La modernité a frappé le monde paysan comme la foudre. Pour le plateau de Millevaches, modernité a d’abord signifié : exode rural, mort du patois, explosion de la communauté traditionnelle, sentiment d’être laissé à l’écart de l’histoire, de la civilisation, terreur de ne pas en être. Toute une région autrefois densément habitée, vivante, s’est trouvée désemparée, complexée, exsangue.
Au terme de ce processus apparaît finalement une proposition à première vue bénéfique et prometteuse : le Parc naturel régional (PNR). Il s’agit de «revitaliser», «désenclaver », «dynamiser» le territoire. Le PNR, à travers ses conseils consultatifs, ses chargés de mission, ses brochures en quadrichromie, ses panneaux d’interprétation, capte un ensemble de questions dont aucun de ceux qui habitent ici ne peut nier qu’elles le concernent.
On ne peut pas dire que le PNR cache son jeu. Au contraire, il a rédigé une charte, un diagnostic territorial qu’il convient de lire pour savoir un peu à quelle sauce on voudrait nous aménager.
Tant que le plateau était peuplé, c’était une terre de champs, de landes et de tourbières. C’est, au fur et à mesure de sa désertification, devenu une terre de plantations, où ne subsistent que quelques exploitations compétitives. Le PNR se saisit de cet abandon, se fait fort de l’aménager en paysage, paysage qu’il s’empresse d’exhiber aux foules stressées et déracinées des métropoles en leur disant : «Allez passer vos vacances par là, là-bas, c’est la nature». Il constitue ainsi la campagne en passé idéal, maintenant que la modernité l’a réduite à si peu. Après des siècles de honte de leur origine faite aux paysans, aux artisans, on les exhibe avec fierté comme gage de l’authentique, de la communauté, de ce contact avec la nature et entre les humains dont nos contemporains manquent si fort. Et c’est sur la base de cette image que le PNR ambitionne en fin de compte de «restructurer le territoire», de construire le territoire- entreprise, doté d’un logo, d’un label, d’une identité visuelle et culturelle.
Il se lance dans ce fameux «marketing territorial» où tout doit être «valorisé», afin de devenir un «gagnant» dans la «mise en concurrence européenne des territoires». Sous prétexte de le faire connaître, c’est le pays que l’on vend.
Ecologie, tourisme, agriculture, le PNR porte ainsi avec lui un ensemble de projets, de pratiques, dont le trait commun est la constitution du territoire en patrimoine, et ce de la sphaigne aux maisons en passant par le feu de bois. Les agriculteurs ont d’ailleurs vocation, dans ses termes et à défaut d’être réellement compétitifs, à devenir de simples «gardiens du paysage» tandis que les habitants se changeraient en autant d’acteurs du terroir.
Nous pensons que le soi-disant sous développement» du plateau n’est pas une condition simplement subie, un pur malheur, mais aussi le fait d’une résistance, au travers d’un ensemble d’usages, d’habitudes, à une logique de développement qui a montré, à l’échelle mondiale, son caractère de désastre. Nous croyons que ce sont ces pratiques, et la communauté qu’elles créent, qui ont permis au plateau, sous une certaine Occupation, de s’opposer comme nulle part ailleurs au désastre environnant. Contrairement à ce que soutient le parc, nous croyons que le plateau est habité, habité par d’autres désirs et d’autres pratiques que ceux d’en faire un musée, un capital à faire valoir.