Meymac

  • Comment une bonne idée peut devenir dévastratrice

    biomasse 1Les projets électricité-biomasse en Limousin

    En 2003, les responsables des questions énergétiques du ministère de l'industrie, voyant se rapprocher l'échéance 2010, date à laquelle, en Europe, au moins 21% de l'électricité produite doit être d'origine renouvelable, décident d'accélérer et de densifier les projets dans ce domaine.

    A côté de l'hydraulique (qui ne peut plus guère progresser), de l'éolien, du solaire et de la géothermie, la biomasse apparaît intéressante. Aussi lancent-ils en décembre 2003 un appel à projets de production d'électricité à partir de biomasse. Il s'agit de gros projets (12 MW minimum) pour lesquels chaque candidat doit déterminer le prix de vente de l'électricité produite en le fixant à un niveau qui lui permette d'atteindre la rentabilité économique.

     

    En janvier 2005, 14 projets sont retenus pour l'ensemble de la France, dont quatre en Limousin : Ussel (Soffimat), Meymac (EBV), Moissannes (EBV) et Saillat sur Vienne (International Paper). Une première remarque s'impose : la décision de sélectionner quatre projets en Limousin a été prise sans aucune concertation avec les responsables régionaux. La politique de développement du bois énergie mise en place par la Région Limousin avec l'appui de l'ADEME a été complètement ignorée et les services de l'Etat en Limousin n'ont pas eu non plus leur mot à dire !

    Sur le fond, les critiques qu'appelle cette décision sont explicitées dans la motion ci-contre (page 11) , adoptée par le Comité Syndical du PNR de Millevaches, ainsi que par le conseil municipal de Felletin et le conseil communautaire de la communauté de communes Aubusson-Felletin. Elles ont été à nouveau développées au cours d'une conférence de presse donnée le 5 octobre dernier à Egletons par Bernadette Bourzai, maire de cette ville, et Michel Pinton, maire de Felletin.

    biomasse 2Les villes d'Egletons, Bourganeuf et Felletin possèdent en effet des réseaux de chaleur bois qui consomment annuellement chacun 6000 tonnes de produits connexes de sciage pour les deux premiers et 60 000 tonnes pour Felletin (qui produit aussi de l'électricité : il s'agit dans ce cas de cogénération, c'est à dire la production simultanée de chaleur et d'électricité).

    La taille des installations prévues ne peut que bouleverser le marché régional du bois énergie et renchérir considérablement, peut-être même tarir, l'approvisionnement des chaufferies existantes. Par ailleurs, l'absence de réseau de chaleur complétant la production d'électricité aboutit à une efficacité énergique faible. Ce n'est pas parce qu'on utilise une énergie renouvelable qu'il ne faut pas se montrer économe !

    Enfin, et cela ne concerne pour le moment que Felletin, le prix d'achat de l'électricité est beaucoup plus élevé que celui pratiqué à Felletin, ce qui aboutit à mettre en péril une installation existante.

     

    En prenant leur décision sans concertation, uniquement à partir de données statistiques non vérifiées sur le terrain - et on sait qu'il y a une grosse différence entre les quantités de bois théoriquement disponibles et celles qui sont réellement utilisables (manque d'accès dû au morcellement , du relief...) et en marquant leur mépris pour les installations de petite taille ("Nous n'avons rien à faire des chaudières de paysan"), les responsables du ministère ont bien mérité les reproches qui leur ont été adressés par les élus, par les experts et les associations qui travaillent sur les problèmes énergétiques.

    Depuis ces critiques initiales, de nouveaux éléments sont venus confirmer la pertinence des arguments avancés dès 2005. Il s'agit du dossier d'enquête publique concernant le projet de Meymac et d'un nouvel appel d'offres du ministère de l'industrie sur de nouvelles installations de production d'électricité à partir de biomasse.

     

    Le dossier d'enquête publique de Meymac

    Alors que le dossier du projet Soffimat à Ussel a été soumis à enquête publique du 12 mars au 12 juin (nous n'avons pas pu le voir), celui de EBV à Meymac l'a été au mois d'octobre, et nous avons pu le consulter et rencontrer le commissaire enquêteur. L'installation de Meymac, d'une puissance électrique de 12,125 MW (donc juste au dessus de la puissance minimale de 12 MW, à rapprocher de la puissance de 3 MW de l'unité felletinoise) utilisera 138 200 tonnes de bois (plaquettes forestières, plaquettes de scierie, sciure et écorces).

    Les fournisseurs identifiés sont :

    • Creuse Sciage, qui ne fournit pas actuellement à l'unité de Felletin les quantités de sciure qu'il s'était engagé à livrer par contrat et qui doit installer à Meymac une nouvelle scierie.
    • Corrèze Export Bois qui regroupe quatre scieurs : Farges, Boissac, Feuillade et Malaqui. Les deux premiers basés à Egletons ont signé un contrat pour approvisionner l'unité de cette ville, mais ils n'en respectent pas les clauses ! Quant à Feuillade (de St Rémy) il fait partie des fournisseurs de Felletin par l'intermédiaire du GIE de scieurs qui alimente l'unité de cogénération de cette commune.

    On constate donc que la concurrence avec Felletin pour l'approvisionnement en bois est pleinement confirmée, ainsi que la propension de certains professionnels du secteur à signer tous les engagements qu'on leur propose et de n'honorer ensuite que les plus rémunérateurs.

    La production annuelle d'électricité annoncée à Meymac est de 107 000 Mwh, soit à peu près cinq fois celle de Felletin - qui produit aussi de la chaleur.

    A Meymac il est prévu d'utiliser la chaleur en interne pour sécher le combustible qui ne doit pas dépasser 20% d'humidité dans cette installation qui utiliserait le procédé de gazéification (similaire au gazogène utilisé pour les automobiles pendant la seconde guerre mondiale) : après une combustion à 1050°, les gaz récupérés alimentent des moteurs qui produisent l'électricité.

    La seule production vendue étant l'électricité, il est abusif de parler de cogénération et d'afficher un rendement de 67%. En fait le rendement est de l'ordre de 30%.

    En revanche, des données économiques (prix d'achat du combustible, prix de vente de l'électricité) ne figurent pas dans le dossier. Les investissements sont de 27 253 000 euros (par comparaison, ils ont été de 10 millions à Felletin) dont 30% de fonds propres et 70% de prêts bancaires. La mise en service est prévue pour fin 2007, avec démarrage des travaux à la fin du premier trimestre 2007.

    Rien dans ce dossier ne vient infirmer ce qui était avancé dès 2005 par les responsables des réseaux de chaleur existant en Limousin.

     

    Le nouvel appel d'offres "électricité biomasse"

    biomasse 3La justesse des arguments avancés est confirmée par le nouvel appel d'offres du ministère de l'industrie qui a largement rectifié le tir par rapport au précédent, sur trois points essentiels :

    • La puissance minimale : elle n'est plus de 12 MW mais de 5 MW. L'appel total porte sur 300 MW, dont 80 pour les installations de 5 à 9 MW, et 220 MW pour celles de plus de 9 MW.
    • L'approvisionnement : chaque unité doit présenter un plan d'approvisionnement très précis, avec 50% minimum de plaquettes forestières et une attention particulière aux problèmes de concurrence d'usage.
    • L'efficacité énergétique : elle est fixée à 50% minimum, ce qui oblige à une valorisation de la chaleur.

    On constate que le ministère a largement tenu compte des critiques qu'avait suscité l'appel d'offres de 2003 pour rédiger celui de 2006. Il serait souhaitable que les nouveaux critères s'appliquent aux projets qui ne sont pas encore réalisés, comme Ussel et Meymac, et qui vont poser les plus gros problèmes.

     

    L'utilisation du bois énergie est une bonne solution énergétique à condition que :

    • La production de chaleur, et son utilisation économe, soit privilégiée ; la production électrique ne devrait pas servir de base au dimensionnement de l'installation et devrait rester assez modeste.
    • L'installation puisse fonctionner avec des déchets de bois produits à proximité de façon à éviter des transports importants.
    • L'approvisionnement se fasse exclusivement en sous produits de l'activité forestière : il ne faudrait pas tomber dans la dérive qui consisterait à produire du bois utilisé uniquement pour l'énergie.

     

    Jean François Pressicaud

    Conseiller municipal à Felletin.
  • Des groupements pastoraux pour remettre en valeur des terres abandonnées

    Le plateau de Millevaches est une terre historique de pastoralisme. L’élevage ovin et la conduite des troupeaux étaient largement liés à des usages collectifs des territoires et basés sur les droits de parcours et de vaine pâture. Un héritage qui a été perdu mais qu’il s’agit de retrouver grâce à la création de groupements pastoraux.

     

    troupeau

     

    Dès le Moyen Âge, l’usage collectif de certaines terres permettait de faire paître gratuitement son bétail en dehors de ses terres, dans les landes et les tourbières souvent communales. Pendant des siècles, les dents des brebis ont ainsi façonné les paysages en une mosaïque de milieux agropastoraux typiques abritant leurs cortèges d’espèces inféodées. Cependant, considérés comme un frein à l’entreprise individuelle et au progrès agricole, ces droits d’usage sont progressivement limités puis supprimés dès 1889. La notion de propriété individuelle s’impose. 

     

    Remettre en pâturage des espaces délaissés

    La suppression des parcours affecte les paysans les plus pauvres accentuant l’exode rural des terres du Plateau. Au cours du XXe siècle, la modernisation de l’agriculture favorise l’abandon des pratiques agricoles traditionnelles. Les systèmes d’élevage reposent de plus en plus sur la culture fourragère et les vaches remplacent progressivement les brebis. L’exploitation pastorale disparaît peu à peu. Les landes et les tourbières considérées comme des milieux peu productifs, et peu mécanisables pour ces dernières, sont délaissées. Or en l’absence de pâturage, ces milieux semi naturels vont se fermer, s’envahir d’espèces colonisatrices telles que la molinie pour les zones humides ou de ligneux, comme le genêt et le bouleau sur les zones plus sèches, et le cortège animal et végétal va perdre en diversité. La remise en pâturage de ces milieux représente donc une priorité pour le Conservatoire d’espaces naturels du Limousin (CENL). Ce mode de gestion, intégré au circuit économique local, permet non seulement aux agriculteurs d’être acteurs de la conservation de ces milieux mais également de pérenniser les pratiques adéquates grâce notamment à la signature de baux ruraux à clauses environnementales et de mesures agro-environnementales.

     

    Pâturage itinérant

    En 2017, avec la création de 3 groupements pastoraux sur le Plateau, un nouveau type de partenariat émerge entre le CENL et des éleveurs ovins en brebis limousines. L’idée de départ est d’entretenir et de valoriser les milieux naturels du Plateau en mettant en œuvre un pâturage itinérant 6 mois par an. Pour les espaces naturels, c’est le mode de gestion pastorale idéal puisque, outre le fait de ne pas clôturer toutes les parcelles, ce qui peut représenter un énorme investissement, la conduite de troupeau par un berger permet une gestion très fine du chargement et une adaptation de la pression pastorale au gré des besoins des milieux. Pour les éleveurs, il y a aussi de nombreux avantages : le regroupement des troupeaux, l’augmentation de la surface de fauche, la diminution de la quantité de travail par le partage, l’augmentation de la rentabilité des exploitations et, peut-être à la clé, la création d’emplois (sur 6 ans de gardiennage, 4 bergers installés sur le secteur). Les groupements pastoraux peuvent permettre des installations agricoles avec moins de surface tout en gardant une autonomie alimentaire, ils sont un outil pour rouvrir des surfaces et les réintégrer à la surface agricole. Ils doivent également permettre une meilleure rémunération du travail avec le développement de la vente directe.

