la Communauté de communes du Plateau de Gentioux on n’a pas attendu que le gouvernement se mette à promouvoir les maisons médicales pour y penser. Depuis plusieurs années le projet est dans les cartons et il passe maintenant à sa phase de réalisation.

     

    Tout est parti de la mise en vente de la maison où le médecin de Faux-la-Montagne a son cabinet depuis toujours. La praticienne n’envisageait pas de racheter le bâtiment et risquait donc de quitter la commune. Mais, même si elle avait acheté, la question se serait reposée pour son successeur, à l’heure de la retraite. Ce dernier aurait du s’endetter pour racheter les murs du cabinet au moment où jeune médecin il n’aurait guère les reins (financiers) très solides... Quand on sait la faible attractivité pour un jeune diplômé d’un cabinet généraliste à la campagne et que peu de médecins se voient exercer dans un isolement professionnel difficile, la Communauté de communes a pensé qu’il était de son devoir de relever le défi.

     

    “En considérant que nous avons deux bassins de vie sur la Communauté, explique Thierry Letellier, son président, nous avons décidé de créer une maison médicale qui aurait deux antennes : l’une sur Faux-la-Montagne et l’a­utre sur Peyrelevade.“ Concrètement deux bâtiments vont être rénovés, une maison dans le bourg de Peyrelevade et un ancien restaurant dans celui de Faux où seront installés la maison médicale et les nouveaux locaux de la mairie.(photo ci-dessus)

    Sur chacun des deux sites quatre à cinq cabinets seront disponibles. Ainsi, à Peyrelevade, en plus des deux médecins pourraient s’installer d’autres professionnels, comme à Faux : un kiné, un dentiste (même temporaire), des infirmières ou tout autre spécialiste. De plus un logement est intégré afin de pouvoir héberger un remplaçant ou un stagiaire.

    Cette bipolarité qui fait l’originalité du projet du plateau de Gentioux n’a pas convaincu le Conseil Général de la Corrèze qui a émis un avis défavorable. Par ailleurs la région a commandité une étude pour en établir la pertinence. C’est à l’issue de celle-ci que les financements publics, à hauteur de 50 à 60% des 650 000 euros des deux opérations, pourront être débloqués (Etat, région, Agence régionale d’hospitalisation et Fonds d’intervention pour la qualité et la coordination des soins).

     

    Une maison médicale doit en effet obtenir ce label, régional et national, pour recevoir les aides publiques. Plusieurs conditions sont nécessaires dont la présence de plusieurs professionnels et la mutualisation entre eux de certains outils.

    Dans une profession assez individualiste le pari est osé de faire travailler ensemble plusieurs praticiens. Mais si l’on en croit d’autres banderoles également vues lors des manifestations des internes en octobre 2007, il répond peut-être au désir de certains. Le médecin de campagne d’hier ne sera certainement pas celui de demain.

     

    Michel Lulek

     

     

  • Du côté d’Eole

    eolienneUn projet d’implantation d’éoliennes génératrices d’électricité à Neuvialle sur la commune de Peyrelevade suscite des réactions, dont certaines négatives. Ces protestations peuvent surprendre lorsqu’elles émanent de personnes de “sensibilité” écologique, qui devraient être a priori favorables à cette installation.  Jean-François Pressicaud pense que ce projet présente des inconvénients surmontables, mais aussi qu’il soulève deux questions de fond : le caractère industriel du projet et l’atteinte au paysage.

     

    Des inconvénients surmontables

    • Le bruit

    Les personnes qui sont allées visiter des éoliennes en exploitation considèrent que cette nuisance est d’un niveau faible, ce qui n’est pas surprenant lorsqu’on examine les exigences de la réglementation : on ne peut construire qu’à une distance qui garantisse un bruit extrêmement faible pour le voisinage. Néanmoins, elles sont susceptibles d’altérer le silence nocturne.

     

    • Les oiseaux

    Pour les oiseaux, la vitesse de rotation assez faible des pales minimise le danger. Des études menées au Danemark, pays où l’éolien est très développé, montrent qu’après une période de surmortalité au début du fonctionnement de l’installation, on revient ensuite très vite à la normale, les oiseaux prenant l’habitude d’éviter les pales. Mais il faut éviter de choisir des emplacements qui coïncident avec les couloirs de migration. L’intervention de la SEPOL pour la réalisation de l’étude d’impact a conduit à modifier certains emplacements.

     

    • Les champs magnétiques

    Les inquiétudes concernant les champs magnétiques n’ont pas jusqu’à présent été étayées. Elles sont en tout cas moins graves que pour les lignes à haute tension, nombreuses ici. Mais il convient de rester vigilant en ce domaine où les recherches sont récentes et parfois contradictoires.

     

    Un projet industriel

    Une question plus fondamentale concerne le caractère industriel de cette installation : pourquoi produire tant d’énergie avec des moyens financiers et techniques aussi puissants ?

    Tout écologiste cohérent considère qu’il faut d’abord avoir pour objectif d’économiser l’énergie, de la produire grâce à des ressources locales, renouvelables et non polluantes et de l’utiliser de la façon la plus décentralisée possible.

     

    “L’eau, c’est fait. Il leur reste à nous vendre l’air que l’on respire”. Herbé.

     

    Le projet de Neuvialle ne se situe que très partiellement dans cette perspective, mais cela ne doit pas nous empêcher de prendre en considération les avantages qu’il y a à faire de l’électricité en utilisant l’énergie du vent plutôt qu’un combustible nucléaire ou fossile. Les éoliennes ne génèrent aucune pollution, elles fonctionnent à partir d’une ressource gratuite et indéfiniment renouvelable, et leurs inconvénients éventuels cesseront immédiatement et totalement au moment de l’arrêt de l’exploitation : il n’y a aucune production de déchets.

    L’objectif assigné aux éoliennes de Neuvialle étant de fournir de l’électricité en quantité importante pour le réseau EDF, seuls des groupes industriels sont en mesure de mener les recherches et de supporter les investissements indispensables à une telle opération . Cette logique industrielle fait que ce type de projet ne peut émaner des collectivités locales ou d’autres groupements citoyens, de type associatif par exemple. Les collectivités locales bénéficient certes de retombées financières (taxe professionnelle). A elles cependant de négocier avec les promoteurs pour obtenir encore plus.

     

    Le paysage

    Celui qui s’oppose aux éoliennes au nom du respect du paysage exprime un point de vue aussi défendable que celui qui considère que les éoliennes sont plutôt une réussite esthétique et attireront probablement des visiteurs.

    Il reste qu’implanter des éoliennes dans un site jusqu’à présent préservé de toute implantation industrielle ou technique peut légitimement choquer. Cet argument prend encore plus de poids lorsqu’il émane de personnes pour qui le choix de vivre sur le Plateau de Millevaches a été conforté par l’existence d’un paysage protégé de la plupart des agressions de l’industrie et de l’urbanisme.

    En contrepartie, si l’on compare l’impact paysager des éoliennes avec la possible implantation de déchets nucléaires ou avec les nombreuses lignes électriques à haute tension déjà existantes sur le territoire – alors que les lignes partant des éoliennes seront obligatoirement enterrées – on parvient rapidement à relativiser les reproches faits aux éoliennes.

    Sans vouloir nier l’importance que peut revêtir la question du paysage, on peut se demander si ceux qui s’opposent aux éoliennes pour cette raison se sont rendus compte qu’ils vont avoir des alliés de circonstance obéissant à des motivations bien différentes des leurs. On peut penser en effet que les partisans du lobby nucléaire vont avancer masqués sur ce thème, mettant en avant des motifs paysagers pour justifier leur opposition aux éoliennes, alors que leur souci profond est de gêner tout projet qui pourrait empiéter un tant soit peu sur le tout nucléaire.

    Comment expliquer la vigueur de l’opposition aux éoliennes sur le thème du paysage alors que dans d’autres domaines où les atteintes sont nettement plus graves, il n’y a pas eu de réaction collective ? Je pense en particulier aux nouvelles routes ou autoroutes qui servent prioritairement au développement des transports routiers (polluants et dangereux). Le bouleversement du paysage du col du Massoubre (entre Felletin et La Courtine) et l’impact paysager de l’A 89 sont considérablement plus graves que l’implantation de six éoliennes à Neuvialle et résultent exclusivement de la logique de croissance économique, industrielle et technique qui contribue à dégrader irrémédiablement notre environnement . 

     

    C’est pourquoi, malgré les critiques qui peuvent lui être adressées, il me semble qu’il est souhaitable que le projet d’éoliennes de Neuvialle se réalise. A nous, habitants du lieu, de peser sur les promoteurs pour que les bénéfices de l’opération ne soient pas destinés au seul investisseur, mais soient également dirigés vers les instances locales.

     

    Jean-François Pressicaud

    Illustration de Rousso, extraite du “Courrier de l’environnement de l’INRA



    Appel à réflexion

    Ce projet d’éoliennes fait cogiter. La communauté de communes du Plateau de Gentioux, dont Peyrelevade fait partie, s’interroge sur l’opportunité de créer un projet autour du développement des énergies renouvelables (vulgarisation d’équipements en énergies renouvelables auprès des communes et des particuliers ; animation sur le site des futures éoliennes ; etc.). Pour partager et enrichir ces réflexions, la communauté de communes invite les personnes ou associations intéressées par la mise en place d’un tel projet à une réunion.
  • Électrons libres

    Le plateau de Millevaches peut raisonnablement s'enorgueillir d'être en matière d'énergies renouvelables un territoire exemplaire. Barrages et usines hydroélectriques, unité de cogénération de Felletin et depuis peu éoliennes de Peyrelevade, témoignent que l'eau, le bois et le vent - dont le plateau dispose en abondance et de manière quasi infinie s'il sait en prendre soin - peuvent être des sources d'énergies "propres" et "durables" - pour reprendre les mots à la mode que dévoient sans état d'âme et pour leur propre compte l'industrie nucléaire et, peu ou prou, tous les plus grands pollueurs de la planète. Ici, nous avons la chance de pouvoir utiliser ces mots sans tricherie. Nous vous proposons dans ce numéro et dans le prochain un tour d’horizon de ces énergies que nous espérons être celles de demain.

     

    Du tableau noir à la turbine

    energie eauAprès ses études à l'Ecole Centrale, Gérard Coutier est devenu professeur de mathématiques. Il l'est resté 19 ans. Ce ne sont pas les équations ou les axiomes (et encore moins les élèves) qui le lassèrent du métier, mais il se sentait un peu à l'étroit dans les cadres rigides de l'Education Nationale. Il décide donc de s'échapper du "mammouth" et avec sa femme Geneviève, de rechercher une centrale hydroélectrique pour devenir producteur d'électricité. Une profession que le public ignore en grande partie, croyant que seule EDF assure la fabrication de l'énergie électrique. Il existe pourtant en France environ 1500 centrales hydrauliques privées. En Limousin il y en a 80 environ. Parmi elles, la centrale du Theillet à Saint Martin Château que Geneviève et Gérard Coutier ont achetée en 1992. L'usine était en piteux état. Construite en 1968, passée entre les mains de deux propriétaires, elle ne fonctionnait plus lorsque le couple la reprend. Gérard qui n'a pas oublié ses leçons de Centrale reconçoit tout, achète une turbine d'occasion, la réinstalle, mobilise les compétences d'un maçon de Royère, d'un électricien et d'un chaudronnier de Limoges, bref reconstruit lacentrale qui depuis, marche sans problèmes et sans à-coups.

    Une prise d'eau capte une partie du débit de la rivière 26 mètres au dessus de la centrale. L'eau suit une conduite forcée d'environ 600 mètres de long. C'est ce qu'on appelle une "moyenne chute" (en opposition aux "basses chutes" généralement installées directement sur la rivière, ou aux "hautes chutes" : il en existe une en Limousin, à Saint Augustin en Corrèze, qui fait plus de 80m de hauteur de chute). D'une puissance de 240 Kw l'usine hydroélectrique des Coutier est dans la moyenne des entreprises de ce genre. C'est l'une des trois centrales privées que compte la commune de St Martin. Pour respecter un débit minimum à la rivière sur laquelle elle est implantée (ce qu'on appelle le "débit réservé", pourcentage du débit moyen de la rivière, obligatoirement laissé pour permettre la vie piscicole) un système de régulation asservit la turbine, et l'été, la centrale est arrêtée dès que le débit réservé ne peut être assuré, ceci pendant environ un mois et demi.

    Chez lui, dans la Drôme, où il réside le plus souvent, le couple a aussi une petite centrale, beaucoup plus modeste (10 à 11 Kw) pour assurer le chauffage de sa maison.

     

    Quand EDF se désengage

    Aujourd'hui, comme la plupart des petits producteurs d'électricité, les Coutier sont inquiets. Depuis sa nationalisation en 1946, EDF avait en effet une obligation d'achat envers les producteurs privés, puisque c'est l'entreprise nationale qui disposait du monopole de la vente de l'électricité en France. Or la loi relative au statut d'EDF présentée au parlement en août 2004 lève cette obligation d'achat. Geneviève Coutier explique : "La loi ne prévoit pas le renouvellement de nos contrats, lesquels arrivent à échéance en 2012. L'abrogation de cette obligation d'achat, sous prétexte de Bruxelles, nous place dans une situation difficile : que vaudront nos entreprises, comment trouverons-nous des clients, et à quel prix ? Imaginons un éleveur, un artisan qui, ayant investi dans des équipements coûteux, se verraient, par une décision législative, privés de clients, sauf à des tarifs très bas…".

    Par ailleurs, la loi d'orientation sur l'énergie changerait radicalement les seuils jusqu'alors pratiqués pour l'achat de l'électricité pour l'éolien. EDF était jusqu'à maintenant obligée d'acheter l'électricité aux unités ayant une puissance inférieure à 12 Mw. Désormais la loi ne maintiendrait l'obligation d'achat que pour les puissances supérieures à 20 Mw ! L'ancien plafond se retrouverait ainsi en dessous du nouveau plancher. Geneviève Coutier ironise : "Seules les grosses sociétés pourront bénéficier de l'obligation d'achat. C'est bien connu, les gros ont toujours intérêt à grignoter les petits…".

    Au sein d'EAF (Electricité Autonome de France), le plus gros des syndicats de producteurs d'électricité qui regroupe 800 membres et dont font partie les Coutier, on ne décolère pas. L'article 33 de la loi sur EDF a été votée en plein mois d'août, au dernier moment, et sans aucune concertation avec la profession concernée. EAF et les deux autres syndicats nationaux se mobilisent donc pour tenter de faire réévaluer à la baisse le seuil de 20 Mw. Un seuil qui rendrait nul l'intérêt économique d'un projet comme celui des éoliennes de Peyrelevade d'une puissance annuelle de 9 Mw…

    Facile aux yeux de Geneviève Coutier de deviner derrière ces mesures la pression du lobby nucléaire, "vous savez, l'énergie qui ne produit pas de CO2 ".

     

    Les énergies renouvelables : un hochet

    Pourtant, la France a souscrit à la Directive européenne sur les énergies renouvelables qui fait de celles-ci, en matière énergétique, la priorité (voir encadré page ci-contre). "Il y a un discours où l'on ne parle que de développement durable et d'énergies renouvelables et puis il y a la réalité qui est toute autre" tempête Geneviève Coutier qui conclut que pour l'Etat, les énergies renouvelables ne sont qu'un hochet pour amuser la galerie. "A titre d'exemple, poursuit-elle, j'ai traversé récemment l'Allemagne. Sur le trajet Bregenz, Nuremberg, Berlin, Francfort sur Oder, j'ai compté depuis l'autoroute 289 éoliennes d'une puissance approximative de 800 Kw… Alors ? Vérité au-delà du Rhin, erreur en deçà ?".

