Caractérisant une partie des initiatives économiques se développant sur la Montagne limousine, l’économie sociale (et solidaire) peut-elle être considérée comme un des éléments constituant “l’esprit de la Montagne limousine“ ?
Quatre exemples d’entreprises d’économie sociale et solidaire. Le théâtre La Chélidoine à Saint-Angel est une Scop (Société coopérative de production).
Les P’tits bouts à Sornac qui proposent des animations pour les enfants est une association, comme la ressourcerie d’Eymoutiers Le Monde allant vers...
L’EPHAD de Chamberet est également géré sous forme associative.
Au fil de ses 57 numéros déjà parus, IPNS vous a présenté nombre de ces initiatives qui ne sont pas forcément toujours repérées comme relevant du secteur de l’ESS. Pour les définir on peut dire qu’à la différence des entrepreneurs traditionnels à la recherche d’un maximum de profit, les femmes et les hommes qui se lancent dans la construction d’une entreprise d’économie sociale le font autour d’un projet collectif, de solidarité, de valorisation d’un territoire ou de développement local, ces différentes dimensions étant d’ailleurs présentes simultanément dans nombre de ces projets. Même s’ils souhaitent arriver à un équilibre économique, le profit n’est pas au cœur de leur démarche qui privilégie l’humain, les échanges et la construction commune d’activités. Le respect de l’environnement, l’écoute de l’autre, la conviction qu’à plusieurs on est plus fort (et plus performant) sont les moteurs de leur gouvernance. Et ce n’est pas un hasard si notre territoire pétri des valeurs d’échange, de solidarité et de respect de l’autre, est particulièrement réceptif à ce type d’initiative.
Parler d’économie sociale et solidaire nécessite aussi d’en définir le champ. La notion d’économie sociale a évolué au fil des époques pour englober un nombre de plus en plus important de structures et de salariés travaillant dans des secteurs de plus en plus diversifiés. Aux organismes de secours mutuel et aux grandes coopératives de production et de consommation qui constituaient le tissu primitif de l’économie sociale à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, sont venues s’adjoindre de plus en plus de structures, souvent sous forme associative, exerçant des activités très diversifiées dans tous les domaines de l’activité humaine. Contrairement à une idée reçue, l’économie sociale et solidaire s’est aussi développée dans les secteurs techniques les plus innovants et a notamment pris pied dans les métiers liés au numérique, à l’Internet et plus globalement aux nouvelles technologies.
Représentant plus de 10 % de l’emploi au plan national, ce secteur dépassait les 12 % dans l’ex région Limousin pour atteindre les 18 % sur l’ensemble du Parc naturel régional de Millevaches en 2009. Dans certains villages, comme celui de Faux-la-Montagne il représentait même la majorité des emplois privés. Et l’importance du secteur, au moins sur nos territoires, ne se dément pas au fil des années selon les derniers chiffres disponibles, bien au contraire. On voit donc tout l’intérêt économique de ce secteur, particulièrement sur notre territoire, intérêt trop souvent ignoré par les décideurs publics.
Sur la Montagne limousine, ce sont les grosses structures d’accueil des personnes âgées, dépendantes ou non, et des personnes handicapées qui occupent le plus de salariés dans le secteur (il faut compter un salarié par usager dans ce genre de structure) ainsi que les associations d’aide à la personne. Viennent ensuite de nombreuses associations, coopératives et autre Sapo (il n’y en a qu’une !) intervenant dans les secteurs de la récupération et valorisation des déchets, de la presse, de la gestion et de la valorisation du bois (scierie et construction) employant des effectifs plus modestes (entre 5 et 30 salariés). Les nombreux Gaec d’agriculteurs/éleveurs/producteurs investis dans le bio et /ou les circuits courts représentent également un nombre important d’emplois. Citons aussi les très nombreuses associations et autres Scic (sociétés coopératives d’intérêt collectif) intervenant dans les domaines les plus divers : l’habitat social, l’animation, le tourisme social, l’éducation populaire, l’action sociale, la culture, le sport et même la fabrication de biscuits, le brassage de la bière ou l’aide à l’accès aux nouvelles technologies, employant entre un et cinq salariés. Pour finir, il faut aussi prendre en compte les très nombreux entrepreneurs privés et professionnels libéraux mais regroupés dans des coopératives d’activité et d’emploi ou des associations de partage de locaux qui participent aussi du secteur de l’économie sociale et solidaire.
Mais son poids économique n’est pas son seul aspect intéressant. Les projets mis en œuvre par ses protagonistes ne génèrent pas que de l’activité économique. Ils sont au cœur du développement de nouvelles relations entre les citoyens et leur environnement. C’est notamment ce qui ressort de la récente rencontre des acteurs de l’accueil sur le territoire, le 28 novembre 2016 à Bourganeuf, où élus, habitants, associations se sont retrouvés pour croiser leurs expériences, à la recherche de solutions pour maintenir des lieux de rencontres et de services dans les bourgs ruraux. C’est aussi l’esprit qui anime des initiatives comme celle du collectif Associations nous, ou encore les deux premières éditions de la Fête de la montagne limousine qui a permis aux plusieurs milliers de participants de se rencontrer, de découvrir les initiatives existantes et réfléchir ensemble aux orientations à privilégier tant au niveau de la gestion de l’environnement naturel (eau, forêt, agriculture) que des relations à construire avec les pouvoirs publics pour une meilleure prise en compte des besoins des habitants du territoire. D’autres réseaux, comme celui des cinq ressourceries/recycleries du Limousin, contribuent à une meilleure gestion des déchets et à une sensibilisation accrue des consommateurs à de nouvelles pratiques plus respectueuses de l’environnement. Et tous les secteurs sont concernés ! De la petite enfance avec le développement de crèches associatives contribuant à un meilleur accueil des jeunes parents sur le territoire, aux initiatives permettant une mise en œuvre d’une politique de logement innovante par la mise en place d’une Scic (l’Arban). On peut encore évoquer les regroupements sectoriels d’associations d’employeurs ou de structures ayant été labellisées par la CAF. Sans oublier les collectifs plus ou moins informels se créant à l’occasion du soutien à un projet collectif proposé par l’un ou l’autre des acteurs. En passant par les fêtes ponctuelles ou récurrentes, les actions de soutien aux réfugiés ou encore des actions de mutualisation financière.
C’est peut-être d’ailleurs cette mise en relation inlassable de tous les acteurs, à laquelle contribuent très largement les structures de l’ESS, qui représente la spécificité de la culture de la Montagne limousine et fonde son attractivité et son dynamisme. Tissant de véritables réseaux neuronaux, elle irrigue l’ensemble du territoire et contribue au développement de son intelligence collective. Culture de l’échange et de l’hybridation, mêlant l’économique au bénévole, le citoyen au politique, l’ici et l’ailleurs, elle préfigure une nouvelle organisation sociale en gestation, mélange de solidarité, de respect de l’autre, de débats, de curiosité et de plaisirs partagés.
Alain Détolle