     

    Les groupements pastoraux peuvent permettre des installations agricoles avec moins de surface tout en gardant une autonomie alimentaire

     

    Les Mille Sonnailles

    Lise et Fabrice récemment installés et riches d’expériences pastorales vécues dans plusieurs coins de la France, ont décidé de créer un groupement pastoral (voir l’encadré) avec Pascal, éleveur à Millevaches. Le GP des Mille Sonnailles est créé en avril 2017. L’idée est de mélanger les troupeaux des deux exploitations, pour les mener en estive sur deux sites du CENL : la tourbière du Longeyroux et les sources de la Vienne. Préalablement, un important travail de concertation portant sur la rédaction d’une convention pluriannuelle de pâturage reproductible a eu lieu. 

     

    Sur la tourbière du Longeyroux

    Sur la plus vaste tourbière du Limousin, certaines parcelles privées étaient à l’abandon depuis une trentaine d’années, et d’autres, dont la gestion est confiée au CENL, en défaut de pâturage depuis 2012, faute de clôtures et de financement pour les poser. La tourbière avait déjà fait l’objet dès 2007 de la mise en œuvre d’un pâturage ovin itinérant grâce à un contrat Natura 2000. Près de 40 hectares de landes et tourbières avaient ainsi pu être restaurés et pâturés pendant 5 ans. Cependant, malgré les efforts du CENL pour le renouveler, le pâturage itinérant n’avait pu être reconduit entre 2012 et 2016, faute de financement en période de transition entre deux programmes européens. Les efforts de restauration ont alors rapidement été effacés avec une recolonisation rapide par la molinie.

     

    brebis aux Cent Pierres

     

    Avec la création du GP des Mille Sonnailles et la nécessité d’avoir accès à des parcours cohérents, des recherches foncières sur le site ont eu lieu et plusieurs conventions entre le CENL et des propriétaires ont été signées. Au total, 60 hectares ont pu bénéficier dès 2017 de l’entretien pastoral du GP. En 2018, le troupeau s’est agrandi avec l’adhésion d’un nouvel éleveur. Le GP des Mille Sonnailles a pu contractualiser des mesures agro-environnementales climatiques sur des parcelles du CENL, de la commune de Meymac, de l’ONF et de plusieurs propriétaires privés. Ces aides ont permis de financer un poste de berger à temps partiel à partir de 2018. Issues de la politique agricole commune, elles sont versées annuellement et pour une période de 5 ans en contrepartie du respect et de l’application d’un cahier des charges pastoral adapté aux milieux naturels du Plateau.

     

    Des résultats visibles

    Sur le site des sources de la Vienne, également géré par le CENL, un peu moins de 20 hectares sont mis à disposition du groupement pastoral. Une cinquantaine d’hectares supplémentaires en cours d’acquisition par le CENL viendront s’ajouter aux surfaces à entretenir dès la saison prochaine.

    Les deux premières années de partenariat avec le GP sont une réussite aussi bien pour les éleveurs que pour le CENL. Les résultats sont déjà visibles et sont plus qu’encourageants. Les brebis sortent en bonne condition de l’estive et l’état de conservation et la diversité des milieux naturels s’améliorent. Certains aménagements sont prévus dès cet hiver pour améliorer le pâturage et les conditions de travail des bergers, comme par exemple la réalisation d’un parc de contention supplémentaire sur les landes d’A la Vue, derrière le parking du Longeyroux, ou encore la réparation d’une passerelle sur la Vézère en attendant le retour des brebis l’été prochain pour une troisième saison pastorale. 

    Sur Peyrelevade, la même forme de partenariat est mise en œuvre entre le groupement pastoral de Peyrelevade, la commune, le CENL et plusieurs propriétaires privés pour la gestion pastorale de plus de 34 hectares. Nul doute que d’autres GP verront le jour dans un avenir proche, pour plus de liens, plus de vie et une meilleure prise en compte de la biodiversité et des paysages de notre territoire.

     

    Marie-Caroline Mahé
    Conservatoire des espaces naturels Limousin, antenne du plateau de Millevaches

     

    Vous avez dit groupement pastoral ?

    La “loi pastorale“ (loi n°72-12 du 3 janvier 1972) reconnaît l’activité ancestrale de pâturage et d’estive et met à disposition des outils pour répondre aux attentes des gestionnaires, des propriétaires et des éleveurs. Elle offre la possibilité aux propriétaires de se regrouper au sein d’une association foncière pastorale pour assurer la mise en valeur de leurs terrains. Les éleveurs se réunissent quant à eux au sein de groupements pastoraux dans un objectif de mutualisation des investissements, de la main d’œuvre et du matériel. Le lien entre les deux structures prend la forme d’une convention pluriannuelle de pâturage.  Cette forme de partenariat, largement utilisée dans le sud de la France, commence à émerger sur le Plateau de Millevaches avec à ce jour, 3 jeunes groupements pastoraux.
  • Fossile futur, c’est aujourd’hui !

    Fossile Futur est un collectif composé de 11 personnes, jeunes artistes, graphistes et designers, installées à Meymac depuis un an. Dans la grande maison qu’ils habitent, une multiplicité d’activités permet la rencontre et l’échange. Allez donc pousser la porte du 15 avenue Limousine. Ses hôtes vous y invitent et se présentent ci-dessous.

     

    fossile futur

     

    Nous nous sommes rencontré·es pendant nos études aux Beaux-arts de Toulouse (isdaT) et lors de projets collectifs. Nous sommes uni·es par des expériences de vie collective et un désir de créer un lieu de travail, de rencontre et de partage : nous voulons ouvrir un espace où partager des idées, des opinions et des moyens de production artistique et artisanale.

     

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    Vivre-ensemble

    Le collectif est né du sentiment que notre avenir devrait se jouer en commun, que nous devions apprendre à vivre autrement. Nous pensons que ce réapprentissage de l’autonomie et de l’indépendance ne peut se faire que dans des espaces autres, et par la force additionnée de toutes nos individualités. L’association s’équipe petit à petit de machines pour le travail du bois et du métal, de petit outillage, de matériel informatique, d’ustensiles de cuisine et autres équipements mis en commun afin de faciliter nos efforts quotidiens et notre travail personnel, ainsi que de permettre à nos ami·es, voisin·es, et aux personnes de passage d’en profiter. Dès sa création, notre association a eu pour objectif de rénover collectivement une maison et de l’aménager pour en faire un espace de vie, de travail, de partage et d’accueil. Dans une démarche de convivialité, d’inclusivité et d’entretien du lien social, nous voulons développer ce qui peut participer au vivre-ensemble de la ville : fonder un lieu d’échanges et de rencontres, une cantine hebdomadaire ouverte à tous.tes, des ateliers de création artistique et artisanale, des résidences, et une programmation de spectacles, expositions, conférences, et fêtes.

     

    Une grande maison...

    En janvier 2021 nous avons signé un contrat de prêt à usage avec les propriétaires d’une grande maison inhabitée depuis plus de 15 ans à l’entrée de la ville de Meymac, en Corrèze. Grâce à leur générosité, nous avons pu nous installer gratuitement dans cette maison et y vivre sans crainte d’expulsion. Le bâtiment principal avoisine les 400 m² sur trois niveaux, il est accompagné d’une grange de 100 m² sur deux étages et entouré d’une petite bande de terrain qui en fait tout le tour. Nous sommes quelques un·es à y habiter à l’année depuis septembre 2021 ou à venir régulièrement. Au début, nous nous sommes concentré·es sur la rénovation des espaces de vie afin que la maison soit rapidement habitable : une grande cuisine, un salon avec poêle à bois, une salle de bain, quelques chambres et un dortoir. Pour faire tout cela, et pour remplir cette grande maison complètement vide, nous avons aussi eu besoin d’un grand espace d’atelier de construction que nous avons installé dans la grange. Sans chauffage hors du salon et sans eau chaude, l’hiver a été un peu rude et on s’est dit qu’il nous fallait vite des espaces où organiser des événements, faire venir du monde pour faire découvrir la maison, le collectif, et nous réchauffer un petit peu. Aussi la grande salle du rez-de-chaussée est devenue la pièce publique, où l’on a organisé des cantines prix libre tous les dimanches midi pendant l’hiver, et où on continue d’organiser tous nos événements, une à deux fois par mois. Ces derniers ont presque toujours lieu les week-ends, et vous pouvez retrouver notre programmation sur Instagram ou en vous inscrivant à notre newsletter (pour cela, envoyez-nous une demande par mail).

     

    … qui ne désemplit pas

    appel aux donsPetit à petit la maison a retrouvé son allure : les murs sont nettoyés, enduits, repeints ; les parquets massifs ressortent de sous leur couverture de linos défraîchis ; la maison s’aère, elle respire, la moisissure s’en va. À mesure que le confort s’améliore, de nouveaux ateliers voient le jour, de nouvelles chambres aussi, et même récemment une bibliothèque/infokiosque (elle aussi publique). Au moment où nous écrivons cet article, c’est l’été, et la maison ne désemplit pas. D’un week-end d’événement à une semaine de chantier, on a à peine le temps de se dire au revoir et de refaire les 20 couchages des dortoirs que de nouvelles personnes arrivent. Ça nous change de cet hiver où on était rarement plus de 5 et c’est super ! Merci encore à tous.tes celleux qui sont passé·es ou qui passeront pour visiter, nous rencontrer, nous aider sur un chantier, faire la fête, ou juste prendre des vacances. Le rythme d’avancée des chantiers est effréné et on efface chaque jour du tableau des tâches à accomplir. En même temps, il reste de quoi faire avant l’hiver et le retour du froid : pas mal de travaux d’isolation ; de récolte, stockage et découpe de bois de chauffage ; des chambres à aménager pour de nouveaux résident·es permanent·es ; un atelier de menuiserie à reconstruire sur notre chape de chaux toute fraîche, etc... Il faudra aussi refaire la couverture du toit, mais pour l’instant c’est hors de nos moyens. On a d’ailleurs lancé un financement participatif (les dons sont défiscalisables), si vous voulez nous soutenir le lien est dans l’encart “Appel au don”, et chaque participation compte beaucoup pour nous !

    Si tout cela vous rend curieux·se, n’oubliez pas que la maison est ouverte à tous.tes celleux qui veulent la visiter, pendant les événements mais aussi en dehors ! Il y a même des places en dortoir, il faut juste nous prévenir à l’avance pour y dormir. Et aussi : si vous avez des idées, des propositions, des envies, que vous voulez utiliser la pièce publique pour organiser un atelier ou autre, n’hésitez pas à nous en faire part. On espère vous rencontrer vite au 15 avenue Limousine, ou ailleurs !

     

    Le Collectif Fossile Futur

    Contact : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser. 

     

  • Le géographe Albert Demangeon et le Limousin

    demangeonAlbert Demangeon (1872-1940) fut l’un des plus grands géographes du premier XXe siècle. Il était, avec Emmanuel de Martonne, le pilier de ce qu'on a appelé « L’Ecole Française  de Géographie », qui rayonnait dans le monde entier. Son parcours ressemble à ce qu’était l’excellence académique de la IIIe République. Issu d’un milieu lorrain modeste, il fut Normalien à 20 ans, agrégé à 23, et rapidement Docteur. Professeur de lycée puis à la faculté de Lille, à l’Ecole Normale supérieure et enfin en Sorbonne à partir de 1911, nommé à la chaire de géographie économique. Il s'est particulièrement intéressé au Limousin et à la Montagne limousine.