     

    Michel Lulek

    Pour plus de renseignements : Electricité Autonome de France, La Boursidière, BP 48 92357 Le Plessis Robinson. Tel : 01 46 30 28 28.
  • Il s’est encore passé quelque chose

    À l’initiative de Peuple et Culture Corrèze, trois artistes proches du travail de Marc Pataut, venu·es vivre et habiter sur la montagne limousine ont été invité·es pour travailler à ses côtés : d’anciennes étudiantes, Charlotte Victoire (artiste-chercheuse et travailleuse sociale), Olga Boudin (peintre, photographe et éditrice) et Jean-Robert Dantou (photographe documentaire, membre de l’Agence VU’). Leur travail s’est inscrit dans une résidence artistique pour répondre à l’appel à projets « Coopération, création et territoires » du Réseau Astre (DRAC et Région Nouvelle-Aquitaine).
    Le travail collectif entre Peyrelevade, Faux-la-Montagne, La Villedieu et Lacelle a suivi le fil d’une question commune : une invention de formes artistiques peut-elle nourrir une pratique politique du territoire ?

     

    Au départ, il y a le désir de Marc de continuer à tirer les fils d’une histoire qui a commencé avec l’équipe de Peuple et Culture il y a plus de vingt ans. Ensuite, il y a le hasard qui n’en est pas un de retrouver plusieurs photographes amies installés par ici. En arrière plan, il y a une histoire de la photographie ensevelie sous l’image spectacle qui prend toute la place, qui circule vite, qui se regarde plus qu’elle ne regarde l’autre. Derrière encore, dans un paysage qui semble bien effacé, il y a une histoire de la photographie qui s’est construite, dès la fin du dix-neuvième, avec l’idée qu’elle pourrait accompagner les grandes transformations sociales à venir [1].

     

    Et très vite, au même moment, il y a les grands retournements : une photographie qui se met au service de l’identification des récidivistes à la Préfecture de Police de Paris [2], de l’enfermement des aliénées à l’Hôpital de la Salpêtrière [3], des théories raciales avec Galton [4].
    La photographie participe alors à rendre crédibles des théories scientifiques qui ne vont pas tarder à perdre toute leur crédibilité. Mais ailleurs, dans d’autres espaces scientifiques, la géographie ou l’anthropologie naissante, se poursuivent d’autres histoires : Gusinde documente les cultures menacées d’extinction des Selk’nam du sud du Chili [5], Thomson la culture chinoise dans sa splendeur et sa complexité [6], Spencer et Gillen les aborigènes d’Australie [7]. Et toujours, cette même ambivalence : la peur de voir les entreprises de connaissance sur des cultures menacées, être retournées pour participer à leur destruction. La photographie est puissante autant qu’elle est dangereuse [8]. C’est la grand problème de l’anthropologie, c’est aussi celui de la photographie.

     

    Dès la fin de la première guerre mondiale, la photographie ouvrière est inventée par la propagande communiste et se propage à travers l’Europe [9]. Des groupes locaux se créent dans les usines pour que les ouvriers se servent eux-mêmes des appareils photographiques, devenus plus légers et maniables, pour décrire leurs conditions de vie, leurs aspirations au changement. Ce sont les heures de gloire des revues, l’Arbeiter Illustrierte Zeitung en Allemagne, Proletarskoe foto en URSS, le Worker’s International Pictorial en Grande-Bretagne. La photographie devient une « arme dans la lutte des classes » [10], dans le sillage de ce que Lewis Hine avait déjà pressenti au tournant du siècle [11]. Cette histoire en train de s’écrire, dans laquelle la photographie ambitionne de prendre toute sa part aux transformations du monde, se poursuit de l’autre côté de l’Atlantique, avec ce qui donnera lieu à l’une des entreprises fondatrices de la photographie documentaire : la grande commande publique de la Farm Security Administration, qui fait se rencontrer photographes et chercheurs en sciences sociales pour documenter la crise que traversent les Etats-Unis depuis les années 1930 [12]. Les photographies serviront à accompagner et à légitimer le New Deal de Roosevelt.

     

    À la sortie de la seconde guerre mondiale, c’est dans le sillage des expériences de résistance qui se sont forgées dans les maquis entre ouvriers syndicalistes, ingénieurs, officiers, étudiants, artistes, que s’écrit le Manifeste de Peuple et Culture de 1945 : « Nous ne voulons pas d’un art réservé à quelques élus »… Les luttes politiques des années 1960 et 1970 tireront parti de ce programme pour inventer des formes nouvelles d’engagement artistique.

     

    L’histoire d’une photographie qui allie art et combat politique est donc déjà ancienne lorsque Marc Pataut, dans les années 1990, se lance avec le collectif Ne Pas Plier aux côtés de chômeurs de l’Apeis dans les luttes qui s’insurgent contre la précarité découlant de la mondialisation [13]. Ici encore, la photographie est pensée comme un outil pour faire avec, pour rassembler, pour s’écouter, pour transformer.

     

    Tel est l’arrière plan des premières rencontres qui ont lieu ici, dans le courant de l’année 2021, sur fond de questionnements sur la place que pourrait occuper une pratique photographique sur le territoire dans lequel nous vivons.
    Parce qu’entre temps, depuis le début des années 2000, le métier de photographe s’est effondré [14] : les studios photographiques, qui avaient dans la seconde moitié du vingtième siècle trouvé place dans toute petite commune, ont massivement fermé. Et la mémoire lointaine des photographes itinérants qui, à la manière d’Antoine Coudert [15], arpentaient à la fin du dix-neuvième siècle la Montagne Limousine, s’est effacée depuis longtemps.

     

    Trois manières de faire de la photographie se sont croisées ici, au cours d’échanges de pratiques qui ont débuté à Peyrelevade et qui se sont poursuivis entre La Villedieu, Lacelle, Faux-la-Montagne, Gentioux, Tarnac. Trois manières d’être animé par la pratique photographique : d’abord, le goût pour l’invention de formes nouvelles. Le hasard des lignes qui se superposent, les visages des enfants de l’école élémentaire de Peyrelevade qui s’impriment et se mêlent sur la pellicule, aux côtés de ceux des résidents du CADA et de l’Ehpad.

     

    Invention de formes, mais invention de moments précieux, également : photographier, c’est aussi cela. C’est aussi renverser l’idée que la forme finale serait l’objectif premier, c’est dire que le moment de rencontre d’une femme qui vous fait le don de sa présence, alors que la vie touche à sa fin, vaut en tant que tel, certainement plus que l’œuvre elle-même. C’est être pudique, mettre à distance le spectacle, faire de l’instant vécu quelque chose qui se suffit à lui-même. Et s’insurger contre ce que les œuvres sont devenues, produits marchands circulant dans des espaces marchands. Pratiquer la photographie, c’est enfin être animé par la soif d’écouter et de comprendre. Faire de la photographie un outil pour documenter ce qui se tisse ici, un outil de réflexion, de discussion, de transmission.

     

    travail collectif photos

     

    De ces rencontres, de ces échanges de pratiques, restent des questions qui vont continuer à nous animer. Alors que l’on se méfie, sur la Montagne Limousine, de l’image en général et de la photographie en particulier, parce qu’elle identifie, parce qu’elle assigne, parce qu’elle fait courir des risques à celles et ceux qui en prennent, rappeler que ce medium est aussi un outil politique crédible au service de la critique sociale, voici peut-être un point de départ.
    Mettre la photographie au service des luttes locales, se servir d’elle, aussi, pour faire circuler la connaissance, pour que puisse s’exprimer la conflictualité, pour entendre et comprendre les autres dans leurs diversités, voici quelques premières lignes d’un programme.

     

    Crédits :
    Gauche : Prises de vue à l’Ephad., Charlotte Victoire.
    Centre : Marie Maziere, née le 12 septembre 1935 à Brive-la-Gaillarde, Corrèze. Ephad Ernest Coutaud,le 22 septembre 2022. Marc Pataut
    Droite : «Manhattan». Série «Coupes rases», commune de Faux-la-Montagne, le 24 janvier 2022 @ Jean-Robert Dantou / Agence VU’
    Notes
    [1] Christine Lapostolle, « Plus vrai que le vrai. Stratégie photographique et Commune de Paris », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 1988, vol. 73, no 1, p. 67-76.
    [2] Bertillon, Alphonse,1890. La photographie judiciaire, Gauthier-Villars et Fils, Paris.
    [3] Bourneville, Désiré et Regnard, Paul, 1877. Iconographie photographique de la Salpêtrière, Progrès Médical, Paris.
    [4] Galton, Francis, 1878. « Les portraits composites », Revue scientifique, 15, pp. 33-38
    [5] Martn Gusinde et al., El espíritu de los hombres de Tierra del Fuego: Selk’nam, Yamana, Kawésqar, Paris, Éditons Xavier Barral, 2015.
    [6] Thomson, John, 1874. Illustrations of China and its people, Vol. 1, Sampson Low, Marston, Low, and Searle, London.
    [7] Gillen, Walter Baldwin et Spencer, Francis James, 1899. The native tribes of Central Australia, Macmillan and Co., London.
    [8] Jean-Robert Dantou et al. (eds.), The walls don’t speak - Les murs ne parlent pas, Heidelberg, Kehrer, 2015, 342 p.
    [9] Véronique Yersin (ed.), Photographie ouvrière, Paris, Éditons Macula, 2020, 206 p.
    [10] Christan Joschke, Nouveaux regards sur la photographie ouvrière, Transbordeur, Paris, Éditons Macula, 2020
    [11] Didier Aubert, « Lewis Hine et les images anonymes du Pitsburgh Survey », Études photographiques, 25 novembre 2005, no 17, p. 112-135.
    [12] L’un des plus beaux exemples de cette production des années 1930 : Lange, Dorothea et Taylor, Paul, 1939. An American Exodus, A Record of Human Erosion, Reynal & Hitchcock, New-York.
    [13] Marc Pataut et al., Marc Pataut: De proche en proche = proximites, Trézélan, France, Filigranes éditons, 2019, 236 p.
    [14] Irène Jonas, Crise du photojournalisme et santé des photographes, s.l., SAIF/SCAM, 2019.
    [15] Georges Chatain, Antoine Coudert (1866-1910). Photographe ambulant, Les Cahiers de la Photographie de Saint- Benoît-Du-Sault., s.l., 1992.
  • L’oeil de Roger Vulliez sur le plateau... en image

    La croix du mouton de Peyrelevade reliftée

    croix mouton 1988croix mouton 2005

    On sait depuis 20 ans que nos croix de chemin, nos lavoirs, nos vieux murs et nos fontaines ont été érigés au titre glorieux de "petit patrimoine rural". On s'est mis à en prendre soin, à le valoriser et à s'en servir pour attirer le touriste et redorer les fiertés locales. A Peyrelevade, la croix du mouton, emblématique de ce patrimoine, a bénéficié depuis 1988 de cette sollicitude. A l'époque, on le voit bien sur la photo, elle gisait là depuis des siècles, bancale et de travers sur un talus herbeux peu entretenu qui enterrait en partie la pierre levée qui se trouve sur la gauche. Un poteau téléphonique y était accolé et les bas-côtés de la route semblaient laissés à l'abandon.

    Si peu d'éléments nouveaux sont intervenus en 2005 (seuls les feuillus ont poussé encerclant le grand résineux qui ne semble pas avoir grandi), ce qui ressort de la photo, c'est le soin qu'on prend désormais du cadre où se trouve la croix. Celle-ci a été nettoyée (la mousse présente en 88 sur les flancs du bélier a disparu) et surtout redressée. La pierre levée a été dégagée du talus, celuici a disparu, on a éloigné l'incongru poteau téléphonique et le pré qui est derrière la croix est à nouveau entretenu : on y met des chevaux comme en témoigne le ruban électrique. Entre le décor laissé à lui-même et un peu abandonné de 1988 et celui nettoyé, lissé et amélioré de 2005, c'est l'effort de mise en scène désormais inscrit dans le paysage qui nous frappe.

     

    La naissance d'un étang et le grignotage de la forêt

    etang 1988etang 2005

    Il faut être attentif pour repérer que ces deux photos prises sur la départementale 109 entre Tarnac et Saint-Merd-les-Oussines, l'ont bien été au même endroit. On peut prendre comme points de repère sur la photo de 1988 le gros bosquet d'arbre à l'extrême gauche et les deux petits arbres isolés au centre de la photo, qu'on retrouve sur celle de 2005. Le paysage dès lors se recale sous nos yeux et l'on retrouve la rangée sombre de la plantation résineuse en arrière plan et le relief de l'horizon. Par contre tout le premier plan est profondément bouleversé. L'arbre et l'eau ont ici radicalement transformé ce qui en 1988 n'était qu'une vaste lande humide au fond sans doute tourbeux. Désormais ce fond mouillé (sur la photo de 1988 on remarque la couleur plus foncée du couvert herbeux à droite du gros bosquet) est devenu un véritable étang qui a noyé toute une partie de la zone. On aperçoit même sur la gauche une petite île sur laquelle des arbres ont poussé. Derrière cette étendue d'eau la végétation forestière a gagné du terrain en recouvrant tout l'espace entre nos arbres repères. De la même manière devant les sapins noirs qui sont sur la droite et qui ont grandi entre 1988 et 2005, une petite rangée de conifères et des touffes de feuillus se sont avancées sur la lande. Ces deux photos montrent avec quelle rapidité le paysage peut évoluer et comment l'eau et la forêt, deux éléments caractéristiques du plateau, peuvent conquérir de nouveaux espaces.

     

    Le lac Chammet fidèle à lui-même ?

    lac chammet 1988lac chammet 2005

    Les deux photos du lac Chammet à Peyrelevade vu depuis le barrage, apparaissent quasiment identiques. Bien sûr quelques arbres ont poussé : sur la berge à droite, le long de la route qui coupe la colline et surtout sur la crête où une plantation toute jeune en 1988 barre le sommet en 2005. Pour le reste tout semble figé. Les bouées sur le lac n'indiquent pas une activité nouvelle puisque le centre de loisirs d'EDF était déjà là il y a 20 ans. Peut-être disent-elles seulement un renforcement de la réglementation qui veut désormais que les espaces de navigation soient matérialisés ? Pourtant entre 1988 et 2005 la colline de Chammet que nous voyons sur ces photos a totalement changé de destination et d'activité. A l'époque de la première photo c'était une pâture à moutons. Depuis (cela date du début des années 90) c'est devenu un golf et ce que nous croyons n'avoir pas changé est passé du statut de pâturage à celui de parcours de golf. L'élevage a cédé ici sa place au loisir. La surprise est de constater que cela n'a en rien modifié l'aspect paysager du site. Confirmation que lorsque l'espace est entretenu par la main de l'homme (et il n'y a peut-être pas d'entretien plus minutieux que celui d'un green) le paysage change beaucoup moins que lorsqu'il est laissé à lui-même.

     

    La source de la Vienne a changé d'écrin.

    source vienne 1988source vienne 2005

    La vieille borne de granite qui marque la source de la Vienne au pied du Signal d'Audouze est le seul témoin permanent de ce petit coin du plateau qu'on ne reconnaîtrait plus si elle n'était pas là. En 1988 les plantations résineuses qui encerclaient la source venaient d'être coupées (une coupe rase manifestement). On voit les troncs abattus, les andains regroupés en tas et seuls deux ou trois perches maigres indiquent sur l'horizon la hauteur que devaient atteindre les sapins. C'est le vide qui domine cette photo, un vide qui n'est pas sans rappeler les paysages dévastés par la guerre que Roger Vulliez a photographiés au Sri Lanka. Au dessus du chaos du chantier forestier, un grand ciel vide permet au soleil d'inonder tout le paysage. En 2005, on a changé de décor et d'impression. La végétation a repris possession de l'espace dénudé de 1988. Des essences colonisatrices ont poussé (sans doute des sorbiers ou des alisiers) et la végétation pionnière caractéristique du "tiers paysage" de Gilles Clément (voir IPNS n° 9) s'est imposée : on voit essentiellement les fougères dont certaines atteignent largement la hauteur d'un homme. Autour de la borne, l'herbe piétinée et l'absence de végétation anarchique laisse penser que la source de la Vienne reçoit régulièrement quelques promeneurs qui descendent jusqu'au creux du vallon où la rivière prend sa source. Pour cela on s'enfonce dans un fouillis de feuillus intime et secret qui empêche désormais toute vue un peu générale sur le paysage alentour : "C'est un trou de verdure où chante une rivière".

