“Et si on relançait les fêtes des Plateaux“ ? Cette question était devenue un classique des différentes assemblées et comités qui ont rythmé les dernières années sur la Montagne Limousine. Certains qui avaient vécu les dites “fêtes des Plateaux“ au Villard dans les années 1980 en parlaient comme d’événements fondateurs à plus d’un titre de l’expérience humaine et politique singulière qui a fait du plateau de Millevaches ce qu’il est : son histoire autant que cet assemblage de manières de vivre, travailler et s’organiser hors des sentiers battus du travail et de l’économie, qui fait aujourd’hui une bonne part de sa “notoriété“. Car ce n’est en effet pas les pénibles efforts du bureau régional du tourisme ou ceux, plus pénibles encore, des chambres de commerce qui ont réussi à produire ce “regain d’attractivité“ du territoire, qui ont suscité ces différentes vagues d’installations nouvelles depuis le début des années 2000. Il semble bien que ce qui amène tant de gens à venir “se perdre “ par ici soit plutôt cet espèce de tissu improbable d’associations, de collectifs, de personnalités opiniâtres, de petites histoires qui flirtent avec la grande qui était déjà au centre des “fêtes des Plateaux“. Il n’en fallait pas plus pour que certains d’entre nous, arrivés quelques années plus tard, chargés de nos propres intuitions, de nos propres histoires, et las d’essayer de tirer les vers du nez de nos prédécesseurs en ces lieux, soient à leur tour titillés par cette histoire de “fête des Plateaux“.
Un précédent récent avait déjà éveillé notre appétit, “les nuits du 4 août“ à Peyrelevade. Cette grande fête populaire avait prolongé de toute son énergie festive et rebelle les différentes tentatives de se faire écho depuis ici des mouvements syndicaux et populaires contre la réforme des retraites de 2010. Trois jours durant des milliers de personnes avaient sympathiquement “envahi“ le bourg de Peyrelevade. Conférences, assemblées, spectacles, cinéma permanent, invités d’ici et d’ailleurs étaient venus célébrer cette idée que, plus de deux cent ans après cette nuit où l’on déclara “l’abolition des privilèges“, tout restait à faire. Cette fête restera unique, de peur sans doute qu’elle ne devienne, face à son succès, un de ces multiples festivals bien réglés et sans esprit que comptent les campagnes françaises. Ce fut un peu l’acte de consécration premier de dynamiques locales qui perdurent encore aujourd’hui sous diverses formes : celles des assemblées populaires du Plateau puis celles, plus vernaculaires, des “Comités Montagne“, qui ont, au gré des occasions, agrégé des centaines d’habitants de la Montagne limousine, tantôt pour réagir à des événements nationaux (lutte anti-nucléaire, lutte contre l’aéroport de Notre Dame des Landes, contre l’État d’Urgence et l’impunité policière...) ou internationaux (Lutte contre le TGV Lyon-Turin, solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte...), tantôt pour se saisir ensemble de problématiques plus locales, communales ou inter-communales. De cette dernière tentative, dont il est question ailleurs dans cette édition, sont nées les “propositions pour une plate-forme commune de la Montagne Limousine“ qui posèrent une première pierre à la tentative de mettre en parole ce qui mijotait dans tant de têtes depuis des années : nous sommes le territoire et ce qu’il devient nous appartient… à nous qui habitons ici au moins autant, sans doute bien plus, qu’à ceux qui prétendent décider, à différents niveaux institutionnels, de ce qui s’y passe ou pas.
De là, et sans doute de beaucoup d’autres envies croisées, s’en venait donc l’idée de relancer une (grande) Fête de la Montagne limousine. Et ce fut bientôt chose faite. À l’invitation de quelques habitants, on vit bientôt près d’une centaine de personnes originaires de plus de dix communes de la Montagne s’atteler à préparer la première occurrence de la fête qui devait avoir lieu fin septembre 2015, à Tarnac, en Corrèze.
- Et pourquoi à Tarnac ? Demanda-t-on.
- Pourquoi pas ? Fut-il répondu.
L’idée cette fois était que ces fêtes soient itinérantes, d’un bout à l’autre du territoire de la Montagne. Tarnac recevrait donc le ballon d’essai.
Si on considère que le succès se mesure à la proximité entre ce qu’on a pu rêver et ce qui est advenu, il n’est pas exagéré de dire que c’en fut un. Près de deux mille personnes sur trois jours, des débats, des conférences, des assemblées mais aussi des chants, des danses, de la musique jusqu’au bout de la nuit, des nourritures de toutes sortes et à profusion, une ivresse réelle aussi bien que figurée a soulevé les rues du bourg de Tarnac comme jamais de mémoire de vivant. On en croisait du monde dans la rue du Tilleul, des voisins ébahis, des Creusois, des Corréziens, des Haut-viennois, quelques Cantalous, des Soudanais, des Congolais, des Tchétchènes aussi bien que des Parisiens prolongeant l’été en cette fin septembre, attablés autour d’une chope de bière, d’un graillon, d’un fromage de chèvre ou d’une discussion sur l’état du monde. Au terme de ces trois jours, l’ossature de la fête fut démontée, encore plus vite qu’elle n’avait été montée, par des dizaines de bras restés dimanche soir pour aider autant que pour prolonger ce qui s’était partagé là.
Difficile de rendre par écrit ce qu’a pu être une fête, il y en a tant d’expériences possibles. Ce qui resta une fois les dernières tables rangées et rapatriées dans leurs communes d’origine fut une autre paire de manche : comment faire rejaillir l’esprit de la fête et les idées issues de ses chaudrons tout au long de l’année ? Certaines se sont concrétisées, d’autres, trop nombreuses, se sont perdues en route. Alors que peu y croyaient au sortir de la fête, il y eut bien une seconde fête de la Montagnen en 2016 à la Nouaille, en Creuse, qui réunit autant de monde. On y venait déjà comme si on l’avait toujours fait, on y retrouvait les têtes rencontrées l’année d’avant et d’autres encore, avec le même plaisir. De la question épineuse de la forêt ou de l’avenir de l’agriculture à celle de l’accueil des exilés sur la Montagne l’on s’efforça de dessiner des manières d’agir directement, sans médiation, sur les problèmes que nous rencontrons. Si rien n’advient en soi de simples discussions, il est d’ores et déjà sensible que nous sommes toujours plus nombreux à croire en nos propres forces, à notre capacité à agir sur le monde, sans attendre. Le monde foisonnant qui se donne à voir l’espace de quelques heures pendant ces fêtes en est une preuve manifeste.
2017 devrait voir un nouveau de ces rendez-vous, on ne sait encore bien comment, c’est à nous tous d’en décider dès maintenant, mais il n’est aucune raison d’en douter... Bien moins que des promesses que les candidats font pleuvoir sur cette fin d’hiver.
Benjamin Rosoux