Saint-Léonard-de-Noblat

  • A la recherche d'un agent électoral au temps de la troisième République

    agent electoralGermaine Coupet évoque dans ce conte un moment d’une campagne électorale en Limousin. Sous le nom à peine modifié de Tourgnaud, elle fait directement référence au député Tourgnol, élu de la circonscription de St-Léonard-de-Noblat dans les premières années du 20ème siècle.

     

    Comment la renommée du "Politicare" arriva jusqu'à M Tourgnaud, député socialiste de la circonscription de Limoges ? On ne sait. Toujours est-il qu'un après-midi, cet homme important descendit de voiture devant la maison de Roudeau et fit de petits bons incompatibles avec sa taille et sa majesté, afin d'éviter les flaques d'eau de la cour et les gorets qui s'y ébrouaient après leur bain boueux.

    La Roudeau se tenait sur le pas de sa porte, son dernier né pendu à son sein, l'oeil rond de surprise devant la calèche du monsieur.

    Mais quand elle comprit que cet inconnu opulent voulait pénétrer chez elle, sa surprise ne connut plus de bornes.

    - Bonjour, bonne femme ! c'est bien ici la maison de Pierre Roudeau ? dit-il.

    Timide, méfiante, la Roudeau barrait la porte. Elle eût été bien en peine de répondre, car elle ne comprenait que le patois, mais les enfants qui suivaient la voiture depuis le haut du village, très intrigués par sa destination, répondirent pour elle un choeur de "oui" !

    L'ahurissante nouvelle qu'un Monsieur en voiture était chez Roudeau se répandit rapidement. Didi l'apprit du haut d'un cerisier d'où elle dégringola aussitôt.

    Elle arriva chez elle tout essoufflée et ferma la porte au nez des petits curieux, qui s'écrasaient devant pour voir un gros homme affalé sur une chaise, s'épongeant le front.

    - Que voulez-vous, monsieur ? demanda-t-elle.

    - A la bonne heure, voilà une fillette qui parle français.

    Debout devant lui, Didi attendait, très intimidée par le chapeau de soie et la chaîne de montre "qui doit être en or", estimait-elle.

    Le gros monsieur ne se hâtait pas de dire le but de sa visite. D'une main il jouait avec ses breloques, de l'autre il caressait les cuisses de Didi, que nul pantalon ne protégeait.

    - Sais-tu ce que c'est qu'un agent électoral ? demanda-t-il tout à coup.

    Quelle drôle de question ! Didi fit non de la tête.

    - Petite ignorante, dit-il avec un sourire indulgent.

    Sa main tapotait près des genoux. La Roudeau s'étant écartée pour poser sur le lit son bébé endormi, la main remonta brusquement.

    Didi fit un bon de côté et rougit.

    - A propos, dit le monsieur en respirant ses doigts comme une fleur, où donc est ton père mignonne ? Vas me le chercher et tu auras cette belle pièce.

    Il fit miroiter cent sous aux yeux éblouis de Didi et de sa mère et remit l'argent dans sa poche.

    Toutes deux tressaillirent de convoitise, et Didi, qui allait répondre que son père était Dieu sait où, put retenir à temps cette réponse malencontreuse.

    - Ainsi monsieur, dit-elle pour gagner du temps, vous voulez parler à mon papa ?

    - Dépêche-toi d'aller le chercher, je suis pressé.

    Didi eut alors une inspiration du ciel.

    Il ne fallait pas que cette pièce s'en retournât dans la poche de cet homme.

    Cent sous, la sécurité pour tout un mois. Le crédit assuré chez la Liard, grâce à un écu donné en acompte. Le plaisir de savourer tous les matins un peu de chicorée bouillie dans l'eau, modeste régal qui faisait tant jaser les voisins, qu'on se cachait pour le boire.

    - Mon papa travaille sur la route " en vous en retournant ", monsieur. Je vais vous y reconduire si…, si :

    - Si je te donne ta pièce. Allons, la voici, partons.

    Didi remit l'écu à sa mère, qui murmura en patois :

    - Moussur est bien bouun per nous.

    La bonne femme se demandait ce que signifiait tout ceci.

    - Je vas y faire un bout de conduite, dit Didi.

    - Monte près de moi, mignonne.

    Mais à cause de cette main grasse qui l'avait touchée tout à l'heure, elle refusa.

    - J'aime mieux marcher à côté, Monsieur.

    - A ton aise, petite sotte.

    Le cheval allait au pas dans le chemin. Ce n'était pas difficile de le suivre et, dès qu'on fut sur la route, Didi indiqua du bout du doigt une vague direction.

    - Mon père est là-bas. Je vas le quérir.

    Et elle partit à fond de train dans le sous-bois.

    Un détour sous les branches la ramena dans un champ de topinambours, à deux pas de la voiture où attendait le député.

    Elle voulait voir comment il prendrait la chose quand il se verrait berné.

    S'il donnait l'ordre à son cocher de retourner vers Champe, Didi courrait alors à travers champs pour se barricader avec sa mère. L'important était de garder l'argent.

    Tapie au fond de la planche, comme un lièvre qui guette le chasseur, elle attendit, rêvant de se faire donner, sur cet argent miraculeusement venu, quatorze sous pour s'acheter un tablier de fantaisie.

    Tout en surveillant l'homme de la voiture, elle discutait avec elle-même de la couleur de ce tablier, destinée à la faire passer pour une jeune fille à ses propres yeux, puisqu'il remplacerait le sarrau noir d'écolière.

    Serait-il bleu pâle comme le ciel, ce beau tablier ? Ou bien rose comme les joues du petit frère Martial ?

    Le député, qui consultait souvent sa montre, s'impatienta.

    - Que ces paysans sont assommants ! Quelle lenteur. Cette petite s'est sûrement égarée. Qu'en pensez-vous Firmin ?

    - Du moment que M. le Député me consulte, j'y dirai, sauf respect, que la petite s'est foutue de lui.

    - Hein ! vous vous oubliez, cocher.

    - Mais, Monsieur, comment se serait-elle perdue dans les bois où elle est née ?

    - C'est bien rentrons ; le rustre aura de mes nouvelles.

