Depuis l’apparition des TUC (Travaux d’utilité collective... ça nous rajeunit pas) on a entendu les défenseurs du droit du travail condamner les emplois aidés. Même les emplois jeunes n’ont pas trouvé grâce à leurs yeux. Considérés comme des sous emplois sans avenir ils offraient cependant à des jeunes une perspective de cinq ans d’emploi au service de causes associatives. Jamais la vie associative n’avait profité d’une telle manne financière et d’autant d’apport de qualification. Son dynamisme actuel est largement le fruit de cette mesure. Partisan de la défense des droits des travailleurs, je m’interroge néanmoins sur les opportunités qu’ouvre actuellement l’accès facilité aux CAE (Contrat d’accompagnement dans l’emploi) puisque devant la difficulté à en “placer“, le gouvernement en est venu à les prendre en charge quasiment à 100%.
La domination idéologique actuelle des théories libérales, nous amène à perdre de vue que la vie associative n’est pas à traiter comme le monde de l’entreprise. C’est pourtant là le souhait des tenants de ces théories qui ne voient plus que des “agents économiques“ dans toute initiative et ne s’attachent qu’à en évaluer le coût pour pouvoir trouver des solutions pour le diminuer. Dans ce contexte, la dérégulation du marché du travail, avec la multiplication des emplois précaires, l’appel à l’intérim et la création du statut de stagiaire (rêve enfin réalisé d’une main-d’oeuvre gratuite ou quasiment) s’inscrit pour les libéraux comme une mesure permettant de réintroduire de la saine concurrence entre les différents acteurs économiques et «bénéficiant» aux entreprises qui maintiennent ou développent leurs profits dans une course absurde et destructrice des solidarités et de l’environnement. Peut-on, pour autant, raisonner pour les associations comme pour les entreprises capitalistes ? C’est le vœu le plus cher des libéraux qui, dès qu’une association devient employeur (et même peut être avant) voudrait l’embaucher dans ses troupes au service de sa guerre économique.
Doit-on accepter ces catégories de pensée ? Le monde associatif, et plus globalement l’économie sociale et solidaire, s’inscrit dans une dynamique de refus de la confrontation et de la concurrence. Aux assauts des libéraux, elle propose une approche alternative, où ce n’est plus la recherche du profit qui est moteur de l’activité mais la réalisation d’objectifs qui peuvent prendre autant de formes qu’il y a de groupes et de situations. On a coutume de dire que pour cette économie, c’est l’être humain (et l’environnement) qui est au centre : repérer des besoins sociaux, proposer une autre manière d’apporter un service, développer d’autres formes de commerce, mettre à disposition de nouveaux produits ou de nouveaux savoirs faire, prendre en charge des causes ou des personnes, réinventer, revisiter les relations de travail et la forme de l’entreprise. Qu’en est-il dans ce contexte de l’utilisation des opportunités d’aide à la création d’emplois que chaque gouvernement propose depuis quarante ans dans sa lutte supposée contre la montée du chômage ? (Rappelons que le chômage - tout comme la notion d’exclusion - est une des composantes indispensables de la panoplie libérale. La pression matérielle, idéologique et symbolique qu’il exerce est un frein puissant à la revendication salariale comme les libéraux l’ont compris dès l’origine).
La vie associative est-elle une simple variable d’ajustement et le fait d’accepter d’utiliser un ou plusieurs emplois aidés fait-il du ou de la dirigeant(e) un guerrier du libéralisme ? Si l’on accepte l’idée que la vie associative ne relève pas de la logique économique mais bien d’une logique de création d’activités humaines et coopératives, rien n’est moins sûr. En utilisant les mesures d’aide à l’emploi, les associations confortent des projets qui construisent des espaces à contre courant du modèle imposé par les tenants du libéralisme. Employer des emplois aidés dans des tâches associatives a deux effets mesurables. Le premier c’est d’exprimer une solidarité vis à vis de personnes qui par ce biais vont retrouver pendant six mois, un an ou deux ans une activité leur permettant de mieux vivre leur quotidien (et c’est énorme). C’est une fonction réparatrice qui efface, apaise une partie de la douleur sociale. Le second, c’est de pouvoir, grâce à ces apports, conforter des projets d’utilité sociale et/ou d’intérêt général qui sans cela n’auraient pas pu exister, ou moins bien, ou moins vite. Les associations contribuent par là à lutter contre l’envahissement de tous les secteurs de la vie sociale par l’économique en y réintroduisant d’autres valeurs et d’autres mécanismes et en favorisant un fonctionnement social coopératif.