     

    Les géographes actuels sont souvent de brillants informaticiens, habiles à théoriser et modéliser. On a du mal à imaginer ce qu’étaient ces grands géographes du début du siècle, de Martonne, Jules Sion, Raoul Blanchard... Ils créaient autant qu’ils pratiquaient cette discipline neuve qu’était la géographie. Tous étaient issus d’une solide formation littéraire (rhétorique, latin, grec) et formés avant tout à l’histoire. Ils tenaient plus des explorateurs du XIXe siècle que des rats de bibliothèques. Leur pratique était basée sur deux piliers, la carte et le “terrain“. Ils furent tous de grands dessinateurs, souvent photographes, arpenteurs, randonneurs, cavaliers. Demangeon eut comme professeurs, entre autres, Victor Bérard (grec), Charles Seignobos et Ernest Lavisse (histoire) et Paul Vidal de la Blache en géographie. Et, comme camarades à l’Ecole Normale, outre de Martonne, Léon Blum, Edouard Herriot et Charles Péguy. Les anciens élèves de Paul Vidal de la Blache “trustaient“ les rares chaires de géographie de l’Université française. Leurs élèves aboutissaient dans les khâgnes, les grands lycées et Ecoles normales, qui formaient les futurs instituteurs et professeurs du secondaire. Une admirable chaîne ininterrompue entre maîtres et élèves, successivement l’un puis l’autre. C’est certainement grâce à tous ces enseignants que la France reste un des derniers pays où l’on “sait sa géographie“.

     

    Dessin Demangeon

     

    Le Limousin d’un géographe

    Une fois thèse soutenue et assise académique assurée, il met à profit ses temps de loisirs pour ouvrir le chantier d'une nouvelle synthèse régionale sur le Limousin. Mais pourquoi donc le Limousin ? On a la chance de posséder de remarquables archives d’Albert Demangeon - écrits, articles, notes et brouillons, des dessins remarquables de sa main, des relevés statistiques et surtout sa correspondance. Denis Wolff, son biographe, a su tirer un bel ouvrage de ce corpus documentaire sans équivalent. C’est grâce à ce fonds que l'auteur a pu reconstituer pas à pas l’enquête de Demangeon en Limousin. Ce dernier, géographe de son temps, était très attaché à la description des reliefs et des formes, ainsi que de la vie paysanne. Après avoir étudié dix ans les mornes plaines picardes, il semble qu’il ait été attiré par un relief plus vigoureux : “C'est un pays si intéressant, si original par sa structure, son relief, son hydrographie, ses ressources économiques et par le genre de vie de ses habitants...“ écrira-t-il à son ancien élève Joseph Nouaillac, alors professeur de lycée.

    Il semble qu’il ait voulu d’abord s’intéresser aux Appalaches, mais l’inspecteur général ne lui accordant pas de bourse pour ses recherches outre-Atlantique, il lui aurait suggéré de s’intéresser au Limousin, qui présentait des formes proches. Son ami de Martonne, qui dominait la géographie physique française (et mondiale), lui signala alors tout l’intérêt de la région pour l’étude des cycles d’érosion. De plus, en choisissant notre région, il n’empiétait pas sur les terrains de ses collègues choisis pour leur propres recherches. En outre, le Limousin était  bien desservi par le train Paris-Toulouse, via Limoges.

    Demangeon se créa un véritable réseau pour documenter ses recherches, d’abord à la Chambre du commerce, qui lui ouvrait les portes des fermes et des usines. Puis ce furent maires, conseillers généraux, présidents de comices agricoles. Des instituteurs aussi, dont beaucoup avaient été formés par ses propres élèves. Pionnier, il mit au point un procédé d’enquête par questionnaire.

    Pour ses travaux de terrain, il ne quittait jamais les grandes cartes d’Etat Major, au 80 000e. Il se fit même accompagner sur le terrain par le grand géographe américain William Morris Davis, grâce à qui l’audience de ses travaux dépassa rapidement le cadre français et européen. Albert Demangeon était un bourreau de travail, comme le montre sa bibliographie. Sa nomination à la Sorbonne, si elle lui laissait de beaux étés pour parcourir le Limousin, l’éloigna de sa tâche. Infatigable et impliqué, il rédigea dans les années d’après guerre de nombreux manuels du secondaire, des précis pour les jeunes instituteurs. Il donna également de remarquables études sur les Iles britanniques, la Belgique et les Pays-Bas puis l’Empire britannique. Il avait également en projet un manuel de Géographie humaine mais surtout - ce qui allait être l’œuvre de sa vie - la Géographie économique et humaine de la France, qui parut quatre ans après sa mort, ouvrage sur lequel il s’était littéralement épuisé.

     

    carte demangeon

    “De ce plateau qui va s’élevant vers Est, les rivières s’échappent en rayonnant vers tous les points de l’horizon“. Les hauts sommets forment “une vaste surface rectangulaire qui correspond presque exactement ce que les paysans appellent la Montagne“ (Carte du relief du Plateau, au 2 000 000e, réalisée de la main de Demangeon)

     

    Le mandarin aux pieds crottés 

    Demangeon se rendit chaque été en Limousin de 1906 à 1911. On connaît assez bien les conditions de ses séjours, grâce à son importante correspondance. Ces voyages étaient souvent éprouvants. Ainsi, écrivait-il à son épouse en 1907 : “Quelle suée, l'après-midi à travers un plateau de landes et d'ajoncs ! J'ai pris trente-deux km dans les jambes“. Il était un remarquable marcheur, parcourant au moins 25 km par jour. Son élève Nouaillac se remémorait ainsi son barda : “un appareil photographique, une liasse de cartes et de volumineux carnets de notes“.

    Réellement attaché à la région, qu’il voulait étudier dans le détail, il disait ceci, lors d’un voyage à Dublin : “[J'attends] mon petit tour dans le Limousin dont je me réjouis d'avance“.  Denis Wolff a pu reconstituer ses itinéraires. C’est en 1906 et 1907 qu’il visite le Plateau de Millevaches. Il fait étape à Eymoutiers, Bugeat, Treignac et Ussel. Puis une nouvelle fois en 1910 et 1911, où il étudiera en détail ces mêmes régions. Il gravit les sommets, suit les cours d’eau. De la vallée de la Vienne en aval d’Eymoutiers, il évoque de “véritables gorges dont l'explication me tracasse“.

    S’il observe avec grand soin la topographie, il n’en ignore pas pour autant la géographie humaine et les mœurs. Il note avoir “traversé un village dont le curé a été chassé par ses ouailles“. Et encore : “Tout près d'ici se trouve un bourg appelé Meymac, à plus de sept cents mètres d'altitude, où ne peut pas venir la vigne. Or les habitants se font émigrants pour vendre du vin : ils vont, paraît-il, en Belgique et en Flandre, proposer des crus célèbres auxquels ils donnent des noms de leur pays, des noms de côtes où poussent des fougères, mais dont ils s'approvisionnent à Bordeaux ; ils les vendent très cher et font fortune“ !  Il est cependant freiné par le particularisme linguistique de cette région occitane. A Eyjeaux, il rencontre “des paysans qui ne parlent pas un mot de français“, à 15 km de Limoges… En 1908, il se réjouit de croiser fortuitement Nouaillac : “depuis le début de mon voyage, c'est la première personne civilisée que je rencontre“. 

    Dès 1907, pour compléter ses propres observations, il établit un questionnaire d’enquête destiné pour l’essentiel aux instituteurs, maires, médecins… Il se heurte parfois à l’absentéisme des maîtres d’école. Ainsi, dans deux communes visitées le même jour, il trouve porte close : “dans l'une, il était à la chasse ; dans l'autre, parti en vacances très loin“. Mais le plus souvent ce sont des rencontres fructueuses. Avec l’instituteur du Vigeois : “une séance de trois heures pendant lesquelles j'ai noirci six pages de mon carnet“. En 1910, Demangeon publie dans les Annales de Géographie un long article sur “le relief du Limousin“. Les géographes universitaires ne tarissent pas d’éloges, de Martonne en tête, qui salue cette “lumineuse démonstration“. Jules Sion, en poste à Clermont, propose à Demangeon de poursuivre l’enquête en Auvergne. L’accueil est retentissant, jusqu’en Allemagne et aux Etats-Unis où son collègue William Davis, référence mondiale en matière de géomorphologie, rend compte de ses travaux dans le Bulletin of the American geographical Society. Demangeon n’a pas encore 40 ans mais cette reconnaissance le positionne comme un des grands géographes internationaux.

    En 1911, Davis et une douzaine de géographes de diverses nationalités se rendent sur le terrain, pour confronter leurs propres travaux et observer la méthode de travail de Demangeon. C’est à Meymac, au Puy Pendu, qu’ils trouvent leur meilleur observatoire : “c'est à ce point culminant que les discussions sur les questions critiques ont été surtout débattues“. En 1927, Aimé Perpillou publie un nouvel article sur le relief limousin et se réserve la région pour sa thèse, qu’il soutiendra en 1940.

    Un second article de Demangeon est consacré à la géographie humaine de la “Montagne“, nom ne figurant sur aucune carte mais dont il a clairement perçu l’identité, “une figure vivante, pittoresque, précise dans l'esprit des habitants“. Il souhaite rendre toute l’originalité de “ce petit coin de France, de cette terre montagnarde à l'intérieur du Limousin“. C’est une terre dure, où l’eau est partout, où le relief impose ses conditions. Il s’intéresse particulièrement aux formes agraires, au peuplement et à l’émigration. L’article trouve écho dans les publications de la diaspora limousine. On retiendra les comptes-rendus de Louis de Nussac pour Le Limousin de Paris (Hebdomadaire paraissant le dimanche. Organe des colonies limousines et des originaires du Plateau central), 7ème année, n°34, ainsi que celui du fidèle Nouaillac dans Lemouzi littéraire, artistique, historique et traditionaliste (Revue franco-limousine mensuelle, Organe de la Ruche limousine de Paris et du Félibrige limousin), n°175, novembre 1911. A l’étranger, l’article trouve une nouvelle fois un large écho. Notons juste, dans le Scottish Geographical Magazine, qu’un rapprochement est établi avec les “Highlands of Scotland, where the geographical conditions present certain similarities“. Après 1912, les autres travaux de Demangeon, puis la guerre, l’éloignent du Limousin. Il semble que la région l’intéresse toujours. En 1920, il dirige un mémoire de maîtrise sur le Confolentais.

     

    Franck Patinaud

    Références :
    “Le relief du Limousin“ Annales de Géographie XIX 1910
    “La Montagne dans le Limousin“ Annales de Géographie XX 1911. Ces articles sont consultables à la Bibliothèque municipale de Limoges, ainsi que sur internet grâce au portail persee.fr.
    La France économique et humaine (Géographie universelle, publiée sous la direction de Paul Vidal de la Blache et de Lucien Gallois, tome VI, 2è et 3è volumes), Paris, Armand Colin, 1946 et 1948 (BFM Limoges).

    Etude sur Albert Demangeon : Denis Wolff, Albert Demangeon (1872-1940). De l'école communale à la chaire en Sorbonne, l'itinéraire d'un géographe moderne, Paris, 2005 (consultable sur internet).
  • Le panier paysan de Haute-Corrèze

    En 2002, du côté d'Ussel et Meymac, des paniers remplis de victuailles commencent à circuler entre producteurs et consommateurs corréziens... Une initiative qui depuis s'est développée et que nous présente l'un de ses initiateurs.

     

    le panier paysan de haute correzeQu'est ce que le Panier paysan ?