    Dès que la voiture eut disparu au tournant de la route, Didi reprit le chemin de sa maison, musant le long des haies, rêvant toilette et bombance.

    Elle composa plusieurs attitudes pour le moment où elle irait chez la Liard choisir un tablier et lui donner deux francs d'acompte sur ce qu'on devait, et, afin d'éblouir l'épicière, ce tablier, elle le paierait comptant !

    Roudeau rendit sa visite au député. Depuis il travaillait de moins en moins. Le dimanche matin, il allait au bourg et pérorait des heures pour rallier des suffrages à son idole. Ses poings servaient à convaincre ceux que sa parole n'atteignait pas.

     

    Existence (Germaine Coupet)
    Extraits de Didi, première parution en 1931
  • De Saint-Léonard-de-Noblat à Montparnasse - Nouvelles paysannes et Souvenirs d'enfance

    Nouvelles paysannes et Souvenirs d enfanceGermaine et Céline Coupet,  dans ce bel ouvrage nous livrent une véritable mémoire de la vie des petits métayers et ouvriers agricoles de la région de Saint Léonard de Noblat au tout début du XXème siècle. Ce tableau de la condition paysanne est d'autant plus étonnant qu'il nous est transmis à partir de l'expérience exceptionnelle que ces deux femmes ont vécue à Paris, où elles sont arrivées l'une et l'autre à l'âge de 17 ans. Germaine, l'aînée après cinq années de galère dans plusieurs places de bonne se décide à chercher meilleure fortune à Paris. Un mois après son arrivée elle se retrouve à la rue. Elle est recueillie par un inconnu qui la présente comme modèle chez une peintre célèbre. Pendant quatre ans elle mène une vie trépidante et joyeuse en posant comme modèle pour peintres et sculpteurs dans leurs ateliers prestigieux des quartiers de Montparnasse et Montmartre. Elle fait venir sa sœur Céline, plus fragile et plus éprouvée par la dureté des travaux qu'elle a endurés comme servante de fermes à partir de l'âge de 11 ans. Elle partagera aussi cette vie mouvementée de modèle avant de trouver son bonheur en épousant un sculpteur américain.

    Germaine, par delà cette vie frivole dans les milieux artistiques demeure très ancrée dans les souvenirs de sa vie familiale et de son enfance de villageoise limousine. A vingt ans elle revient à St Léonard. Elle se marie en 1912 et voyage en Egypte avec son mari. Celui-ci sera tué sur le front au deuxième mois de la guerre 14-18. Très vite elle retourne à Paris et reprend naturellement sa place dans le milieu des artistes. En 1926 elle épouse Maurice Taquoy un peintre reconnu de cette période faste. Elle passe alors de l'autre côté du chevalet et se lance dans la peinture. Sous le pseudonyme d'Existence elle expose avec succès des scènes de la vie villageoise dans des grandes galeries parisiennes. Ce qui fit dire à son mari "enfin je vais avoir fait un riche mariage et vivre de la peinture mais pas de la mienne!". Ils mèneront une vie simple dans leur atelier parisien ou plus souvent dans leur maison à l'orée de la forêt de Fontainebleau. Ils accueilleront de temps à autre la famille limousine désormais réunie dans la région parisienne. "Germaine, Céline et leur mère se retrouvaient comme en Limousin et le patois donnait l'étincelle à la conversation". Elles se remémoraient les veillées villageoises animées par leur père musicien et chanteur où leur mère excellait dans un répertoire d'histoires et de contes extraordinaires. C'est dans cette veine du conte que Germaine va puiser pour entrer en littérature.

    germaine coupetToujours sous ce pseudonyme d'Existence elle publie aux Oeuvres libres deux recueils de nouvelles : "Didi" en 1931 et "Village" en 1939. Laissons aux lecteurs le bonheur de trouver dans ces délicieuses saynètes une véritable chronique de la vie villageoise en Limousin au tout début du XXème siècle. Vous trouverez en dernière page de ce numéro d’IPNS une illustration significative de ces contes villageois. Avec une profonde délicatesse elle conte ses souvenirs du bonheur familial et les étapes joyeuses de la vie et des travaux champêtres malgré les avatars des pénibles conditions du métayage. Gratifiée d'une grande sensibilité et d'un esprit d'indépendance elle rapporte les querelles familiales et les haines accumulées entre les métayers et leurs petits propriétaires. Sous un ton humoristique et une moquerie décapante elle se rappelle de la méchanceté et de la violence "dans ces campagnes limousines sauvages et insociables". Grâce à la ténacité de Martine et Bertrand Willot de l'association "la vie d'artiste" les contes et récits d'Existence sont sortis de l'oubli où ils s'enfonçaient. Certes la qualité littéraire de "ces notations curieuses sur la vie populaire d'hier" n'avait pas échappé à Michel Ragon. Dans son Histoire de la littérature prolétarienne il avait classé l'énigmatique Existence parmi les écrivains paysans. Mais elle demeurait "une femme qui avait été modèle des peintres de Montparnasse en sa jeunesse, se mit à peindre sur le tard des tableaux charmants et naïfs. C'est sous ce même nom qu'elle publia des souvenirs de son enfance de petite villageoise en Limousin".

    Après deux années de prospection biographique autour de Saint Léonard et Montparnasse les Willot retrouvaient son identité et ses traces familiales dans les villages de Champnetery, Villemonteix et Puy-les- Vignes. Sa famille leur confiera alors le manuscrit des "Souvenirs d'enfance" de sa soeur Céline. Partie avec son mari à New York juste avant la guerre de 1939 elle ne parvient pas à s'intégrer à ce nouveau pays. Elle se dit malheureuse et signe les lettres qu'elle adresse à sa fille : La Limousine. En 1953, un an après la mort de Germaine pour conjurer l'ennui de leur exil new yorkais et la nostalgie de son enfance son mari la pousse à écrire sa vie. En quelques 150 pages Céline, en ressassant les contes d'Existence, entend rétablir sa vérité. "Je vais essayer de raconter tout ce qui m'est arrivé depuis l'âge de deux ans" (1896). En quelques 150 pages, d'une écriture souvent maladroite et dépourvue de tout artifice littéraire elle applique un copier-coller de la réalité sur les fantasmes de l'imaginaire des contes d'Existence. Une illustration sans concession de l'impitoyable dureté de la convivialité villageoise pour celles et ceux qui subissaient les déracinements continuels de l'instabilité du métayage. Le témoignage de deux caractères trempés dans l'âpreté d'une enfance marquée par la violence de la misère paysanne et dans l'ambiance primesautière et festive du monde artistique de Montparnasse.

