On a déjà parlé d’Hyperloop dans IPNS (n°62 et 63). Une visite estivale sur le site nous a permis d’en savoir un peu plus de l’état d’avancement de ce projet délirant.
J’étais voici peu en visite dans le Nord de la Haute-Vienne sur sollicitation d’une jeune journaliste du Point qui cherchait à recueillir des témoignages sur l’Hyperloop, avis divers et contradictoires sur la question, suggestions, intérêts, inconvénients et perspectives sur ce projet de train à hyper grande vitesse.
Suppositoire “spatial“
Transpod, l’entreprise canadienne porteuse du projet, avait besoin d’un emplacement plat de trois kilomètres de long sur 30 mètres de large. Une ancienne voie de chemin de fer désaffectée de la commune de Droux dans le nord de la Haute-Vienne semblait remplir ces conditions. Le projet d’Hyperloop avait été lancé en 2013 par le milliardaire Elon Musk, déjà à l’origine des voitures électriques Tesla (dont on connaît la situation financière actuelle au bord du dépôt de bilan...) et du lanceur de satellites SpaceX. Ce suppositoire “spatial“ censé désenclaver nos territoires est une sorte de train circulant à près de 1 000 km à l’heure dans un tunnel sous vide. La société Transpod a déposé le 10 août 2018 le permis de construire pour une piste d’essai d’environ 3000 m dans le prolongement d’un centre de recherche sur l’hyperloop à Droux (87). Depuis plusieurs mois, le projet alimente les fantasmes : alors, transport du futur ou entourloupe ?
Domaine public
Lorsque l’on pose la question “poil à gratter“ du financement, Vincent Léonie, président de l’association Hyperloop, nous répond tout de go : “On est sur un terrain qui appartient au département, il est beaucoup plus facile de discuter avec un seul interlocuteur.“ Ça évite surtout de ne pas entamer de concertation avec les éventuels opposants qui pourraient lui rétorquer que ce qui appartient au département relève du domaine public ! Sur place, nous avons fait le tour de la commune, rendu visite à madame le maire qui nous a très cordialement reçus puis accompagnés sur les lieux où sera implanté le futur centre d’essais, près de l’ancienne (et magnifique) gare de Droux (au lieu dit La Brousse). La portion de ligne où va être implanté ce centre d’essais, ainsi que les 3000 m nécessaires à l’implantation du tube (à l’échelle 1/2) se situent sur une portion de l’ancienne voie ferrée fermée en 1973 qui reliait la ligne qui desservait Bessines (ex. Cogéma/Aréva) puis Chateauponsac jusqu’au Dorat (portion fermée en 2006). Là, elle rejoignait l’actuelle ligne TER Limoges-Poitiers. Une autre portion, qui partait également du Dorat vers Magnac-Laval, a été fermée en 1994. Concernant ce projet, si le permis de construire a bien été déposé voici plus d’un an, pour l’instant les travaux n’ont pas encore démarré.
Hyperloop, LGV : mêmes obsessions
Si je me suis intéressé à ce projet dès les premières rumeurs qui ont circulé, c’est principalement pour avoir été un fervent opposant à la ligne à grande vitesse (LGV) Limoges-Poitiers. Ce dernier projet, autant disproportionné que discutable, a fini par voler en éclat devant le Conseil d’État grâce à l’opiniâtreté des opposants, leur argumentation, mais surtout grâce à l’existence d’un contre-projet portant sur l’amélioration, la mise à niveau et la montée en performance du POLLT (la ligne Paris-Orléans-Limoges-La Souterraine-Toulouse), l’axe historique d’intérêt national. Si nous avons conscience que beaucoup reste à faire, nous avons l’ultime conviction que “la technique comme l’intelligence artificielle ne sauveront pas le monde“. Comment peut-on honnêtement envisager un tel projet lorsque l’on se remémore qu’une ligne à grande vitesse (à voie unique !) censé mettre Limoges à 2 heures de la capitale (via Poitiers), pour un coût avoisinant les 2,7 Milliards d’ € n’a pas été jugé économiquement viable. La comparaison des avantages/coûts n’a pas été jugée favorable par rapport au coût/bénéfices ou avancées potentielles techniquement envisageables ! La déclaration d’utilité publique a bien été rejetée par le Conseil d’État, non pas sur des critères uniquement environnementaux (et pourtant il y en avait), mais bien sur l’insuffisance économique de la LGV en comparaison du projet POLLT amélioré. Comment, dans ce cas, les porteurs du projet Hyperloop peuvent-ils justifier et croire à un progrès en terme de fréquence de déplacement prévisionnel de 10 navettes de 100 voyageurs chacune, par heure, là où une rame de TGV-duplex de 2 éléments emporte 20 fois plus de voyageurs avec un coût énergétique d’exploitation bien moindre ? Rien que sur cet aspect, Hyperloop ne tient pas “le rail“ ! Nous ne prenons même pas en compte toutes les contraintes financières de construction (30 Milliards d’€ pour la seule infrastructure), d’entretien et de coût de circulation (vide d’air, sustentation, inscription en courbe, freinage, évacuation des passagers, etc.) ni la sécurité des voyageurs. Cette technologie nous conduit inexorablement vers une impasse technique où beaucoup d’autres se sont cassés les dents !
Fantasmes
Que l’on fasse un centre d’essai dans une bourgade de campagne peut faire rêver ou fantasmer bien des personnes, y compris des politiques, mais il me semble que de nos jours il y a bien d’autres priorités pour rendre la vie de nos concitoyens plus agréable, plus accessible, pour redonner corps et vie à des villages qui se délitent ou disparaissent. Il est vrai que s’il n’y a plus de boulot dans la région, on pourra plus rapidement aller bosser à Lille ou Strasbourg, s’il n’y a plus d’hôpitaux on pourra aller se faire soigner à Rennes ou à Marseille, étudier et se rendre à la fac à Toulouse, Metz ou Nancy, consulter un ophtalmo à Bordeaux ou Montpellier, se faire soigner les dents à Tours ou Orléans. L’essentiel étant, bien entendu, de pouvoir encore prendre quelques gardons ou truites sur la Gartempe sur notre temps libre car à la vitesse où vont évoluer les choses, nous restera-t-il encore du temps ? Limoges-Paris en 2h30 par le POLLT ce ne serait déjà pas si mal non ?
Coïncidence ?
À Droux, nous avons cherché à rencontrer des habitants pour avoir leurs avis et sentiments sur l’affaire, mais la plupart ont décliné l’invitation. Une question revient souvent : pourquoi le choix de Droux situé “au cul du loup“ ? Nous l’avons déjà expliqué en partie : la plateforme de l’ancienne voie ferrée concernée appartient au conseil départemental. Une seconde potentialité apparaît : il se trouve qu’un certain François-Xavier Lauch, jeune énarque de 38 ans dont les parents sont originaires des Vareilles, commune de Droux, se trouve être le chef de cabinet d’Emmanuel Macron ! Ne cherchez aucun lien de cause à effet. La suite au prochain numéro (avec l’article du Point) en espérant que la jeune journaliste n’aura pas interprété ou déformé mes propos... À bientôt sur nos lignes !
Jean-Pierre Chauffier