    Le Panier Paysan est un système de distribution solidaire de produits paysans et artisanaux locaux de qualité, s'adressant à une clientèle recherchant une alimentation saine et désirant participer à un développement durable de nos compagnes. Soucieux de développer leurs relations, consommateurs et producteurs se sont constitués en association loi 1901, adhérant à Ia FRCIVAM Limousin.

     

    Comment ça fonctionne ?

    Tous les quinze jours, les consommateurs commandent les produits directement aux producteurs. Un système d'abonnement avec une commande fixe est possible. Les livraisons ont lieu un vendredi sur deux selon un calendrier préétabli. Elles sont assurées par les producteurs, chez un consommateur relais, dons le respect des règles sanitaires. Choque consommateur vient ensuite chercher ses produits chez son relais. Des informations sont régulièrement communiquées aux consommateurs par les "brèves de panier".

    Chaque producteur s'engage en particulier dons une démarche de transparence :

    • par Ia rédaction de fiches de transparence présentant l'exploitation, le type de production, le mode d'élevage et de culture, les modes de transformation et de conditionnement et le mode de commercialisation.
    • par l'organisation de journées portes ouvertes sur les fermes.

    La zone géographique sur laquelle des consommateurs relais peuvent être livrés s'étend entre Meymac, Vitrac, Marcillac, Lapleau, Neuvic et Ussel. Si des consommateurs et des producteurs plus éloignés souhaitent s'engager dans cette démarche, il est envisageable de les aider à créer un outre groupe, sur Tulle ou Brive par exemple.

     

    Historique

    L'idée a démarré d'un groupe de producteurs fermiers, situés en Haute-Corrèze, vendant leurs produits en direct sur les marchés locaux. Ce sont des producteurs qui valorisent de petites surfaces souvent jugées difficiles. Leur problématique était d'arriver à écouler davantage de produits sons augmenter leurs coûts et leur temps de travail, tout en maintenant Io qualité du rapport social existant dans Io commercialisation des produits fermiers. Les livraisons ont débuté en 2002 et l'association a été créée en 2003.

    Le groupe a bénéficié d'un appui du Conseil Régional du Limousin dons le cadre de l'appel à projets innovants et diversifiants. Une étude a été financée pour analyser le fonctionnement du Panier Paysan et préparer des pistes d'amélioration afin d'élargir Io clientèle.

    Dons un souci d'efficacité le groupe travaille maintenant :

    • sur une simplification du système de distribution pour les consommateurs par Io mise en place d'une commande et de paiements centralisés et de documents de communication ;
    • sur l'élaboration de règles écrites (règlement intérieur, engagements...) ;
    • sur le maintien de relations "sociales" entre producteurs, consommateurs et consommateurs relais (réunions, organisation de journées portes ouvertes, édition des "brèves de panier"...) ;
    • sur Ia mise en place de services supplémentaires (outres produits agricoles, artisanaux, locaux ou issus du commerce équitable nord-sud).

     

    Laurent Guillaume

    https://www.panier-paysan-correze.com/ 

     

    Un panier bien rempli

    Nicolas Bernard, de Lamazière-Basse y met des volailles et des œufs.
    Christophe Demonfaucon qui élève des vaches laitières en agriculture biologique à Alleyrat y apporte des fromages et des yaourts.
    Catherine Simon et Laurent Teyssendier ("Le Comptoir Paysan"), y rajoutent des légumes, des petits fruits, des confitures, des champignons frais ou séchés, issus de leur exploitation de St Pantaléon de Lapleau, ou de cueillettes.
    Laurent Guillaume, éleveur à Laval sur Luzège, y dépose lapins, agneaux et jus de pomme.
    Lionel Soulier, de Lapleau, le complète en légumes.

    Et il reste encore de la place dans le panier pour étendre le choix des produits proposés : le groupe reste ouvert et les consommateurs ont bon appétit !
  • Les cochers chauffeurs limousins dans la région parisienne

    taxiPendant près d’un siècle - de 1880 à 1970 - une grande partie de la Montagne limousine a vécu au rythme des allers et retours des cochers de fiacre, puis des chauffeurs de taxi, à tel point que la nationale 20 dans sa traversée de Montrouge, entre la porte d’Orléans et la Vache Noire, était surnommée l’avenue des Limousins. Pourtant cette émigration a été peu étudiée. Liliane et Christian Beynel réparent cet oubli en se basant sur le travail de leur fille, Lauriane Beynel, qui a réalisé sur le sujet un mémoire de maîtrise.

     

    Contrairement à celle des marchands de vin de Meymac qui ont inspiré plusieurs chercheurs comme Marc Prival, ou celle des maçons de la Creuse analysée par des historiens de renommée comme Alain Corbin, l’émigration des cochers et chauffeurs n’a en effet pas été très étudiée. Nous nous sommes interrogés sur cette différence de traitement. Les maçons et les marchands de vin ont connu des sagas qui dépassent notre Landernau. Pensons aux Janoueix, Moueix¸ Nony, etc., qui ont fait souche dans la région de Saint-Émilion, aux Pitance de la Villedieu, installés à Lyon, partis de rien et créateurs d’une petite multinationale dans le domaine du bâtiment. L’émigration des cochers-chauffeurs, certes beaucoup plus humble par son ampleur, a pourtant profondément marqué notre région. Ses traces sont encore vivantes dans le bâti de nos villages et dans nos mentalités même si les effets s’atténuent avec le temps.

     

    cocher« Le pays est si ingrat... »

    Cette émigration débute dans les années 1880. Nous n’avons pas retrouvé le Jean Gaye Bordas (premier marchand de vin de Meymac-près-Bordeaux) des cochers, aussi nous ne connaissons pas avec exactitude le fondateur de cette migration du travail, mais tout laisse à penser que les premiers cochers sont partis de la partie centrale du Plateau où leur nombre est particulièrement élevé. En cela, nous pouvons faire un rapprochement avec les Savoyards, presque aussi présents que les Corréziens dans ce métier, venus principalement de la Haute-Maurienne. Ces pays pauvres sont très peuplés. La densité des communes de notre canton était 7 à 8 fois supérieure à sa densité actuelle. Les conditions de vie étaient difficiles, une précarité énergétique et même parfois alimentaire sévissait. La tuberculose faisait de nombreux ravages. Les hommes étaient obligés d’aller chercher du travail pour ramener un peu d’argent dans une région qui en manquait cruellement. Les premiers départs sont des migrations temporaires comme celles des maçons creusois et ceci dès le Moyen-âge. Dans la partie corrézienne, l’émigration temporaire commence par celle des scieurs de long, en direction des Landes et des Pyrénées. Le maire de Bugeat, en 1819, s’en fait l’écho : « Le pays est si ingrat que sans l’émigration annuelle de nos scieurs de long qui nous débarrasse pendant l’hiver du tiers de notre population qui est bien faible pour l’étendue, que sans leur travail forcé dans les Landes, le pays aurait bien du mal à vivre. »

    Ce métier de scieur de long, exigeant physiquement se pratiquait l’hiver. Les hommes partaient après les semailles du seigle et revenaient pour celles du printemps et surtout pour les foins qui demandaient une main d’œuvre nombreuse. En 1872, le recensement de Saint-Merd-les-Oussines en dénombre 45 et seulement 6 en 1906. Les cochers de fiacre ont pris la relève mais avec l’ouverture de la ligne de chemin de fer Ussel-Limoges en 1883, les femmes commencent à suivre leur mari.

     

    Au Cadran Bleu, à Levallois-Perret

    taxi renault ag1 noir et blancEntre ces migrations aux directions opposées, dans des milieux très différents, il y a néanmoins de nombreuses similitudes. Ce sont avant tout des métiers de ruraux. La conduite du fiacre est assez facile pour ces fils de petits paysans habitués au maniement des attelages même si l’apprentissage des rues de Paris l’est beaucoup moins et surtout, comme les autres métiers des émigrés limousins (garçons de café, marchands de vin ou de toile, maçons), ils permettent de revenir au pays pour les travaux ruraux.

    La colonie limousine se spécialise dans ce métier de cocher de fiacre puis dans celui de chauffeur de taxi, les uns attirant les autres. La plupart du temps, les jeunes qui « débarquaient » étaient accueillis par les parents ou les voisins et hébergés dans les hôtels tenus par des « pays » comme au Cadran Bleu, près de la gare de Levallois-Perret, longtemps  refuge des Meymacois. Leur premier travail, souvent, était laveur de voitures, puis graisseur avant d’obtenir le fameux certificat de capacité tant envié car il était synonyme de promotion.

    Pour mesurer l’importance des Limousins dans cette profession, nous nous sommes servis des listes électorales de Levallois-Perret de 1912 et avons recensé 734 cochers et 1 120 chauffeurs. Les Limousins représentent 9,4 % des cochers et 29,46 % des chauffeurs. Ils sont surtout très nombreux dans la profession des chauffeurs où la région devance largement les autres. Les Savoyards sont un peu moins de 9 %, ceux du Massif Central, avec en tête les Aveyronnais, 21 %. Un chauffeur sur deux est de langue occitane et un sur quatre est limousin. En plus de ceux qui sont recensés à Levallois, nombreux, surtout parmi les saisonniers (ceux qui ne travaillaient qu’une partie de l’année), sont recensés dans leur commune d’origine. En 1910, nous en trouvons 22 à Meymac, 15 à Sornac, 26 à Peyelevade.

    Mais cette émigration ne concerne qu’une partie du Limousin. En nous servant des lieux de naissance des émigrés, nous avons pu cartographier l’origine des cochers-chauffeurs habitant Levallois-Perret. Ce métier est avant tout celui des originaires de la Montagne limousine. Meymac arrive en tête avec 24 chauffeurs (sans compter ceux recensés au pays), suivi par Sornac avec 22 chauffeurs, Peyrelevade 21, Saint-Setiers 19 et Tarnac et Saint-Merd-les-Oussines 17, etc. C’est donc bien, une spécialisation locale de la partie haute de la Montagne limousine corrézienne.

     

    Levallois-Perret, premier village de la Montagne limousine

    Le recensement de 1896 indique pour Levallois-Perret une population de 46 542 habitants dont 4 442 sont nés en Corrèze et 660 en Creuse. Les Corréziens émigrés, pour la plupart de fraîche date, sont plus de 9,4 % de la population de cette commune. Ils ne sont devancés que par les Aveyronnais qui pratiquent souvent le même métier et une langue occitane légèrement différente. C’est l’époque d’une curieuse société que l’écrivain local René Limouzin - lui-même fils de chauffeur - décrit dans son livre Paris-sur-Sarsonne (éditions les Monédières, 1981). Nos Corréziens vivent entre eux, fréquentent les cafés des « pays » dont un s’appelle encore « Le Limousin » (mais sa clientèle est composée aujourd’hui de cadres), vont aux bals des Corréziens de Paris dont le premier président est François Laroubine, originaire de Saint-Merd-les-Oussines, habitent les mêmes immeubles. Les femmes, par contre, ne s’aventurent que rarement en dehors de leur quartier.

     

    carte chauffeurs levallois perret

     

    Nous avons cartographié leurs lieux d’habitation à partir des listes électorales de 1912. Les Corréziens habitent surtout à proximité de la place Collange où se tient le garage de la G7, entreprise moderne, capitaliste, fondée par le Comte Walewski en 1902, qui possédait à la veille de 1914 2 590 automobiles. Chiffre considérable, nécessitant une mise de fonds très importante, les voitures étant construites de manière artisanale. Curieusement, les originaires de la vallée de la Maurienne habitent eux à proximité de Paris, à l’opposée de la G7, bien qu’elle emploie nombre d’entre eux.

