Lors de la dernière Fête de la Montagne Limousine, un sympathique débat a permis d’évoquer les différentes définitions que chacun des participants attribue aux deux termes : montagne, plateau, et les malentendus qui orientent très (trop) souvent leur utilisation. Il ressort à mon sens ceci : il existe une Montagne « réelle », et une Montagne « fantasmée », même chose pour LE (les) plateaux. Voyons tout d’abord le terme de montagne.
Une définition géographique
Si vous êtes de fidèles lecteurs d’IPNS, vous pourrez constater que le terme de « Montagne Limousine » se substitue de plus en plus au terme de « Plateau ». Vous remarquerez aussi que certains auteurs les utilisent indifféremment. C’est Jean-François Vignaud, de l’IEO, (Institut d'études occitanes) qui a le mieux fait la part des choses à mon sens. Son article dans notre n° 28 (1) évoque « la montanha », et parle à propos du Plateau de Millevaches d’un « mythe toponymique ». Ce texte a très exactement 10 ans, mais évidemment, depuis, rien n’a changé, sauf … (un peu) les mots. On y apprend que la Montagne est de loin le terme le plus ancien. Ainsi, un panneau destiné aux visiteurs du Pont Saint Etienne à Limoges, nous indique-t-il ceci : (au Moyen-Age) « Ici, au Port du Naveix, on déchargeait le bois flotté, venu de la Montagne » (c’est-à dire par la Vienne, la Maulde, la Combade).
Le terme a ensuite été utilisé depuis «belle lurette» par les historiens et les géographes, qui ne sont pas des plaisantins. Définir très précisément notre Montagne Limousine est assez facile, c’est une affaire de critères. Les premiers sont purement géographiques : relief, altitude, climat, nature des sols, richesses en cours d’eau, végétation. L’altitude n’est pas un critère suffisant, ni même absolu. Selon les auteurs, on tracera une carte des zones supérieures à 500 ou 600 m, cette dernière carte étant évidemment plus réduite. Certains élus parlent de ces altitudes avec un petit air de se moquer tout de même, montrant du doigt « un autre monde », sauvage et inculte (les habitants bien sûr !), comme s’ils avaient quelque supériorité à vivre hors de la montagne. La chose amusante est que ce même secteur a bel et bien été une « vraie » montagne, comme les Alpes, assise sur les roches les plus anciennes de la Terre, ici la famille des granites.
Mais c’était il y a 500 millions d’années. Et les millions d’années, ça use. Le relief est bien aujourd’hui celui d’un plateau (tiens, tiens), incliné doucement vers l’ouest depuis l’Auvergne, mais aussi vers le nord et le sud, à partir des hauteurs formant la ligne de partage des eaux. Ce, ou plutôt CES plateaux, sont largement entaillés par les vallées des nombreux cours d’eau, ce qui fait que - circulant dans la Montagne - on passe d’un plateau à l’autre, après avoir descendu puis remonté (les cyclistes connaissent bien ces dénivelés). Là, le climat – dit de moyenne montagne – est plus rude, plus froid (90 jours de gel par an en moyenne) plus humide (nettement plus de neige, et pluviométrie supérieure à 1000 mm). Ne parle-t-on pas de la limite pluie-neige, à environ 500 m ? Avec des paysages et une végétation en conséquence. On évoquera ici les terres peuplées de hêtres, (voir tous les lieux nommés en Faye, Faux) qui se substituent peu à peu vers l’est aux zones à châtaigniers (Chassagne-at). Le chêne est par contre partout chez lui, quand il en reste. Plus de landes, de nombreuses tourbières, voici une autre marque.