Alain Détolle
la quarantaine, travaille depuis de nombreuses années dans le secteur associatif, dont 1 an dans l’association Les Plateaux Limousins
Peux-tu en quelques mots décrire la situation dans laquelle se trouve le monde associatif, au regard des missions qu’il accomplit aujourd’hui?
Globalement, on est passé de la notion de service public à celle de service au public. Ce n’est pas qu’une novlangue, cela conduit à déléguer aux associations tout un pan de missions d’intérêt général, avec toutes les contradictions du monde associatif. Le salarié y est parfois bénévole, militant et, au nom de cet engagement, flirte avec la législation du travail, la durée du travail. Le contrat de travail est à 35 heures, et le reste c’est du bénévolat !
Quel constat dresses-tu de l’emploi associatif, au regard de ton parcours ?
La particularité, dans le milieu associatif, c’est que des gens avec qui tu peux avoir des relations affectives deviennent ton employeur. Il y a immédiatement une ambiguïté entre rapport hiérarchique et liens affectifs, avec des sujets qui deviennent difficile à aborder.
Cette proximité, le partage de valeurs et l’engagement réciproque induisent des comportements à la limite du droit du travail, en contradiction avec les valeurs défendues.
Le respect de la durée du travail, par exemple, est quasi-impossible. Cela témoigne d’ailleurs d’une situation de sous-emploi chronique, indépassable avec les fonds dont disposent les associations.
Penses-tu que les salariés associatifs soient reconnus à hauteur du travail qu’ils fournissent ?
Pour ma part, ça a toujours été le cas. Mais c’est variable, c’est arrivé à des collègues de se heurter à un refus de reconnaissance.
Dans le milieu associatif, les employeurs sont souvent des retraités. Ils ont un rapport au temps et au travail totalement différents des salariés : coup de fil le dimanche après-midi, réunion à n’importe quelle heure … C’est ton temps principal, c’est leur temps annexe. Là, il y a peut-être un problème de reconnaissance.
S’ajoute à cela le problème du cumul des mandats des administrateurs, avec le “coup“ de l’administrateur débordé qui complique singulièrement la vie des salariés par son manque de disponibilité.
Comment sortir de la situation que tu décrivais précédemment ?
Je ne vois pas tellement d’évolutions possibles, même plutôt une amplification du phénomène. La remise en cause possible de la loi de 1901 et de la spécificité du fait associatif à l’échelle européenne risque de forcer les associations à se tourner de plus en plus vers le secteur marchand pour avoir des fonds (dans le secteur culturel ou du spectacle, notamment) avec des difficultés croissantes pour accéder aux moyens.
C’est la grosse contradiction du secteur associatif : sa dépendance aux financements extérieurs, quasiment toujours remis en cause. Les techniciens des organismes financeurs ne sont pas dupes, ils sont conscients qu’une association ne fonctionne bien qu’avec le “bénévolat“ des salariés, qui de plus ont des salaires faibles.
A la limite, le seul moyen de pression pour faire bouger les lignes, c’est de refuser de faire une action s’il n’y a pas le budget.
35 ans, travaille depuis 10 ans à la Société pour le Protection des Oiseaux en Limousin. Cette association compte 3 salariés en CDI
Pourquoi avoir choisi de travailler dans le milieu associatif ?
Initialement, ce n’est pas un choix. Quand j’ai commencé il y a 15 ans, elles étaient les seules à proposer des postes en lien avec la protection de la nature.
En quoi ce type d’emploi se différencie-t-il des autres ?
Je trouve que nous sommes proches de la fonction publique car nos actions sont d’utilité publique : je considère que mon travail sert avant tout à enrichir la collectivité et pas un patron. L’association défend des valeurs et ne recherche pas le profit, ce qui lui assure une certaine indépendance.
Avez-vous le sentiment que votre travail est reconnu à sa juste valeur (salaire, statut, reconnaissance des employeurs, ...) ?