     

    Alain Carof

    Germaine et Céline Coupet De Saint Léonard de Noblat à Montparnasse Nouvelles paysannes et Souvenirs d'enfance
    Présentés par Martine et Bertrand WILLOT, Association La vie d'artiste.
    Postfaces de Martine Tandeau de Marsac et et Yves Beneyton.
    Collection Voix d'en bas aux Editions Plein Chant, 2006, 334 pages

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  • La fillette et les serpents

    serpentsCeci n’est pas le titre d’une fable ignorée de notre bon La Fontaine. C’est, en résumé, la découverte que firent les fossoyeurs de Saint-Léonard (pas encore de Noblat, Haute-Vienne) un beau matin de février 1888. L’histoire est connue par les archives d’un hebdomadaire local, Le Marchois, dont je reparlerai plus loin. Dont l’entrefilet ne précise pas ce qui conduisit à la découverte – une exhumation ? Mais dans quel but ? L’article précise seulement : “Les fossoyeurs... en creusant une tombe“.

     

    Le cercueil était celui d’une petite fille enterrée depuis 5 ans. Le journal n’en dévoile ni le nom ni l’âge. Toujours est-il que le cercueil exhumé était absolument intact, “en parfait état de conservation“.  Une première curiosité. Une fois ouvert, lit-on dans le canard, (leur) “étonnement se transforma en épouvante“. On dut se rendre à l’évidence : il n’y avait là aucun autre reste humain qu’un peu de la belle chevelure blonde de l’enfant. Par contre, d’où découle l’épouvante, la bière contenait deux énormes serpents. Ils furent pesés : 11 livres chacun ! Qu’imaginer d’autre que ceci : les deux reptiles avaient dévoré le cadavre de l’enfant. La nouvelle faisant rapidement le tour de la ville, le cimetière ne désemplit pas de curieux, il était devenu “the place to be“. Le journaliste avait son avis sur l’engouement provoqué par le spectacle : “les bonnes gens veulent voir du surnaturel en tout“. On s’y croirait presque : 

    - Mais cette petite, elle était bien de la famille de X ?

    - Ah, oui, les sorciers ?

    En effet, cette famille avait depuis des générations, une mauvaise réputation. Pas celle de Brassens, mais presque : les X avaient des secrets cabalistiques, régulièrement transmis par le père mourant au fils aîné. C’est pourquoi l’opinion publique eut cette conclusion : “Le hideux repas fait par les reptiles (devait) être considéré comme une punition divine“.

    Allant plus loin que le chroniqueur du Marchois, l’historien constatera que l’histoire suivait de près une décision du nouveau conseil municipal, ardemment républicain et anti-clérical : les édiles avaient décrété l’interdiction des Ostensions, cette fête septennale où l’on promenait en ville les reliques du saint local. La pauvre petite défunte aurait donc payé pour tout çà ? Les lumières contre l’obscurantisme, ou l’inverse ? Je dis çà, je ne dis rien… L’histoire ne révèle toutefois pas ce que devinrent les serpents monstrueux.

     

    On peut lire l’article du Marchois sur le site des Archives Départementales de la Creuse (cote BIB 222), en date du 8 février 1888. L’hebdomadaire était en effet publié à Bourganeuf, à 20 km de Saint-Léonard, mais en Creuse !

  • Poulidor et les autres ou l'age d'or du cyclisme en Limousin

    veloLe 2 juillet 1956, Simon Wlazlick, du Vélo-club d’Aubusson, et Raymond Poulidor, de la Pédale Marchoise, tous deux âgés de 20 ans, se disputent au sprint la première place du prix de Mérinchal. Alors que Wlazlick a déjà nettement pris l’avantage sur Poulidor, ce dernier, en plein effort, perd une pédale qui s’est dévissée. Déséquilibré, il ne contrôle plus sa trajectoire, traverse la route et va s’écraser sur les machines agricoles exposées devant un atelier. Heureusement un spectateur, Norbert Tailhardat, le ceinture et lui évite une chute qui aurait pu le priver de la carrière que l’on sait. Participant à la journée du livre de Felletin, au cours de laquelle il dédicace avec beaucoup de succès son livre autobiographique «Poulidor, par Raymond Poulidor» aux éditions Jacob-Duvernet, il rencontre Simon Wlazlick et exprime son souhait de retrouver son «sauveur», dont il n’a aucune nouvelle depuis 1956. C’est ainsi que le 21 octobre 2004, Raymond Poulidor, Simon Wlazlick et quelques dirigeants des clubs cyclistes d’Aubusson et Felletin sont reçus à Mérinchal par la municipalité pour les retrouvailles du grand champion avec M. Tailhardat qui par son réflexe courageux lui a évité une grave chute. Cette rencontre constitue une nouvelle occasion d’évoquer en 2004 la place du cyclisme dans la vie sportive régionale et, au-delà, dans la société limousine.

    Le passage du Tour de France en Limousin les 13 et 14 juillet 2004 a donné lieu à un hommage spécial à Raymond Poulidor dans sa ville de Saint Léonard de Noblat. Quarante ans après le célèbre duel avec Anquetil sur les pentes du Puy de Dôme, on pu vérifier l’inusable popularité du champion limousin. L’étape cyclosportive Limoges-Saint Flour disputée le 11 juillet par 8000 concurrents a démontré avec éclat que le cyclisme, sous de nouvelles formes, conserve énormément de vitalité.