     

    Le travail des taxis

    Une fois le sésame obtenu, c’est-à-dire le certificat de capacité à la conduite des taxis, nos compatriotes vont se lancer à l’assaut des rues de Paris qui, pour eux, est un vrai champ de bataille. Imaginons leur premier jour de travail dans une ville qu’ils connaissent mal, au volant d’une voiture peu fiable, dérapant facilement sur les pavés surtout ceux en bois qui étaient encore nombreux. Ils étaient payés au pourcentage de la recette (en principe, ils recevaient 27 % de la recette mais ils devaient payer jusqu’en 1912 le benzol). Quelques fois, ils faisaient une course drapeau en l’air, c’est-à-dire qu’ils ne déclenchaient pas le taximètre qui enregistrait les kilomètres et le montant de la course. C’était pour eux une manière de se faire un petit supplément.

    Le travail est dur par sa durée. Nos ancêtres taxis ne comptaient pas leurs heures qui n’étaient pas limitées. Certains commençaient très tôt, vers 6 heures du matin, et après avoir signé la feuille de route, partaient pour une longue journée qui pouvait atteindre 15 heures pour certains. Beaucoup ne se reposaient jamais, en particulier parmi les petits propriétaires, c’est-à-dire ceux qui sont propriétaires de leur licence et de leur voiture. En effet, leur but était de gagner un maximum d’argent dans un minimum de temps et de l’apporter au pays pour reprendre la ferme familiale ou préparer la retraite. Quelques-uns étaient des saisonniers, c’est-à-dire qu’ils partaient travailler l’hiver et revenaient au printemps (cette tradition a perduré jusqu’en 1960). Paris, pour eux, n’était qu’une étape dans leur vie, un moyen de revenir au pays dans de bonnes conditions. Beaucoup n’ont jamais marché sur les Champs-Élysées ou sur le boulevard Saint-Michel. Leur seul loisir était de fréquenter les « pays » dans quelques bistros où ils retrouvaient leurs compatriotes, comme le café de la Poste à Levallois-Perret tenu par un originaire du Treich de Tarnac ou celui de la rue Fouquet, rendez-vous des originaires de Peyrelevade et de Saint-Merd-les-Oussines. D’une certaine manière, ils avaient organisé une contre-société qui tournait le dos à l’agglomération parisienne.

     

    Les Limousins à la tête du syndicat des cochers chauffeurs

    gourdon muratLes cochers puis les chauffeurs s’organisent pour défendre leur corporation selon leur expression en un syndicat unitaire qui voit le jour en 1889. Ils disposent depuis d’un journal Le Réveil des cochers- chauffeurs qui existe toujours. Ce syndicat dirigé au départ par des Aveyronnais va, à partir de 1898, compter quatre secrétaires limousins. Le premier est Jacques Mazaud, originaire de Meymac, remplacé par Eugène Fiancette de la Courtine. Ce dernier dirige la grande grève de 1911-1912 qui durera 144 jours, à propos de la rémunération des chauffeurs, ceux-ci refusant de payer le benzol. Grève très dure qui transforme Levallois-Perret en un véritable camp retranché, marqué par la mort d’un chauffeur et par l’échec de la grève. Il devint sénateur et ami de Pierre Laval qui fut l’avocat du syndicat pendant la grande guerre et vota les pleins pouvoirs à Pétain. De cette époque date la Fraternelle automobile, société mutuelle d’assurance, installée aujourd’hui à Clichy. En revanche, la maison commune des taxis de la rue Cavé à Levallois a disparu. Le troisième secrétaire corrézien est Damien Magnaval de Gourdon-Murat qui fut un meneur des grèves des années 1930 et poursuivit son engagement en rejoignant les brigades internationales en Espagne où il trouva la mort dans les Asturies en 1938. Le quatrième est Gérard Ducouret de Saint-Brice en Haute-Vienne qui est en poste en 1968, période où les chauffeurs observent une grève de près d’un mois.

     

    L’impact des cochers-chauffeurs sur notre région

    Elle est moins spectaculaire que celle des marchands de vin de Bordeaux. Les taxis n’ont pas construit d’aussi belles maisons que celles que nous rencontrons dans les quartiers du Jassonneix ou de la Montagne à Meymac, mais leur impact est loin d’être négligeable. Des villages entiers comme celui des Maisons (commune de Saint-Merd-les-Oussines) ont été en grande partie élevés avec l’aide des taxis qui à Levallois se contentaient de petits logements sans confort. Certains ont même construit ou réparé des bâtiments agricoles qui n’ont jamais réellement servi.

    Cette différence entre nos différents types d’émigration se retrouve jusque dans les cimetières : les tombes des marchands de vin sont spectaculaires, marquant pour la postérité leur réussite, tandis que celles des cochers-chauffeurs sont beaucoup plus modestes. Tout comme l’impact politique de ces métiers. Les marchands de vin ont plutôt penché à droite ou vers le parti radical, tandis que les cochers-chauffeurs, formés à la dure lutte syndicale, ont penché très tôt vers le parti socialiste. Avant 1914, ils fréquentaient la section socialiste des originaires de Paris et en 1904 plusieurs chauffeurs étaient adhérents de la section locale du Parti Socialiste de France dirigé par Jules Guesde. En 1920, la majorité du syndicat des chauffeurs va choisir le jeune parti communiste et il est probable que ce choix a pesé sur la vie politique de notre région avec, il est vrai, d’autres influences comme celle de Marius Vazeilles.

     

    Liliane et Christian Beynel
  • Marius Vazeilles, grand homme barbu

    Un matin du tout début juillet 1968, j’ai pris le train gare d’Austerlitz, et je n’étais pas seul. Nous étions toute une bande de jeunes échappés des banlieues, sous la garde de moniteurs désemparés par nos cris de hyènes et nos sauts de puces. J’avais un peu plus de douze ans, et j’allais rejoindre un camp de vacances de la Caisse d’allocations familiales (CAF) d’Ile-de-France, installé à Meymac (Corrèze).

    Tous les cas sociaux de la région parisienne étaient représentés. Il y avait parmi nous des orphelins, des excités qui jouaient du couteau jusque dans le couloir du train, des gentils, des abrutis, pas mal de paumés qui appelaient leur mère. Laquelle ne répondait pas, comme on s’en doute.

    Marius VazeillesÀ Limoges, nous prîmes un car, qui nous mena au terminus. En bas d’une colline se tenaient les bâtiments en dur, dont la cantine. Et sur les pentes était dressé un village de tentes où nous dormions, huit par huit. Je me souviens très bien des chasses au lézard et à la vipère : je participais volontiers aux premières, mais surtout pas aux secondes, qui me flanquaient la trouille. Un gars de plus de treize ans avait trouvé une combine avec un pharmacien de Meymac, qui lui achetait je crois le venin des serpents. Le gosse en profitait, il était riche.

    Pour ma part, j’étais triste, pour des raisons que je ne peux pas détailler ici. Mais triste. Sauf ce jour dingue où nous allâmes visiter le musée d’un certain Marius Vazeilles, dont je n’avais bien sûr jamais entendu parler. J’en ai gardé le souvenir que voici : des grandes salles, une lumière brune sur des vitrines où dormaient des épées romaines tombant en miettes. Peut-être ai-je rêvé. Je revois pourtant quantité de restes d’armées défuntes, ainsi que des morceaux de poteries, les traces d’un monde disparu. Et c’est alors que l’enchantement fut complet. Car je rencontrais ce même jour le créateur du musée, Marius Vazeilles soi-même, et je compris pour la première fois de ma vie, je veux dire concrètement, les liens qui unissent les hommes par-delà le temps. Vazeilles en personne, et nul autre, avait fouillé la terre avant d’en exhumer les trésors. Ici, alentour, dans les environs de Meymac, où je posais le pied, d’autres humains avaient vécu jadis. On peut, on doit même appeler cela une révélation.

    Mais j’ai également le souvenir physique de Marius. C’était, pour le gosse que j’étais en tout cas, un géant de légende, venu tout droit de l’Iliade et de l’Odyssée. Il me semble qu’il portait un béret, ou une casquette. À coup sûr, il avait une barbe fournie, jupitérienne. Et il parlait, figurez-vous, en français que je comprenais ! J’ai su ce même jour qu’il avait dirigé le reboisement du plateau de Millevaches. Mais je dois avouer que je n’ai pas compris l’ampleur de l’entreprise. Le plateau, pour moi, c’était une clairière dans laquelle j’allais me gorger de myrtilles, et dans mon souvenir toujours, ce plateau est pentu, il n’est nullement plat.

    Quelqu’un peut-il m’expliquer ?

    Pour clore cette journée folle, nous nous sommes retrouvés chez Marius, dans le parc qui entourait sa vaste maison. Où ? Je ne sais. Mais j’en fus marqué à tout jamais. Car le grand forestier avait planté là, côte à côte, des conifères venus du monde entier. Des lointaines Amériques, d’Asie centrale, du Chili, de Russie, de l’Atlas peut-être. Je venais de la banlieue parisienne, je n’avais rien vu de rien, j’étais d’une ignorance totale, et Marius m’offrait le monde et ses splendeurs, d’un seul coup d’oeil. Je me souviens des différences de taille entre ces arbres, de leurs couleurs si variées, de leur invraisemblable solidité. Et Marius parlait, parlait, parlait. J’ai sa voix dans mon oreille au moment où j’écris ces lignes. Il savait parler aux enfants. Il était grand.

     

    Fabrice Nicolino
    Fabrice Nicolino est journaliste spécialisé dans les questions d’environnement

     

    Note sur l’évolution de l’économie rurale en haute zone du Plateau de Millevaches - 750 mètres et plus

    1914-18 ! Période cruciale

    L’économie rurale va se transformer.

    Je viens d’être chargé de la propagande pour la mise en valeur des landes du Plateau de Millevaches, 80 communes, 15 000 hectares, de Meymac jusqu’à Bourganeuf et Felletin.

    Vont se terminer les travaux de moisson du seigle avec la faucille et la mise en gerbes, le battage au fléau durant tout l’hiver dans les granges, l’emploi de la faux dans les prés, le ramassage du foin avec fourches et râteaux et sa rentrée au fenil avec les charrettes tirées par les vaches.

    Abandonné le tombereau à fumier, remplacé bientôt par l’épandeur d’engrais.

    Pour les foires et marchés, le «charetou» à âne d’autrefois, parfois la voiture et le cheval peu employé dans le pays, vont être remplacés presque totalement par l’automobile ou la camionnette ou le tracteur, lequel sert maintenant à tout charroi, même celui des charrues diverses et des machines nouvelles.

    Devenue rare la préparation des repas dans la grande cheminée où marmites et «oulhes» pendaient aux crémaillères, où la poêle et la «daubière» avaient leur place sur le trépied au dessus des braises, près du toupi devant le feu, entre les chenets.

     

    Depuis l’après-guerre 14-18, la cuisinière à bois a commencé à trôner pour la paysanne avant d’être bientôt remplacée par le réchaud à gaz butane. Cà et là sont utilisés le précieux frigidaire et la vaillante machine à laver. A la même époque le laboureur a remplacé par la brabant double l’antique araire qui, depuis les temps néolithiques ne faisait que rayer la terre, alors que, en Gaule indépendante, dans les terres profondes, servait déjà la charrue munie de son coutre et de son avant train signalés par le grand historien Camille Jullian.

    Dans les mêmes temps, il y a une quarantaine d’années, les femmes et leurs fille ont cessé de filer la laine et le chanvre, et les hommes de cultiver cette plante dans le jardin réservé, l’«hort» du chanvre, la chènevière. Le chanvre occupait beaucoup dans le village avant de servir, accroché à la quenouille. Pour assurer le travail des fileuses, de toutes les femmes, jeunes ou vieilles, il fallait cultiver ainsi un ou deux ares de la meilleure terre. Après la récolte, il fallait faire rouir les tiges dans l’eau, puis, après séchage, «barguer» et peigner.