  • La Fourmilière, lieu associatif à Peyrelevade

    La Fourmilière, fin
    Dans ce numéro nous avons présenté l’initiative de la Fourmilière à Peyrelevade. Malheureusement, pour différentes raisons, le projet qui répondait pourtant à un vrai besoin local, n’a pas pu être poursuivi et ses promoteurs ont décidé de l’arrêter. Tous les projets ne peuvent pas aboutir... C’est la vie !

     

    Depuis quelques mois, une nouvelle association élabore un projet de multi-lieu alimentaire, culturel et social en plein cœur du bourg de Peyrelevade. Une véritable fourmilière qui a déjà ouvert une de ses portes au début du mois de mai 2021... L’association nous présente son projet.

     

    Fourmiliere peyrelevade

     

    logo fourmilierePeyrelevade bénéficie d’une vie associative diversifiée, de la plupart des commerces essentiels (dans une acception pré-covid et, espérons-le, post-covid) et de nombreuses commodités et services. Mais il nous semble manquer d’un lieu associatif pour certaines activités conviviales (bar sans alcool, soirées à thème...) et d’entraide (soutien scolaire, entraide administrative ou informatique, réparation de vélos...). Il manque aussi un restaurant et un lieu permettant de trouver des produits locaux et/ou bio à l’année, alors que le Plateau est riche de producteurs respectueux de l’environnement (élevage viande ou fromage, maraîchage, apiculture…). Un lieu d’échange et de rencontre, visant à réduire l’isolement physique et intellectuel en milieu rural, améliorer l’accueil des nouveaux arrivants et des résidents du Centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) et favoriser l’engagement de chacune et chacun afin de rendre notre territoire encore plus dynamique et attractif.

     

    Redonner vie à un bâtiment

    Forts de ces constats, La Fourmilière a été créée début 2020 par un petit groupe d’habitants de Peyrelevade d’horizons et d’âges divers. Ces personnes sont unies par une même volonté, désireuses de contribuer à favoriser le maintien et le développement de dynamiques locales, d’activités sociales et d’entraide, de permettre à toutes les personnes de la commune qui le souhaitent de devenir actrices d’un projet ou simplement de trouver un lieu d’accueil et de rencontre. En s’inscrivant dans le respect du contexte local. 

    Nous avons imaginé un projet qui permettrait de redonner vie à un bâtiment inoccupé du bourg, proche des pôles d’activité et de passage. Les visites immobilières nous ont permis d’affiner le projet qui s’adapte au bâtiment choisi : une maison de cinq pièces, un logement de trois pièces, une grange et une ancienne étable, avec un terrain d’environ cinq cent mètres carrés, le tout dans le centre-bourg. Tel que nous le concevons à ce jour, le bâtiment comportera un lieu d’activités associatives et un magasin de produits locaux dans la grange, un restaurant dans l’ancienne étable et deux logements locatifs. Afin de mener à bien cette ambition, La Fourmilière est soutenue par Airelle (accompagnement de porteurs de projets) et par L’Arban pour l’acquisition du foncier, la réalisation des travaux et la gestion des locatifs (la Fourmilière sera locataire du magasin et du restaurant). La municipalité de Peyrelevade a accueilli favorablement notre projet et lui apporte son soutien.

     

    Un magasin déjà ouvert

    maison Labarre FourmiliereLa situation sanitaire a bousculé le calendrier prévisionnel et nous prive des moyens habituels de communication pour de tels projets (réunions publiques, événements festifs...) tout en retardant les démarches. Lesquelles seront de toutes façons longues, et il y aura beaucoup de travaux. Aussi avons-nous décidé d’ouvrir rapidement le magasin avec les moyens du bord, puisque la seule chose qui restait autorisée en ce début d’année était le commerce alimentaire. Il s’agit de commencer à concrétiser nos rêves pour nous encourager à poursuivre, de montrer qu’il est possible de réaliser des projets malgré la situation sanitaire, de recréer du lien et de communiquer sur notre activité. Notre groupe s’est ainsi encore enrichi d’autres personnes nouvellement arrivées dans la commune, ce qui nous conforte dans nos motivations. 

    Grâce au soutien de la propriétaire actuelle des lieux, de l’Association d’Entraide du Plateau (AEP) pour l’équipement, de la mairie pour la communication, de la Bascule (Gentioux) et des producteurs pour les avances de produits, le magasin a pu ouvrir ses portes au 8 quartier de la Fontaine à Peyrelevade le 4 mai 2021. Pour le moment, le résultat a dépassé nos espérances et est très encourageant : de nombreuses personnes sont venues voir mais aussi acheter, et discuter du projet. Visiblement, le besoin et l’envie sont bien là.

    Pour la suite, une mise de départ de 50 000 € sera nécessaire pour l’obtention de prêts bancaires permettant l’achat du bâtiment et tous les travaux nécessaires. Nous lancerons un appel de fonds (contribution, dons et parts sociales) lors notre l’assemblée générale qui aura lieu en juillet 2021.

     

    L’Association La Fourmilière
  • La légende de la croix du mouton

    croix peyrelevade 2Autrefois, il y a bien longtemps de cela, les habitants de Peyrelevade s’étaient aperçus que, certains soirs où la nuit était particulièrement noire, une clarté vacillante semblait venir d’un point situé sur les bords de la Vienne, au bas du bourg, à proximité de la route se dirigeant sur Saint-Merd les Oussines. Un passant avait affirmé qu’il s’agissait de la flamme d’une bougie posée sur le socle de la croix appelée "Croix du Mouton", à cause de son piédestal en granit sculpté représentant effectivement cet animal, doté d’une splendide paire de cornes. Que faisait là cette bougie, et qui donc venait subrepticement la poser en ce lieu isolé ? La curiosité des Peyrelevadois se trouvait de plus en plus aiguisée au fur et à mesure que se succédaient apparitions et disparitions. Comme toujours en pareil cas, un jour des téméraires se font connaître, qui affirment qu’une sortie de reconnaissance s’impose la prochaine nuit où la flamme de la mystérieuse bougie apparaîtra. Des solides gaillards qui n’ont pas froid aux yeux et ne craignent ni le Bon Dieu ni encore moins le Diable ! Il y a Pierrou, Jeantounot, Léonardou, un ancien scieur de long qui serait capable de vous transporter la croix et son socle – qui font bien leurs cinq cent livres ! - à bout de bras, si on le lui demandait. C’est lui, semble t-il, fanfaron, qui a affirmé vouloir la rapporter avec lui. 

    croix de peyrelevade1La nuit vint. Sur le coup des minuit ils quittent le bourg et se dirigent d’un pas mal assuré en direction de la lueur de la bougie. Dieu qu’il fait noir ! Le clapotis des eaux de la paisible Vienne, auquel s’ajoute le frémissement léger du vent dans les vergnes qui la jouxtent, leur procure une étrange et pénible sensation. Et puis ils voient la bougie, la mystérieuse bougie dont la flamme se tord convulsivement sous l’effet du vent nocturne. Ils approchent en retenant leur respiration. Un instant d’hésitation, ils s’arrêtent à une quinzaine de mètres. Lequel des trois va s’aventurer : Léonardou bien sûr, lui qui s’est vanté de l’arracher toute allumée de ses mains puissantes comme des battoirs de lavandières. Il se détache de ses amis, se dirige vers la croix. À quatre ou cinq pas il s’immobilise, une terrible sensation de chaleur lui brûle les yeux. Il tourne son visage de côté, avance un peu plus, s’impose de regarder à nouveau : une douleur insoutenable le saisit, il ne voit plus qu’un écran noir devant ses yeux, une force incroyable le projette en arrière. Il se retrouve alors avec ses compagnons à qui il explique le phénomène. Tous sont pris d’une peur panique qui les conduit à quitter les lieux au plus vite. Ils portent presque Léonardou qui se tord de douleur, ses deux mains plaquées sur ses yeux. 

    Le lendemain qu’apprennent-ils ? Léonardou est chez lui, alité, devenu soudainement aveugle ! 

    Quelle affaire dans le pays lorsqu’on apprendra ! On est tout près de se gausser des vantards et de leur malencontreuse aventure qu’on feint de ne pas croire. Pourtant, s’ils ne veulent pas passer pour des poules mouillées, ils se doivent sans retard de renouveler leur exploit. Après tout, y a t-il bien une relation entre la soudaine cécité de Léonardou et la flamme de la bougie ? N’ont-ils pas été le jouet d’une hallucination collective ?

    La nuit qui suivra, voici Pierrou et Jeantounot de nouveau sur le chemin qui mène à la Croix du mouton. La bougie est bien là, comme l’autre nuit, pas de doute possible ! Lequel des deux va s’aventurer vers elle ? Ce sera Jeantounot. Le désir de “faire l’homme”, comme on dit au pays, le ferait se jeter dans le feu. Il progresse avec précaution comme il l’a vu faire à Léonardou, s’approche. La bougie n’est plus qu’à cinquante centimètres de sa main tendue, il croit la partie gagnée. Soudain ? … Une atroce douleur lui paralyse le bras ! Dans le même temps une poussée extraordinaire le propulse en arrière. Et il se retrouve, hurlant de douleur, dans les bras de Pierrou médusé ! 

    Le lendemain tout Peyrelevade apprendra que Jeantounot, dans la nuit, a été victime d’une attaque qui lui a paralysé le bras ainsi que tout un côté du corps.

    croix peyrelevade 1Pierrou reste seul ce coup-ci à savoir ce qui s’est réellement passé. Il ne sait que penser de tout cela. Une peur inconnue l’habite. Et puis voici, comme un fait exprès, qu’après quelques nuits d’absence, la flamme de la bougie réapparaît, comme pour le narguer et afficher sa détermination. Il ne sait que faire, Pierrou, partagé entre le désir d’oublier cette sombre histoire, et en même temps,  curieux d’élucider l’étrange phénomène. Après de nombreuses hésitations, il se décide une nuit à partir. Il avance, la peur au ventre, mais bien décidé d’aller jusqu’au bout. Il fonce, sans hésitations, droit sur la bougie, tend la main, arrache celle-ci d’un brusque revers. Elle lui échappe, roule et se perd dans l’herbe éparse. C’est nuit noire soudain autour de lui. Le vent se tait, une obscure chape de plomb semble s’appesantir sur toutes choses.  Pierrou regagne avec peine son domicile, l’esprit absent. L’idée d’avoir réussi à arracher la fameuse bougie ne lui procure aucune satisfaction. Il se met au lit. Il n’en ressortira jamais plus. 

     

    À quelques jours de là, tous les habitants de Peyrelevade apprendront que Pierrou est décédé, soi-disant après d’atroces souffrances, sans qu’on ait pu connaître la nature de son mal.  

    Que dire de plus ? Cette histoire qui n’a pas eu de témoins est une légende, qui véhicule en elle une morale. Elle se veut d’enseigner aux hommes modestie et humilité. Des vertus qui leur font souvent défaut. De leur rappeler enfin qu’il existe, quelque part dans l’au-delà, des puissances contre lesquelles ils ne peuvent rien et qui leur échapperont toujours… Ainsi que la bougie de la Croix du mouton, que plus jamais personne ne vit briller au cours des nuits sans lune…     

     

    René Limouzin

    Cette légende a été recueillie et transcrite par René Limouzin – Elle figure, entre autres, dans son dernier roman : “Les cèpes de la colère”, (Editions de la Veytizou). Un livre dont l'action se déroule en pays de Vassivière.
  • Le blaireau de bibliothèque : La bibliothèque au fond des bois

    blaireau BibliothequesAvec la lettre Z l'abécédaire du cyclisme en Limousin qui nous a tenus en haleine sur 26 numéros a pris fin. Après les mollets, notre nouvelle rubrique fera travailler nos yeux et nos méninges en proposant un petit tour des bibliothèques publiques ou privées du Plateau. Et à chaque étape on demandera au bibliothécaire de nous sortir des rayons un ouvrage de son fonds. On commence au bord d'un lac.

    Entre Peyrelevade et Faux-la-Montagne, une petite route mène à l'ancienne colonie de vacances d'EDF du lac Chamet, abandonnée depuis 15 ans, mais à nouveau habitée depuis 5 ans par une petite colonie de personnes qui ont voulu édifier ici une sorte de laboratoire de recherche informel, un « lieu d'étude » ouvert et hors les murs de l'université (Cf. IPNS n° 66). Qui dit labo de recherche (même informel !) dit aussi livres et bibliothèque. Le projet d'en installer une sur le lieu date de l'origine, mais il a fallu quelques années pour qu'il se réalise. Le temps de rendre habitable une des ruines de la vieille colo, la maison du gardien en l'occurrence, qui prenait l'eau et l'air – deux ennemis du papier !

     

    Ouvert tous les mercredis

    Aujourd'hui, deux salles entièrement refaites accueillent quelques milliers d'ouvrages et depuis cet été, cette bibliothèque privée s'est ouverte au public, à tous ceux qui voudraient d'abord y flâner pour repérer ce qui s'y trouve puis qui auraient envie de profiter de cette nouvelle ressource. Le lieu est donc ouvert tous les mercredis de 10h à 20h. Yannick, l'une des chevilles ouvrières de l'affaire, ancien bouquiniste sur les quais de Seine à Paris, est venu avec ses cartons remplis de livres auxquels se sont ajoutés des ouvrages donnés ou récupérés auprès d'amis et de relations. Aux quelques 5 à 6000 ouvrages ainsi réunis sont venus s'ajouter récemment 10 000 autres provenant du legs d'une psychanalyste décédée – ces livres ne sont pas encore en rayon car la place manque. Pas pour longtemps, car si la bibliothèque actuelle occupe le rez-de-chaussée de la maison, elle pourra se développer dans les années à venir en conquérant l'étage qui nécessite encore des travaux et surtout une réfection complète de la toiture – un gros budget. D'autres rayons s'y installeront un jour.

     

    Manuel de survie de Giorgio CesaranoSciences sociales

    Ce qu'on trouve dans cette bibliothèque ? Beaucoup de diversité. Mais ce qui domine ce sont les sciences sociales, un gros rayon philosophie, mais aussi des étagères consacrées à l'histoire, à la sociologie, à la politique, aux beaux-arts... On trouvera aussi un rayon sur la botanique et toute une partie consacrée à la littérature – française et étrangère – avec, entre autres, de la poésie et du théâtre. On pourra tomber sur un recueil de haïkus, sur les œuvres complètes de Lénine (une curiosité !), les livres de base des principales sciences humaines et des livres pour reconnaître les plantes ou jardiner. Un éclectisme apparent, tant l'ensemble respire une certaine unité, le reflet dirions-nous d'une aspiration à comprendre le monde et à y jouer un rôle actif, ne serait-ce que sur quelques arpents délaissés par le loisir social de la fin du XXe siècle.
    Sur place, on peut emprunter des livres (en particulier dans le rayon littérature et histoire) mais d'autres ne sont que consultables. Une table et des chaises et un gros poêle sont là pour ça. La bibliothèque n'est donc pas seulement un lieu de passage, c'est aussi un lieu de lecture, d'étude et d'échanges ; des évènements y seront parfois organisés et il y a même un coin lecture pour les enfants. Pour permettre de racheter les livres qui pourraient ne pas être rendus et participer aux frais quotidiens et à l'entretien du lieu, une caution-cotisation de 15 € est demandée qui permet d'adhérer à l'association. Alors, à un de ces mercredis au Chamet ?

     

    Michel Lulek

    Pour plus de renseignements :
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    Un livre sorti des rayons

    Manuel de survie de Giorgio Cesarano, édition la Tempête.

    Dès les années 1970, Cesarano observe que le développement du capitalisme sur l’intégralité de la planète exige de penser à nouveaux frais. Le monde comme les subjectivités sont désormais devenus fictifs. Les termes du conflit sont redistribués. Non plus « socialisme ou barbarie », mais « communisme ou destruction de l’espèce humaine ». Loin d’invoquer les formes historiques de la révolution, Cesarano propose d’un même mouvement une analyse profonde des développements du capital et une critique radicale des subjectivités contemporaines.