    Le centième anniversaire du CRCL (Cyclo racing club de Limoges) a été marqué par diverses manifestations, notamment une «randonnée des anniversaires » sur le parcours de l’étape du Tour de Saint Léonard à Guéret. Elle était organisée par le CRCL et les clubs de Felletin (50 ans), Aubusson (70 ans) et l’AC Creusoise. L’occasion de retrouvailles marquées par l’émotion et la convivialité et la présentation par le président du CRCL de l’ouvrage «CRCL – 100 ans. 1904-2004». Il retrace 100 ans de cyclisme à Limoges et dans tout le Limousin.

     

    Les temps héroïque (avant 1914)

    Au cours des premières années du siècle se mettent en place les compétitions sur route et les réunions sur piste au vélodrome du Grand Treuil à Limoges. Sur des routes pierreuses et poussiéreuses, montant de lourdes machines, les compétiteurs réalisent des moyennes étonnantes. C’est le temps des compétitions «aller-retour»: Limoges-St Junien, Limoges- Nontron, Limoges-Bellac. La première édition de Limoges-St Léonard a lieu en 1905, l’épreuve survivra jusqu’en 1998, la circulation automobile a fini par la condamner.

    Au vélodrome, doté d’un anneau en ciment en 1904, alors qu’il avait été construit en 1895 avec une piste en terre battue, les meilleurs pistards français et internationaux s’affrontent dans les épreuves classiques : vitesse, individuelle, poursuite, américaine (en relais, par équipe de deux) et déjà la très spectaculaire demi-fond (derrière moto).

     

    L’entre deux guerres

    cyclistesLes courses sur route et sur piste se développent parallèlement. La majorité des coureurs s’adonnent aux deux activités. Sur route s’organisent les grandes épreuves de ville à ville avec notamment Paris- Limoges dont la première édition date de 1927. C’est une course de niveau international ; à son palmarès figurent beaucoup de grands noms comme Antonin Magne qui l’emporte en 1929, deux ans avant sa première victoire dans le Tour de France. On assiste aussi à de belles compétitions départementales comme le Tour de la Corrèze ou le Circuit de la Creuse.

    Sur la piste, la figure emblématique régionale c’est André Raynaud, champion du monde de demi-fond à Zurich en septembre 1936. Il décèdera quelques mois plus tard lors d’une chute à la suite de l’éclatement d’un boyau au vélodrome d’Anvers. Originaire de Vaulry, dans les monts de Blond, il a brillé dans toutes les disciplines du cyclisme sur route (champion de France des indépendants en 1926) et surtout sur piste. Brillant en poursuite il réussit particulièrement dans les épreuves de «six jours» (vainqueur à Paris en 1929 et Marseille en 1930) et dans les autres épreuves à l’américaine (en relais, par équipe de deux), et finalement en demi-fond, spécialité très populaire et spectaculaire. Après sa victoire au championnat du monde, il fut accueilli à son arrivée à la gare de Limoges par une foule énorme qui l’accompagne jusqu’à l’Hôtel de Ville où Léon Betoulle, le maire, lui offrit une réception.

     

    Les années 40

    Pendant les années de guerre et d’occupation, le cyclisme continue tant bien que mal sur route et sur piste, s’adaptant aux circonstances avec plus ou moins de facilité. La rareté et la mauvaise qualité du matériel, le mauvais état des routes s’ajoutent aux contraintes résultant de la défaite de 1940. Il y eut malgré tout des épreuves importantes qui attirent des coureurs professionnels de toute la France, comme Vichy-Limoges en 1942 et 43. En juin 1944, le tour de la Haute Vienne est stoppé par la résistance à La Croisille sur Briance. Le Cyclisme ne peut pas ou plus ignorer les combats qui se préparent pour la libération du territoire.

    Dès la saison 1945, l’activité cycliste reprend. Les coureurs, bridés pendant les années noires sont impatients de reprendre le cours de leur carrière sportive, ou de l’entamer pour les plus jeunes. Tout le rayonnement du cyclisme limousin pour les deux décennies à venir se met en place. De belles organisations, des coureurs nombreux et ambitieux attirés par des dotations intéressantes, des marques de cycle régionales (Blondin, Elans, Simoun, Royal-Fabric, Rochet) ou nationales (Peugeot, Terrot, Mercier) financent des «écuries».

     

    La période dorée : 1950-1970

    Le cyclisme régional prend un nouvel essor, le comité du Limousin regroupe les trois départements. Auquel s’ajoute l’apport important de la Dordogne avec un grand nombre de courses organisées mais aussi de clubs (Périgueux, Sarlat, Bergerac, Lalinde, Ribérac ou Montpon) et des coureurs de qualité.

    crcl 2004Sport d’été déjà le plus prisé dans les années d’avant guerre, la popularité du cyclisme ne cesse de grandir. Les épreuves se multiplient à tous les niveaux, les journaux consacrent une place prépondérante au vélo. La présentation des compétitions durant toute la semaine et souvent deux pages entières de résultats le lundi, alors que le nombre de pages des journaux était plus réduit qu’aujourd’hui. Il faut dire que la réussite des coureurs limousins au plus haut niveau a de quoi susciter l’enthousiasme. Qu’on en juge: en 1951 et 52, les limousins dominent la Route de France.

    Une belle épreuve internationale destinée aux jeunes coureurs aussi importante que le Tour de l’Avenir à partir de 1960. En 1951, Jacques Vivier de Ribérac l’emporte. En 1952 l’équipe du Centre rafle le classement individuel, le classement par équipe et celui du meilleur grimpeur. L’équipe était composée de trois coureurs du CRCL, deux coureurs de l’UVL (union vélocipédique de Limoges), de deux corréziens et d’un creusois. L’épreuve comportait 14 étapes, avec départ à Caen et arrivée à Aurillac et l’ascension des grands cols pyrénéens.

    En cyclo-cross, une discipline extrêmement populaire, dont les circuits se rapprochaient par leurs difficultés de ceux du VTT actuels. André Dufraisse de l'UVL remporte cinq titres consécutifs de champion du monde et sept titres de champion de France. Il remporte son dernier titre de champion du monde à Limoges en 1958 au stade Beaublanc, haut lieu du sport. Théâtre des exploits du Limoges Foot ball club dès son accession en ligue professionnelle, le stade de Beaublanc prend le relais du vélodrome "André Raynaud" démoli en 1958 après plus de 50 ans au service du cyclisme et du rugby. Les modes sportives changent et Beaublanc partage ses heures de gloire avec le foot d'abord puis le basket et le CSP dans les années 1980.

