La transition écologique est nécessaire. Maxime de Rostolan est son prophète ! La Montagne avait vendu la mèche en février en évoquant l’éventuelle tenue d’un énorme rassemblement citoyen pour l’écologie, “un nouveau Larzac 2003“, à Pigerolles sur la ferme de Jouany Chatoux pour le dernier week-end d’août. 200 000 personnes étaient évoquées, chiffre assez vite revu à la baisse (50 à 60 000 personnes), l’agriculteur de Pigerolles désamorçant les inquiétudes qu’un tel nombre de visiteurs n’ont pas manqué de susciter. La confirmation du festival n’est tombée qu’en mai. En une, et sous les auspices de Marion Cotillard, La Montagne confirmait : “Un festival écolo de masse, baptisé l’An zéro, se précise à Gentioux-Pigerolles (Creuse) fin août.“ Trois mois avant l’événement, à part quelques initiés, personne en réalité n’était au courant des tenants et aboutissants de cette méga-teuf. Si une petite délégation d’organisateurs est bien venue faire des repérages et rencontrer quelques locaux, dont IPNS, ils n’ont pas vraiment jugé bon d’organiser une information générale sur leur événement. Les trois personnes rencontrées par IPNS, jeunes, enthousiastes, dynamiques, plein de générosité et d’énergie, croyaient dur comme fer au bien fondé d’un événement dont ils semblaient convaincus qu’il allait faire “basculer“ notre pays dans la transition écologique. Nous ne leur avions cependant pas caché les réticences qu’une telle opération pourraient susciter localement, ce que les questions que nous leur avons aussitôt posées ne dissimulaient nullement (voir leurs réponses dans IPNS n°67, page 6).
L’affaire méritait qu’on s’y penche de plus près. Dans le même numéro d’IPNS, nos contributeurs Zig et Puce ont dévoilé les accointances de Maxime de Rostolan, le grand prêtre de la grand-messe, avec la Macronie, comme le faisait de son côté, sur le site Lundi matin, Serge Quadruppani. L’article de Zig et Puce étant repris sur le site de Reporterre, la polémique a très vite enflé bien que les éléments mentionnés dans ces deux textes initiaux ont été confirmés pour l’essentiel par une enquête menée par Reporterre1. Quelques opposants à l’An zéro, dont l’écrivain Serge Quadruppani, ont alors décidé d’organiser le 2 juillet 2019 une réunion d’information pour expliquer de vive voix les raisons de cette opposition. Nous étions à moins de deux mois de l’événement et encore aucune information officielle n’avait été programmée par les organisateurs. Les deux articles et l’annonce de la réunion du comité La Bouscule, comme se nommèrent par dérision les quelques opposants, provoquèrent le branle-bas de combat du côté de la Bascule (l’association organisatrice de l’An zéro) dont les premières équipes étaient arrivées à Pigerolles quelques jours plus tôt. Celles-ci organisent donc en toute hâte une réunion publique à Faux-la-Montagne le 1er juillet 2019, la veille de celle des opposants. Ce même jour, Maxime de Rostolan aura un long entretien téléphonique avec IPNS, au cours duquel il affichera sa plus grande distance avec Emmanuel Macron et son Gouvernement, disant pis que pendre du Président, de ses ministres et de François de Rugy en particulier (qui n’avait pas encore été rattrapé par ses homards). Pourtant, curieusement, le metteur en scène de l’An zéro retweetait avec sympathie quelques jours plus tôt une interview de François de Rugy au Parisien2.
Arrive donc la réunion d’information du 1er juillet 2019 qui va déclencher en cascade, l’annulation de l’An zéro et une campagne politique et médiatique contre une partie des habitants du Plateau. Ce soir-là, parmi les médias, seule La Montagne est présente. Ce sera donc son journaliste, envoyé de Guéret exprès pour cela, qui va écrire la version “officielle“ de l’événement. Résumons-là : une poignée d’activistes violents agressent les jeunes de l’An zéro, leur intimant d’annuler leur festival. À leur tête, l’inévitable Julien Coupat – c’est lui que cadrera le photographe. Les interrogations des nombreuses autres personnes présentes à la réunion (il y avait environ 60 présents) dont les critiques se sont faites sur un ton autrement plus mesuré, disparaîtront de la version officielle. Exit également ce qui a suivi la réunion, de 19h à 21h, au bar du village, dans la rue, devant la mairie, où de nombreuses personnes présentes poursuivront les échanges avec les artisans du festival qui comprennent alors dans quelle galère ils se sont mis. Ils le reconnaîtront eux-mêmes le lendemain sur France 3, ou en s’adressant à des personnes présentes ce jour-là. Jackie Garraud, de Chavanac, raconte : “Léna Abbou, la personne chargée de communication de l’An zéro, bénévole présente à cette réunion, m’a téléphoné le lendemain pour m’expliquer pourquoi ils avaient décidé d’annuler l’événement. Ce qui est ressorti de cette réunion, m’a-t-elle dit, c’est de la “gratitude”, “une remise en question”. “C’est ultra-formateur, je suis sûre que nous avons les mêmes valeurs. Et si certains croient que nous décidons d’annuler parce que nous avons peur des menaces, ils n’ont rien compris !” Pour Léna, les organisateurs de l’An zéro “donnaient l’image de tout ce qu’ils dénonçaient”.