  • Le blaireau de bibliothèque : La bibliothèque féministe du Planning familial de Corrèze

    blaireau BibliothequesInstallées depuis plusieurs années dans les locaux associatifs qui jouxtent le Centre d'accueil de demandeurs d'asile de Peyrelevade, se trouvent pas moins de deux bibliothèques ! La médiathèque Marcelle Delpastre (on en parlera dans notre prochain numéro) et la bibliothèque du Planning familial, vieille association nationale née en 1956, dont l'antenne de la Montagne limousine date de 2015.

     

    1500 ouvrages sur les féminismes

    Tous les premiers mercredi du mois, la bibliothèque du Planning familial de Peyrelevade ouvre ses portes de 15 h à 19 h. Quatre bénévoles et deux salariés se relaient pour accueillir les visiteurs et visiteuses et animer le lieu. On peut venir lire ou emprunter gratuitement des classiques, des introuvables ou des nouveautés : au total un fonds de 1500 ouvrages qui s'enrichit chaque année sur les féminismes. Les deux bénévoles qui nous accueillent ce jour-là insistent sur le pluriel. D'abord parce que le féminisme a pris des formes très variées mais aussi parce ce mot ne doit pas être réduit aux seules questions concernant les femmes. « Les féminismes, explique l'une d'elles, sont mères de très nombreuses réflexions sur les minorités en général et posent la question du pouvoir et de la domination, du patriarcat, et sont aussi à l'origine des pensées intersectionnelles qui croisent les questions de genre, de classe et de race. » Elle précise également que « ce n'est pas que de la théorie » ce dont témoigne la diversité des ouvrages en rayon. Le classement des livres a fait l'objet d'un gros travail de réflexion de manière à bien identifier des thématiques différentes sans les mettre toutes sous le même chapeau féministe.

     

    il fallait que je vous le dise

    Vies potentielles d'un utérus

    Car s'il y a une étagère sur « les féminismes » d'autres thèmes sont clairement identifiés : parentalités, santé, pratiques sexuelles, troubles dans le genre, violences, orientations sexuelles, exils, relations affectives et amoureuses, histoire, travail, arts... L'un d'eux s'intitule « Vies potentielles d'un utérus » qui se décline en accouchement, avortement, contraception, grossesse, ménopause, règles. « On a créé ce rayon pour ne pas mettre tout cela sous la rubrique Santé dans laquelle on retrouve généralement ces thèmes. Ce ne sont pas des maladies et en créant cette catégorie on veut dépathologiser ces sujets.
    On a par exemple un (encore trop petit) rayon « ménopause ». Pour nous ce n'est pas un fait pathologique, mais bien un fait culturel comme le montre par exemple le livre de la sociologue Cécile Charlap La fabrique de la ménopause (CNRS éditions, 2019). » Il y aussi un gros stock de romans (où l'on croise Colette, Chloé Delaume ou Leïla Slimani), des revues, des bandes dessinées et deux rayons plus modestes destinés l'un aux ados, l'autre aux enfants. Ils pourront y lire par exemple La Grande princesse (pied de nez au Petit prince) qui leur fera découvrir des figures du féminisme. La bibliothèque organise aussi des arpentages, lectures collectives d'ouvrages qui peuvent ensuite être discutés, invite des autrices (comme Julia Pietri, influenceuse et auteure de deux livres pour enfants), anime parfois un atelier pour les enfants dans la médiathèque voisine et se déplace régulièrement dans des festivals ou manifestations où elle apporte des livres pour créer des espaces de repos et de repli, mi-salon mi-bibliothèque. Les responsables du lieu indiquent également qu'il est possible de venir le jeudi aux horaires de présence de l'équipe salariée (10h - 17h).

     

    Michel Lulek
    Contact : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
    Le catalogue en ligne : https://mabib.fr/planningduplateau/

    Un livre sorti des rayons
    Il fallait que je vous le dise, d'Aude Mermilliod (éditions Casterman, 2019)

    L’IVG (interruption volontaire de grossesse) reste souvent un évènement traumatique dans une vie de femme. Et d’autant plus douloureux qu’on le garde pour soi, qu’on ne sait pas dire l’ambivalence des sentiments et des représentations qui l’accompagnent. L’angoisse, la culpabilité, la solitude, la souffrance physique, l’impossibilité surtout de pouvoir partager son expérience. Avec ce livre, Aude Mermilliod rompt le silence, mêlant son témoignage de patiente à celui du médecin Martin Winckler. Leur deux parcours se rejoignent et se répondent dans cette bande dessinée émancipatrice.

  • Le futur Refuge des résistances d'Armand Gatti

    armand gattiRetour en arrière. En 2005, le poète dramaturge Armand Gatti revient sur le plateau. Il y était né une seconde fois à l'âge de 17 ans, lorsqu'en 1942 il y avait rejoint les maquis à Tarnac (Voir IPNS n° 14). 63 années plus tard, c'est là qu'il veut revenir, travailler, échanger, créer, observer les étoiles et résister au triste cours du moment. Il fait quelques lectures, dont celle de son poème hommage à Guingouin, un an plus tard, en septembre 2006, à la Berbeyrolle, où il fut maquisard (Voir IPNS n° 15). De nouvelles rencontres en découlent. Gatti revient régulièrement jusqu'en ce jour de printemps 2007 où, à Peyrelevade, il découvre le domaine de La Cour. Avec Hélène Chatelain, avec ses compagnons de route d'ici et d'ailleurs, le projet de faire de La Cour un "refuge des résistances" s'impose bien vite comme une évidence. Le vieux projet du poète de créer un observatoire des étoiles y trouve naturellement sa place. L'endroit, habité, reconquis par la vie, pourrait accueillir les résidences de création de Gatti qui rassemblent chaque année plusieurs dizaines de jeunes venus des quatre coins de l'Europe. L'idée d'une "Université européenne de création" s'impose. Des liens et des contacts avec des acteurs locaux laissent deviner de fructueuses et possibles complicités : on peut travailler la terre, entretenir les milieux sensibles qui font la richesse environnementale du domaine, y accueillir des visiteurs, y établir des bibliothèques, etc.

     

    paysageUn site exceptionnel

    C'est un petit paradis en son genre. Au dessus du lac Chammet, dans un site magnifique, le domaine de La Cour, d'une surface de plus de 100 hectares, regroupe une grande maison de pierre et tout un ensemble architectural : grange, chapelle, four à pain et vestiges d'une tour médiévale du XIIème siècle. En juin 2005, un rapport du CAUE (Conseil en architecture, urbanisme et environnement) de la Corrèze est réalisé à la demande du maire de Peyrelevade, Pierre Coutaud. L'intérêt patrimonial du domaine est souligné, tant pour la qualité du bâti que pour la richesse exceptionnelle de ses écosystèmes naturels. Ce dernier aspect fait à la même époque l'objet d'une étude écologique menée par le Conservatoire régional des Espaces naturels en Limousin qui souligne la présence de landes sèches, de pelouses sèches à Nard, de tourbières et de hêtraies à houx. La Cour offre donc "un agencement des habitats naturels typiques du plateau de Millevaches", dont certains, comme les pelouses sèches à Nard, "représentent des milieux devenus extrêmement rares sur le plateau". Il ressort de ces deux études que le domaine de La Cour présente une configuration unique en son genre, où intérêts écologique, paysager et pédagogique se conjuguent pour en faire un véritable condensé naturel et patrimonial du Millevaches.

     

    Une maison du Parc idéale

    refuge resistanceLa municipalité de Peyrelevade apprenant que le domaine risquait d'être mis en vente prend les devants. Souhaitant que l'ensemble du domaine garde sa cohérence foncière et son statut de lieu "ouvert" plutôt qu'il ne devienne un lieu clôturé ou qu'il ne soit démantelé, la commune avertit il y a deux ans le parc naturel régional, suggérant que soit étudiée la possibilité d'installer à La Cour la maison du Parc.

    Mais le parc ne réagit pas. Ni aux courriers du maire, ni aux rapports du CAUE et du Conservatoire qui lui sont envoyés. Personne ne vient visiter le site. Les mois passent, et... le propriétaire décide de mettre en vente le domaine. Mise à prix : 1 million d'euros (finalement descendu à 800 000 euros). Les premiers candidats à l'achat sont des promoteurs de chasses privées ou des opérateurs touristiques qui voudraient y implanter des gîtes pour les vacanciers. Les craintes de la municipalité se trouvent confirmées au moment même où La Cour fédère diverses initiatives qui pourraient transformer l'endroit en un lieu unique où se conjugueraient, dans l'esprit de résistance du plateau, création, invention, réflexion et action. Une université, un refuge, un théâtre, un carrefour... Les mots ont du mal à résumer le projet protéiforme qui pourrait s'incarner à La Cour. Mais les tergiversations du Parc et l'absence de moyens immédiatement mobilisables de la part de la municipalité ne permettront pas de faire de ce domaine exceptionnel ce qu'il aurait pu être : il vient d'être acheté par un privé décidé à y développer une activité d'élevage équin et d'accueil touristique.

     

    Une occasion perdue mais un projet toujours vivant

    Hélène Chatelain qui porte avec Gatti le projet de Refuge, explique : "Ce lieu préservé, à l’écart des tumultes, pouvait devenir à l’échelle européenne un foyer de création, de partage et d’échanges de pensée, fondamental parce que enraciné. Enraciné dans une terre, une communauté d’esprit, une réflexion sur les apprentissages et les savoirs. Sur un processus de création et de partage et une volonté d’ouverture sur d’autres questions, sur d’autres langues, sur d’autres langages. Une Université ? Un pôle ? Un phare ? Un centre ? Un catalyseur ? (Les mots sont si rapidement colonisés par la voracité langagière actuelle, qu’il faut les manier avec précaution de peur qu’ils ne se dessèchent ou se muent en leur contraire…).

    Ce qui est clair, c'est que le futur du domaine était un choix. Profond, radical. Ou il était cédé à des entreprises de rapport fondées sur le tourisme (et chacun sait aujourd’hui qu’elles peuvent devenir l’équivalent moderne des détrousseurs de voyageurs – comptant sur ceux qui passent et non sur ceux qui restent). Ou s'y incarnait la volonté puissante, concrète de renverser la fatalité historique de cette terre. Depuis la nuit des temps, les hommes partent du plateau. Aujourd’hui, ils veulent rester. Non au prix d’un enrichissement fallacieux, mais à celui de la dignité et du respect d’eux-mêmes et de cette terre, autonome, responsable. Des gîtes pour accueillir les passants, des granges où l’on pourra louer des carrioles à la semaine - il y en aura et c’est tant mieux - car la beauté du plateau le mérite.

    Le Limousin a été naguère le centre d’un monde.

    Le Plateau des mille sources fut le centre d’une résistance.

    La Cour pouvait devenir le centre d’une réflexion - multiple - sur le monde qui s’annonce, face à la destruction programmée des langues, des langages et des espèces.

    Il y avait là aussi une fatalité á refuser. Et une opportunité - rare - à saisir.

     

    L'occasion perdue ne détruit cependant pas les envies qui s'étaient exprimées. D'autres lieux sur le Plateau, sur la commune même de Peyrelevade, pourraient accueillir le projet de Refuge des résistances ou quelque chose qui n'a pas encore de nom, quelque chose qui n'a pas encore de "programmes" ou de "cahiers des charges", mais qui émane du désir et des rêves de quelques-uns. Quelque chose qui n'a pas encore d'identité, mais déjà une âme.

    Autour d'Armand Gatti, de Pierre Coutaud, de leurs amis limousins du plateau, de Limoges (Cercle Gramsci) ou de Tulle (Peuple et Culture), le projet émerge, se construit, se fédère. Il n'est ni limité, ni arrêté. Encore en devenir. Ses promoteurs veulent le partager, l'élargir et appellent tous ceux qui se sentent concernés ou attirés par cette expérience à venir les rejoindre. Déjà des actes concrets sont posés. Un autre lieu est recherché. Une résidence de création au cours de l'été 2008 est prévue sur le Plateau autour de Gatti et de personnes venues de toute l'Europe – résidence à laquelle sont également conviés les gens du Plateau ou du Limousin qui voudraient s'associer à une telle expérience. Un blog existe sur Internet qui donne toutes les informations actuellement disponibles sur le projet de Refuge. Une association sera peut-être créée prochainement. Une réunion enfin est programmée pour présenter le projet en ses limbes et l'accompagner avec tous ceux qui sont motivés par cette idée urgente et nécessaire : il faut résister.

     

    Michel Lulek
  • Le Magasin général de Tarnac fait sa mue

    Symbole d’une revitalisation du Plateau depuis 17 ans, le Magasin général de Tarnac (MGT) entame une seconde carrière via la création d’une structure associative en remplacement d’une société à responsabilité limitée (SARL).

     

    magasin general tarnac camion

    Historique

    À l’origine, l’arrivée d’un groupe de personnes liées par des désirs politiques et installées depuis 2004 sur la ferme du Goutailloux, à quelques encablures du village. Son but ? En faire un lieu d’expérimentation et d’organisation en dehors du mode de vie dominant.
    « Des dizaines de personnes sont venues acheter pas mal de petites fermes dans ce coin devenu un pilier de la contestation, explique un Tarnacois d’alors. Mais cette arrivée massive a divisé la population, les uns estimant que les Jeunes avaient semé la pagaille, les autres qu’ils ont fait vivre le Plateau. »
    Toujours est-il que, dès 2007, Trois d’entre eux avaient repris le restaurant ouvrier du bourg en louant les murs à son propriétaire dans le cadre d’une société à responsabilité limitée (SARL) pour que se maintiennent les activités d’épicerie, bar et cantine populaire. Ils avaient également continué à faire tourner le camion-relais pour approvisionner les hameaux et villages des alentours.
    Les bonnes volontés se sont ensuite succédé pour faire vivre le magasin et en 2018, le groupe a décidé d’acquérir les murs du MGT grâce notamment à un financement participatif.

     

    De la SARL à l’Association MGT

    Liquidée au 31 décembre 2023, la SARL passe alors le témoin à une association de bénévoles constituée le 8 janvier 2024, qui loue les murs à la SCI propriétaire. Son conseil d’administration, composé actuellement de sept membres, est collégial. Il pilotera entre autres les bénévoles, tant anciens que nouveaux, qui auront pour tâche d’œuvrer ensemble, en osmose, pour relever ce nouveau défi.
    Ses missions, inscrites dans une charte, visent à créer et développer un lieu de vie ouvert à toutes et tous, favorisant les rencontres et l’entraide, sur fond d’une offre générale accessible et respectueuse de l’environnement. Un règlement intérieur, destiné aux membres de l’association, en explique les modalités de fonctionnement interne.
    Afin de préparer la reprise dans les meilleures conditions possibles, divers groupes se sont formés en vue d’analyser les tenants et aboutissants des différentes composantes d’un tel enjeu : élaboration d’un planning des bénévoles susceptibles d’occuper les créneaux horaires concernant l’épicerie et le bar ; démarches juridiques et administratives ; embauche de deux salariés, l’un pour la comptabilité et le développement de l’épicerie, l’autre en charge des approvisionnements ; contact avec les fournisseurs et producteurs locaux ; réaménagement des locaux ; communication.
    Après l’ouverture, dans le cadre du fonctionnement régulier, des réunions se tiendront entre bénévoles par pôles concernés (épicerie-bar-cantine), afin de fluidifier les liaisons nécessaires.

