Depuis le plan hôpital 2007, les hôpitaux sont financés par ce qu’on appelle la tarification à l’activité : la T2A. Il s’agit d’un système de financement de l’ensemble des établissements de santé (publics et privés) basé sur l’activité médicale réalisée. Le principe est le suivant : chaque séjour hospitalier est codé en fonction du diagnostic. Le ministère définit chaque année un tarif par code et c’est sur cette codification que l’assurance maladie rembourse l’établissement. Cette méthode pose un certain nombre de problèmes.
Premier problème : elle génère une course à l’activité des établissements pour augmenter ou simplement maintenir leur budget. Il faudrait une augmentation de l’activité d’au moins 3 à 4 % tous les ans pour pouvoir maintenir la ressource financière d’une année sur l’autre, car, dans le même temps, les tarifs baissent tous les ans afin de “contenir“ les dépenses de santé.
Deuxième problème : toutes les activités ne sont pas valorisées de la même manière. Ainsi, l’acte technique est bien rémunéré, mais la prévention ou la longue prise en charge (psychiatrie, maladies chroniques, suivi des personnes âgées) le sont beaucoup moins, voire pas du tout, avec pour conséquence le risque de voir certains établissements choisir leurs patients. Or, l’hôpital ne peut pas se spécialiser dans les activités rémunératrices et délaisser les autres, au risque de faillir à sa mission de service public. La T2A place donc immanquablement l’hôpital en situation de difficulté financière.
Troisième problème : la T2A entraîne une “compétition“ malsaine entre les hôpitaux afin d’avoir le plus possible d’activité. La conséquence immédiate est que quasiment tous les hôpitaux publics français ont des difficultés budgétaires chroniques depuis sa mise en œuvre. En 2017, le déficit des hôpitaux était compris entre 1,2 et 1,5 milliard d’euros, soit deux fois plus qu’il y a dix ans.
Le Centre hospitalier de Haute-Corrèze (CHHC) subit de plein fouet les effets de la T2A.
Les tarifs qui baissent tous les ans associés au manque de praticiens hospitaliers salariés (d’où un recours aux médecins intérimaires, ce qui augmente le budget personnel de façon conséquente) et à une démographie faible et âgée (peu d’habitants sur la zone de rayonnement de l’hôpital) font que le déficit budgétaire augmente d’année en année. Le financement avec la T2A d’un hôpital de petite taille comme l’hôpital d’Ussel est complètement inadapté. Il ne peut qu’être en difficultés financières.
Cette situation a des conséquences importantes sur le fonctionnement : pression sur les personnels, ajustement quotidien des effectifs au taux d’occupation des lits, renouvellement et investissement du matériel réduits au maximum, gros travaux reportés d’année en année… Pour l’Agence régionale de santé (ARS), il faut restructurer pour réduire les dépenses, autrement dit réduire les lits, ou pour réduire le personnel (considéré comme une variable d’ajustement puisqu’il représente 68 à 70 % du budget suivant les hôpitaux). Nos dirigeants oublient que l’hôpital est une entreprise de main d’œuvre, qu’il faut du temps pour soigner et que la prise en soin d’un malade n’est pas qu’une succession de gestes techniques réalisés les uns derrière les autres. L’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) fixe le niveau des dépenses d’assurance-maladie à 2,5 %. Or, il faudrait le passer à minima à 5 % pour permettre de financer l’activité normale des établissements. Un hôpital comme celui d’Ussel doit être vu dans un cadre “d’aménagement du territoire“ et pas seulement sur des critères financiers.
Oui, les femmes de Haute-Corrèze et des départements limitrophes peuvent donner naissance à leur enfant à l’hôpital d’Ussel où les mamans et les bébés seront “cocoonés“. Des fausses informations circulent depuis déjà quelques années à ce sujet. Cependant, cette petite maternité, à taille très humaine, est fortement menacée (en lien avec le nombre de naissances relativement faible). L’argument avancé est la sécurité. La maternité de l’hôpital est une maternité de niveau 1, c’est-à-dire qu’elle passe le relais à Tulle, Limoges ou Clermont (selon la pathologie) dès que cela dépasse ses compétences et attributions.