    Après la tonte des bêtes à laine il fallait nettoyer la laine, carder et filer.

    Pour les paysans, fini aussi de chauffer le four. Depuis peu ils ne font plus leur pain, ils s’en procurent chez le boulanger du bourg.

    Les maisons anciennes sans étages ont été de plus en plus remplacées par des bâtiments modernes à un étage et plusieurs pièces. Presque toutes pourvues de leur adduction d’eau potable et des contacts avec le réseau électrique pour la force et la lumière, voire même chauffées au mazout. A Meymac, un réseau d’égout fonctionne depuis longtemps.

     

    L’agronomie a fait de grands progrès avec l’emploi suffisant et judicieux des engrais chimiques et l’utilisation des machines agricoles de plus en plus en usage à la ferme. La prairie artificielle ignorée autrefois durant longtemps, est entrée enfin dans l’assolement. L’écobuage à feu courant et surtout celui à feu couvert qui appauvrissait gravement le sol est depuis longtemps abandonné. En matière d’élevage, le progrès a été très sérieux depuis 40 ou 50 ans. Autrefois, à l’époque où, entre les hameaux, la lande était dominante et parcourue sans discernement par les grands troupeaux ovins, l’élevage des bêtes à cornes était très infériorisé, malgré les comices agricoles et le zèle éclairé des Directeurs des services agricoles.

    Durant l’hiver, on donnait le meilleur foin aux brebis. Celles-ci pleuraient à l’automne jusqu’à la dernière pousse. Elles prenaient ce qu’on appelle la «darrère». Au printemps, c’était encore elles qui déprimaient les prés. Les bovins ont enfin repris la place qui est due aux animaux qui enrichissent la terre au lieu de l’appauvrir.

    Les grands espaces en nature de landes ou de friches, d’un hameau au suivant, sont en voie d’utilisation pour le labour, le gazon et aussi pour le boisement.

    Dès 1913, après ma désignation, j’ai procédé sans perdre de temps au démarrage de la plantation forestière. Dans certains quartiers de Meymac, la reforestation a atteint un taux convenable pour la ferme, la région et le climat, soit pour l’équilibre agro-sylvo-pastoral. C’est à cause de ces travaux que

    Meymac a été choisi pour l’emplacement de l’Ecole Forestière.

    Il y a quelques siècles seulement, des bois existaient sur le Plateau, mais le pâturage exagéré des ovins dans chaque ferme et sans jamais de limitations, a fait que le bûcheron n’a pas été suivi de près par le jeune plant naturel et le rejet de souche. Sans que les générations successives s’en soient rendu compte, la forêt a disparu faisant place peu à peu à la lande sans autres preuves que la présence de beaux troncs de chênes dans les tourbières et de nombreux lieux dits évoquant la forêt. Cette invasion de la lande est même parvenue à ne laisser des anciens chemins que des traces à peine marquées. Aussi l’établissement des chemins ruraux est rendu difficile pour les villages éloignés et les écarts où ils sont nécessaires.

     

    A la recherche du travail et de quelque fortune dans les villes, surtout à Paris, l’émigration continue à prélever une partie de notre jeunesse campagnarde. Mais trop peu de garçons et surtout de filles cherchent à s’orienter vers une situation agricoleA noter que le nombre de voyageurs de la région pour la vente des vins de Bordeaux continue à se maintenir, mais avec moins d’activités qu’autrefois. Après une longue période où le certificat d’études était très rare sur la Montagne, l’instruction populaire a fait beaucoup de progrès grâce à la qualité des maîtres et des élèves. Depuis quelques temps, elle progresse partout où se rencontrent les qualités naturelles des enfants et les moyens économiques des parents.

    L’émigration vers la ville, et par suite l’abandon des hameaux a abouti à des communes qui se dépeuplent, telle celle dite du Longeyroux qui occupait la parcelle cadastrale «A la chapelle». Le hameau voisin de celle qui se dépeuple à son tour a profité du premier abandon. Il a hérité de la petite cloche de l’église du groupement abandonné. Elle est suspendue aujourd’hui à une fourche d’un arbre du groupement nouveau.

     

    Marius Vazeilles
  • Meymac Derrière le « scoop », l'histoire instrumentalisée, oubliée ou malmenée

    Des soldats allemands exécutés sans autre forme de procès à la Libération par les maquisards dont on découvrait subitement les cadavres à Meymac ! Ce « scoop » a fait la une de l'actualité cet été. Gérard Monédiaire revient sur cet épisode... en le ramenant à de plus justes proportions et en le contextualisant.

     

    Vue meymac

     

    Les bois aux alentours de Meymac ont retrouvé leur calme. Une sérénité troublée cet été par l’affaire des recherches visant à exhumer les restes de soldats allemands de la deuxième Guerre mondiale, au nombre d’une quarantaine, peut-être un peu plus, ainsi que d'une collaboratrice française, exécutés en 1944 par le maquis dans la période qui a suivi immédiatement la prise de Tulle en juin, puis la retraite des troupes essentiellement FTP confrontées à la division SS Das Reich dont l’armement était sans commune mesure avec celui de l’« armée des ombres ».

     

    Un événement déjà connu

    L’événement a fait retour dans l’actualité à raison de sa remémoration par un maquisard âgé, Edmond Réveil, dont la sincérité n’a pas à être mise en doute ni les motifs suspectés d’on ne sait quelle animosité à l’égard de qui que ce soit. Alors qu’immédiatement la chose fut présentée sous la forme d’un scoop par certains journalistes, il apparut très vite que la connaissance publique de l’événement était ancienne, celui-ci ayant été signalé explicitement en 1975 lors de la troisième édition de l’ouvrage collectif Maquis de Corrèze.
    Comme il est d’usage dans ce type d’occurrence, les institutions compétentes de la République française (Office national des combattants et des victimes de guerre - ONACVC) et de la République fédérale d’Allemagne (Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge - VDK, traduction approximative : Service allemand de prise en charge des sépultures de guerre), ont mis en place un dispositif de recherche des restes humains des soldats de la Das Reich passés par les armes.
    Les recherches archéologiques conduites à Meymac au moyen de technologies avancées n’ont pas été couronnées de succès : seuls quelques artefacts (douilles, balles, identiques sans doute à celles que les adolescents des années cinquante et soixante du XXe siècle trouvaient à profusion dans bien des greniers corréziens, quelquefois assorties d’engins plus inquiétants oubliés par les adultes) ont été mis au jour, et un climat étrange d’inachevé a résulté de l’échec des fouilles.
    Reste que l’épisode peut justifier de brèves réflexions sur le sens, ou plutôt les sens, que l’affaire a pu revêtir, qui tantôt sont propres aux faits historiques en cause, tantôt témoignent d’un caractère plus large, voire universel. Un avertissement est nécessaire : les propos qui suivent ne sont pas essentiellement animés par une inspiration « normative » (ce qui devrait être) mais par une approche « clinique » (ce qui est, ou ce qui fut). Il s’agit de tenter de mieux comprendre pour ensuite laisser le temps du jugement à chaque liberté individuelle, supposée davantage édifiée.

     

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    La question de la guerre et des restes humains

    Si les différentes formes du pacifisme sont hautement recevables d’un point de vue moral, il n’en reste pas moins que la guerre, modalité collective de la violence, pour l’observateur rationnel, semble consubstantielle au genre humain.
    Certains ont pu même avancer l’idée que la matrice de tout droit était celui de la guerre, la guerre étant de ce fait « civilisée », un peu comme la boxe qui serait un « noble art », à la différence de la vulgaire rixe tout à fait dépourvue de règles. S’il peut avec raison être soutenu que la guerre est moralement indéfendable (ce qui invite à réfuter, mais peut-être pas à récuser la torrentielle littérature léguée par les siècles au sujet de la « guerre juste » et de ses critères), rien ne s’est jamais opposé à ce qu’elle soit dotée d’un droit, aujourd’hui celui des « conflits armés », regroupant les droits ad bellum, in bello, post bellum et humanitaire.
    Or, parmi les règles immémoriales de la guerre « civilisée », au moins dans le monde occidental, figure la question des dépouilles des combattants, qui ont vocation à être rendues à leur famille ou à leur cité. C’est dès la littérature homérique, faite de récits fondateurs, qu’apparaît avec force cette exigence à propos de l’attitude du « bouillant Achille » venant de triompher de son duel avec le Troyen Hector. La colère d’Achille est telle qu’il profane le corps de son ennemi défunt qui avait pourtant pris soin de lui demander de respecter son cadavre s’il devait succomber, et il refuse de le remettre à son père Priam, roi de Troie. C’est alors par l’intermédiaire de sa mère que les dieux, irrités, font savoir à Achille qu’ils désapprouvent absolument sa conduite, ce qui le conduit à remettre les restes d’Hector à Priam afin qu’une sépulture décente l’accueille. À ce titre donc, l’affaire de Meymac n’a rien de particulier, elle ne fait que s’inscrire dans une histoire de la très longue durée ayant quelque chose à voir avec le sacré autour de l’inviolabilité du cadavre, le droit positif le plus contemporain prévoyant pour sa part toute une série de peines sanctionnant les profanations de cadavres et de sépultures, la qualité du défunt étant sans incidence sur l’interdit acquis dès les Grecs.
    Au demeurant, ces exigences de dignité due aux morts ne sont pas polarisées politiquement, mais bien générales et absolues, et elles revêtent parfois une dimension de réparation et de rétablissement de la vérité historique par-delà la concurrence des mémoires et les vérités d’État. Refuser décence et dignité aux morts quels qu’ils soient, c’est, pour reprendre les catégories de pensée forgées dès l’Antiquité, abdiquer la civilisation et opter pour la barbarie. Pour toutes ces raisons donc, l’émotion locale à laquelle on a assisté autour de l'affaire de Meymac est sans doute compréhensible, mais l’opération de recherche de corps en vue de leur exhumation et leur transfert dans une nécropole n’a rien d’extraordinaire, elle est même souhaitable car c’est un acte de civilisation qui a une très longue histoire.