S’il y en a qui n’ont donc rien compris, c’est les quelques personnes qui, localement, vont monter en épingle les propos menaçants ou agressifs de quelques-uns (que beaucoup du reste parmi les opposants de l’An zéro ont jugé excessifs ou déplacés - “il n’y avait pas besoin de cela !“). La maire de Gentioux a tout de suite sauté sur l’occasion pour stigmatiser à travers eux l’ensemble des personnes ou initiatives qu’elle n’aime pas. Dans les interviews qu’elle donne à La Montagne ou à France 3, dans la motion qu’elle fait voter par son conseil municipal, dans sa lettre d’information mensuelle, sur ses pages facebook, elle joue de l’amalgame dans une confusion totale, mélangeant allègrement toute une série de choses qui n’ont pas grand chose à voir : les réactions violentes d’opposition de quelques individus à l’An zéro (en omettant de parler de toutes les autres réactions d’opposition qui n’avaient pas ce caractère d’agressivité mais que n’a pas retenues le journaliste de La Montagne), les nouveaux habitants qui viennent s’installer sur le plateau de Millevaches, des associations de sa commune comme La Renouée (qu’elle cite dans son interview à La Montagne), la Fête de la Montagne limousine, des personnes et des élus qu’elle ne nomme pas mais qui, pour qui connaît le coin, sont reconnaissables et que, dans son délire, elle associe sans précaution à une “mouvance“ “ultra-totalitaire“, “ultra-contestataire“, “d’ultragauche“...
Le pompon est venu du journal national L’Opinion, “média quotidien, libéral, européen et pro-business“ qui résumait la situation de manière encore plus radicale : “Comment Julien Coupat a saboté un festival écologique et décroissant dans la Creuse“ Sur-titre : “Totalitarisme“. Un avatar de la polémique locale qui éclaire bien la manière dont fonctionnent les médias. L’auteure, la journaliste Emmanuelle Ducros, qui a travaillé pour La Montagne en 1999-2000, a manifestement dû garder des liens avec son ancien employeur, puisque son article se base exclusivement sur celui de La Montagne. En reprenant cette seule source à laquelle elle rajoute les commentaires du député de la Creuse, elle réduit une vision déjà très réductrice de l’affaire en un condensé encore plus caricatural. Voilà ce qui s’appelle de l’investigation ! Mais qui réjouira la préfecture de la Creuse qui retwette aussitôt sur le site officiel de la préfecture l’article de L’Opinion, et fera l’affaire de Dominique Simoneau qui en rajoute : “C’est la mouvance de Julien Coupat“ qui lui envoie une lettre anonyme, profère des menaces et qui est à l’origine des incendies inexpliqués qui ont eu lieu dans la région au cours des dernières années.
