La fiction et l'imagination dressent parfois mieux que de longues analyses un portrait décapant du monde et de son avenir. Le romancier Benjamin Berton dresse dans son dernier roman Foudres de guerre (Gallimard, 2007), le triste paysage de la France des années 2010 sous la présidence de Nicolas Sarkozy et raconte "la naissance hasardeuse, l'essor et la chute grandiose du mouvement le plus immature, populaire et dangereux de ces cinquante dernières années", pitoyable esbrouffe politico-médiatique qui dit bien où serait (est ?) tombé la politique... Dans l'extrait que nous publions il raconte la faillite de l'écologie politique et imagine nos régions rurales comme les derniers eldorados. Quant au petit texte "Jip, dans le métro", il ne fait que pousser jusqu'à l'absurde ce que le grand Rebeyrolle appelait le "triomphe du monétarisme"...
L'écologie politique avait failli. Après une embellie dans les années 80, le mouvement avait été digéré, partout en Europe, par le système traditionnel des partis. Mieux encore, ou pire, les partis écologistes avaient réussi à réunir les défauts des groupuscules dont ils étaient issus, la bêtise, l'indécision, l'obsession démocratique, et ceux des grands appareils, les luttes intestines, la corruption, les ambitions déplacées. Les thèmes eux-mêmes, après avoir mobilisé les populations urbaines et une partie de la jeunesse, avaient lassé. L'humanité occidentale s'était rendu compte qu'elle n'était prête à rien pour s'acheter un avenir.
Les accords de Kyoto n'étaient jamais entrés en vigueur et les émissions de gaz polluants dans l'atmosphère avaient continué d'augmenter. Dans le même temps, tant par facilité que par vanité, les citadins avaient renié tout effort de recyclage. Ceux qui en avaient les moyens avaient acheté des 4 X 4 qui leur garantissaient une circulation aisée dans des villes de plus en plus violentes. Les municipalités abandonnèrent les conteneurs de couleur dédiés au tri sélectif et adoptèrent un discours qu'elles auraient qualifié, dix ans plus tôt, d'irresponsable.
"L'avenir de la planète ? elles disaient. Merde, mais qu'est-ce qu'on y peut ?"
L'Occident s'était rallié à la position américaine, formulée au début du siècle : la science nous sauverait... peut-être. Mais Dieu seul savait comment. Dans le pire des cas, les glaces se changeraient en eau et noieraient les terres exposées. Le pétrole viendrait à manquer. Nous en retournerions à la barbarie ou péririons dans des catastrophes naturelles de plus en plus nombreuses et spectaculaires. La terre tremblerait.
Des vagues géantes s'écraseraient jour après jour sur les côtes tranquilles. La chaleur serait intolérable. Et alors ? Inch'Allah. Chacun pour soi et tous pour personne. Le cynisme s'empara de l'opinion publique après le tsunami de décembre 2004, la destruction de La Nouvelle-Orléans, l'année suivante, celle d'Amsterdam en août 2009. L'équation était claire : Dieu reconnaîtrait les siens, ceux qui avaient payé les indulgences et pourraient se mettre à l'abri dans des zones géosécurisées du monde moderne, en altitude, à l'abri des eaux, des vents, des gaz et des feux de forêt. Dans les pays riches, les mouvements de population s'organisèrent en direction des zones neutres : campagnes, vallées de moyenne altitude, plateaux calcaires. Le Perche, la Bourgogne et le Massif central devinrent les nouveaux eldorados français.
Benjamin Berton
(Extrait de Foudres de guerre, Gallimard, 2007)
- JIP DANS LE METRO
Jip dévorait le dernier roman signé Rozon Gabul quand un homme entra dans son wagon à la station Belles-Ardoises et commença de déclamer la météo du jour à tous les occupants.
" Ce type a besoin d'argent " se dit Jip, qui ne manquait pas d'une certaine force de raisonnement. Le type en question avait l'air hagard, les cheveux en épis, le teint cireux et les dents sales. Il manquait de s'étaler à chaque secousse et se rattrapait tant bien que mal mais le plus souvent, était projeté contre les cloisons et fourrait sous le nez des strapontinistes ses sacs de linge plus de toute fraîcheur.
" Triste témoignage de la déchéance humaine et des ravages de l'alcool " pensa Jip, qui voulut lui donner quelque chose. Une femme à sa droite donna cinquante centimes à l'homme qui maintenant passait dans les rangs. Jip voulut mettre un euro dans l'affaire mais fut devancé par une autre femme à droite qui s'aligna, puis par un homme derrière qui surenchérit avec un euro cinquante.
C'était une situation très embarrassante pour Jip qui n'avait rien de plus qu'un euro à donner. Il retournait ses poches en vain et le gueux allait bientôt dépasser son siège. Jip implora du regard les voyageurs en vis-à-vis qui, heureusement ! avaient compris sa détresse ; une petite vieille et un jeune homme lui donnèrent un euro et cinquante centimes. Jip put donc relancer avec deux euros cinquante fièrement et clore définitivement la partie.
Un murmure d'admiration parcourut tout le wagon et le mendiant, ému, remit toute la mise à Jip qui sortit de là en vainqueur.
Jean-Benoît Julien
(Eymoutiers)