     

    Sensationnalisme, inculture et approximations

    Une autre approche de l’affaire de Meymac est davantage circonstanciée, elle se décompose en réalité en plusieurs aspects qui intéressent davantage l’histoire récente et les sociétés contemporaines. C’est tout d’abord faire référence à la façon dont les choses ont été répercutées par les médias, et on n’y fera nulle découverte particulière : ce sont les règles du champ journalistique qui ont trouvé à s’appliquer, entre spectacle du sensationnalisme, inculture et approximations. Il est ainsi question (Arte, qu’on a connue mieux inspirée) d’« aveux » : que l’on sache, ce sont les coupables qui avouent, et Edmond Réveil n’est à l’évidence coupable de rien. La Vie corrézienne du 1er septembre se charge quant à elle de restituer le climat qui, à l’entendre, prévalait à l’époque, afin que son lectorat soit édifié : « Les règlements de comptes remplacent les procès, la violence était sans pitié. C’était l’épuration. Les crânes rasés, les lynchages. » Que l’affaire de Meymac se situe avant la Libération ne semble pas troubler le rédacteur, qui reprend le marronnier de la sauvagerie de l’épuration dans le Limousin tout entier, qui n’épargna pas la Haute-Vienne en particulier à travers la figure de Georges Guingouin (« Le colonel communiste Guingouin : son « armée » fut responsable d’un millier d’exécutions dans la région de Limoges » Le Crapouillot, avril-mai 1985) ; alors qu’un petit ouvrage d’un avocat qui fait litière de ces allégations n’est jamais évoqué (Jean Meynier, ancien bâtonnier, La justice en Limousin au temps de la Libération. Les tribunaux d’exception, 1944-1948, Éd. René Dessagne, 63 p., pas de date indiquée, vraisemblablement 1985). Le quotidien Le Monde est davantage modéré, factuel (24 août 2023), et c’est avec surprise qu’on observe que M le magazine du Monde, son supplément hebdomadaire consacré essentiellement aux futilités les plus diverses et manifestement destiné aux salles d’attente, fait figurer sur sa couverture : « Le secret de Meymac » ! La contribution de quatre pages est assez solidement documentée, mais ce qui doit retenir l’attention dans un premier temps, c’est le recours à des substantifs propres à suggérer une atmosphère ténébreuse qui semble vouloir rivaliser avec l’affaire Dominici. Il est ainsi question de « fantômes allemands », de « terrible passé », d’une « assemblée muette de stupeur », de « rumeur (…) racontée à voix basse derrière les portes fermées », de « douleurs enfouies ». Décidément, la veine du lyrisme gore inaugurée par le député socialiste haut-viennois Jean Le Bail dans les années cinquante du XXe siècle est toujours fertile. Pour sa part, il avait intitulé « Limousin terre d’épouvante » le feuilleton qu’il rédigeait dans le Populaire du Centre aux fins de lapidation de Georges Guingouin.

    L’inculture se mesure, là comme ailleurs, à travers l’utilisation du mot « village » pour désigner Meymac, au mépris des apports de l’ethnologie rurale et du sens commun rural local : Meymac est une commune et comme toutes les communes limousines elle a un bourg d’une part et des villages d’autre part. Passons.
    Cependant, à la différence d’autres contributions, l’opinion des associations d’anciens combattants de la Résistance est exposée dans le texte, alors que dans La Vie corrézienne des propos sans aucun élément probant mais en forme d’argument d’autorité donné pour fondé à raison des professions de ceux qui l’expriment, stigmatisent une supposée volonté dissimulée des anciens du Maquis d’empêcher toute investigation sur l’affaire. Comme il est normal, les représentants de la mémoire de la Résistance signalent dans M le caractère public de l’information dès 1975 à l’occasion de la troisième édition de Maquis de Corrèze, il y a près de cinquante ans. Qu’il y ait eu lecture superficielle ou oubli est une autre histoire.

     

    Crime de guerre ?

    Enfin, plusieurs médias font référence à l’hypothèse du crime de guerre, divine surprise pour ceux qui veulent faire accroire qu’ils sont revenus de tout alors qu’ils n’ont jamais quitté le monde de la médiocrité. Passons sur l’effet de la prescription qui, si elle ne concerne pas le crime contre l’Humanité, s’applique au crime de guerre - même si on peut le regretter parfois -, pour en venir à l’essentiel s’agissant de cette incrimination. Quant à l’intention des juristes d’opérette se mêlant de droit de la guerre d’abord, elle est évidente : comme il est difficile d’effacer ou même de minorer le souvenir des massacres d’Ussel, de Tulle, d’Oradour-sur-Glane perpétrés par la Das Reich à la même période, sans préjudice des exécutions sommaires commises tout au long des itinéraires des détachements des troupes nazies, pouvoir exciper d’une identité de pratiques imputées à la Résistance est une bénédiction, une reproduction de la « divine surprise ». Exit la pertinence des motifs de lutte des uns et des autres, hors sujet la disproportion des forces en présence, reste l’invitation à l’égalité des valeurs, une barbarie répond à une autre, tout est dit, gémissons et détournons le regard. Analogie sportive : un à un, la balle au centre.

    Pour soutenir une telle position de sagesse apparente faite d’un stoïcisme ou d’un épicurisme pour les nuls, il faut prendre des libertés avec les choses, entre interprétations et falsifications. Négliger par exemple que la notion de crime de guerre a connu une genèse malheureusement longue en droit international humanitaire et qu’elle ne s’est stabilisée que tardivement, par le truchement des conférences de Genève de 1949, ce qui renvoie à la question de la non-rétroactivité.

    En outre il convient de prendre en considération que les maquis composés essentiellement de combattants volontaires n’étaient à aucun moment reconnus comme des troupes belligérantes « légitimes » par l’occupant et le régime de Vichy, alors que le crime de guerre ne peut être le fait que d’une armée régulière. Les Nazis et leurs supplétifs pétainistes n’ont jamais varié : ils avaient affaire à des « terroristes », fourriers de la guerre civile, organisés en « bandes » suffisamment nombreuses et efficaces pour engendrer dans la troupe allemande la définition du Limousin en qualité de « Kleine Russland » (Petite Russie). De cela témoignent les négociations pour la reddition allemande de la ville de Limoges lorsque le général Gleiniger écrit le 20 août 1944 pour récuser toute proposition de contact direct avec le colonel Georges Guingouin, alors chef départemental des FFI : « Le seul gouvernement légitime est celui de Vichy. Les FFI sont des troupes irrégulières qui ont déchaîné la guerre civile. Une capitulation sans condition devant les troupes soulevées contre le gouvernement de Vichy ne saurait être envisagée. » (Georges Guingouin, Quatre ans de lutte sur le sol limousin, Hachette, 1974, p. 207). Il y avait guerre, mais c’était une guerre irrégulière au sens du grand juriste allemand nazi Carl Schmitt, une guerre de partisans dont le but n’était pas un traité de paix mais l’anéantissement de l’ennemi. Est-il vraiment étonnant qu’à ce jour encore, l’ainsi-nommée communauté internationale ait toujours échoué à se donner une définition partagée, en droit international, du terrorisme ? En ces domaines, ce ne sont pas les professeurs de droit qui tranchent, mais l’Histoire, par-delà les mémoires sectorielles.

     

    Revenir aux faits et au contexte

    maquisÀ ce stade il est temps d’en revenir aux faits de juin 1944 à Tulle, pour essayer de rendre compte d’un enchaînement d’épisodes quasi-mécanique. Moment d’analyse délicat car il ne peut éviter l’évocation de controverses rugueuses qui ont vu le jour au sein même des résistants et maquisards. Pour dire vite : selon en particulier Georges Guingouin, libérateur de Limoges et Compagnon de la Libération, la décision de prendre Tulle de vive force le 7 juin fut inopportune (adjectif commode pour éviter de trancher entre erreur et faute), car occuper une ville-préfecture est une chose, valeureuse certainement, mais tenir le terrain conquis alors qu’il est de notoriété publique qu’une division SS rôde aux alentours en est une autre, bien différente. Pour argumenter sa position, le « Premier maquisard de France » (avril 1941, à Soudaine-Lavinadière en Corrèze) oppose la stratégie mise en œuvre à Limoges, où après son refus d’exécuter l’ordre de prendre la ville d’assaut, la reddition allemande fut obtenue sans combat au moyen de l’intercession du consul de Suisse, Jean d’Alby. Ainsi, les résistants emprisonnés à Limoges, promis à l’exécution par la Gestapo dès le début de toute attaque, furent sauvés. À cet égard il faut se souvenir que si près de 30 000 prisonniers-otages furent fusillés dans la France entière, dont 11 000 en région parisienne et 3 674 à Lyon, Limoges vient immédiatement après avec 2 863 fusillés. La capitulation allemande fut sans doute obtenue à raison des talents de diplomate du consul suisse, mais plus fondamentalement en considération de l’encerclement de la ville par les forces de la Résistance, oscillant entre 15 000 et 20 000 combattants après le ralliement tardif des forces de l’ordre. Guingouin est alors commandant militaire régional FFI et a pris le grade de colonel. Ceci étant, on aurait tort d’imaginer un Guingouin pusillanime, hésitant. Pour preuve, l’issue de la capture par le détachement du sergent Canou du Sturmmbahnführer SS Helmut Kempfe à proximité de Saint-Léonard-de-Noblat. Activement recherché par le commandement de la Das Reich, son sort est scellé après les pendaisons de Tulle et les massacres d’Oradour-sur-Glane. Le « Préfet du maquis » est laconique : « Les chefs qui commandent de tels crimes ne peuvent rester impunis (…) il ne saurait y avoir de clémence pour Kempfe. Ordre est donné de le passer par les armes. » (ouvrage précité, p. 184). Il en ira de même avec un collaborateur infiltré, le vicomte de R…, confondu près d’Eymoutiers : « Il fut immédiatement passé par les armes. » (ouvrage précité, pp. 193 et 197)

    Mais à Tulle, une fois la retraite à l’ordre du jour, les résistants sont confrontés à des choix cornéliens : libérer les prisonniers allemands, c’est-à-dire en faire cadeau à l’ennemi en leur permettant de l’informer sur la direction prise par les combattants et sur les aides de « légaux » dont ils ont pu bénéficier, ou s’assurer d’eux en les évacuant, c’est-à-dire en les transformant en charge insupportable alors qu’il s’agit de reprendre la tactique maquis dans des conditions périlleuses. Edmond Réveil le dit lui-même dans un entretien télévisé : « On n’avait pas de prison. » Dès lors une seule solution de fortune s’impose, les prisonniers ayant refusé de rejoindre les troupes du maquis sont passés par les armes, ainsi qu’une collaboratrice française, dans les bois près de Meymac. À propos de la collaboration et de la Milice, il faut là aussi se replacer dans le contexte en faisant référence à un mot de Pierrot Villachou, un des plus proches lieutenants de Guingouin, prononcé dans le documentaire de France 3 « Lo Grand » en 1984, où il précise que « sans les collaborateurs, les Allemands n’auraient pas fait le quart du mal qu’ils ont fait, c’est eux qui connaissaient le pays, les chemins, les gens, avec eux on a été impitoyables. » Ici, que chacun qui n’a pas vécu en personne de telles situations, prenne bien garde de ne pas juger hâtivement du haut de sa tour d’ivoire, distribuant arbitrairement bons et mauvais points. Car ceux qui n’ont alors pas renoncé à agir dans le monde ont éprouvé que de telles périodes réservent bien des surprises alors que ce qu’on risque est bien autre chose qu’un désaveu silencieux de voisins, l’affaiblissement de relations amicales ou un retard d’avancement professionnel. Soit à se souvenir par exemple, afin de tenter d’approcher ce qu’« éprouver » peut vouloir dire lorsque le désastre advient, du mot d’Hannah Arendt se remémorant la montée du nazisme en Allemagne : « Le problème, le problème personnel, n’était donc pas tant ce que pouvaient bien faire nos ennemis, mais ce que faisaient nos amis. » Elle en tire un verdict sévère à l’égard des « intellectuels », orfèvres en rhétorique exonératoire de tout engagement personnel résolu ; opinion partagée par Guingouin dans une confidence qui, « à partir de mon expérience », formule qui lui était chère, concluait en forme de diagnostic clinique à un manque de courage. On doit cependant à la vérité de dire qu’il y eu des exceptions (Cavaillès, Char, et quelques autres). Et il faut être attentif aux mots simples utilisés par ceux qui ont osé. Il vient d’être question de « courage », et Pierre Villachou déjà évoqué, interrogé sur le caractère groupusculaire de la Résistance initiale jusqu’en 1942-43, répondait avec un ton d’évidence : « La peur. Ce n’est pas difficile, c’était la peur. »

     

    Passé passé ?

