On y apprend que les Français sont les plus gros producteurs et consommateurs de lapin depuis sa domestication au milieu du XIXème siècle. Et du lapin comme du cochon rien ne se perd de telle sorte que les peaux de lapin collectées par les chineurs dans toutes les villes et villages de France sont livrées aux pelletiers - fourreurs de Paris, de Lyon et de quelques villes de province. Une fois, découpées, épilées, lustrées, teintes et brillantées elles deviennent des fourrures de qualité, imitation parfaite du castor de la loutre ou du vison. Elles ont fait le chic de la mode de la première moitié du vingtième siècle.
Tous les secrets des différents procédés de transformation des peaux de lapin en fourrure sont développé en long et en large. Mais l’intérêt majeur de l’ouvrage est ailleurs. Il relate un épisode singulier de la migration creusoise au XIXème siècle. Parmi tous les migrants temporaires venant de la Creuse pour s’employer dans les grands chantiers du bâtiment à Paris ou à Lyon, une minorité s’engagera dans le secteur de la pelleterie. Ils viennent essentiellement de la Combraille où déjà quelques artisans développaient en famille la fabrication de chapeaux. de feutre à partir de peaux de lapins. Quelques-uns parmi ces migrants de la région de Crocq ont trouvé dans la pelleterie un bénéfice supérieur aux métiers du bâtiment. Ces Combraillais malins, forts de leur capacité ingénieuse et de leur savoir faire se lancent dans l’aventure de la création d’ateliers de pelleterie ou de teinture. De solides entreprises creusoises ont établi leur réputation et acquis pignon sur rue dans la pelleterie-fourrure à Paris, à Lyon et même à Brooklyn aux Etats-Unis.
Comme tout bon Creusois ces pelletiers-fourreurs n’ont jamais abandonné leurs racines et maintiennent de solides liens avec leur terroir d’origine vers lequel ils ne manqueront pas de se replier lorsque le secteur pelletier connaîtra quelques difficultés. La plupart de leurs entreprises étaient situées en plein cœur de Paris. La macération et la teinture des peaux dans des bains de chlore, de formol ou d’acide nitrique particulièrement corrosifs répandaient d’abondantes odeurs et vapeurs nauséabondes. Tous les résidus chimiques ou de rinçage polluaient les affluents de la Seine qui baignent le sous-sol parisien. Aussi à la fin du siècle de l’hygiénisme elles ont été classées parmi les établissements insalubres. Les premières se replient en banlieue et les autres vers l’espace rural où les exigences d’urbanisme sont moins contraignantes.
Ces décentralisations vers la Combraille se poursuivront tout au long du vingtième siècle où elles peuvent compter sur une population de salariés d’origine agricole s’adaptant naturellement à la pluriactivité, aussi bien qu’au travail à la tâche et à domicile. Une main d’œuvre d’autant plus disponible qu’elle est en solidarité locale et familiale avec les quatre ou cinq familles revenues investir au pays cette puissante industrie de luxe. Une population fascinée par la réussite sociale de leurs congénères devenus pelletiers-fourreurs. Depuis la fin du XIXème siècle ils ont construit de somptueuses et colossales résidences d’agrément dans tout le pays de Crocq. La magnificence insolente du luxe s’expose aux regards de tous dans ces majestueuses demeures châtelaines, conçues et dessinés par des architectes et des paysagistes prestigieux. Une inscription architecturale qui se prolonge dans la statuaire, la décoration des fontaines ou les monuments funéraires.
Pour bien saisir tout le sens de cette solidarité locale et familiale une clé est proposée en annexe. L’étude généalogique fait remonter les cinq entreprises revenues au pays à deux couples originels de la fin du XVIIIème siècle. L’enchevêtrement de ces réseaux de cousins et d’alliés montre que la stratégie des systèmes d’alliances matrimoniales vise à la prospérité professionnelle de la famille au sens large : “la maison“. Ces modèles d’alliances familiales et patrimoniales d’origine médiévale ne seraient ni archaïques ni dépassés tout au moins dans le Massif Central, les Pyrénées et les Alpes du Nord. Ces mariages “entre soi“ pourront-ils résister longtemps au hasard du “mariage romantique“, ou plus simplement encore à la désaffection de l’institution matrimoniale ?
Alain Carof
"Peaux de lapins, peaux de lapins, ppôôpôooo"