     

    carte postale tarnacL’ADN de l’ancien…
    comme du nouveau commerce

    Enfin, il importe de mentionner un élément de poids, au sens propre comme au sens figuré, dans ce nouveau paysage : le célèbre camion des trois tournées différentes effectuées en campagne chaque semaine, et qui couvrent l’étendue de plusieurs communes : Tarnac, Peyrelevade, Gentioux, Faux-la-Montagne, La Villedieu, Nedde, Rempnat, La Nouaille... Bien reconnaissable, il fait partie de l’ADN du MGT, dont il est le phare ambulant. Parmi ses soixante à soixante-dix clients.es selon la saison, donnons la parole à Madame Rebière : « Je prends tout au camion du MGT, et ainsi, je ne demande rien à personne… » De fait, le véhicule institutionnel permet à cette dame âgée de continuer à vivre en autonomie et dignement, sans avoir à se sentir redevable. Il poursuit ainsi une mission de solidarité assignée de longue date.
    « La nouvelle équipe s’ouvre aux villageois », plaide le groupe producteurs : « Ce territoire peu peuplé, au climat rude, difficile à cultiver en raison de terres pauvres et acides, peu mécanisables, rend difficile le développement de projets agricoles et artisanaux. Le MGT offre aux producteurs et artisans locaux un soutien non négligeable. En favorisant au mieux les produits locaux dans ses rayons, il apporte une solution partielle à nos difficultés de commercialisation. Et là, contrairement à la grande distribution, il joue à plein un rôle social territorial essentiel en soutenant la pérennisation des petites activités économiques locales, ce qui est pour nous une chance, mais aussi une bonne chose pour la clientèle. »
    En parallèle, hommage est rendu au staff ancien qui, malgré les difficultés, a eu « le courage de se relancer dans un projet collectif ouvert à l’ensemble des habitants volontaires de Tarnac. Ainsi, le magasin se transforme dans l’objectif de mieux servir le village et le territoire environnant. Il serait même pertinent que d’autres magasins de ce type puissent voir le jour sur le Plateau. »
    Ce groupe « producteurs » compte dès maintenant 8 membres et devrait s’étoffer rapidement. Pour ceux qui acceptent de tenir une permanence à l’épicerie, le Magasin abaisse sa marge.
    Quant au groupe « fournisseurs », il a effectué un tri de produits pour plusieurs profils de clientèles, avec un glissement vers des produits écologiques en lieu et place de produits chimiques, « quand on a le choix, tout en ayant le souci de ne pas augmenter le prix du panier moyen. »

     

    Vendredi 19 avril 2024, jour J

    Il est 8h30. Après celles du bar la veille, l’épicerie du MGT vient de rouvrir ses portes, à l’issue d’un intermède de trois mois nécessaires au changement de structure juridique. À bas bruit pour une reprise en douceur…
    Christiane, cliente depuis longtemps, fait le tour des rayons : « C’est magnifique, ils ont bien travaillé !», s’exclame-t-elle. Quant à Bernadette et Liliane, qui vivent à Tarnac depuis une quarantaine d’années, elles affichent une fidélité sans faille à l’égard du Magasin qui représente pour elles beaucoup plus qu’un simple lieu où elles viennent s’approvisionner en duo : « On y vient tous les jours, pour nos courses bien sûr, mais surtout pour prendre au bar ou sur la terrasse un petit sirop ou un café, et y passer un moment convivial avec les uns et les autres. C’est bon de voir de nouveau le village revivre… » Quant au camion-relais, il a repris la route dès le vendredi 3 mai. « Les pilotes étaient impatients », a publié le groupe communication.
    Restera à la jeune association à envisager l’avenir du troisième pilier de la trilogie, à savoir la cantine. Il est à l’étude. Enfin, le tout sera agrémenté d’un programme d’activités festives et culturelles prévues dans l’enceinte du bar, et qui restent encore à définir.

     

    Michel Rouault
  • Le vent souffle en Limousin

    Depuis 3 ans quelques projets éoliens sont en réflexion dans notre région. Leur aboutissement apparaît long car de nombreuses démarches sont à suivre. Petit tour d'horizon de l'éolien en Limousin à travers les différentes étapes d'un projet.

     

    parc eolien peyrelevadeViennent tout d'abord les questions préliminaires (3 à 6 mois)

    • gisement de vents (supérieur à 6m/s soit environ 20 km/h).
    • proximité du réseau électrique (facilité de raccordement en souterrain).
    • respect des règles d'urbanisme (création d'une Zone de Développement Eolien dans le Plan Local d'Urbanisme, c'est le cas par exemple de Peyrelevade pour la mise en place de quelques éoliennes supplémentaires).
    • impact local et environnemental (proximité des habitations, site classé, couloir de migration...).
    • concertation avec les habitants et tous les acteurs.

    L'élaboration de ce pré-diagnostic est facilitée depuis peu par la publication du «schéma régional éolien» commandité par la région Limousin.

     

    Viennent ensuite les mesures sur le terrain (environ une année)

    • mesure de l'intensité et l'orientation du vent avec l'installation d'un mât de mesure sur 1 an minimum
    • simulation de l'impact paysager et sonore
    • étude sur le milieu naturel

    Ces différents paramètres vont permettre d'élaborer l'étude d'impact.

     

    Dernière et périlleuse étape : le permis de construire (de 1 à plusieurs années)

    Une fois toutes les études réalisées, le permis de construire est déposé et il s'en suit une enquête publique, c'est la phase où se situe le projet des 7 éoliennes Castelmarchoises (Châtelus-le-Marcheix) et du projet de 4 éoliennes sur les 2 communes de la Souterraine et Saint-Agnant-de-Versillat côté Creuse ; côté Haute-Vienne d'une dizaine d'éoliennes sur 3 commmunes (Lussac-les-Eglises, Saint-Martin-le-Mault et Jouac).

    Le permis de construire est ensuite délivré en fonction du résultat de l'enquête publique et de l'avis de la direction départementale de l'environnement, service départemental de l'architecture et du patrimoine, l'aviation civile... Le projet des 7 éoliennes de Lestards est depuis le mois d'août 2007 dans les mains du préfet de la Corrèze.

    Cependant les délais peuvent s'allonger par un recours porté auprès des services de la préfecture pour annuler les avis. C'est une démarche que l'association des amis du paysage Bourganiaud a entreprise, contre le permis construire accordé à 9 éoliennes sur les communes de Saint Dizier Leyrenne et Janaillat (23), sans gain de cause.

    Les recours peuvent se poursuivre ensuite devant le tribunal administratif.

    Notons que le permis de construire a été accordé aux éoliennes de la Blanche en Corrèze (Communes de Davignac, Péret Bel Air et Ambrugeat) après de nombreux recours administratifs et surtout la mobilisation des habitants et élus qui se sont regroupés dans une association, la plus importante de France favorable à un projet éolien, qui compte aujourd'hui plus de 1300 adhérents. Les 7 prochaines éoliennes en Corrèze devraient voir le jour dans ces 3 communes du plateau courant 2008.

    Du côté de la Creuse, un permis a été accordé sur la commune de Chambonchard qui, ironie du sort, devait être rayée de la carte quelques années auparavant pour un projet de barrage hydraulique.

    En Haute-Vienne c'est un petit projet d'une éolienne à Lastour porté par des agriculteurs et habitants qui vient d'obtenir le permis de construire (construction prévue en 2009).

    Les quelques projets en marche dans notre région montrent que le Limousin a un rôle a jouer dans le développement des énergies renouvelables comme ce fut le cas il y a quelques années avec les barrages hydroélectrique.

    Cependant si l'on souhaite atteindre l'objectif de division par quatre des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050, notre pays doit d'une part augmenter de façon considérable la part des énergies renouvelables dans son mix énergétique mais également se doter d'une politique rigoureuse d'économie d'énergie.

     

    Rémi Gerbaud
  • Les cochers chauffeurs limousins dans la région parisienne

    taxiPendant près d’un siècle - de 1880 à 1970 - une grande partie de la Montagne limousine a vécu au rythme des allers et retours des cochers de fiacre, puis des chauffeurs de taxi, à tel point que la nationale 20 dans sa traversée de Montrouge, entre la porte d’Orléans et la Vache Noire, était surnommée l’avenue des Limousins. Pourtant cette émigration a été peu étudiée. Liliane et Christian Beynel réparent cet oubli en se basant sur le travail de leur fille, Lauriane Beynel, qui a réalisé sur le sujet un mémoire de maîtrise.

     

    Contrairement à celle des marchands de vin de Meymac qui ont inspiré plusieurs chercheurs comme Marc Prival, ou celle des maçons de la Creuse analysée par des historiens de renommée comme Alain Corbin, l’émigration des cochers et chauffeurs n’a en effet pas été très étudiée. Nous nous sommes interrogés sur cette différence de traitement. Les maçons et les marchands de vin ont connu des sagas qui dépassent notre Landernau. Pensons aux Janoueix, Moueix¸ Nony, etc., qui ont fait souche dans la région de Saint-Émilion, aux Pitance de la Villedieu, installés à Lyon, partis de rien et créateurs d’une petite multinationale dans le domaine du bâtiment. L’émigration des cochers-chauffeurs, certes beaucoup plus humble par son ampleur, a pourtant profondément marqué notre région. Ses traces sont encore vivantes dans le bâti de nos villages et dans nos mentalités même si les effets s’atténuent avec le temps.

     

    cocher« Le pays est si ingrat... »

    Cette émigration débute dans les années 1880. Nous n’avons pas retrouvé le Jean Gaye Bordas (premier marchand de vin de Meymac-près-Bordeaux) des cochers, aussi nous ne connaissons pas avec exactitude le fondateur de cette migration du travail, mais tout laisse à penser que les premiers cochers sont partis de la partie centrale du Plateau où leur nombre est particulièrement élevé. En cela, nous pouvons faire un rapprochement avec les Savoyards, presque aussi présents que les Corréziens dans ce métier, venus principalement de la Haute-Maurienne. Ces pays pauvres sont très peuplés. La densité des communes de notre canton était 7 à 8 fois supérieure à sa densité actuelle. Les conditions de vie étaient difficiles, une précarité énergétique et même parfois alimentaire sévissait. La tuberculose faisait de nombreux ravages. Les hommes étaient obligés d’aller chercher du travail pour ramener un peu d’argent dans une région qui en manquait cruellement. Les premiers départs sont des migrations temporaires comme celles des maçons creusois et ceci dès le Moyen-âge. Dans la partie corrézienne, l’émigration temporaire commence par celle des scieurs de long, en direction des Landes et des Pyrénées. Le maire de Bugeat, en 1819, s’en fait l’écho : « Le pays est si ingrat que sans l’émigration annuelle de nos scieurs de long qui nous débarrasse pendant l’hiver du tiers de notre population qui est bien faible pour l’étendue, que sans leur travail forcé dans les Landes, le pays aurait bien du mal à vivre. »

    Ce métier de scieur de long, exigeant physiquement se pratiquait l’hiver. Les hommes partaient après les semailles du seigle et revenaient pour celles du printemps et surtout pour les foins qui demandaient une main d’œuvre nombreuse. En 1872, le recensement de Saint-Merd-les-Oussines en dénombre 45 et seulement 6 en 1906. Les cochers de fiacre ont pris la relève mais avec l’ouverture de la ligne de chemin de fer Ussel-Limoges en 1883, les femmes commencent à suivre leur mari.

     

    Au Cadran Bleu, à Levallois-Perret

    taxi renault ag1 noir et blancEntre ces migrations aux directions opposées, dans des milieux très différents, il y a néanmoins de nombreuses similitudes. Ce sont avant tout des métiers de ruraux. La conduite du fiacre est assez facile pour ces fils de petits paysans habitués au maniement des attelages même si l’apprentissage des rues de Paris l’est beaucoup moins et surtout, comme les autres métiers des émigrés limousins (garçons de café, marchands de vin ou de toile, maçons), ils permettent de revenir au pays pour les travaux ruraux.

    La colonie limousine se spécialise dans ce métier de cocher de fiacre puis dans celui de chauffeur de taxi, les uns attirant les autres. La plupart du temps, les jeunes qui « débarquaient » étaient accueillis par les parents ou les voisins et hébergés dans les hôtels tenus par des « pays » comme au Cadran Bleu, près de la gare de Levallois-Perret, longtemps  refuge des Meymacois. Leur premier travail, souvent, était laveur de voitures, puis graisseur avant d’obtenir le fameux certificat de capacité tant envié car il était synonyme de promotion.

    Pour mesurer l’importance des Limousins dans cette profession, nous nous sommes servis des listes électorales de Levallois-Perret de 1912 et avons recensé 734 cochers et 1 120 chauffeurs. Les Limousins représentent 9,4 % des cochers et 29,46 % des chauffeurs. Ils sont surtout très nombreux dans la profession des chauffeurs où la région devance largement les autres. Les Savoyards sont un peu moins de 9 %, ceux du Massif Central, avec en tête les Aveyronnais, 21 %. Un chauffeur sur deux est de langue occitane et un sur quatre est limousin. En plus de ceux qui sont recensés à Levallois, nombreux, surtout parmi les saisonniers (ceux qui ne travaillaient qu’une partie de l’année), sont recensés dans leur commune d’origine. En 1910, nous en trouvons 22 à Meymac, 15 à Sornac, 26 à Peyelevade.

    Mais cette émigration ne concerne qu’une partie du Limousin. En nous servant des lieux de naissance des émigrés, nous avons pu cartographier l’origine des cochers-chauffeurs habitant Levallois-Perret. Ce métier est avant tout celui des originaires de la Montagne limousine. Meymac arrive en tête avec 24 chauffeurs (sans compter ceux recensés au pays), suivi par Sornac avec 22 chauffeurs, Peyrelevade 21, Saint-Setiers 19 et Tarnac et Saint-Merd-les-Oussines 17, etc. C’est donc bien, une spécialisation locale de la partie haute de la Montagne limousine corrézienne.

     

    Levallois-Perret, premier village de la Montagne limousine

    Le recensement de 1896 indique pour Levallois-Perret une population de 46 542 habitants dont 4 442 sont nés en Corrèze et 660 en Creuse. Les Corréziens émigrés, pour la plupart de fraîche date, sont plus de 9,4 % de la population de cette commune. Ils ne sont devancés que par les Aveyronnais qui pratiquent souvent le même métier et une langue occitane légèrement différente. C’est l’époque d’une curieuse société que l’écrivain local René Limouzin - lui-même fils de chauffeur - décrit dans son livre Paris-sur-Sarsonne (éditions les Monédières, 1981). Nos Corréziens vivent entre eux, fréquentent les cafés des « pays » dont un s’appelle encore « Le Limousin » (mais sa clientèle est composée aujourd’hui de cadres), vont aux bals des Corréziens de Paris dont le premier président est François Laroubine, originaire de Saint-Merd-les-Oussines, habitent les mêmes immeubles. Les femmes, par contre, ne s’aventurent que rarement en dehors de leur quartier.

     

    carte chauffeurs levallois perret

     

    Nous avons cartographié leurs lieux d’habitation à partir des listes électorales de 1912. Les Corréziens habitent surtout à proximité de la place Collange où se tient le garage de la G7, entreprise moderne, capitaliste, fondée par le Comte Walewski en 1902, qui possédait à la veille de 1914 2 590 automobiles. Chiffre considérable, nécessitant une mise de fonds très importante, les voitures étant construites de manière artisanale. Curieusement, les originaires de la vallée de la Maurienne habitent eux à proximité de Paris, à l’opposée de la G7, bien qu’elle emploie nombre d’entre eux.

     

    Le travail des taxis

    Une fois le sésame obtenu, c’est-à-dire le certificat de capacité à la conduite des taxis, nos compatriotes vont se lancer à l’assaut des rues de Paris qui, pour eux, est un vrai champ de bataille. Imaginons leur premier jour de travail dans une ville qu’ils connaissent mal, au volant d’une voiture peu fiable, dérapant facilement sur les pavés surtout ceux en bois qui étaient encore nombreux. Ils étaient payés au pourcentage de la recette (en principe, ils recevaient 27 % de la recette mais ils devaient payer jusqu’en 1912 le benzol). Quelques fois, ils faisaient une course drapeau en l’air, c’est-à-dire qu’ils ne déclenchaient pas le taximètre qui enregistrait les kilomètres et le montant de la course. C’était pour eux une manière de se faire un petit supplément.