Et la forêt dans tout ça ? Il est admis que jusqu’aux environs des années 30, elle n’occupait guère plus de 10 %, contre aujourd’hui 60, chiffres variables selon les secteurs toutefois. La lande à bruyères régnait donc, et les prairies dans les fonds. Il suffit de se reporter aux vieilles cartes postales, avec leurs sommets dénudés. Aujourd’hui, une bruyère n’y reconnaîtrait pas ses petits. Et pourtant, la Montagne a été longtemps une zone extrêmement boisée. Voici ce qu’en disait en 1936 un géographe limousin célèbre, Aimé Perpillou (élève d’Albert Demangeon, cf IPNS n° 66 ) :« souvent la lande, au lieu d’être une formation végétale originale, n’était qu’une formation dérivée, créée par l’homme aux dépens de la forêt. On avait abattu les arbres pour avoir de la terre cultivée, mais le sol s’était épuisé et le paysan avait abandonné ces «champs froids». Graminées, genêts, ajoncs, bruyères avaient pris possession du terrain »
Voilà donc une idée reçue battue en brèche. A une date reculée – vers la fin du Moyen Àge – notre région était déjà couverte de forêts, mais de feuillus exclusivement. Par l’action de l’homme, la lande avait ensuite remplacé la forêt.
Une approche humaine
L’Etat soucieux d’aménagement – ne riez pas ! - s’est intéressé à la notion de montagne depuis une cinquantaine d’années, avec la création de la DATAR *. On a pu constater comment notre Montagne Limousine a pu évoluer grâce à cette brillante prise de conscience : gestion de la forêt, des services publics, des transports, … coupes rases tous azimuts ; merci pour l’attention. Je rappelle cependant ceci : c’est bien d’après une synthèse des critères naturels et humains que l’Etat a classé certaines communes en « zone de MONTAGNE ». Il suffit de se rendre sur un site gouvernemental – par exemple L’observatoire des territoires – pour reconnaître la pertinence du terme. Pour beaucoup d’élus, cela n’a d’autre forme qu’une tirelire, assez maigre d’ailleurs.
Autrement dit, une usine à gaz.
Un tel classement a cependant un intérêt qui est de mettre les aspects économiques au cœur de la définition : prééminence de l’élevage (remarquez le % ovins-bovins depuis le cœur vers la périphérie), importance de la sylviculture, et du tourisme. Il n’y manque plus que le cannabis thérapeutique et les grands festivals : la culture chez les ploucs , doit-on penser dans les DRAC ** et autres !
Les critères socio-culturels me semblent tout aussi pertinents. Si les animateurs de la Fête de la Montagne limousine ont choisi ce terme, plutôt que celui de «plateau», il doit bien y avoir une (bonne) raison. J’oserais dire qu’il existe désormais (depuis au moins deux décennies) une « civilisation de la Montagne », qui a la particularité d’associer les richesses de deux cultures, qu’on appelle pour simplifier celle des « natifs » et des « néos », synthèse pas encore vraiment aboutie, mais on peut toujours rêver. N’en déplaise aux grincheux (suivez mon regard).
N’oublions pas les critères historiques : importance, durant des siècles, du travail migratoire saisonnier : les maçons, les scieurs de long, et les … nourrices. Nature des clochers (clochers-murs), et prédominance de l’ardoise, déchristianisation précoce (voir le % d’enterrements civils), esprit rebelle, prégnance des idées «de gauche», ... tout çà est cartographié, et je suis sûr que les naturalistes pourraient encore en rajouter. Vous remarquerez que le loup est attendu, plutôt des dédommagements pécuniaires, plus que redouté. Et chez les écolos ? nombreux dans (et pas sur) notre Montagne : la vieille envie de faire de « notre » Montagne une poubelle nucléaire semble en sommeil ! Mais gare ! On vient, ou on reste, ici pour être peinard. Et pas pour voir déferler les bagnoles, les vedettes du show bizz, et autre animaux consommateurs de verdure, à deux pattes.
Cela vaut-il la peine d’aller plus loin ? Beaucoup de lecteurs vont dire « mais votre définition, c’est exactement le plateau ! » Eh bien, non, c’est beaucoup plus compliqué que ça. La Montagne Limousine constitue seulement le cœur des Plateaux limousins. Suite au prochain numéro.
Michel Patinaud
* DATAR : délégation à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale
** DRAC : direction régionale des affaires culturelles.