Dans le n°66 d’IPNS, Joseph Mazé nous a alerté sur le danger des implantations massives d’éoliennes sur le territoire et en dénonce ce qu’il appelle une “énorme escroquerie“. Agacé par certains argumentaires des anti-éoliens, Jean-François Pressicaud tente de faire la part des choses.
Habituellement, je suis assez indifférent aux propos des anti-éoliens, généralement motivés par le refus de la proximité des installations. De plus, beaucoup avouent être des pro-nucléaires, d’autres refusent de s’interroger. Mais, lorsque Joseph Mazé, dénonce une “énorme escroquerie“, il faut prendre son argumentation au sérieux, en essayant de distinguer ce qui est juste de ce qui prête à discussion, comme ce qui est exagéré ou abusif.
Des dégâts moindres
En France, écrit Joseph Mazé, l’éolien est d’abord un business. On ne peut qu’être d’accord avec lui sur ce point : le développement de l’éolien fait partie de la même logique industrielle et capitaliste que le nucléaire, l’industrie chimique, l’agro-alimentaire, les transports, etc. Mais il ne provoque pas les mêmes dégâts ! En effet, malgré tous les efforts des anti-éoliens pour mettre en avant les nuisances causées par les éoliennes, elles restent incomparablement moindres que celles du nucléaire, ou même de la chimie. Il n’en reste pas moins que l’éolien, dans son déploiement actuel, fait partie de la “croissance verte“, de la modernisation industrielle, de la diversification des sources d’énergie et autres formules montrant que le but est de l’adapter au développement techno-industriel, et non de le contester. C’est tout le contraire de la recherche de la décroissance et de la priorité donnée aux économies d’énergie, seule voie pour espérer – peut-être, en étant optimiste – restaurer les grands équilibres de l’écosystème terrestre.
Changer de rythme
Joseph Mazé a également raison de stigmatiser le manque de démocratie et d’information des populations. Il serait naïf de s’en étonner : quand a-t-on vu une industrie baser son activité sur la transparence et la démocratie ? Ce n’est pas pour autant qu’il faut accepter ces comportements. Mais, au-delà du constat, n’y a-t-il pas des inconvénients propres à l’éolien, qu’il conviendrait d’examiner ? Une des critiques majeures des anti-éoliens consiste à stigmatiser le caractère intermittent de la production d’électricité. Une telle critique n’est recevable que si on reste dans le cadre de nos sociétés d’abondance où chacun a pris l’habitude – agréable, j’en conviens – de disposer à tout moment de toute l’énergie désirée, en appuyant sur un bouton. Dans un monde décentralisé et décroissant, on chercherait certainement à s’adapter à une production variable, en réservant les moments de plus grande dépense énergétique aux périodes de production maximale. C’est ce que pratiquaient autrefois les meuniers : leurs installations travaillaient en cas de quantité optimale d’eau ou vent, puis étaient au repos dans les périodes de manque et dans les épisodes de crues ou de tempêtes.
Laideur et démantèlement
La question de l’atteinte aux paysages ne me paraît pas non plus déterminante. Les jugements sur l’esthétique des éoliennes ne peuvent être que subjectifs. Pour ma part, je ne les trouve pas laides, ne défigurant pas plus le paysage que les lignes à haute-tension, les aménagements routiers (autoroutes, voies rapides, ronds-points), les hangars agricoles ou industriels et autres merveilles de notre modernité. Il reste que leur implantation dans des secteurs pittoresques ou protégés est à proscrire, et qu’aucune installation ne doit être imposée aux populations. Derrière cette critique, on trouve souvent la crainte que les propriétés proches des éoliennes perdent de leur valeur. Dans La Montagne du 28 mars 2019, le maire de Bussière-Saint-Georges (nord de la Creuse), commune où 7 éoliennes ont été installées, déclare : “Depuis 2000, nous sommes passés de 189 à 255 habitants, les maisons proches des éoliennes se vendent toujours“.
Quant au démantèlement, il est difficile de savoir où est la vérité. En effet, les pro disent que les 500 000 € légalement provisionnés par les exploitants de chaque éolienne sont largement suffisants, les recettes résultant du recyclage des métaux composant la machine en faisant une opération bénéficiaire. Quant aux anti, ils développent un argumentaire terrifiant, avec des chiffres astronomiques et des dangers insurmontables. Il me semble qu’il faut quand même raison garder. Par exemple, en ce qui concerne les socles de béton, décrits avec effroi par les anti-éoliens, ce n’est pas le seul secteur qui utilise de telles implantations et il doit bien exister un savoir-faire pour éliminer à peu près proprement ces vestiges encombrants.
Gigantisme
Il reste que la question de la taille pose un problème important : le gigantisme des machines actuelles ne facilite ni leur intégration dans le paysage, ni leur acceptation par les habitants. C’est un problème général dans notre société, quel que soit le domaine (institutions, régions, entreprises, machines, etc.). Il faut toujours voir plus grand, comme si nous devions tous devenir chinois ! Pour les techniciens, cette course au gigantisme serait rendue nécessaire parce qu’en Limousin, il n’y a pas beaucoup de vent, il faut donc aller le chercher en altitude. Je ne suis pas vraiment convaincu par cet argument. D’abord parce que l’augmentation de la taille ne concerne pas seulement le Limousin, mais aussi des régions très ventées, ensuite parce qu’il faut sortir du dogme de la rentabilité économique maximale et immédiate. Dans une conception alternative, il ne serait probablement pas rédhibitoire d’accepter une rentabilité moindre, mais plus durable.
Finalement, je reste agacé par les anti-éoliens, parce que j’aimerais bien voir autant d’énergie pour lutter contre le nucléaire ou l’industrie chimique, que celle dont ils font montre contre l’éolien. Il est plus facile de dénoncer les éoliennes que de se passer de ces délices de la modernité qui ont nom : portables, ordinateurs, qui ne peuvent fonctionner qu’avec d’énormes dépenses d’énergie et utilisent des métaux rares, comme des composants divers extrêmement polluants et dramatiques socialement. Dans le cadre d’une production et d’une consommation d’électricité décentralisées, nous pourrions envisager l’utilisation d’éoliennes de taille modeste. Les collectivités de base (communes, villages, coopératives diverses, groupements associatifs ou professionnels) y gagneraient en autonomie, au plan énergétique, comme politique et social.
Jean-François Pressicaud
Un projet éolien à Royère-de-Vassivière
Un groupe de citoyens regroupés au sein de l'association du parc éolien de Cassini, en partenariat avec Quadran, société spécialisée dans les énergies renouvelables rachetée en 2017 par le groupe Direct Énergie, étudie la faisabilité d'un projet éolien sur le Puy du Pic, sur la commune de Royère-de-Vassivière.
Pour ce faire, l'association a créé la société du parc éolien de Cassini, détenue à 50 % par 45 citoyens du territoire et à 50 % par Quadran. Mais derrière tout cela, c'est en réalité Total qui cherche, selon ses mots, à “se renforcer dans la commercialisation de l’électricité et la production bas carbone.“ En octobre 2018, le groupe Total a en effet finalisé une offre publique d’acquisition de Direct Énergie, devenue depuis Total Direct Énergie.