    Le travail est dur par sa durée. Nos ancêtres taxis ne comptaient pas leurs heures qui n’étaient pas limitées. Certains commençaient très tôt, vers 6 heures du matin, et après avoir signé la feuille de route, partaient pour une longue journée qui pouvait atteindre 15 heures pour certains. Beaucoup ne se reposaient jamais, en particulier parmi les petits propriétaires, c’est-à-dire ceux qui sont propriétaires de leur licence et de leur voiture. En effet, leur but était de gagner un maximum d’argent dans un minimum de temps et de l’apporter au pays pour reprendre la ferme familiale ou préparer la retraite. Quelques-uns étaient des saisonniers, c’est-à-dire qu’ils partaient travailler l’hiver et revenaient au printemps (cette tradition a perduré jusqu’en 1960). Paris, pour eux, n’était qu’une étape dans leur vie, un moyen de revenir au pays dans de bonnes conditions. Beaucoup n’ont jamais marché sur les Champs-Élysées ou sur le boulevard Saint-Michel. Leur seul loisir était de fréquenter les « pays » dans quelques bistros où ils retrouvaient leurs compatriotes, comme le café de la Poste à Levallois-Perret tenu par un originaire du Treich de Tarnac ou celui de la rue Fouquet, rendez-vous des originaires de Peyrelevade et de Saint-Merd-les-Oussines. D’une certaine manière, ils avaient organisé une contre-société qui tournait le dos à l’agglomération parisienne.

     

    Les Limousins à la tête du syndicat des cochers chauffeurs

    gourdon muratLes cochers puis les chauffeurs s’organisent pour défendre leur corporation selon leur expression en un syndicat unitaire qui voit le jour en 1889. Ils disposent depuis d’un journal Le Réveil des cochers- chauffeurs qui existe toujours. Ce syndicat dirigé au départ par des Aveyronnais va, à partir de 1898, compter quatre secrétaires limousins. Le premier est Jacques Mazaud, originaire de Meymac, remplacé par Eugène Fiancette de la Courtine. Ce dernier dirige la grande grève de 1911-1912 qui durera 144 jours, à propos de la rémunération des chauffeurs, ceux-ci refusant de payer le benzol. Grève très dure qui transforme Levallois-Perret en un véritable camp retranché, marqué par la mort d’un chauffeur et par l’échec de la grève. Il devint sénateur et ami de Pierre Laval qui fut l’avocat du syndicat pendant la grande guerre et vota les pleins pouvoirs à Pétain. De cette époque date la Fraternelle automobile, société mutuelle d’assurance, installée aujourd’hui à Clichy. En revanche, la maison commune des taxis de la rue Cavé à Levallois a disparu. Le troisième secrétaire corrézien est Damien Magnaval de Gourdon-Murat qui fut un meneur des grèves des années 1930 et poursuivit son engagement en rejoignant les brigades internationales en Espagne où il trouva la mort dans les Asturies en 1938. Le quatrième est Gérard Ducouret de Saint-Brice en Haute-Vienne qui est en poste en 1968, période où les chauffeurs observent une grève de près d’un mois.

     

    L’impact des cochers-chauffeurs sur notre région

    Elle est moins spectaculaire que celle des marchands de vin de Bordeaux. Les taxis n’ont pas construit d’aussi belles maisons que celles que nous rencontrons dans les quartiers du Jassonneix ou de la Montagne à Meymac, mais leur impact est loin d’être négligeable. Des villages entiers comme celui des Maisons (commune de Saint-Merd-les-Oussines) ont été en grande partie élevés avec l’aide des taxis qui à Levallois se contentaient de petits logements sans confort. Certains ont même construit ou réparé des bâtiments agricoles qui n’ont jamais réellement servi.

    Cette différence entre nos différents types d’émigration se retrouve jusque dans les cimetières : les tombes des marchands de vin sont spectaculaires, marquant pour la postérité leur réussite, tandis que celles des cochers-chauffeurs sont beaucoup plus modestes. Tout comme l’impact politique de ces métiers. Les marchands de vin ont plutôt penché à droite ou vers le parti radical, tandis que les cochers-chauffeurs, formés à la dure lutte syndicale, ont penché très tôt vers le parti socialiste. Avant 1914, ils fréquentaient la section socialiste des originaires de Paris et en 1904 plusieurs chauffeurs étaient adhérents de la section locale du Parti Socialiste de France dirigé par Jules Guesde. En 1920, la majorité du syndicat des chauffeurs va choisir le jeune parti communiste et il est probable que ce choix a pesé sur la vie politique de notre région avec, il est vrai, d’autres influences comme celle de Marius Vazeilles.

     

    Liliane et Christian Beynel
  • Les préfectures coupent sournoisement les vivres aux associations

    asso sub rougeCet article, voici des années qu’IPNS le couve. Si jusqu’alors nous n’avions pas pris le sujet à bras-le-corps c’était pour différentes raisons : des associations qui nous rapportaient leurs déboires avec l’administration ne voulaient pas « envenimer les choses », préféraient « jouer l’apaisement » et ne pas prêter le flanc à la critique, craignaient des rétorsions, si on révélait comment l’État, via les préfectures, s’immisçait dans leur financement, l’octroi d’un emploi aidé ou d’un agrément, au-delà pourtant de ce qui leur semblait légitime.
    Pour écrire cet article, nous avons rencontré de nombreuses actrices et acteurs associatifs qui préfèrent se taire. Ne paraissent donc ici qu’une petite partie de cette série de scandales. Pour « ne pas être reconnaissables ». Parce qu’elles craignent si elles parlent de perdre d’autres aides publiques qu’elles ont encore. Parce que les bénévoles et salariées associatives reçoivent des avertissements directs, de l’intérieur de l’administration, leur disant qu’ils sont surveillés.
    Ces derniers mois, nous avons reçu plusieurs nouveaux témoignages, y compris de cette administration, qui nous poussent tout de même à mettre une partie de ces informations sur la table. Il faut raconter ce qui se passe.

     

    Des associations limousines qui se retrouvent dans le collimateur de l’État et de ses préfectures, cela ne date pas d’hier. Il y a quelques années, une série de rétorsions a touché plusieurs associations. Nous sommes en 2018 et des mobilisations autour de la défense d’exilés sont très médiatisées. La préfète de la Creuse Magali Debatte et son secrétaire général Olivier Maurel se déclarent « en guerre » contre le Plateau (voir IPNS n°65). Même avant, les choses avaient commencé à mal tourner pour les associations considérées comme contestataires par ces représentants de l’État.

     

    Vengeance à l’emploi aidé

    En mai 2017, quelques citoyens souhaitent organiser une réunion sur le thème des « violences policières » et demandent à réserver la salle des fêtes de Faux-la-Montagne. Comme les organisateurs ne sont pas structurés en association 1901, ils demandent à l’association Pivoine de réserver la salle pour cette réunion, ce que l’association fait sans problème, comme elle le fait régulièrement pour que la salle soit assurée, et la commune couverte en cas d’accident. La préfecture repère aussitôt cette réunion qu’elle juge douteuse. Elle écrit à la mairie afin de la mettre en demeure de ne pas prêter la salle municipale, usant d’un chantage au financement. En substance :  Si vous tenez à ce que l’État finance la mise aux normes de l’école (gros chantier alors entrepris par la commune), n’accueillez pas cette réunion. (lettre de la préfecture à la maire de Faux-la-Montagne, mai 2017).
    La réunion est finalement délocalisée à La Villedieu. En réponse, l’État prive cette commune d’une Dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), qui était réputée acquise quelques jours plus tôt.
    À la même période, d’autres communes de Creuse font l’objet d’un chantage à la DETR, la préfecture exigeant qu’elles changent des délibérations qui ne lui convenaient pas. « Messieurs, quand on me chie dans les bottes, je prends des mesures de rétorsion » leur déclare alors M. Maurel d’une façon puérile qui peut surprendre pour un haut fonctionnaire.
    D’autres mesures de rétorsion vont suivre en 2017. On est en pleine période de distribution des contrats aidés pour les associations. La préfecture n’ayant pas trouvé de moyen de pression financière sur Pivoine, tout se déroule comme si elle décidait de se venger sur d’autres associations de Faux-la-Montagne. Alors que les interlocuteurs à la direction de la Jeunesse et des Sports étaient confiants, le contrat aidé du Constance social club, une association de Faux-la-Montagne alors en train de se configurer en centre social, n’est pas renouvelé. Cette décision de janvier 2018 sapera le moral de l’association et de ses animatrices, qui n’en comprendront pas les raisons. L’association, bénéficiant d’un soutien indéfectible de la CAF, développera une énergie colossale pour se relever de ce coup de Trafalgar mais n’y parviendra jamais vraiment.

     

    Batailles de ministères

    Aujourd’hui, les préfectures généralisent cette nouvelle politique de suppression discrétionnaire des subventions. Dans des domaines où la décision de subventionner dépendait de critères comme l’intérêt du projet ou le sérieux de l’association, la décision dépend maintenant de l’opinion politique des préfets.
    Les préfectures et leurs services de police invalident des subventions y compris contre l’avis des fonctionnaires spécialisés qui étaient auparavant chargés d’en décider. C’est une répression financière que les victimes ne peuvent jamais prouver. Rien n’empêche l’administration d’écrire « votre projet est refusé faute de crédits », même lorsque quatre mois plus tôt on déclarait la subvention acquise (l’aventure est arrivée cette année à Télé Millevaches).

    Au journal IPNS, nous voyons des fonctionnaires nous parler tels des lanceurs d’alerte : discrètement et à condition que leur hiérarchie ne puisse pas les identifier.
    Ils et elles craignent de perdre leur emploi. Disent : je suis fonctionnaire de tel ministère, je suis chargé d’évaluer l’action des associations dans tel département, je défends leur demande de subvention auprès de ma hiérarchie. Puis j’apprends que la préfecture régionale leur interdit toute subvention ou bloque leur versement, ainsi qu’à plusieurs associations du Plateau de Millevaches ou assimilées, pour des raisons politiques. Je ne peux plus rien faire. Je fais remonter le scandale à ma hiérarchie, qui le fait remonter en face des services de renseignement et de police à la préfecture régionale à Bordeaux.
    Des fonctionnaires de l’Intérieur, de la Culture, de la Santé ou de Jeunesse et Sports bataillent entre eux. Maintenant, une subvention de 5 000 euros à une association culturelle du plateau de Millevaches fait l’objet de luttes entre d’un côté les fonctionnaires chargés de cela qui voient que l’association remplit bien son rôle, et d’un autre côté les fonctionnaires de police qui refusent que le moindre euro public ne soit donné à toute une série d’associations jugées trop politisées.

     

    monde associatif

     

    Ce sont des petites luttes

    Le Battement d’ailes, grand lieu d’expérimentation créé en 2005 à Cornil (Corrèze) grâce au soutien de subventions, a vu un financement d’Etat de 350 000 euros pour les « manufactures de proximité » lui être refusé début 2022 à cause de l’intervention de la préfecture de Nouvelle-Aquitaine. Le dossier du Battement d’ailes avait pourtant été classé premier à l’unanimité des fonctionnaires lors du premier examen en commission. L’ingérence des services de la préfète de Nouvelle-Aquitaine Fabienne Buccio et/ou du préfet délégué à la sécurité en Nouvelle-Aquitaine Martin Guespereau ont eu raison de la liberté d’action des projets du Battement d’Ailes. Nous avons tenté de joindre le préfet délégué à la sécurité pour le présent article. Il ne nous a pas répondu.

     

    Pour des ateliers d’éducation à l’image auprès d’enfants et d’adolescents qu’elle organise pourtant depuis plusieurs années grâce aux mêmes subventions, Télé Millevaches vient d’apprendre en octobre 2022 que, subitement, elle n’aurait plus les 8 500 euros prévus, que lui avait pourtant clairement octroyés la Direction régionale des affaires culturelles quatre mois plus tôt.

     

    IPNS, qui bénéficie depuis quatre ans du fonds de soutien aux médias de proximité (3 500 € par an) n’a appris que fin novembre 2022 qu’il recevra finalement bien cette somme. Le journal correspond parfaitement aux critères selon les fonctionnaires du ministère de la Culture en charge de ces dossiers. On explique à IPNS que l’aide arrivera bien mais qu’on cherche un circuit de versement qui permette « d’éviter le passage en préfecture de Région » !

     

    Toutes les associations ne reçoivent pas des subventions
    En France, environ 4 associations sur 10 ne perçoivent aucune subvention. Parmi celles qui en reçoivent, la plupart (57,2% des associations françaises) les reçoivent des communes. Celles-ci sont parfois très limitées (200 € par exemple) et ont surtout une dimension symbolique. Seules 14,7% des associations reçoivent des subventions des départements, 5,4% des régions, 5,4% de l’État et 0,4% de l’Europe. C’est dire que les associations sont loin d’être largement subventionnées !

     

    On est à un point où à l’intérieur de l’État des fonctionnaires d’autres ministères imaginent des circuits alambiqués de financement pour ne pas contredire ou déplaire à ceux, tout puissants, du ministère de l’Intérieur.
    On est dans une région où fleurissent de nombreux projets qui sont entravés alors qu’ils seraient soutenus à fond ailleurs, dans des villes ou des campagnes où il n’y a aucun projet.

     

    Le Planning familial de Peyrelevade a été supprimé d’une invitation dans un programme de la préfecture de la Corrèze pour les femmes victimes de violence en milieu rural en Haute-Corrèze alors qu’il fait partie du réseau violences de Haute-Corrèze et est référent sur les questions de santé sexuelle et de violences sexiste et sexuelle dans le Contrat local de santé de ce territoire.

     

    Quand le journal La Trousse corrézienne a demandé des crédits au Fonds de développement de la vie associative (FDVA) en 2022, prévus pour soutenir les actions des associations envers leurs bénévoles, il s’est vu opposer un « refus préfecture ».

    Lors d’une réunion de la commission qui attribue ces FDVA en 2022, ce sont cinq dossiers d’associations corréziennes qui sont apparus sur une liste noire fournie par la préfecture de la Corrèze aux membres de la commission. Cinq dossiers à jeter impérativement à la poubelle. Aux demandes de précisions émises par des participants, il a été répondu qu’elles appartenaient à « l’ultragauche » ou ne respectaient pas « le contrat d’engagement républicain » ou que « l’honorabilité de leurs dirigeants » n’était pas acquise. Il s’agit de l’association pour la Conservation et l’expérimentation paysanne et écologique (de Tarnac), de La Trousse corrézienne et de trois autres associations également extrêmement dangereuses pour la sûreté de l’État, dont nous n’avons pas pu nous assurer qu’elles accepteraient d’être citées dans le présent article.
    Pour expliquer le refus d’une subvention à Peuple et Culture, acteur historique de la vie culturelle de Tulle, il a été répondu à l’association que cela tenait à la participation d’une représentante de Peuple et Culture à une manifestation qui avait eu lieu lorsque Gérald Darmanin était venu à Tulle en septembre 2021.
    Le tiers-lieu de Tarnac, PTT, qui a postulé à un appel à manifestation d’intérêt « Fabrique de territoires » a reçu un « avis très défavorable » de la préfecture de la Corrèze. Vous devinez pourquoi ? En tout cas, le jour où PTT appelle la préfecture pour savoir où en est son dossier, c’est la panique. Le fonctionnaire bégaye au téléphone, ne sachant que dire, comment le dire, et faisant celui qui ne sait pas – mais sans le talent qui le rendrait crédible. Quelques mois plus tard, la même association qui était pourtant la mieux à même en Haute-Corrèze de répondre à un autre appel à projets pour mettre en place des conseillers numériques sur le territoire, a été prévenue indirectement que la préfecture avait été catégorique : « C’est même pas la peine que PTT se porte candidate » - sous-entendu : son dossier sera refusé d’office.
    Un photographe, en Creuse, a appris qu’une subvention prévue pour son travail serait interrompue sur consignes de la préfecture.