    La fin des années 50, c'est le début de la carrière en fanfare de Raymond Poulidor. En 1956 il a tout juste vingt ans et avant son départ au service militaire il réussit quelques performances remarquable face aux professionnels ; il est 6° au bol d'or des Monédières et 2° à Peyrat le Château derrière le champion de France Bernard Gauthier. En 1959, au retour d'Algérie, il confirme tous les espoirs en devenant champion du Limousin et en brillant dans tous les critériums de l'été. Passé pro en 1960, il remporte le Bordeaux-Saintes ; sélectionné pour les championnats du monde en Allemagne de l'Est il termine 5°.

    En 1961 il remporte Milan-San Remo et devient champion de France à Rouen. La suite est faite de résultats exceptionnels, de belles victoires, mais aussi de beaucoup de malchances qui lui vaudront d'être le champion de la popularité. Il poursuivra sa carrière internationale au plus haut niveau jusqu'en 1977 à 41 ans! Trois fois 2° du Tour de France, 5 fois 3° il totalisera 183 victoires professionnelles dont le Tour d'Espagne en 1964, Paris-Nice en 1972 et 1973 devant le grand Mercks, le Dauphiné Libéré en 1969 et la Flèche Wallonne en 1963. 30 ans après sa popularité est toujours aussi grande, à tel point qu'aujourd'hui encore c'est "allez Poupou" qui constitue l'encouragement le plus fréquemment entendu par les cyclistes de tous âges et de tout niveau.

     

    Les raisons du succès

    La popularité du cyclisme en Limousin avec son apogée dans les années 50-60 se poursuivant jusqu'à la fin des années 70 peut nous conduire à nous interroger sur les composantes d'un tel succès. En premier lieu sur le plan strictement sportif l'éclosion et l'épanouissement de tout un panel de champion ont été largement favorisés par les très nombreuses compétitions de tous niveaux qui ont permis à ces jeunes sportifs de débuter leur carrière près de chez eux et de continuer à progresser dans des courses plus relevées tout en restant dans leur environnement habituel.

    En second lieu, le cyclisme est en adéquation avec la société rurale. Les campagnes n'en sont qu'au début de la révolution agricole qui va les vider d'une bonne partie de leurs habitants. La course cycliste constitue encore pour quelques années le point culminant de la fête patronale. Les coureurs locaux y affrontent ceux qui parfois viennent de loin et ils comptent de nombreux supporters. Le vélo encore utilisé par la majorité de la population comme moyen de déplacement, chacun peut apprécier à leur juste valeur les efforts des coureurs et comme la fête est une occasion unique dans l'année de s'amuser et de dépenser les courses sont bien dotées en prix pour le classement final et en primes au cours de l'épreuve. Les petits clubs sont nombreux dans la campagne limousine.

    Un bon exemple c'est la Pédale Marchoise dont le siège est à La Forêt, un village de la commune de Montboucher. Il a été le premier club des frères Poulidor. André Lopez président et cheville ouvrière du club organisait de nombreuses épreuves tout autour de Bourganeuf, notamment dans les villages qui n'étaient pas chef-lieux de communes. A la Forêt il y avait deux courses par ans, Millemilanges de St Goussaud, Pont de Murat de St Dizier Leyrenne, Puy la Croix de St Pardoux Morterolles. Mais le vélo reste très populaire en ville. La circulation automobile bien moins dense qu'aujourd'hui autorise l'organisation de belles épreuves au coeur de la cité, ou encore des arrivées dans la ville après un parcours en campagne.

    Des foules considérables viennent assister à ces événements sportifs, on y venait facilement en famille. Les courses urbaines sont très souvent parrainées par une firme commerciale et en prennent le nom : prix Dony, Arya ou Conchonquinette pour les magasins de vêtement ; elles peuvent aussi être financées par des collectivités et/ou des associations de commerçants.

    L'interpénétration des catégories est une autre caractéristique des compétitions de cette époque. Alors que nous sommes habitués depuis plus de trente ans à une séparation très nette entre professionnels et amateurs, l'existence de la catégorie des indépendants qui pouvaient courir aussi bien avec les pros qu'avec les amateurs permettait aux organisateurs de courses d'aligner au départ des professionnels prestigieux et des coureurs régionaux. Il faut se souvenir que le Tour de France malgré toute sa notoriété n'était pas la grosse machine que nous connaissons aujourd'hui. Sur les 120 participants de l'époque contre 200 à présent, près de la moitié était français. Les belges, hollandais, italiens, espagnols et suisses constituaient la majeure partie des autres.

    Seuls quelques individus représentaient la Grande Bretagne, l'Allemagne, le Portugal, l'Autriche ou les pays scandinaves. Les pays de l'Est ne connaissaient pas le professionnalisme pour des raisons idéologiques, alors que le continent américain et l'Australie n'envoyaient pas de coureur en Europe occidentale.

    Pendant l'été et surtout pendant le mois d'août, des critériums regroupent les coureurs qui ont participé au Tour de France ; ils bénéficient de primes de départ proportionnelles à leur notoriété. Les coureurs d'autres régions, professionnels ou indépendants venaient s'installer quelques jours ou quelques semaines en Limousin pour disputer le maximum d'épreuves pendant leur séjour. Les plus connus étaient les marseillais et les azuréens. Hébergés dans une des auberges rurales qui offraient à cette époque, pour un prix modique un gîte et des repas de qualité, ils sillonnaient la région pour se rendre au départ des épreuves de la région. Ils n'avaient pas de longs déplacements à faire car même en se limitant à la montagne limousine des critériums se déroulaient à Peyrat le Château, Eymoutiers, Aubusson, Felletin, Ussel, Meymac, Peyrelevade, Treignac. A Eymoutiers en 1959 cinq vainqueurs du Tour de France sont au départ du 17° grand prix de Macaud. Le Bol d'or des Monédières organisé à Chaumeil par le célèbre accordéoniste Jean Ségurel drainait des milliers de personnes chaque année sur les pentes du col de Lestards. Les plus grands coureurs mondiaux figurent à son palmarès.

