Après la Première guerre mondiale le nombre d’étrangers décuple en Limousin pour atteindre en 1936 1,19 % de la population. S’il s’agit d’une immigration de travail majoritairement masculine et issue des régions pauvres d’Europe, ces exilés fuient aussi les dictatures naissantes (1922 en Italie, 1926 au Portugual) et les aléas climatiques (inondations catastrophiques de 1925 en Belgique). Les intrications des motifs d’exil ne datent pas d’hier. Ils travaillent dans les mines, (Lavaveix-les-Mines), ardoisières et carrières. Des Italiens s’installent à leur compte comme tailleurs de pierres avec leurs familles dans des conditions extrêmement dures (Sardent).
De 1936 à 1939 les réfugiés de la guerre d’Espagne arrivent par vagues successives, et sont globalement bien accueillis du fait de la solidarité en particulier des communes communistes du Plateau. En 1939 la Haute Vienne accueille les évacués alsaciens (dont Châteauneuf-la-Forêt, Eymoutiers qui double en quelques semaines sa population) dans des conditions éprouvantes. Les évacués seront incités à rentrer en 1940, après l’annexion de l’Alsace par l’Allemagne, mais un nombre important restera (juifs, antinazis, francophiles).
En 1939 le gouvernement réquisitionne les étrangers et réfugiés (dont les Espagnols encore dans les camps) pour les usines d’armement et crée en 1940 des groupements de travailleurs étrangers (GTE). Ces GTE auront différentes spécificités : camps disciplinaires (pour indésirables ou suspects à Saint-Germain-les-Belles) ou de travail (barrages, bucheronnage et autres travaux agricoles, travaux publics). Après l’occupation de la zone libre, beaucoup d’étrangers des GTE, rejoindront la résistance dans les FTP MOI (main d’œuvre immigrée), par conviction antifasciste et pour échapper au service de travail obligatoire (STO) (Barrage de l’Aigle en Corrèze). Les juifs étrangers, puis français, seront regroupés dans des centres spécifiques. Suite aux rafles et déportations de 1942 une partie de la population se mobilisera pour mettre à l’abri enfants et adultes (il y aura aussi des dénonciations). Beaucoup d’habitants des communes du Plateau figurent parmi les “justes“.
Après la guerre et jusqu’en 1973, date de l’arrêt de l’immigration de travail, on assiste à une vague d’immigration dans toute la France. Sur la Montagne limousine, dès les années 1960 (accord franco-turc en 1965) des Turcs arrivent pour travailler dans la filière bois. Ils travailleront dans des conditions de travail et de salaire très dures. On les retrouve à Peyrelevade, Egletons, Mainsat et surtout à Bourganeuf où ils représentent aujourd’hui 15 % de la population (mais un certain nombre des enfants ont la double nationalité). Ils sont d’origine rurale et souvent issus des mêmes villages. À partir des années 1970 les familles viendront rejoindre les hommes via le regroupement familial. Bourganeuf a fait un gros travail d’intégration (cours de français, mise en place de femmes relais). Si initialement ils ont été logés en HLM, beaucoup sont aujourd’hui propriétaires de leur maison. Dans les années 1980, suite aux licenciements, certains s’installent comme entrepreneurs forestiers, reproduisant les conditions de salariat qu’ils avaient eux-mêmes connues mais leur méconnaissance des règles administratives ou comptables, l’irrégularité de paiement des tâches effectuées en ont conduit beaucoup à la liquidation. Les enfants investissent d’autres métiers. Il existe une forte endogamie (conjoints issus des villages d’origine). Cette population garde de fortes attaches avec sa culture d’origine.
Dans les années 1960 des agriculteurs normands, des métayers mayennais et des Hollandais attirés par la disponibilité des terres et les conditions favorables des lois Pisani s’installent sur le Plateau. On citera pour mémoire l’engouement des Hollandais et Anglais dans les années 1980 pour les maisons limousines. De la fin des années 1970 au début des années 1980, alors que l’immigration est stoppée, en pleine crise économique, la France accueille à bras ouverts 128 500 réfugiés vietnamiens et cambodgiens sauvés en mer de Chine… Une quarantaine d’entre eux passeront l’hiver 1984-1985 à Peyrelevade. Quelques années plus tard, en 1989, c’est au tour d’une soixantaine de Kurdes irakiens fuyant les persécutions. Le maire de l’époque parle de redynamisation du village, de maintien de l’école… Les Kurdes, même s’ils ne sont pas restés, gardent un bon souvenir de l’accueil.
Les réfugiés des années 1980 comme les exilés d’aujourd’hui n’ont pas eu le choix de venir dans notre Montagne : ils y ont été placés, mais ils apprécient la qualité de l’accueil par la population. Certains souhaitent rester. La situation aujourd’hui est très différente. Si dans les années 1980, en dépit de la crise économique, ils avaient la quasi-certitude d’être régularisés et de s’intégrer, ce n’est plus le cas. La législation s’est considérablement durcie et l’exilé est avant tout suspect. La majorité n’obtiendra pas l’asile. Nous n’assistons pas aujourd’hui à une crise migratoire mais à une crise du droit à l’asile. Les immigrés finissent au fil des générations par se diluer dans la population. Ils ne figurent plus dans les statistiques car ils deviennent Français. Seuls leurs patronymes, quelques associations culturelles viennent témoigner de leur origine. Ils sont partie prenante de notre histoire.
Dominique Weber-Alasseur