    Pour clore sur une interrogation, il faut se résoudre à un constat : après une période estivale d’émotion où plusieurs ont décelé très vite le risque d’une énième opération de disqualification de la Résistance et des maquis limousins, la baudruche s’est dégonflée et, une information chassant l’autre, les faiseurs d’opinion sont passés à autre chose, l’actualité internationale y invite. Deux conclusions sont alors possibles. Les optimistes y verront une sorte de victoire, la rapidité et la fermeté des réactions tendant à replacer l’affaire dans une analyse contextuelle rationnelle ayant coupé l’herbe sous le pied de ceux qui ont pu un temps entrevoir une opportunité d’avilir les combats de la Résistance. Les pessimistes suggéreront que, le temps passant et le décervelage médiatique ayant partie liée avec l’affaiblissement de l’enseignement public, notamment de l’histoire, il ne pouvait guère en aller autrement. Toutes ces histoires, aujourd’hui, sinon tout le monde au moins les plus nombreux s’en moquent souverainement et les regardent comme largement marquées d’insignifiance. Tant il est vrai que beaucoup semblent convaincus que le passé étant par définition passé, sa connaissance et son évaluation ne sont pas porteuses de grand-chose (le fameux argument asséné sur un ton d’évidence : « Le monde d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui d’hier ! », allégation pétrifiante de bêtise). Telle est la position commune de ceux qui le plus souvent implicitement considèrent que l’histoire de l’Humanité a commencé à la date à laquelle ils prétendent avoir eux-mêmes atteint l’âge de raison.

    Façon de suggérer que nous vivrions bien la fin de l’après-guerre, soit simultanément peut-être le début d’un avant-guerre ?

     

    Gérard Monédiaire

    Gérard Monédiaire, professeur émérite à l’Université de Limoges (droit), est l'auteur d'un des premiers ouvrages consacrés à Guingouin, en 1983 : Georges Guingouin, premier maquisard de France, éd. Souny, Limoges.
  • Municipales

    ­affiche voteDans les communes rurales, lorsqu’un scrutin municipal se profile à l’horizon la révision des listes électorales retient toute l’attention des équipes au pouvoir. Dans certaines communes on fait la chasse à la population en double compte : étudiante, hospitalisée, migrante, en double résidence, etc. Ailleurs on est moins regardant et il arrive dans bon nombre de communes de trouver autant et plus d’électeurs que d’habitants permanents. 
    Un survol rapide du territoire du Parc Naturel de Millevaches est assez révélateur de ce phénomène. Toutes les communes du PNR ont été visitées et quelques communes non adhérentes de leurs cantons ont été également observées.

     

    Plus d’électeurs que d’habitants : Un particularisme rural en Limousin

     

    En Haute-Vienne

    En Haute-Vienne dans deux communes, Beaumont-du-Lac et Saint-Gilles-les-Forêts, il y avait autant de votants que d’habitants le jour du premier tour de scrutin. Mieux que cela, à Beaumont-du-Lac, pour le second tour, le nombre des électeurs dépassait celui des résidents permanents ! Située en bordure du lac de Vassivière la commune détient un record avec une proportion considérable de résidences secondaires (plus des trois quarts de son parc immobilier) alors qu’à Saint-Gilles-les-forêts elles ne représentent qu’un tiers des logements.

    La possession d’une résidence secondaire, l’attachement aux racines familiales sont les mobiles les plus souvent invoqués pour justifier ce surnombre d’électeurs. On remarque quelquefois chez des jeunes et moins jeunes retraités le désir d’exercer un pouvoir local souvent mal perçu voire inaccessible dans les concentrations urbaines. Sans oublier la plénipotence du droit de propriété qui depuis 1789 a malheureusement défini les contours de notre citoyenneté française. Le traditionnel conservatisme des propriétaires fonciers non résidents est souvent le plus grand frein à l’émergence de nouvelles activités économiques agricoles ou autres dans les communes rurales.

     

    En Creuse et en Corrèze

    Quoiqu’il en soit, dans les cantons haut viennois et creusois seules des petites communes de moins de 165 habitants sont concernées. Elles sont deux sur sept dans les cantons de Royère-de-Vassivière et de Gentioux-Pigerolles. Elles sont cinq sur neuf dans le canton de La-Courtine et cinq sur quatorze dans celui de Crocq. Ces deux cantons sont en bordure de la Corrèze où la pratique des listes électorales gonflées semble mieux établie. Elles sont deux communes sur neuf dans le canton de Corrèze, trois sur dix dans celui d’Eygurande, trois sur huit à Sornac, cinq sur douze à Treignac, six sur dix à Meymac, sept sur onze à Bugeat, pour en rester sur le PNR et ses contours. On y rencontre des communes de plus de 300 habitants qui pratiquent cette surabondance d’électeurs. Cette singularité corrézienne aurait-elle quelque rapport avec l’importance de la pratique des sociétés d’originaires pour les Corréziens de Paris ? C’est bien dans ce cadre qu’en 1907 Henri Queuille qui se destinait à une carrière médicale à Paris a été sollicité par ses concitoyens émigrés à Paris pour se présenter aux suffrages des habitants de Neuvic d’Ussel. Une sollicitation qui l’a destiné à une carrière politique corrézienne et nationale prestigieuse.

     

    Des “listes ouvertes“ : Une avancée pour la démocratie ?

     

    Dans plusieurs communes du plateau, on a assisté lors des dernières élections municipales, à la présentation de «listes ouvertes», des listes uniques où s’inscrivent tous ceux qui font acte de candidature, ce qui aboutit à avoir plus de postulants que de sièges à pourvoir. Bien sûr ce système est seulement possible dans les petites communes où le panachage est de règle et très largement pratiqué.

    Deux communes du sud de la Creuse ont opté pour ce procédé de liste ouverte : Crocq, chef lieu de canton de 546 habitants, et Néoux, 300 habitants, dans le canton d’Aubusson.  

     

    chatoux

     

    A Crocq

    C’est la deuxième expérience de liste ouverte : en 2001 il y avait eu vingt cinq candidats pour quinze sièges à pourvoir. Parmi les candidats figurait Jacques Longchambon, marqué à gauche par sa candidature simultanée au poste de conseiller général. En 2008, la liste ouverte proposait 19 candidats, avec seulement cinq “rescapés“ de l’ancien conseil, le maire et la plupart des anciens conseillers ne se représentant pas. Cette fois Jacques Longchambon a été élu et sur la proposition des cinq conseillers sortants, il a été le seul postulant à la fonction de maire à laquelle il a été élu à l’unanimité du conseil.

    La profession de foi de la liste avec son programme avait été préparée d’abord au sein d’un petit groupe, puis discutée et amendée par l’ensemble des candidats. Ainsi, chacun d’eux se reconnaissait dans les propositions avancées.

     

    A Néoux

    C’est à l’initiative du maire sortant, candidat à sa propre succession, Jean-François Ruinaud que la liste ouverte s’est constituée. Il avait en effet gardé un souvenir amer de la campagne électorale de 2001, où il y avait deux listes en présence. Il souhaitait éviter en 2008 les fractures qui en avaient découlé. La liste comportait 16 candidats pour 11 sièges à pourvoir. La profession de foi a été établie lors d’une réunion entre tous les postulants au cours de laquelle seules les propositions acceptées par tous ont été retenues.

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    Les deux maires concernés sont très satisfaits de cette manière de procéder, qui paraît bien adaptée aux petites communes. Elle évite les oppositions, parfois durables, qui naissent ou s’exacerbent au cours des campagnes électorales. Elle permet de sélectionner ceux qui apparaissent les plus compétents ou qui sont le plus largement  appréciés. Enfin, l’énergie des candidats est concentrée sur les projets à réaliser plutôt que sur la lutte entre clans opposés : dans les communes de petite taille on ne peut guère se payer le luxe de reproduire les clivages politiques partisans.

     

    Néanmoins le procédé a des limites. D’abord il conduit à une certaine dépolitisation : même si beaucoup estiment que l’ancrage politique n’a que peu d’incidence sur l’action municipale dans une petite commune rurale, on peut aussi penser que l’attention aux problèmes sociaux tels que les inégalités ou l’exclusion sera plus grande de la part d’élus de gauche alors que ceux de droite chercheront plutôt à contenir les impôts et à diminuer les charges des entreprises. Et il reste quelques situations où l’opposition droite-gauche réapparaît, comme pour la désignation des délégués des conseils municipaux pour les élections sénatoriales. 

     

    Ensuite, la recherche de l’unanimité peut empêcher que soient retenus les projets les plus innovants, ceux qui peuvent heurter une partie de la population parce qu’ils traduisent une vision à plus long terme. Or les élus municipaux ne doivent pas chercher à faire le moins de vagues possible, ils ont aussi un rôle de leaders à exercer pour conduire la population vers de nouvelles perspectives. Mais ces inconvénients éventuels n’existent pas dans tous les cas. Il faut juger sur pièces en se souvenant que les conflits peuvent être féconds dans certaines circonstances – ils contribuent à faire avancer les choses – mais aussi paralysants et stérilisants dans d’autres occurrences.

     

    Hommes et femmes : la parité est encore loin

    Les faits ont encore beaucoup de mal à rejoindre les principes de la loi. Celle-ci exige que dans les communes de  plus de 3500 habitants il y ait parité hommes femmes sur les listes électorales. Au niveau des résultats on est loin du compte ! Les femmes ne représentent que 35% des élus municipaux. Et pour ce qui concerne la place des femmes comme maire on en est encore aux balbutiements. Moins de 14 % des villes et communes de France ont choisi une femme comme maire. C’était la proportion des femmes élues maires en Creuse en 2001. En élisant dix femmes de plus en 2008 le département de la Creuse avec 16,9 % rejoint les huit départements métropolitains qui ont 17 % et plus de femmes à la tête de leurs municipalités. Ce progrès dans la parité ne s’est pas retrouvé pour les élections au conseil général de la Creuse. La loi imposait aux candidats de prendre un suppléant de l’autre sexe. Mais au final la résultat est désastreux, une seule femme siège à l’assemblée départementale : 3,7 %, et 13,1 % pour la France ! 



    Une commune conflictuelle

    A Croze, les 211 habitants ne cultivent pas l’unanimisme. Qu’on en juge : en 2008 ils ont une nouvelle fois changé de maire, le quatrième depuis 1989 !

    La liste d’opposition a enlevé haut la main, mais en deux tours, les onze sièges à pourvoir. Cependant cette victoire n’a pas apaisé les tensions puisque les élus se sont ensuite divisés pour l’élection du maire : le vainqueur a été élu par six voix contre cinq. 

    Par ailleurs deux recours au tribunal administratif ont été déposés : le premier par la liste gagnante concernant le scrutin du premier tour et qu’elle a retiré après sa victoire au second tour. Le second par la maire sortante, visant un tract injurieux trouvé dans certaines boîtes aux lettres la veille du scrutin du premier tour.



    124 noms au dépouillement ! 

    A Saint-Quentin-la-Chabanne, commune de 357 habitants, une seule liste conduite par le maire sortant se présentait aux suffrages des habitants. Le maire et ses dix colistiers ont tous été élus dès le premier tour. Les suffrages se sont dispersés sur 124 noms et pas toujours à bon escient : outre la désignation d’une personne décédée, d’autres suffrages relevaient davantage de la malveillance ou de la discourtoisie, toutes preuves d’incivilités démocratiques. Le maire octogénaire et ancien agriculteur entame sa troisième magistrature à la tête de la commune. En se préparant  à célébrer son cinquantième anniversaire d’élu municipal il dit combien la vie municipale est absorbante : “si je n’étais pas maire je ne saurais pas quoi faire“. C’est une façon de voir les choses...

     

    Alain Carof et Jean François Pressicaud