     

    Les changements depuis 25 ans

    Depuis la fin des années 70 la place du cyclisme a beaucoup régressé dans le sport régional et surtout national. Bien sûr le Limousin a eu Luc Leblanc champion de France professionnel, puis champion du monde à Agrigente, vainqueur d'étapes et porteur du maillot jaune sur le Tour de France. Mais cela ne compense pas la baisse du nombre des épreuves et la modification des pratiques du cyclisme.

    Raymond Poulidor et Jean Francois PressicaudEntre 1970 et 80 on assiste à la disparition progressive des critériums. Pour des raisons économiques d'abord, les contrats des coureurs professionnels sont de plus en plus onéreux, mais aussi pour des impossibilités pratiques. Car, même à prix d'or, il devient impossible de réunir les grandes vedettes du Tour. Ils ont d'autres épreuves à préparer ou sont pressés de rejoindre leur lointain pays d'origine. Les vedettes ne sont plus françaises ou belges. Par ailleurs les habitudes ont changé. Alors qu'antérieurement le prix d'entrée sur le circuit payé par le spectateur suffisait à équilibrer financièrement l'opération, cette pratique a été abandonnée. Le dernier critérium creusois, de Dun le Palestel est gratuit, les soutiens publicitaires en assurent le financement.

    La diminution du nombre d'épreuves entraîne une baisse du nombre de coureurs licenciés. Parallèlement la place du cyclisme dans les pages sportives des journaux régresse régulièrement. L'influence de la télévision a été déterminante. Le Tour de France et les grandes classiques comme Paris-Roubaix ont beaucoup d'audience. Les courses professionnelles de moindre importance et à fortiori les compétitions régionales n'attirent plus que des passionnés en petit nombre.

    Et pourtant les pratiquants du cyclisme sont de plus en plus nombreux. Mais ce sont de nouvelles formes qui s'imposent : le VTT d'abord, surtout sous forme de loisir, mais aussi de compétition. Les épreuves de masse, les cyclosportives comme la Raymond Poulidor, la limousine André Dufraisse, ou l'Ecureuil réunissent des pelotons impressionnants (500 à la Poulidor, 1500 à la Dufraisse ou l'Ecureuil, jusqu'à 12000 à l'Ardéchoise) de participants de tous âges et de tous les niveaux.

    En revanche le vélo utilitaire a quasiment disparu depuis 40 ans. Avec la paralysie de la circulation automobile, des efforts sont faits pour développer le vélo urbain. Après La Rochelle dans les années 70 la ville de Lyon lance actuellement une expérience de prêt gratuit de vélos pour les déplacements dans la ville. Le succès de ces pratiques est très variable.

     

    Et l'avenir

    Pour ce qui est de la compétition, on peut penser que l'activité actuelle va se maintenir en Limousin. Il reste de belles épreuves et nous avons des jeunes coureurs prometteurs comme le nouveau champion du Limousin Sylvain Georges de Mainsat. La pratique de loisir avec une tonalité plus ou moins sportive possède beaucoup d'atouts qu'il s'agisse du VTT ou de la route. Les routes de la campagne limousine sont nombreuses et en bon état. La circulation automobile reste faible et le relief varié peut convenir à des pratiquants de toutes catégories. Le cyclotourisme devrait avoir un bel avenir parallèlement au développement d'un tourisme vert diffus axé sur la nature et le patrimoine. On peut donc penser qu'il y aura des cyclistes sur les routes limousines et qu'ils seront encore pendant longtemps encouragés par des "Vas y Poupou".

     

    Jean-François Pressicaud
  • Un noble limousin brigand, au temps de la Guerre de Cent An : Mérigot Marchès (1355-1391)

    Les historiens s’accordent sur un point : la sédentarité est une caractéristique dominante des sociétés anciennes. À la fin du Moyen Âge l’horizon de l’écrasante majorité des hommes se limitait au village, à la paroisse. En gros, le monde était ce qu’on pouvait saisir du regard, perché sur une colline : son village, trois ou quatre clochers au loin, c’était presque tout. La foire locale représentait déjà une « aventure ». C’est bien plus qu’une aventure qu’a vécu ce guerrier « routier », au service du roi d’Angleterre.

     

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    Aymeric, Aymerigot, dit Mérigot Marchès (Marcheix), petit seigneur limousin  

    Au XIVe siècle, la mort pouvait faucher en une année le tiers ou le quart de la population d’un village, d’une cité ou d’une région. La vie de Mérigot Marchès, petit noble né à Saint-Léonard-de-Noblat, apparaît ainsi exceptionnelle : des rives de la Vienne à Paris, via Londres et Saragosse, le Languedoc, le Limousin et l’Auvergne traversés maintes fois de part en part. Ce personnage étonnant donne tout son sens à ce qu’était une « Compagnie d’Aventure ».

    On connaît bien sa vie grâce à deux documents exceptionnels : d’abord Jean Froissart qui lui accorde une belle place dans ses Chroniques. Nous avons également le texte de son interrogatoire lors du procès qui mena à son exécution, conservé dans le Registre criminel du Châtelet de Paris de 1389 à 1392.

     

    Les débuts d’une carrière de « briguant » 

    Guerre-de-100-ans.jpgDu côté paternel, sa noblesse est toute modeste et de fraîche date. Son père Aymery tenait en fief de l’évêque de Limoges la seigneurie de Beaudéduit à St Léonard. Mérigot (« le petit Aymery ») y est né vers 1355. La noblesse est un peu moins obscure du côté maternel : sa mère était une fille de Guillaume d’Ussel. 

    Le Limousin du temps était « anglais », mais son père se considérait sujet du roi de France Jean le Bon. Mérigot fut confié pour son éducation à deux petits chevaliers qui faisaient partie d’« iceux d’Angleterre ».  Ils lui apprirent beaucoup de science militaire, l’escrime, à se tenir sur un cheval et un peu de « lettres ».  Après 1370, alors que la majorité des seigneurs limousins prennent le parti du roi de France Charles V contre les ravages des Anglais, Mérigot se met au service de Richard Neville comme simple écuyer. Edouard de Woodstock dit le « Prince Noir » (qui avait livré Limoges au pillage et au massacre en 1370), ravage toujours le Limousin, forçant de nombreux seigneurs à lui rendre hommage en tant que duc d’Aquitaine. Sous la contrainte, Brive et Tulle se donnent aux Anglais. Géraud d’Ussel, oncle maternel de Mérigot, lui présente alors son neveu qui prête serment de fidélité au roi d’Angleterre Edouard III.