    Arrêtons ici la litanie. Il est clair que les bâtons dans les roues, la suspicion et les mesures de rétorsion ne sont pas anecdotiques et exceptionnelles. Elles peuvent aussi être lues à la lumière du positionnement de l’État vis-à-vis des associations tel qu’il s’est exprimé à travers la loi confortant les principes républicains (dite loi séparatisme) et son contrat d’engagement républicain. La Hongrie et la Pologne n’ont pas le monopole de l’illibéralisme.

     

    Tout le monde aime les subventions

    En France, la part de l’argent public dans l’économie est particulièrement importante. Les subventions ne soutiennent pas que les associations sans but lucratif, loin de là. D’importantes filières capitalistes promptes à critiquer l’intervention de l’État bénéficient largement de l’argent public. Quelques exemples :
    Aides à la presse : Le Parisien – Aujourd’hui en France : 11,9 millions d’euros de subventions en 2021 pour ce journal qui défend les intérêts de son propriétaire le milliardaire Bernard Arnault. Le Figaro : 7,7 millions d’euros de subventions en 2021 pour cet organe du groupe Dassault. La Montagne : 577 000 euros de subventions en 2021. (source : « Tableau des titres de presse aidés en 2021 », culture.gouv.fr)
    Aide à l’industrie : 42 millions d’euros en soutien aux 16 mégabassines dans les Deux-Sèvres dont celle de Sainte-Soline. Dans ce projet lamentable, les fonds publics payent 70 % des dépenses. - Dans l’exploitation industrielle de la forêt : 20 à 40 % du coût d’une abatteuse est aujourd’hui financé par l’argent public (avant, c’était encore plus). (« Aide à l’équipement des entreprises de mobilisation des produits forestiers », commission permanente de la Région Nouvelle-Aquitaine, 7 novembre 2022). - Un demi-million d’euros publics pour chauffer les serres de Rosiers-d’Égletons. - Plusieurs centaines de milliers d’euros publics pour ériger le méthaniseur de Pigerolles.
    Aides aux cabinets de conseil : 497 800 euros à McKinsey pour réfléchir au « marché de l’enseignement », pour un colloque finalement annulé ; minuscule exemple dans le milliard d’euros versé chaque année par le gouvernement Macron à ses amis des cabinets de conseil pour générer des « powerpoints » souvent très légers.

     

    Le contrat d’engagement républicain

    Depuis le premier janvier 2022, toute association recevant des financements publics doit signer un « contrat d’engagement républicain ». Imposé par la loi du 24 avril 2021 « confortant le respect des principes de la République », il s’agit d’un engagement unilatéral de l’association à respecter 7 engagements :

    - Engagement N° 1 : Respect des lois de la République (« Le respect des lois de la République s’impose aux associations et aux fondations, qui ne doivent entreprendre ni inciter à aucune action manifestement contraire à la loi, violente ou susceptible d’entraîner des troubles graves à l’ordre public. »)

    - Engagement N° 2 : Liberté de conscience (« L’association ou la fondation s’engage à respecter et protéger la liberté de conscience de ses membres et des tiers »)

    - Engagement N° 3 : Liberté des membres de l’association (« L’association s’engage à respecter la liberté de ses membres de s’en retirer »)

    - Engagement N° 4 : Égalité et non-discrimination (« L’association ou la fondation s’engage à respecter l’égalité de tous devant la loi. »)

    - Engagement N° 5 : Fraternité et prévention de la violence (« L’association ou la fondation s’engage à agir dans un esprit de fraternité et de civisme. »)

    - Engagement N° 6 : Respect de la dignité de la personne humaine

    - Engagement N° 7 : Respect des symboles de la République (« L’association s’engage à respecter le drapeau tricolore, l’hymne national, et la devise de la République. »)

    Certains de ces engagements ne choqueront personne, mais d’autres sont plus discutables et surtout plus interprétables... C’est pourquoi la plupart des représentants du monde associatif, Haut Conseil à la vie associative en tête (un organisme tout ce qu’il y a de plus officiel, placé auprès du Premier ministre) ont critiqué ce contrat d’engagement républicain. Qu’est ce qu’ « entraîner des troubles à l’ordre public » ? À partir de quand ne respecte-on pas les « symboles de la République » ? Où commence, où finit « un esprit de civisme » ? À Poitiers, le préfet de la Vienne a estimé que l’association Alternatiba avait enfreint le contrat d’engagement républicain en organisant un atelier sur la désobéissance civile... Chez nous, de manière informelle, c’est le non-respect de ce même contrat qui a été mis en avant pour justifier le retrait de plusieurs dossiers d’une commission d’attribution de subventions... Ce contrat est ressenti clairement par les associations comme un signe de défiance - ce qu’il est clairement - d’autant qu’en aucun cas il n’est demandé aux entreprises qui reçoivent aussi des subventions de l’État de signer un tel acte d’allégeance. Les entreprises seraient-elles naturellement républicaines ?

     

    Michel Lulek et Alan Balevi

    Lire aussi «Comment la loi « Séparatisme » permet aux préfectures de frapper les associations au porte-monnaie», paru sur basta.media le 23 novembre 2022.
  • Ouverture du Cada d’Eymoutiers

    2014. Un CADA (centre d’accueil pour demandeurs d’asile) s’est créé à Eymoutiers. Un an plus tard, un autre CADA ouvre à Peyrelevade, suivi de la création de plusieurs CAO (centre d’accueil et d’orientation) destinés initialement à accueillir les déplacés de la “jungle“ de Calais. Ces arrivées ont déclenché un vaste mouvement de solidarité et de multiples réflexions autour de l’accueil de ces exilés dans de nombreuses communes du Plateau et alentour.

     

    Les migrations sur le Plateau ne datent pas d’hier

     

    Après la Première guerre mondiale le nombre d’étrangers décuple en Limousin pour atteindre en 1936 1,19 % de la population. S’il s’agit d’une immigration de travail majoritairement masculine et issue des régions pauvres d’Europe, ces exilés fuient aussi les dictatures naissantes (1922 en Italie, 1926  au Portugual) et les aléas climatiques (inondations catastrophiques de 1925 en Belgique). Les intrications des motifs d’exil ne datent pas d’hier. Ils travaillent dans les mines, (Lavaveix-les-Mines), ardoisières et carrières. Des Italiens s’installent à leur compte comme tailleurs de pierres avec leurs familles dans des conditions extrêmement dures (Sardent). 

     

    migrants

     

    La Seconde Guerre mondiale

    De 1936 à 1939 les réfugiés de la guerre d’Espagne arrivent par vagues successives, et sont globalement bien accueillis du fait de la solidarité en particulier des communes communistes du Plateau. En 1939 la Haute Vienne accueille les évacués alsaciens (dont Châteauneuf-la-Forêt, Eymoutiers qui  double en quelques semaines sa population) dans des conditions éprouvantes. Les évacués seront incités à rentrer en 1940, après l’annexion de l’Alsace par l’Allemagne, mais un nombre important restera (juifs, antinazis, francophiles).

    En 1939 le gouvernement  réquisitionne les étrangers et réfugiés (dont les Espagnols encore dans les camps) pour les usines d’armement et crée en 1940 des groupements de travailleurs étrangers (GTE). Ces GTE auront différentes spécificités : camps disciplinaires (pour indésirables ou suspects à Saint-Germain-les-Belles) ou de travail (barrages, bucheronnage et autres travaux agricoles, travaux publics). Après l’occupation de la zone libre, beaucoup d’étrangers des GTE, rejoindront la résistance dans les FTP MOI (main d’œuvre immigrée), par conviction antifasciste et pour échapper au service de travail obligatoire (STO) (Barrage de l’Aigle en Corrèze). Les juifs étrangers, puis français, seront regroupés dans des centres spécifiques. Suite aux rafles et déportations de 1942 une partie de la population se mobilisera pour mettre à l’abri enfants et adultes (il y aura aussi des dénonciations). Beaucoup d’habitants des communes du Plateau figurent parmi les “justes“.

     

    Immigration de travail

    Après la guerre et jusqu’en 1973, date de l’arrêt de l’immigration de travail, on assiste à une vague d’immigration dans toute la France. Sur la Montagne limousine, dès les années 1960 (accord franco-turc en 1965) des Turcs arrivent pour travailler dans la filière bois. Ils travailleront dans des conditions de travail et de salaire très dures. On les retrouve à Peyrelevade, Egletons, Mainsat et surtout à Bourganeuf où ils représentent aujourd’hui 15 % de la population (mais un certain nombre des enfants ont la double nationalité). Ils sont d’origine rurale et souvent issus des mêmes villages. À partir des années 1970 les familles viendront rejoindre les hommes via le regroupement familial. Bourganeuf a fait un gros travail d’intégration (cours de français, mise en place de femmes relais). Si initialement ils ont été logés en HLM, beaucoup sont aujourd’hui propriétaires de leur maison.  Dans les années 1980, suite aux licenciements, certains s’installent comme entrepreneurs forestiers, reproduisant les conditions de salariat qu’ils avaient eux-mêmes connues mais  leur méconnaissance des règles administratives ou comptables, l’irrégularité de paiement des tâches effectuées en ont conduit beaucoup à la liquidation. Les enfants investissent d’autres métiers. Il existe une forte endogamie (conjoints issus des villages d’origine). Cette population garde de fortes attaches avec sa culture d’origine.

     

    Hollandais, Cambodgiens, Kurdes...

    Dans les années 1960 des agriculteurs normands, des métayers mayennais et des Hollandais attirés par la disponibilité des terres et les conditions favorables des lois Pisani s’installent sur le Plateau. On citera pour mémoire l’engouement des Hollandais et Anglais dans les années 1980 pour les maisons limousines. De la fin des années 1970 au début des années 1980, alors que l’immigration est stoppée, en pleine crise économique, la France accueille à bras ouverts 128 500 réfugiés vietnamiens et cambodgiens sauvés en mer de Chine… Une quarantaine d’entre eux passeront l’hiver 1984-1985 à Peyrelevade. Quelques années plus tard, en 1989, c’est au tour d’une soixantaine de Kurdes irakiens fuyant les persécutions. Le maire de l’époque parle de redynamisation du village, de maintien de l’école… Les Kurdes, même s’ils ne sont pas restés, gardent un bon souvenir de l’accueil.

     

    Fete LimousineCrise du droit à l’asile

    Les réfugiés des années 1980 comme les exilés d’aujourd’hui n’ont pas eu le choix de venir dans notre Montagne : ils y ont été placés, mais ils apprécient la qualité de l’accueil par la population. Certains souhaitent rester. La situation aujourd’hui est très différente. Si dans les années 1980, en dépit de la crise économique, ils avaient la quasi-certitude d’être régularisés et de s’intégrer, ce n’est plus le cas. La législation s’est considérablement durcie et l’exilé est avant tout suspect. La majorité n’obtiendra pas l’asile. Nous n’assistons pas aujourd’hui à une crise migratoire mais à une crise du droit à l’asile. Les immigrés finissent au fil des générations par se diluer dans la population. Ils ne figurent plus dans les statistiques car ils deviennent Français. Seuls leurs patronymes, quelques associations culturelles viennent témoigner de leur origine. Ils sont partie prenante de notre histoire.

     

    Dominique Weber-Alasseur

     

    zizimUn prince turc à Bourganeuf au XVe siècle !

    Le prince Djem Sultan - dit Zizim - sera emprisonné pendant deux ans dans la tour du même nom à Bourganeuf.
    Cela se passait de 1483 à 1486.

     

     

    Les hommes circulent, les idées et les luttes aussi !
    On retrouve des natifs du Plateau parmi les insurgés de la Commune de Paris. Ces migrants importeront des idées neuves. Le syndicalisme paysan se développe au début du XXe siècle et le communisme dès 1920. Dans l’entre-deux guerres la majorité des communes du Plateau deviennent communistes, initiant le communisme rural. En 1922 (puis de façon plus organisée et politisée en 1932), les Italiens recrutés en 1920 dans les carrières du Maupuy en Creuse posent des revendications syndicales  en réaction aux conditions particulièrement indignes de travail et de logement. Les agriculteurs normands, mayennais, hollandais arrivés dans les années 1960  introduiront de nouveaux modes d’exploitation (vaches laitières et surtout le tracteur).

     

    Déportation !
    De 1962 à 1982, à l’initiative de Michel Debré, alors député de la Réunion, de nombreux enfants réunionnais sont retirés à leurs familles par la DDASS et placés en familles d’accueil (parfois exploités et maltraités) dans le but de “repeupler la Creuse“ et d’autres départements ruraux. Ce n’est qu’en 2014 que l’Assemblée nationale reconnaitra la responsabilité morale de l’État dans ce transfert forcé de population qui a des airs de déportation.
  • Peyrelevade supprime son étang

    Le partage des eaux entre les activités humaines, mais aussi entre le besoin humain et celui des milieux aquatiques naturels, est un enjeu majeur et cette tendance devrait s’accentuer dans le siècle à mesure que s’installe une plus forte incertitude climatique. Le travail qui reste à accomplir est considérable. Après avoir longtemps drainé les zones humides, canalisé les cours d’eau, d’importants efforts sont aujourd’hui consacrés à leur restauration. On en a un exemple concret sur le Plateau, à Peyrelevade. Un étang y a été mis en eau en 1986, mais avec des effets négatifs sur la qualité de l’eau, sur les poissons, sur le débit de la rivière... Le plan d’aménagement global mis en œuvre à l’époque est devenu inadapté aux enjeux actuels et à venir. La solution a été radicale : le plan d’eau a été supprimé. Explications.

     

    digue etang peyrelevade

     

    Une législation qui évolue

    En 1974, dans le cadre d’un projet d’aménagement global, la commune de Peyrelevade se dote d’équipements de loisirs à destination de la population : terrains de foot, de tennis, de camping, etc. La digue de l’étang communal est créée en barrage du lit de la Vienne. La mise en eau de l’étang de 10 hectares est faite en 1986.

    Le plan d’eau a alors le statut d’« eaux libres » : les poissons y sont res nullius (qui n’appartient à personne), dans une eau définie comme « patrimoine commun de la nation ». L’eau de la Vienne qui traversait le plan d’eau est res communis : les propriétaires riverains peuvent en user sous réserve qu’il n’y ait pas d’incidence sur son débit.

    La commune, en plus de son investissement de départ, a dû équiper l’étang au fur et à mesure d’une réglementation évoluant avec la connaissance et la prise de conscience des enjeux liés à la nature. À la création de l’étang, la Vienne était notamment classée cours d’eau à poissons migrateurs (article L 432-6 du code de l’environnement), ce qui a impliqué la création d’une passe à poisson en 1986, néanmoins jugée non fonctionnelle dès le départ. En 2000, la commune créé une pêcherie et un bassin de décantation pour minimiser les risques de pollution et permettre la gestion du poisson lors des vidanges. En 2000, c’est aussi un cadre européen sur l’eau qui augmente le niveau d’exigence pour maintenir ou restaurer « le bon état écologique » des milieux aquatiques. La directive-cadre sur l’eau maintient le principe de libre circulation des poissons, l’étend aux organismes aquatiques et introduit la nécessité du libre transfert des sédiments d’amont en aval. La transposition en droit français correspond à l’évolution de la loi sur l’eau en 2006. Les lois Grenelle (2009 et 2010), participent également à démocratiser le principe de la continuité écologique. Les obligations réglementaires s’intensifient pour la commune en 2012, en application de la loi sur l’eau, lorsque la Vienne est classée « Liste 2 » en juillet 2012, et imposent une mise en conformité dans un délai de 5 ans de la continuité écologique au niveau du plan d’eau.

     

    Une réglementation en décalage avec les réalités de terrain ?

    L’ancienne digue du plan d’eau correspond à une limite (arbitraire) entre deux bassins hydrographiques pour lesquels « l’état écologique » est mesuré depuis environ 20 ans. Il est calculé sur la base de paramètres biologiques (poissons, invertébrés, algues, herbiers) et physico-chimiques, tout en définissant les pressions qui s’exercent sur le bassin (continuité écologique, morphologie, hydrologie, phytosanitaire…). 

