Germaine et Céline Coupet, dans ce bel ouvrage nous livrent une véritable mémoire de la vie des petits métayers et ouvriers agricoles de la région de Saint Léonard de Noblat au tout début du XXème siècle. Ce tableau de la condition paysanne est d'autant plus étonnant qu'il nous est transmis à partir de l'expérience exceptionnelle que ces deux femmes ont vécue à Paris, où elles sont arrivées l'une et l'autre à l'âge de 17 ans. Germaine, l'aînée après cinq années de galère dans plusieurs places de bonne se décide à chercher meilleure fortune à Paris. Un mois après son arrivée elle se retrouve à la rue. Elle est recueillie par un inconnu qui la présente comme modèle chez une peintre célèbre. Pendant quatre ans elle mène une vie trépidante et joyeuse en posant comme modèle pour peintres et sculpteurs dans leurs ateliers prestigieux des quartiers de Montparnasse et Montmartre. Elle fait venir sa sœur Céline, plus fragile et plus éprouvée par la dureté des travaux qu'elle a endurés comme servante de fermes à partir de l'âge de 11 ans. Elle partagera aussi cette vie mouvementée de modèle avant de trouver son bonheur en épousant un sculpteur américain.
Germaine, par delà cette vie frivole dans les milieux artistiques demeure très ancrée dans les souvenirs de sa vie familiale et de son enfance de villageoise limousine. A vingt ans elle revient à St Léonard. Elle se marie en 1912 et voyage en Egypte avec son mari. Celui-ci sera tué sur le front au deuxième mois de la guerre 14-18. Très vite elle retourne à Paris et reprend naturellement sa place dans le milieu des artistes. En 1926 elle épouse Maurice Taquoy un peintre reconnu de cette période faste. Elle passe alors de l'autre côté du chevalet et se lance dans la peinture. Sous le pseudonyme d'Existence elle expose avec succès des scènes de la vie villageoise dans des grandes galeries parisiennes. Ce qui fit dire à son mari "enfin je vais avoir fait un riche mariage et vivre de la peinture mais pas de la mienne!". Ils mèneront une vie simple dans leur atelier parisien ou plus souvent dans leur maison à l'orée de la forêt de Fontainebleau. Ils accueilleront de temps à autre la famille limousine désormais réunie dans la région parisienne. "Germaine, Céline et leur mère se retrouvaient comme en Limousin et le patois donnait l'étincelle à la conversation". Elles se remémoraient les veillées villageoises animées par leur père musicien et chanteur où leur mère excellait dans un répertoire d'histoires et de contes extraordinaires. C'est dans cette veine du conte que Germaine va puiser pour entrer en littérature.
Toujours sous ce pseudonyme d'Existence elle publie aux Oeuvres libres deux recueils de nouvelles : "Didi" en 1931 et "Village" en 1939. Laissons aux lecteurs le bonheur de trouver dans ces délicieuses saynètes une véritable chronique de la vie villageoise en Limousin au tout début du XXème siècle. Vous trouverez en dernière page de ce numéro d’IPNS une illustration significative de ces contes villageois. Avec une profonde délicatesse elle conte ses souvenirs du bonheur familial et les étapes joyeuses de la vie et des travaux champêtres malgré les avatars des pénibles conditions du métayage. Gratifiée d'une grande sensibilité et d'un esprit d'indépendance elle rapporte les querelles familiales et les haines accumulées entre les métayers et leurs petits propriétaires. Sous un ton humoristique et une moquerie décapante elle se rappelle de la méchanceté et de la violence "dans ces campagnes limousines sauvages et insociables". Grâce à la ténacité de Martine et Bertrand Willot de l'association "la vie d'artiste" les contes et récits d'Existence sont sortis de l'oubli où ils s'enfonçaient. Certes la qualité littéraire de "ces notations curieuses sur la vie populaire d'hier" n'avait pas échappé à Michel Ragon. Dans son Histoire de la littérature prolétarienne il avait classé l'énigmatique Existence parmi les écrivains paysans. Mais elle demeurait "une femme qui avait été modèle des peintres de Montparnasse en sa jeunesse, se mit à peindre sur le tard des tableaux charmants et naïfs. C'est sous ce même nom qu'elle publia des souvenirs de son enfance de petite villageoise en Limousin".
Après deux années de prospection biographique autour de Saint Léonard et Montparnasse les Willot retrouvaient son identité et ses traces familiales dans les villages de Champnetery, Villemonteix et Puy-les- Vignes. Sa famille leur confiera alors le manuscrit des "Souvenirs d'enfance" de sa soeur Céline. Partie avec son mari à New York juste avant la guerre de 1939 elle ne parvient pas à s'intégrer à ce nouveau pays. Elle se dit malheureuse et signe les lettres qu'elle adresse à sa fille : La Limousine. En 1953, un an après la mort de Germaine pour conjurer l'ennui de leur exil new yorkais et la nostalgie de son enfance son mari la pousse à écrire sa vie. En quelques 150 pages Céline, en ressassant les contes d'Existence, entend rétablir sa vérité. "Je vais essayer de raconter tout ce qui m'est arrivé depuis l'âge de deux ans" (1896). En quelques 150 pages, d'une écriture souvent maladroite et dépourvue de tout artifice littéraire elle applique un copier-coller de la réalité sur les fantasmes de l'imaginaire des contes d'Existence. Une illustration sans concession de l'impitoyable dureté de la convivialité villageoise pour celles et ceux qui subissaient les déracinements continuels de l'instabilité du métayage. Le témoignage de deux caractères trempés dans l'âpreté d'une enfance marquée par la violence de la misère paysanne et dans l'ambiance primesautière et festive du monde artistique de Montparnasse.
Alain Carof
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