    Il guerroya de fait toute sa vie au nom du roi d’Angleterre - au plus grand profit de sa fortune personnelle ! Il mena nombre de batailles, surtout en Limousin. En 1378, il est à Londres, à la cour du roi Richard II, aux côtés de grands nobles anglais. Son avis est écouté, ses succès sont reconnus.

    Il est un prince qui compte parmi « ceux d’Angleterre ». Cette position va jusqu’à pousser Charles V à le signaler comme un grand danger pour le royaume et lui confisquer ses fiefs et biens – mesure sans effet concret, car il les tient de fait en « franc alleu ».

     

    Pérégrinations d’un « Grand Routier »

    Alors que la monarchie des Valois reprend de la vigueur, il se présente donc comme sujet et vassal de Richard. Mais, c’est pour son propre compte qu’il se bat. Il règne alors véritablement sur le plat pays du Haut-Limousin. Selon Froissart, Marchès est à la tête d’une « ligue de brigands » de 600 « lances » (cavaliers) soit près de 3000 hommes en comptant les soldats « de piétaille ». Il a à son service un triste personnage, Geoffroy Tête-Noire, qui tient pour lui Ventadour et le Bas-Limousin. Le routier en arrive même à s’intituler « duc de Ventadour, comte de Limoges, sire et souverain de tous les capitaines d’Auvergne, de Rouergue et de Limousin ».

    Mérigot Marchès tient donc toute une petite noblesse rurale limousine qui ne se sent guère française. Ces chevaliers de modeste origine vivent de la guerre durant toute la fin du XIVe siècle, en vivent d’ailleurs fort bien ! Pour la plupart de ces hommes, «le Français» – dont ils ne comprennent en général pas la langue – est tout autant étranger que « l’Anglais ». Le roi de France signifie pour eux impôt et lourdes obligations militaires, alors que l’éloignement du Britannique leur laisse une large liberté pour piller, incendier et rançonner le pays. La guerre entre royaumes devient vite une guerre privée « fraîche et joyeuse » (Froissart), une « Aventure ». 

    La manière est rodée : on pille la campagne, on prend les bêtes, les biens, les étoffes, la vaisselle, on intercepte les caravanes de marchands, on capture de riches abbés que l’on rançonne. « Quand nous chevauchions, cette vie était belle et bonne ». Les paysans y trouvent souvent leur compte, approvisionnant les nouveaux maîtres en échange de leur protection.      

    De fait, les communautés villageoises – même contraintes – s’accommodent mieux de la présence de l’« Anglais », que de la pression fiscale des seigneurs résidant à Limoges. La ville se retrouve ainsi coupée de sa campagne, ce qui entraîne pour elle une hausse des prix et des soucis de ravitaillement. D’où un commerce des vivres et des bêtes paradoxalement florissant pour les paysans.

    Marchès, maître du Limousin, tourne alors ses ambitions et ses raids vers l’Auvergne voisine, depuis sa base de St-Pantaléon-de-Lapleau (Corrèze). De là il rapine et rançonne jusqu’à Toulouse, Béziers, Montpellier et s’empare de marchandises de provenance lointaine : peaux, soieries, épices, objets de luxe, armes, œuvres d’art … « Tout était nôtre. Nous étions étoffés comme des rois ».

     

    batailleUn « État voyou » au cœur du royaume de France

    C’est entre 1383 et 1390 que se situe le sommet de sa gloire. En Auvergne, il tient plusieurs forteresses. Il pénètre jusque dans Montferrand qu’il pille méthodiquement, tout en épargnant la population. Il traite d’égal à égal avec le comte d’Armagnac, un des plus puissants princes de France, avec qui il signe un traité en 1388. Ce prince le paye richement pour aller combattre en Aragon, moyen de l’éloigner un temps. Selon Froissart, il voulut même l’envoyer en « Barbarie » (Afrique du Nord). Mais à son retour en France, en 1390, il s’empare de la Bourboule et du château de la Roche-Vendeix. 

    De là il rançonne le pays alentour et accumule « chars » (viandes), vins, sel, « fers et aciers ». Sa garnison attire les troupes mises en « chômage technique » par les trêves dans la guerre : soldats perdus ne se résignant pas à la paix, ils grossissent les rangs de sa puissante Compagnie. C’est une des caractéristiques de la Guerre de Cent Ans : les périodes de paix voient les combattants congédiés dévaster les pays, faute de revenus. 

    En 1390, Mérigot Marchès est aussi puissant que les grands princes du royaume. Charles VI s’en inquiète et le fait assiéger deux mois à la Roche-Vendeix par le duc de Berry. Mérigot « avait été déshonorable, et était un pillard faux et mauvais contre la couronne de France, et par lequel trop de vilains faits, trop de pilleries et roberies avaient été faites » (Froissart). Sentant la situation tourner à son désavantage, il tente de se rendre en Angleterre clandestinement, ou, à défaut, à Bordeaux.

    Mais il est trahi par un de ses cousins, qui le livre au comte d’Armagnac contre d’importantes faveurs. Le roi Charles exige qu’il lui soit remis aussitôt. Le fils d’un modeste chevalier « miaulétou » en est arrivé à faire trembler le royaume pourtant ragaillardi des Valois.

     

    Le procès 

    Conduit à Paris, il est jugé, avant d’être exécuté place des Halles en juillet 1391. Il est gardé à la prison de La Boucherie, par deux sergents qui doivent prêter serment sur l’Évangile de ne laisser personne parler au prisonnier. Ses juges n’ont rien à envier à ceux qui jugèrent Jeanne d’Arc un demi-siècle plus tard. Le personnage inspire une telle crainte que quatre hommes le tiennent en respect de leurs arbalètes. Il rappelle sa vie, depuis sa jeunesse, énumérant les places qu’il a tenues et prises : sans vantardise, il rappelle que ses places allaient du Berry à la Dordogne, ce qu’il ne faut pas voir comme un territoire continu, mais plutôt des forts épars.

