Vassivière n’est pas le seul site à avoir visé la popularité grâce au Tour de France. En 1966, celui-ci fait étape à Revel-Lac de St Férréol (31). Le critérium national s’y déroule en 1962, 1964 et 1966 et voit à chaque édition des affrontements épiques entre Anquetil et Poulidor. Le Tour de France reviendra à Revel en 1969, avec une épreuve contre la montre, puis tous les cinq ans de 1990 à 2010, et une fois encore en 2016. Le lac de Haute Garonne a sans doute été un des premiers sites touristiques, hormis les stations balnéaires et celles de haute montagne, qui ait misé ainsi sur la publicité qu’apporte le Tour de France.
Il est évidemment difficile de mesurer l’impact exact du passage du Tour de France sur le développement du tourisme, même si les collectivités qui payent (très cher) pour avoir une arrivée d’étape, un départ ou même une journée de repos (comme à Limoges en 2004), présentent habituellement des chiffres démontrant l’existence de nombreuses retombées économiques. Nous pouvons néanmoins affirmer qu’à Vassivière, il y eut à chaque fois beaucoup de monde sur le bord de la route, y compris en 1995 où le temps était pluvieux. Il faut ajouter que les reportages (radio et surtout télévision) contribuent à donner une image attirante du site. On peut remarquer que la dernière grande vidange de Vassivière, à l’automne 1995, a rassemblé sur les bords du lac un nombre considérable de visiteurs et on peut supposer que la notoriété due aux trois étapes du Tour de France a contribué à cette affluence.
Pour chacune des trois éditions qui se sont déroulées à Vassivière, le parcours était le même. Toutefois, en fonction de l’emplacement exact des lignes de départ et d’arrivée (à Auphelle), le kilométrage annoncé est passé de 45,7 km en 1985 à 45,5 en 1990 et à 46,5 en 1995. Passant par Royère, Masgrangeas, Faux-la-Montagne, La Villedieu, Nedde, Beaumont, l’itinéraire ne manque pas de difficultés : côtes, descentes rapides (notamment celle de la forêt de la Feuillade), virages serrés, ce n’est pas du tout un circuit roulant, généralement dédié à ce type d’exercice. Le caractère tourmenté du parcours explique que le matériel utilisé par les coureurs, même en 1995, reste très classique. Néanmoins, en dix ans, il y eut une évolution.
En 1985, la plupart des vélos sont très traditionnels, avec quelques variantes : le guidon inversé des Renault, quelques roues lenticulaires (avantageuses sur le plat, elles deviennent un handicap dans les montées), le cadre plongeant avec une petite roue avant d’Anderson (de quoi se faire peur dans les descentes rapides !). En 1990, on arrive à la généralisation du guidon de triathlète, utilisé pour la première fois l’année précédente par Greg Lemond pour battre Fignon lors de l’ultime étape. Dans la plupart des cas, ce guidon, qui permet un meilleur aérodynamisme, est installé sur un vélo classique. Comme en 1985, il y a peu de roues lenticulaires. En 1995, les vélos spéciaux pour le contre la montre deviennent beaucoup plus nombreux, particulièrement pour les meilleurs compétiteurs de chaque équipe : en plus du guidon triathlète, le dessin du cadre est modifié, mais on note encore que les roues lenticulaires ne sont pas choisies par tous. On mesure la rapidité de l’évolution du matériel cycliste en constatant que ces dernières années, même les coureurs régionaux (3ème catégorie FFC ou licenciés UFOLEP) possèdent des vélos spéciaux pour les contre la montre.
Placées à la veille de l’arrivée à Paris, les trois contre la montre de Vassivière ont représenté pour les coureurs le dernier espoir de modifier en leur faveur le classement général final.
En 1985, Hinault, leader de l’épreuve, devait contenir Greg Lemond, son coéquipier et néanmoins rival, deuxième du classement général à moins de deux minutes du “blaireau“. Les choses se passèrent très bien pour tous les deux, puisque Lemond remporta l’étape (c’était la première victoire d’un américain sur le Tour), mais Hinault ne lui concède que 5 secondes, et maintient donc le statu quo en sa faveur.
En 1990, Chiapucci est maillot jaune au matin de l’épreuve, mais Greg Lemond a seulement 5 secondes de retard sur lui. Meilleur rouleur, et bien qu’il n’ait terminé qu’à la 5ème place de l’étape, remportée par le hollandais Breukink, Greg Lemond devient leader du classement général, avec une avance confortable de 2’16’’ sur Chiapucci, qui a bien failli être doublé par Breukink, troisième à 3’29’’.