Reprenons les événements depuis le début : un festival parachuté suscite d’abord l’interrogation, puis la curiosité, puis l’opposition d’une partie des habitants du Plateau. Personne au demeurant ne semblait se passionner pour cet événement et personne en tout cas ne prendra vraiment la défense de ce festival. À Pigerolles par exemple, l’annonce de l’événement comme son annulation sont tombés sur la tête des habitants sans qu’ils aient jamais, ni dans le premier cas ni dans le second, eu leur mot à dire. Les gens de Pigerolles semblaient plutôt dans l’expectative ; ils n’étaient ni vraiment enthousiastes, ni franchement opposés. Ils étaient choqués du manque d’information, et voulaient surtout des réponses à leurs questions. Un agriculteur d’une autre commune regrette cependant comment l’annulation s’est produite : “Pour nous, qui sommes producteurs, on aurait trouvé intéressant que la Bascule de Gentioux, la Renouée, malgré toutes les limites de ce fameux festival de l’An Zéro, soient présentes d’une manière ou d’une autre dans ce festival... Ça aurait même pu être une occasion de montrer que malgré nos désaccords, on est capable de faire autre chose que ce qui s’est passé et se passe malheureusement toujours sur la commune de Gentioux.“ Catherine Moulin, maire de Faux-la-Montagne, a elle aussi tirer les oreilles à quelques farouches opposants : “Je dois dire le malaise que provoque pour une partie non négligeable des habitants de la commune, le comportement excessif de certaines personnes qui se sont montrées pour le moins peu accueillantes et pas qu’en cette occasion...“. D’autres se félicitent de l’annulation et font la part des choses, comme cette Creusoise, professionnelle des festivals et de la communication : “L’annonce de l’annulation associée aux mobilisations citoyennes me semble injuste. Je crois qu’ils annulent tout simplement par ce qu’ils ne sont pas professionnels ou tout du moins responsables. Un tel événement nécessite des mois d’anticipation, de travail en matière de gouvernance, de budget, de logistique, de programmation. Je crois qu’ils ont simplement cru que nos terres étaient habitées par si peu de gens et si peu d’esprit qu’ils pouvaient nous illusionner par des effets d’annonce.“ Et de s’étonner qu’à deux mois du festival, une annulation puisse se faire : “Car à moins de deux mois d’un tel événement tout doit être bouclé !“
L’avenir semble lui avoir donné raison. Après avoir annoncé que l’An zéro aurait finalement lieu à Guéret, en partenariat avec le festival Check in Party (qui démentira dès le lendemain), les organisateurs décident de tout annuler : “Malheureusement, il y a quelques jours est tombé le coup de grâce : après avoir composé pendant des semaines avec le flou du changement de site, nous avons fini par recevoir des prestataires les devis des installations, après la remise du dossier en préfecture quand plus rien ne pouvait être modifié. Le choc est douloureux, l’addition bien plus piquante que prévu et la quote-part financière qui nous est demandée pour couvrir les frais est de très loin supérieure au budget initialement annoncé.“ 3 Rideau. Derrière ces raisons financières d’autres ont probablement eu plus d’importance. L’enquête menée par Reporterre le 26 juillet1 qui raconte que Martin Bohmert, membre du bureau exécutif d’En marche ! et ancien délégué général des Jeunes avec Macron, a passé une semaine entière à Pontivy, début juin, au siège de l’An zéro, est venu mettre à mal la thèse de l’indépendance du mouvement vis à vis de la Macronie. Plus embêtant, la tribune parue sur Médiapart le 24 juillet4, signée par plus de trente organisations qui expliquent pourquoi elles ne viendront pas à l’An zéro, n’est sans doute pas étrangère à des désistements de personnalités ou associations embarquées dans l’aventure un peu trop vite (voire sans leur accord pour au moins deux d’entre elles). L’ensemble a généré des débats au sein même des organisateurs qui ont décidé d’utiliser leur dernier week-end d’août “à réfléchir à nos erreurs, mais aussi à imaginer la suite“. En Bretagne, les Gilets jaunes de Rostronen ont envoyé un petit message sur le Plateau : “Merci pour l’accueil que vous avez réservé à la Bascule qui a essayé de nous récupérer, avant qu’on ne comprenne vraiment qui ils étaient.“
L’An zéro renvoyé à ses terres bretonnes, les dommages collatéraux de l’affaire se font sentir en local. Les prises de position de la maire de Gentioux et du député Moreau qui ostracisent gravement sous le nom de “mouvance“ celles et ceux qu’ils estiment être les instigateurs de l’annulation, des incendies inexpliqués et des lettres de menace, et qu’au moins la maire de Gentioux associe allègrement avec tout ce qui lui déplaît sur sa commune et sur le Plateau, créent un climat particulièrement lourd. Aux réactions qui se sont exprimées face à ses dires elle conclue de manière fermée par cette phrase : “une seule solution pour sortir de la défiance : appuyer la motion de la Commune de Gentioux-Pigerolles ! “Voici qui est clair : si vous n’êtes pas avec moi, vous êtes contre moi. Curieuse conception du dialogue qui n’étonne malheureusement pas ces habitants de Gentioux qui ont réagi par un texte argumenté et que nous publions ci-contre : “Nous ne voulons pas vivre dans la défiance“. Une sorte de zéro pointé à Dominique Simoneau qui relève ses incohérences et sa malignité.
Michel Lulek