    La Vienne perd deux classes de qualité entre l’amont et l’aval, en passant du très bon état écologique à un état moyen. L’étang créait une perturbation thermique majeure par réchauffement des eaux du plan d’eau envoyées vers l’aval : en été la différence thermique entre l’aval et l’amont montait jusqu’à +12°C, soit des températures régulièrement supérieures à 25°C en aval (cf. figure 1). La température létale pour la truite est de l’ordre de 20°C (cf. figure 2). 

     

    Schema des effets du plan d eau peyrelevade

    Figure 1 : Schéma des effets du plan d’eau sur le substrat, la température et l’état écologique - © PNR ML, 2020.

     

    effet etang peyrelevade

    Figure 2 : Effet de l’étang sur le peuplement piscicole - © FDPPMA 19, 2017. 

     

    etang peyrelevade 1974La digue bloquait les sédiments dans le plan d’eau : des sédiments fins qui à chaque vidange venaient colmater les substrats en aval, en particulier les frayères à truites, les habitats de moules perlières et autres espèces. Les sédiments plus grossiers comme les sables et graviers, bloqués eux aussi, inhibaient les dynamiques physiques du cours d’eau, avec notamment un important déficit de sédiment.

    En parallèle, à l’heure où les incertitudes climatiques génèrent de plus en plus d’angoisse, confirmée par les constats de tension sur l’eau (périodes d’étiages prolongés et répétés, voire d’assecs), il est nécessaire de visualiser que l’étang de Peyrelevade est le premier obstacle d’une longue série jusqu’à l’océan. Les surfaces d’eau en amont des digues sont soumises à une forte évaporation comprise entre 0,51 et 6 litres par seconde et par hectare. À hauteur de 0,5 l/s/ha, l’évaporation de l’étang de Peyrelevade correspond a minima à la consommation annuelle d’eau potable de 700 foyers2.

    Toutes ces raisons se cumulaient pour arriver à une conclusion radicale : il faut supprimer l’étang de Peyrelevade.

     

    Supprimer le plan d’eau

    etang peyrelevadeFaire évoluer son cadre de vie, changer le paysage, perdre un patrimoine, une incompréhension de la réglementation, autant de raisons pour une partie des habitants et des élus de Peyrelevade de refuser la perte du plan d’eau. Plusieurs études3 de la FDPPMA (Fédération départementale de pêche et de protection des milieux aquatiques) pour proposer des scénarios d’évolution du plan d’eau en réponse au cadre réglementaire ont été menées (contournement par la rivière, suppression). En 2013, le Parc naturel régional de Millevaches a conduit une étude socio-paysagère(4) pour mesurer notamment l’attractivité du plan d’eau, ses aménités, et le niveau d’acceptation d’un projet de suppression du plan d’eau. En 2015, une réunion publique en présence d’une cinquantaine d’habitants a permis de lever certains freins à l’acceptation de la suppression comme étant la solution la plus économique, la mieux financée et la plus efficace pour les milieux aquatiques. Le coût des travaux (dont maîtrise d’œuvre) s’élève à 311 000 € HT financés à 60 % par l’Agence de l’eau et 30 % par l’Europe (FEDER). L’opportunité du renouvellement du programme Sources en action (www.sourcesenaction.fr) pour la période 2017-2022, coordonné par l’Établissement public territorial du bassin de la Vienne et le PNR de Millevaches pour contractualiser les financements de l’opération (Agence de l’eau) sous maîtrise d’ouvrage de la commune a été saisie en 2016.  Avec l’accompagnement technique de la FDPPMA de la Corrèze et du PNR, une dernière étude de dimensionnement des travaux (déplacement des réseaux de la digue, devenir des matériaux bétons, maintien du droit d’eau du moulin du Luguet...) a été menée en 2016-2017. 

     

    Un chantier en cours

    Les travaux ont débuté en juin 2019. La maîtrise d’œuvre est assurée par le bureau d’étude Impact Conseil basé en Creuse. La première étape a été la création de bassins provisoires pour récupérer les boues charriées en période de travaux et les sédiments fins de l’étang. Les travaux ont été interrompus sur la période estivale pour éviter les dérangements sur l’activité touristique, notamment sur le camping. Une présentation du projet a été faite en juillet 2019 auprès d’une soixantaine d’habitants du bourg. De septembre à novembre, les réseaux (haute-tension, assainissement, eau potable) ont été déplacés et désamiantés. Le déversoir (passe à poisson) a été démoli et les matériaux de la digue ont été profilés pour obtenir un paysage sans rupture depuis la route. 

    Dans le courant du printemps 2020, une végétalisation de la zone de travaux sera effectuée dans l’esprit d’un remplacement progressif par les espèces locales. L’ancienne digue sera plantée de quelques arbres et arbustes (bouleau, genévrier, pin sylvestre). Les 100 premiers mètres de la rivière en amont du pont seront consolidés par des fascines de saules pour la protection du pont. Le canal du moulin de Luguet sera recréé à ciel ouvert pour permettre son alimentation en eau (droit d’eau historique) et le chantier se terminera par la remise en état des bassins de décantation en aval pour retrouver la zone humide d’origine. 

     

    Demain

    Bien qu’il ne s’agisse que d’une approche qualitative basée sur quelques témoignages, l’acceptation sociale du nouveau paysage semble désormais bonne et plus unanime. Un sentiment de fierté s’exprimera peut-être bientôt. 

    Le développement de l’offre touristique sur et autour du camping, la réhabilitation du sentier d’interprétation de Rebière-Nègre, le développement des activités halieutiques sur le lac du Chammet, la conservation des zones humides sur l’emprise du plan d’eau, les travaux pour maintenir une avifaune typique du Plateau, le développement d’une activité pêche de la truite sur la rivière restaurée, la gestion paysagère globale autour de l’opération « Habiter mieux les bourgs », le développement de l’activité pastorale sur les zones humides sur et autour du plan d’eau sont autant de projets en réflexion.

     

    Guillaume Rodier

    Contacts : Mairie de Peyrelevade 
    Guillaume Rodier (PNR de Millevaches en Limousin) : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. 05 55 96 97 01

    1 - Compilation de données bibliographiques (AFB, 2012) : 0,5 l/s/ha correspond à une étude du CEMAGREF de Bordeaux sur 3 étangs creusois.
    2 - (Nbre de secondes/an x 10 ha x 0,5)/1000 = 157 700 m3 / (150 à 200 m3 d’eau consommée par foyer) = 788 à 1 050 foyers)
    3 - Tous les documents (études, résultats de suivis, cahier des charges) sont en accès libre sur https://sourcesenaction.fr/realisations/effacement-etang-peyrelevade/
    4 - Tous les documents (études, résultats de suivis, cahier des charges) sont en accès libre sur https://sourcesenaction.fr/realisations/effacement-etang-peyrelevade/ 

     

    La centrale nucléaire de Civaux, plus grosse consommatrice d’eau de la Vienne !

    À l’échelle du bassin de la Vienne, jusqu’à sa confluence avec la Loire, la consommation d’eau pour les différents usages se répartit comme suit :
    - 82,6 Mm3 pour l’eau potable de foyers
    - 44 Mm3 pour l’irrigation
    - 36,5 Mm3 pour l’industrie (hors centrale nucléaire)
    - 105 Mm3 pour la centrale nucléaire de Civaux dont 36 Mm3 évaporés
    - les étangs représentent environ 113,5 Mm3, dont 1,5 % issus de l’étang de Peyrelevade. 
    Données synthétisées par l’Établissement Public Territorial du Bassin de la Vienne (2019)
  • Vers un Emmaüs sur la Montagne limousine

    emmausDepuis plusieurs années, le projet de mieux structurer l'accueil des exilés chez nous est porté par différents groupes sur le Plateau, à Felletin, Tarnac, Royère, Peyrelevade, Eymoutiers, Faux-la-Montagne... Une partie de ceux-ci se retrouve aujourd'hui autour de la création d'un organisme d'accueil communautaire et d'activités solidaires (Oacas) qui prendrait la forme d'un Emmaüs. Explications des porteur.se.s du projet.

     

    Comment ce projet est-il né ?

    Le groupe Exilé·es du Syndicat de la Montagne limousine se crée en novembre 2020 et met en lien une dizaine de structures d'accueil d'exilé.es sur le territoire. Il se réunit régulièrement afin de mettre en commun ses réflexions sur l'accueil et les difficultés rencontrées comme l'obtention de titres de séjour, l'isolement des personnes accueillies par leur interdiction d'accès au travail, la nécessité d'une autonomie financière et leur envie pour la plupart d'activités régulières. Émerge alors l'idée de monter une structure à l’échelle du territoire pour fédérer ce qui existe déjà en partie de manière informelle mais aussi pour consolider l’accueil, répondre aux difficultés rencontrées et permettre une protection aux exilé.es. En mai 2022, une quinzaine de membres du groupe Exilé·es du Syndicat font un voyage d'étude à la rencontre de différentes structures d’accueil en France qui ont l'agrément Oacas pour mieux comprendre en quoi consiste cet agrément et ce qu'il pourrait nous apporter. Cela mène le groupe jusque dans la vallée de la Roya (où une ferme des Alpes-Maritimes a rejoint le réseau Emmaüs), avec notamment des étapes aux Restos du cœur Vogue la galère (à Aubagne), au Mas de Granier (une coopérative Longo Maï des Bouches-du-Rhône) et à l’Après M (un ancien Mc Do récupéré par ses salarié·es à Marseille). Suite à ce voyage, la quinzaine de personnes actives dans le groupe Exilé.es décide de devenir un groupe pilote et de travailler au montage et à la réalisation d'une structure d'accueil commune disposant de l'agrément Oacas.

     

    Mais pourquoi vous intéresser à cette formule Oacas ? Qu'apporte-elle de particulier ?

    Proposer aux personnes exilé.e.s de faire partie d’un Oacas/Emmaüs permet de leur offrir un cadre sécure au sein duquel elles pourront bénéficier à la fois d’activités régulières formant à un ou des métiers, d’un accompagnement administratif et juridique (obligatoire au sein d’un Oacas), de cours de français, d’une vie et d’un réseau communautaires.
    En plus de cela, trois ans passés au sein d’un Oacas peuvent constituer un atout majeur dans la demande de régularisation effectuée à l’issue de cette période, même si l’obtention d’un titre n’est pas automatique.

     

    Aujourd'hui où en êtes-vous ?

    En 2022, nous décidons de rejoindre les communautés Emmaüs parce qu’on partage les valeurs de ce mouvement international et que notre projet est en adéquation avec celles-ci : lutte contre l’exclusion et la pauvreté, solidarité, accueil inconditionnel. Des valeurs que nous portons sur notre territoire depuis la création de nos associations et parce que nous sommes déjà en contact avec d’autres communautés Emmaüs qui ont des projets similaires et que nous avons envie de pouvoir co-construire avec elles. Mais on ne devient pas Emmaüs par une simple adhésion. Avant cela, il y a une période probatoire qui dure deux ans avant d'être officiellement reconnu comme une communauté Emmaüs.

     

    groupe emmaus

     

    De par leur fondateur, l'abbé Pierre, les communautés Emmaüs sont-elles confessionnelles ?

    Les communautés Emmaüs ne sont subordonnées à aucune autorité spirituelle, religieuse ou autre, même si son fondateur était d’obédience chrétienne. Il s’agit avant tout d’un mouvement laïque dont l’accueil se veut inconditionnel, pour que toute personne puisse trouver une place dans la communauté quelque soit son parcours, son origine, sa situation administrative, ou sa religion.

     

    Plusieurs communautés Emmaüs ont été récemment critiquées pour la manière dont elles traitent les compagnes et compagnons qu'elles accueillent. Qu'en pensez-vous ?

    Il est important de savoir que chacune des 122 communautés Emmaüs qui existent en France actuellement est indépendante dans ses choix de gestion économique et sociale. Pour notre part nous désapprouvons les pratiques contraires aux valeurs du mouvement Emmaüs qui sont appliquées dans certaines communautés mises en lumière récemment. Le statut Oacas est un agrément qui est censé protéger les personnes et non les rendre esclaves d’un système. Les compagnes et compagnons d’Emmaüs participent à des activités solidaires et à la vie des communautés, non à un travail salarié. Nos réflexions concernant la participation aux activités des personnes accueillies ne sont pas encore finalisées dans les formes, mais nous sommes d'avis que l'objectif premier réside dans le fait de mettre en place un accompagnement personnalisé de chaque personne en fonction de ses besoins. D'ores et déjà, nous sommes particulièrement attentif.ve.s à la qualité des liens entre ceux et celles qui accueillent et qui sont accueillies. Nous avons le souhait d'élaborer le cadre de notre structure avec les personnes accueillies, de le penser ensemble. Un groupe de soutien psychologique qui existe déjà en lien avec des professionnel.le.s du soin au niveau local pourrait par ailleurs créer une cellule d'écoute et de suivi psychologique auprès des personnes accueillies et nous prévoyons d'embaucher un ou une psychologue.

     

    shema emmaus

     

    Concrètement que sera la communauté Emmaüs de la Montagne limousine ?

    Il s'agira d'une communauté agricole destinée à accueillir dignement et durablement des personnes exilé.es sans papiers. Ce sera une structure à l'image de notre territoire à la dynamique forte et à la géographie éclatée, une entité qui réunira trois lieux d’hébergements (à Tarnac, Faux-la-Montagne et Felletin) où se dérouleront des activités solidaires agricoles : une conserverie (en création avec des apports alimentaire des producteurs locaux), une cantine solidaire (en réflexion), du maraîchage (sur des terres cultivées en sol vivant depuis 15 ans et vendant en circuit court) et d’autres activités comme une pépinière (en cours de création), une boulangerie (pain au levain dans un fournil en marche depuis plus de 15 ans), de la menuiserie, des activités dans le bâtiment (rénovation en chantier solidaire encadré par des professionnels), des activités avec la ressourcerie Court-Circuit de Felletin, etc. Comme on peut le voir sur le schéma ci-dessous, il y aura des liens constants entre ces trois lieux et leurs activités.

     

    Combien de personnes pourront être accueillies ?

    Nous souhaitons accueillir 5 personnes au début, puis monter jusqu’à 15. Nous sommes actuellement en train d'acquérir une maison à Tarnac qui sera à la fois un lieu d'hébergement, lieu des activités de conserverie et de cantine solidaire, et un lieu d'événements communautaires.

     

    Vous pouvez nous en dire plus sur le projet de conserverie ?

    Des productions locales de légumes mais aussi des récoltes issues du glanage, une fois transformées, permettront de proposer un certain nombre de produits (jus, confitures, tartinades, chutneys, etc) au profit de l’association. Des entretiens sont en cours avec les producteurs et productrices de la Montagne limousine pour connaître leurs besoins et l’utilité que présenterait la conserverie pour leur activité. En effet, pour les artisan.e.s qui le souhaitent, un service de transformation personnalisé sera proposé.

     

    Quelles sont donc les prochaines étapes ?

    Nous sommes dans la phase de mise en œuvre du projet. Suite à un accompagnement du DLA (Dispositif Local d’Accompagnement), nous avons consolidé les budgets de fonctionnement et réalisé la charte et règlement intérieur de la structure. La prochaine étape, en janvier 2024, est l'achat de la maison communautaire à Tarnac. Nous y ferons ensuite des travaux pour pouvoir accueillir en septembre 2024 les premiers compas et mettre réellement en place la communauté. Aujourd'hui, notre priorité est de finaliser le financement de l'achat de la maison pour un montant de 180 000 € environ (frais de notaire et d'agence inclus) et pour cela nous avons lancé un appel à dons qui est toujours ouvert ! Des fondations nous soutiennent mais nous avons encore besoin d'apports pour boucler le budget en particulier pour financer les travaux qui suivront l'achat.

     

    Comment aider, soutenir, devenir bénévole ?

    > Faire un don sur la campagne Hello Asso : https://www.helloasso.com/associations/montagne-accueil-solidarite-de-peyrelevade
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