En 1995, Indurain est un solide leader du classement général. Il réalise un temps canon, ce qui n’est pas surprenant de sa part, puisque lors de chacun de ses cinq Tours de France victorieux, de 1991 à 1995, il a écrasé la concurrence lors des contre la montre. Ce qui est plus étonnant, c’est qu’il n’a pas creusé des écarts aussi nets que ceux des années précédentes : 6 concurrents terminent l’étape à moins de deux minutes. Faut-il chercher une explication autre que la motivation sans doute modérée qui animait Miguel ce jour là, au vu de l’avance importante qu’il possédait sur le second, Alex Zulle, au classement général ?
Les palmarès de Vassivière |
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20 juillet 1985 : 21éme étape, 45,7 km |
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Étape | Général |
1-Greg LEMOND,1H02’51’’ 2-Bernard HINAULT, à 5’’ 3-Phil ANDERSON, à 31’’ 4-San KELLY, à 54’’ 5-Stephen ROCHE, à 59’’ |
1-Bernard HINAULT 2- Greg LEMOND, à 1’42’’ 3-Stephen ROCHE, à 4’29’’ 4-Sean KELLY, à 6’26’’ 5-Phil ANDERSON, à 7’44’’ |
21 juillet 1990, 45,5 km |
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Étape | Général |
1-Erik BREUKINK, 1H02’40’ 2-Raul ALCALA, à 28’’ 3-Tony ROMINGER, 1’05 4-Ivan GOTTI, à 1’41’’ 5- Fernando ESCARTIN, à 1’46’ |
1-Greg LEMOND 2-Claudio CHIAPUCCI, à 2’16’ 3-Erik BREUKINK, à 3’29’’ 4-Pedro DELGADO, à 5’01’ 5-Marino LEJARETTA, à 5’05’ |
22 juillet 1995, 19éme étape, 46,5 km |
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Étape | Général |
1-Miguel INDURAIN, 57’34’ 2-Bjarne RIIS, à 48’’ 3-Tony ROMINGER, 1’05’’ 4-Ivan GOTTI, à 1’41’’ 5- Fernando ESCARTIN, à 1’46’’ |
1-Miguel INDURAIN 2-Alex ZULLE, à 4’35’’ 3-Bjarne RIIS, à 6’47’’ 4-Laurent JALABERT, à 8’24’’ 5-Ivan GOTTI, à 11’33’’ |
Si la domination d’Indurain n’a pas été écrasante ce jour là, c’est peut-être aussi parce que, parmi ses suivants, le mode de préparation avait évolué. Ainsi, parmi les dix premiers du classement général au soir de l’étape, cinq au moins ont eu à subir une suspension pour dopage dans les mois ou les années qui ont suivi : Alex Zulle qui reconnaîtra les faits dans l’affaire Festina en 1998, Bjarne Riis qui gagnera le Tour en 1996, en survolant les obstacles, notamment montagneux (il fut surnommé “Monsieur 60%“, en référence à son taux d’hématocrite “surnaturel“), Ivan Gotti, le frêle grimpeur qui obtenait des résultats stupéfiants même dans les contre la montre, et qui était approvisionné en produits dopants par des membres de sa famille qui suivait le Tour en camping-car, Fernando Escartin, l’infatigable espagnol capable de briller chaque année dans tous les grands Tours (Italie, France, Espagne) et Richard Virenque “tombe“ dans l’affaire Festina, et dont, étonnamment, la popularité n’a pas été altérée par la révélation de ses pratiques dopantes.
1995, avec la cinquième et dernière victoire d’Indurain dans le Tour de France, marque donc un tournant pour le sport cycliste. Dorénavant, les “affaires“ vont constituer l’ordinaire des informations sur le vélo. Après l’affaire Festina (1998), puis les années Armstrong (1999 à 2005), le cyclisme a retrouvé sa crédibilité avec le développement de contrôles fiables permettant de déceler la prise d’EPO. Mais rien n’étant jamais définitivement acquis, la course continue entre les inventeurs de nouveaux produits et les instances du contrôle antidopage. On est même arrivé au dopage mécanique, et les vélos sont maintenant soigneusement contrôlés.
Alors, l’étape de Vassivière a peut-être cessé d’exister au bon moment !
Jean-François Pressicaud