Juin 1999, la “Cellule Accueil“ de la Région Limousin vient juste d’être créée. À cette époque, le Limousin est alors une région pionnière, la première, en France et en Europe, à s’engager dans l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique d’accueil.
Sous l’impulsion de Robert Savy, alors président du conseil régional, le choix des élus de la Région Limousin est de parier sur l’accueil de nouveaux habitants pour développer le territoire régional. Un choix qui procède d’un triple constat, formulé à l’occasion de travaux de prospective régionale (“Limousin 2007“dans les années 1980 et “Limousin 2017“ dans les années 1990). Premier constat : celui d’une baisse constante de la population. Le Limousin, comme beaucoup de régions rurales, notamment de moyenne montagne, a connu au siècle dernier un mouvement régulier de déclin démographique, sous le double effet de l’exode rural et de la saignée de la Première Guerre mondiale, perdant plus du quart de sa population en un siècle (986 000 habitants en 1891, 711 000 habitants en 1999). Ce mouvement, amplifié par un déficit naturel (différence décès / naissances) moyen de l’ordre de 2 800 personnes/an et un vieillissement de la population, donnait à l’aube du XXIe siècle des projections de population de l’ordre de 698 000 habitants à l’horizon 2010 et 655 000 habitants à l’horizon 2030.
Au-delà de la seule perte d’habitants, ce sont également les effets induits sur l’ensemble de l’économie régionale, second constat, qui motivent la mobilisation de la collectivité régionale : dépérissement des activités économiques et du tissu de services, absence de repreneurs pour les entreprises, perte de dynamisme de l’ensemble de la société…
Mais parallèment, on constate, troisième point du diagnostic, une attractivité démographique réelle, qui perdure. Le Limousin présente depuis les années 1970 un solde migratoire (différence entrées / sorties) positif, qui permet de contrebalancer partiellement le solde naturel structurellement négatif. Ce flux migratoire, révélateur de tendances de fond qui traversent la société française (le souhait, largement partagé, de trouver dans l’espace rural un environnement de vie épanouissant, indemne des tensions dont les villes seraient porteuses : pollution, stress, …), constitue un point d’appui pour développer et asseoir une politique publique volontariste en matière d’accueil et d’aide à l’installation.
Au-delà de l’affirmation de la volonté de renforcer l’attractivité du Limousin dans toutes les politiques régionales (culture, formation, communication avec notamment le partenariat avec la chaîne TV Demain pour faire connaître le Limousin et son “offre“ en matière de formations et d’opportunités de reprises de commerces et d’entreprises), une politique spécifique est mise en place à compter de l’été 1999. La Région se fixe alors pour objectif de favoriser l’installation de migrants en privilégiant une approche qualitative (faire en sorte d’augmenter les chances de réussite des projets) et de travailler prioritairement l’accueil d’actifs (plutôt que de retraités), et notamment de porteurs de projets d’activités, tous domaines d’activités confondus. Fort des premiers constats effectués (manque d’outils pour répondre aux besoins des candidats à l’installation, savoir-faire et méthode de travail incomplets / faible réactivité des territoires de proximité et manque de réponses concrètes au niveau local), quatre axes majeurs viennent très vite encadrer la politique d’accueil. Ils constitueront pendant plus de dix ans la trame d’une politique globable et transversale, qui inspira de nombreuses autres expériences, à l’extérieur des frontières du Limousin.
Il s’agit de répondre aux besoins des candidats à l’installation, depuis la première sollicitation jusqu’à leur installation. Ce service, qui suppose d’écouter et d’entendre des porteurs de projet fréquemment qualifiés d’atypiques, compte tenu de leur profil (prédominance d’un projet de vie par rapport à un projet d’activité, volonté de mieux maîtriser son rythme de vie, son environnement de travail, forte idéalisation du milieu rural…), s’appuie en amont sur le travail d’écoute, de conseil et d’orientation de la cellule “Accueil“ du conseil régional, devenue plus tard “Service accueil de nouveaux habitants“. Il s’incarne également dans des outils propres au réseau des acteurs de l’accueil : outils d’écoute–diagnostic, formation des “accueillants“, développement de formations à destination des migrants potentiels, sessions de regroupement en Limousin de candidats à l’installation à la campagne…
Deuxième axe : donner les moyens humains et techniques aux regroupements de communes (intercommunalités et pays) d’accueillir et d’installer de nouveaux arrivants et de nouvelles activités. Partant du constat que l’installation est affaire de proximité et que la volonté régionale d’accueil ne pouvait se déployer si elle n’était pas relayée au niveau local par des territoires sensibilisés, mobilisés autour de l’accueil, la politique régionale d’accueil a prioritairement cherché à doter ces derniers de moyens, en particulier humains, via le dispositif “pôle local d’accueil“ (PLA) pour assurer des fonctions :
Elle s’est également appuyée, dans le cas particulier de la Montagne limousine, sur le tissu associatif local, en établissant un partenariat avec l’association De Fil en Réseaux et les diverses structures qui la composaient, ce qui a permis, entre autres, la création d’un logement d’accueil temporaire sur la commune de Faux-la-Montagne (dit logement “passerelle“).
Celles-ci passent par un partenariat avec la chaîne Demain pour proposer des offres de reprise de commerces ou d’entreprises, la participation au Collectif Ville – Campagne, seule association nationale à s’intéresser aux migrations ville – campagne et à l’accompagnement de ces migrants. Ensuite la création de “Projets en campagne – la Foire à l’installation en milieu rural“, manifestation nationale qui mettait en relation à Limoges des territoires ruraux de toute la France ayant des offres à proposer et des porteurs de projets candidats à l’installation en milieu rural, et l’édition régulière, dans Village Magazine, du rôle et du fonctionnement des PLA, d’opportunités d’installation et d’activités à reprendre sur leur territoire, de témoignages de migrants “néo-limousins“. Le quatrième axe de cette politique consistait à observer et comprendre les phénomènes migratoires en cours.
S’il est difficile d’imputer à cette seule politique la paternité du regain démographique du Limousin, force est de constater que les étapes de son existence ont suivi d’assez prés celles de la démographie régionale. Ainsi, la région a régulièrement gagné des habitants entre 1999 (711 000 habitants) et 2011 (741 100 habitants), au moment où la politique régionale d’accueil se structurait, gagnait en cohérence et en moyens.
À partir de 2011, le tableau démographique a tendance à s’inverser, avec un solde migratoire qui ne cesse de diminuer et, au final, 736 000 habitants estimés en 2014. Dans le même temps, la politique régionale d’accueil est petit à petit démembrée et ré-orientée vers l’accueil d’entreprises, avant d’être purement et simplement abandonnée. Coïncidence ou ironie de l’histoire ? Toujours est-il que cette politique, qui misait d’abord et avant tout sur l’installation de personnes porteuses d’une énergie, d’une envie de créer et de se réaliser, pour contribuer au dynamisme des espaces ruraux, s’est heurtée à un scepticisme récurrent, qui l’a finalement emporté. Comme si faire venir des gens, ça ne pouvait pas être aussi sérieux que des entreprises ...
Stéphane Grasser