    Il déclare sans sourciller à ses juges que son seul but a été de « prendre le Français, le mettre à rançon … piller son pays, mettre les gens sous son gouvernement, le bouter du pays ». Le Limousin justement est alors en passe d’être repris par les Valois. Les armées françaises avancent, prenant – non sans difficulté – place par place. Ainsi, le fort de Melle, et celui d’Orcival. 

    Un certain Ferrando, mercenaire espagnol, tente de tenir les routes pour le compte de Mérigot. Des alliés, grassement payés, mais pas très sûrs, lui coûtent une fortune. Des chevaliers auvergnats tergiversent. Les tentatives de trêve entre les deux royaumes affaiblissent le chef de compagnie. Les marchands débiteurs ne payent plus. La Guyenne anglaise lui propose une aide, que Mérigot, par fierté – perdu pour perdu – décline, disant : « qu’il aye porter secours et aide à d’autre gens ». Il vient tout simplement de renvoyer d’un revers de cape le plus puissant des princes anglais du continent. 

    Le terme d’État est alors mal adapté. Marchès, n’a jamais eu l’idée d’administrer ses domaines. Tout n’est qu’alliances, coups de force, promesses, et dépenses . Mais le personnage en impose. Né dans une petite seigneurie de quelques hectares, il a tenu, pendant trois ans, un territoire allant de la Charente aux abords de St-Etienne, et de Sancerre au nord à Rodez au sud, le Limousin et l’Auvergne en étant le cœur, soit une centaine de forteresses, et leurs campagnes. Quand on lui parle de sa fortune – qui fut immense – il déclare avoir tout enterré mais ne pas se souvenir où. 

    Pour Mérigot la guerre n’est pas quelque chose qui doit déboucher sur une trêve, une paix, une conquête ou une victoire. Pour lui la guerre est un mode de vie, l’état normal de la société. 

    Il a beaucoup parlé à ses juges, des semaines durant. Ils ont noté ses dires avec une grande précision. Ils sont étonnés de son français parfait, ses élans d’emphase, son absence de regret. Ils notent aussi qu’il se renferme facilement. 

    Mérigot devait avoir un minimum de connaissance du latin. Il connait Virgile et Végèce où il a dû puiser son génie militaire. Génie militaire certes mais en revanche aucun génie politique. Les juges lui proposent de reprendre « le dit pays en fief et de demeurer au roi de France, que tout ce qui lui avait fait serait pardonné […] »

     

    Le verdict et la triste fin

    Le Registre nous dit que ces mêmes juges discutèrent longtemps de ce qu’ils devaient décider. Ils lui permettent aussi de voir plusieurs de ses hommes « tournés français » : une dizaine de ses chevaliers le visitent et le supplient d’accepter. Rien n’y fait. Son choix parait absurde : c’est non.

    Face à cet orgueil, un sens de l’honneur archaïque, une pointe d’arrogance peut-être – une personnalité hors du commun à coup sûr : ce sera la mort, et la plus horrible et exemplaire possible.

    Les derniers mots de Mérigot à ses juges sont de leur dire qu’il estimait, à moins de 45 ans, avoir eu une vie belle, ne pas avoir fait de mal, ne regrettant rien et restant sujet du roi d’Angleterre.

     

    La-Roche-Vendeix.jpg

    La Roche Vendeix. La forteresse depuis laquelle Mérigot Marchès a tenu  en respect les armées françaises pendant deux mois. Le fort a été totalement rasé. Ce devait être une sorte de petit Montségur

     

    Dans les actes transparaît un tout autre personnage que le bandit de Froissart. Si l’occitan est sa langue maternelle, il parle un français parfait, connaît bien l’anglais, un peu d’espagnol et d’italien. Il a beaucoup lu - surtout des Romans de chevalerie, les Troubadours poitevins et un peu de poésie. Froissart ne se lasse pas de détailler les méfaits du sire, mais le dit subtil, imaginatif, triste et pensif. On est loin de l’image du pillard sans foi ni loi.

    Mérigot n’a aucun remords. Il se sait condamné, et c’est sans trembler qu’il va à l’exécution. Mis au pilori, on lui tranche la tête puis l’écartèle, les quatre quartiers exposés aux portes de Paris.

     

    Conclusion

    Juger moralement la vie de Mérigot Marchès n’aurait aucun sens aujourd’hui. Fame Peste Bellum- la faim, la peste et la guerre - ont rythmé la vie des hommes de cette fin du Moyen Âge. Dans l’Histoire, guerre et malheurs sont bien plus la situation « normale » que paix et douceur de vivre, qui sont de fait l’exception. C’est un homme de son temps, comme il y en eut bien d’autres. Ses méthodes ne différaient guère des armées régulières. Un « héros national » comme Bertrand Du Guesclin n’aurait rien à lui envier en matière de cruauté et d’enrichissement personnel. D’un homme qui a parcouru tout ce qui comptait dans l’Europe occidentale du temps. Froissart nous laisse l’image d’un sombre personnage de roman; mais les minutes de son procès montrent un homme bien plus complexe et ambigu.

     

    Franck Patinaud

     

    Bibliographie

    Boris Bove, La France au temps de la Guerre de Cent Ans, 2009, 
    Jean Tricard, Les campagnes limousines du XIVe au XVIe siècle, 1996, 
    Germain Butaud, Les compagnies de routiers en France , 2012,
    Vincent Challet, Villages en guerre : les communautés de défense dans le Midi pendant la guerre de Cent Ans, dans Archéologie du Midi médiéval. Tome 25, 
    Mais pour donner chair à ce personnage, rien ne remplace les textes d’époque :
    Jean Froissart, Chroniques, ch. XIV. On trouve une version en français modernisé en poche (collection « Lettres Gothiques »)
    Registre criminel du Châtelet de Paris, tome 2 Marchès vu par ses juges… et par lui-même ; un document irremplaçable (sur Gallica).