En Haute-Vienne dans deux communes, Beaumont-du-Lac et Saint-Gilles-les-Forêts, il y avait autant de votants que d’habitants le jour du premier tour de scrutin. Mieux que cela, à Beaumont-du-Lac, pour le second tour, le nombre des électeurs dépassait celui des résidents permanents ! Située en bordure du lac de Vassivière la commune détient un record avec une proportion considérable de résidences secondaires (plus des trois quarts de son parc immobilier) alors qu’à Saint-Gilles-les-forêts elles ne représentent qu’un tiers des logements.
La possession d’une résidence secondaire, l’attachement aux racines familiales sont les mobiles les plus souvent invoqués pour justifier ce surnombre d’électeurs. On remarque quelquefois chez des jeunes et moins jeunes retraités le désir d’exercer un pouvoir local souvent mal perçu voire inaccessible dans les concentrations urbaines. Sans oublier la plénipotence du droit de propriété qui depuis 1789 a malheureusement défini les contours de notre citoyenneté française. Le traditionnel conservatisme des propriétaires fonciers non résidents est souvent le plus grand frein à l’émergence de nouvelles activités économiques agricoles ou autres dans les communes rurales.
Quoiqu’il en soit, dans les cantons haut viennois et creusois seules des petites communes de moins de 165 habitants sont concernées. Elles sont deux sur sept dans les cantons de Royère-de-Vassivière et de Gentioux-Pigerolles. Elles sont cinq sur neuf dans le canton de La-Courtine et cinq sur quatorze dans celui de Crocq. Ces deux cantons sont en bordure de la Corrèze où la pratique des listes électorales gonflées semble mieux établie. Elles sont deux communes sur neuf dans le canton de Corrèze, trois sur dix dans celui d’Eygurande, trois sur huit à Sornac, cinq sur douze à Treignac, six sur dix à Meymac, sept sur onze à Bugeat, pour en rester sur le PNR et ses contours. On y rencontre des communes de plus de 300 habitants qui pratiquent cette surabondance d’électeurs. Cette singularité corrézienne aurait-elle quelque rapport avec l’importance de la pratique des sociétés d’originaires pour les Corréziens de Paris ? C’est bien dans ce cadre qu’en 1907 Henri Queuille qui se destinait à une carrière médicale à Paris a été sollicité par ses concitoyens émigrés à Paris pour se présenter aux suffrages des habitants de Neuvic d’Ussel. Une sollicitation qui l’a destiné à une carrière politique corrézienne et nationale prestigieuse.
Dans plusieurs communes du plateau, on a assisté lors des dernières élections municipales, à la présentation de «listes ouvertes», des listes uniques où s’inscrivent tous ceux qui font acte de candidature, ce qui aboutit à avoir plus de postulants que de sièges à pourvoir. Bien sûr ce système est seulement possible dans les petites communes où le panachage est de règle et très largement pratiqué.
Deux communes du sud de la Creuse ont opté pour ce procédé de liste ouverte : Crocq, chef lieu de canton de 546 habitants, et Néoux, 300 habitants, dans le canton d’Aubusson.
C’est la deuxième expérience de liste ouverte : en 2001 il y avait eu vingt cinq candidats pour quinze sièges à pourvoir. Parmi les candidats figurait Jacques Longchambon, marqué à gauche par sa candidature simultanée au poste de conseiller général. En 2008, la liste ouverte proposait 19 candidats, avec seulement cinq “rescapés“ de l’ancien conseil, le maire et la plupart des anciens conseillers ne se représentant pas. Cette fois Jacques Longchambon a été élu et sur la proposition des cinq conseillers sortants, il a été le seul postulant à la fonction de maire à laquelle il a été élu à l’unanimité du conseil.
La profession de foi de la liste avec son programme avait été préparée d’abord au sein d’un petit groupe, puis discutée et amendée par l’ensemble des candidats. Ainsi, chacun d’eux se reconnaissait dans les propositions avancées.
C’est à l’initiative du maire sortant, candidat à sa propre succession, Jean-François Ruinaud que la liste ouverte s’est constituée. Il avait en effet gardé un souvenir amer de la campagne électorale de 2001, où il y avait deux listes en présence. Il souhaitait éviter en 2008 les fractures qui en avaient découlé. La liste comportait 16 candidats pour 11 sièges à pourvoir. La profession de foi a été établie lors d’une réunion entre tous les postulants au cours de laquelle seules les propositions acceptées par tous ont été retenues.