Je pense être suffisamment payé par rapport à ce que je fais, mon ancienneté et au regard des moyens investis pour la protection de l’environnement. En plus, depuis 2002, l’association a adhéré à la convention collective de l’animation qui est plus avantageuse pour le salarié que le simple code du travail. Cette convention nous assure le paiement des 3 jours de carence en cas d’arrêt maladie, une grille de salaire avec des augmentations régulières...
Pourquoi cette différence avec le salariat “traditionnel“ ? et quelle relation avez-vous avec votre employeur ?
Le Conseil d’Administration assume son rôle d’employeur, surtout le président qui passe au bureau au moins une fois par semaine. Après, les administrateurs ne sont pas que de simples employeurs car nous sommes tous liés par une même passion et se sont aussi des bénévoles. A travailler dans une association qui défend des prises de positions, je suis forcément un salarié militant, mais jamais le Conseil d’Administration (CA) ne m’a demandé de faire plus que mon rôle de salarié.
30 ans, a travaillé 2 ans dans l’association Solidarité Millevaches avant de s’installer comme éleveur d’ovins
J’ai postulé à Solidarité Millevaches car j’aimais bien ce que faisait l’association : accueillir et accompagner les personnes en difficulté. N’ayant pas de diplômes et d’expériences dans le domaine, je ne suis pas sûre qu’une autre structure m’aurait fait confiance.
On te demande d’être plus qu’un simple salarié, tu portes les valeurs de l’association. Quand tu habites et travailles dans un village comme Bugeat, tu as l’impression de ne jamais déconnecter du travail car tu croises les gens dont tu t’occupes à n’importe quel moment de la journée et ce n’est pas toujours facile à gérer.
Oui, je constate juste que les associations méconnaissent le code du travail. Cette situation m’a amené à me syndiquer lorsque je travaillais à la SPA de Bordeaux. Mais j’ai trouvé que les syndicats ne connaissaient pas grand chose aux associations et qu’ils ne s’y intéressaient pas.
Pourquoi cette différence avec le salariat “traditionnel“ ?
Pour moi comme pour les administrateurs de Solidarité Millevaches, les valeurs portées par l’association sont prioritaires sur les conditions de travail. C’est pour ça que j’ai accepté de travailler dans un local qui pouvait être humide et froid.
Quelle relation avez-vous avec votre employeur ?
La relation entre le salarié et l’administrateur va plus loin que la simple relation salarié/patron. Tu partages des valeurs qui sont fortes et les rapports sont plus directs. Mais malgré tout il faut être conscient que tu restes un salarié.
32 ans, salarié du Monde Allant Vers (6 salariés) depuis 5 ans
Je ne l’ai pas choisi. A l’origine du Monde Allant Vers, nous étions 6 personnes avec des idées et des envies qui se sont rejointes pour évoluer ensemble vers un projet de ressourcerie. Nous avons alors créé une association de préfiguration de ressourcerie avec l’idée d’évoluer plus tard vers une SCOP.
Je me sens au service d’une cause, d’exercer un travail à vocation environnemental qui sert à tout le monde. Travailler dans une association est assez agréable car je me sens désintéressé de mon profit personnel.
Avez-vous le sentiment que votre travail est reconnu à sa juste valeur (salaire, statut, reconnaissance des employeurs, ...) ? et pourquoi cette différence avec le salariat “traditionnel“ ?
L’équipe des salariés est en autogestion, c’est à dire qu’il n’y a pas de hiérarchie, que nous décidons de ce qu’il y a à faire... Le CA ne tient pas une place prépondérante dans l’association. Si nous avons choisi librement nos salaires et nos conditions de travail, nous souhaiterions aujourd’hui les améliorer (augmentation, mutuelle complémentaire, confort dans le travail...). Mais je me rends compte que nous connaissons mal tout ce qui existe et nous avons du mal à prendre le temps nécessaire pour çà. Au final si nous ne le faisons pas, personne ne le fera pour nous.
Le CA nous accorde beaucoup de confiance mais j’aimerais qu’il soit plus vigilant sur les choses que l’on voudrait améliorer et que nous ne faisons pas : améliorer les conditions de travail, s’assurer que les projets avancent bien...