L’hôpital n’est pas un ensemble de services de soins mis les uns à côté des autres. Lorsqu’une maternité ferme, c’est, dans 9 cas sur 10, une modification importante de l’offre de soins de l’hôpital avec un accueil aux urgences réduit, la fermeture du bloc opératoire la nuit et le week-end et ensuite, dans les 5 ans, la fermeture des services de chirurgie. L’hôpital est un tout ! Chaque service assure la pérennité des autres services surtout quand cet hôpital est de petite taille comme le CHHC. Si la maternité devait fermer, combien de temps pour atteindre le lieu d’accouchement pour la future maman ? Au minimum 1 heure s’il fait beau. Combien d’accouchements sur la route dans la voiture ou le camion des pompiers (2 en six mois à Bort-les-Orgues en 2019) ou à domicile ? Et dans ces conditions, que fait-on de la sécurité pour les femmes et les bébés ?
En juillet 2019 la loi “Ma santé 2022“ a été votée par le parlement. Elle prévoit la création de 500 à 600 hôpitaux de proximité pour 2022. Mais qu’est qu’un hôpital de proximité selon la ministre ? Ces hôpitaux de proximité assureront de la médecine générale, de la gériatrie et de la réadaptation, mais aucune activité d’obstétrique et de chirurgie, si ce n’est uniquement à titre dérogatoire et sur autorisation expresse de l’ARS. La liste sera établie par ordonnance ministérielle. Ces hôpitaux de proximité correspondent aux hôpitaux locaux actuels comme celui de Bort-les-Orgues en Corrèze.
Le danger est réel pour l’hôpital d’Ussel qui est un hôpital de territoire. Il reçoit des patients du sud-est de la Creuse (La Courtine, Aubusson), du sud du Puy-de-Dôme (Giat, Bourg-Lastic, Le Mont d’Or, Bagnols), de l’ouest du Cantal (Ydes, Lanobre…), et bien sûr de la Haute-Corrèze, jusqu’à Egletons. Une étude réalisée par l’Observatoire de la Santé de Nouvelle Aquitaine en 2017, fait un état de la santé de la population pour la communauté de communes de Haute-Corrèze par rapport à l’ensemble de la Nouvelle Aquitaine. Les chiffres sont parlants et préoccupants : surmortalité par cancers, décès avant 65 ans supérieurs à la moyenne régionale, de même pour les suicides et les décès liés à l’alcool et au tabac, le nombre d’allocations longue durée est là aussi supérieur à la moyenne régionale (voir encadré). Tous ces chiffres semblent en lien avec la précarité de la population, la difficulté d’accès aux soins (transport et médecins spécialistes). Les habitants de ce territoire doivent pouvoir bénéficier d’une réponse hospitalière adaptée à leurs besoins. C’est ce que dit la ministre : il faut “répondre aux attentes des patient.e.s“. Alors quelle conséquence pour ce territoire si l’hôpital d’Ussel devient hôpital de proximité ? Chacun peut évaluer les conséquences d’une telle décision.
L’hôpital public n’est pas un bien individuel des directeurs d’hôpitaux, ni des personnels, ni des politiques. C’est un bien commun financé par nos cotisations sociales, les impôts, les mutuelles… L’hôpital appartient à la population du territoire sur lequel il se situe. Cette population doit le faire vivre en utilisant au maximum les offres de soins qu’il propose qui sont souvent méconnues de la population. Chacun doit donc se sentir concerné par l’évolution envisagée du système de santé hospitalière sans compter que l’hôpital a également un rôle économique important puisqu’il représente 570 salariés en plus d’environ 50 médecins.