Les deux maires concernés sont très satisfaits de cette manière de procéder, qui paraît bien adaptée aux petites communes. Elle évite les oppositions, parfois durables, qui naissent ou s’exacerbent au cours des campagnes électorales. Elle permet de sélectionner ceux qui apparaissent les plus compétents ou qui sont le plus largement appréciés. Enfin, l’énergie des candidats est concentrée sur les projets à réaliser plutôt que sur la lutte entre clans opposés : dans les communes de petite taille on ne peut guère se payer le luxe de reproduire les clivages politiques partisans.
Néanmoins le procédé a des limites. D’abord il conduit à une certaine dépolitisation : même si beaucoup estiment que l’ancrage politique n’a que peu d’incidence sur l’action municipale dans une petite commune rurale, on peut aussi penser que l’attention aux problèmes sociaux tels que les inégalités ou l’exclusion sera plus grande de la part d’élus de gauche alors que ceux de droite chercheront plutôt à contenir les impôts et à diminuer les charges des entreprises. Et il reste quelques situations où l’opposition droite-gauche réapparaît, comme pour la désignation des délégués des conseils municipaux pour les élections sénatoriales.
Ensuite, la recherche de l’unanimité peut empêcher que soient retenus les projets les plus innovants, ceux qui peuvent heurter une partie de la population parce qu’ils traduisent une vision à plus long terme. Or les élus municipaux ne doivent pas chercher à faire le moins de vagues possible, ils ont aussi un rôle de leaders à exercer pour conduire la population vers de nouvelles perspectives. Mais ces inconvénients éventuels n’existent pas dans tous les cas. Il faut juger sur pièces en se souvenant que les conflits peuvent être féconds dans certaines circonstances – ils contribuent à faire avancer les choses – mais aussi paralysants et stérilisants dans d’autres occurrences.
Les faits ont encore beaucoup de mal à rejoindre les principes de la loi. Celle-ci exige que dans les communes de plus de 3500 habitants il y ait parité hommes femmes sur les listes électorales. Au niveau des résultats on est loin du compte ! Les femmes ne représentent que 35% des élus municipaux. Et pour ce qui concerne la place des femmes comme maire on en est encore aux balbutiements. Moins de 14 % des villes et communes de France ont choisi une femme comme maire. C’était la proportion des femmes élues maires en Creuse en 2001. En élisant dix femmes de plus en 2008 le département de la Creuse avec 16,9 % rejoint les huit départements métropolitains qui ont 17 % et plus de femmes à la tête de leurs municipalités. Ce progrès dans la parité ne s’est pas retrouvé pour les élections au conseil général de la Creuse. La loi imposait aux candidats de prendre un suppléant de l’autre sexe. Mais au final la résultat est désastreux, une seule femme siège à l’assemblée départementale : 3,7 %, et 13,1 % pour la France !
A Croze, les 211 habitants ne cultivent pas l’unanimisme. Qu’on en juge : en 2008 ils ont une nouvelle fois changé de maire, le quatrième depuis 1989 !
La liste d’opposition a enlevé haut la main, mais en deux tours, les onze sièges à pourvoir. Cependant cette victoire n’a pas apaisé les tensions puisque les élus se sont ensuite divisés pour l’élection du maire : le vainqueur a été élu par six voix contre cinq.
Par ailleurs deux recours au tribunal administratif ont été déposés : le premier par la liste gagnante concernant le scrutin du premier tour et qu’elle a retiré après sa victoire au second tour. Le second par la maire sortante, visant un tract injurieux trouvé dans certaines boîtes aux lettres la veille du scrutin du premier tour.
A Saint-Quentin-la-Chabanne, commune de 357 habitants, une seule liste conduite par le maire sortant se présentait aux suffrages des habitants. Le maire et ses dix colistiers ont tous été élus dès le premier tour. Les suffrages se sont dispersés sur 124 noms et pas toujours à bon escient : outre la désignation d’une personne décédée, d’autres suffrages relevaient davantage de la malveillance ou de la discourtoisie, toutes preuves d’incivilités démocratiques. Le maire octogénaire et ancien agriculteur entame sa troisième magistrature à la tête de la commune. En se préparant à célébrer son cinquantième anniversaire d’élu municipal il dit combien la vie municipale est absorbante : “si je n’étais pas maire je ne saurais pas quoi faire“. C’est une façon de voir les choses...
Alain Carof et Jean François Pressicaud