Projetons-nous en janvier 2021. Après les fêtes, nous reprenons notre vie habituelle. Et soudain, nous constatons avec horreur que bien des associations ont disparu. Plus moyen de faire réparer son ordi, CTRL-A n’existe plus ; les enfants n’iront plus à Cadet Roussel ou au Café des Enfants, pas plus qu’aux Plateaux Limousins ; Les Michelines sont en veilleuse, Pays Sage a fortement diminué son activité ; et si vous avez des projets d’économie d’énergie, il est bien possible qu’Énergie pour demain ne soit plus là pour vous aider… Que s’est-il passé ? Le virus qui a sévi en cette fin d’année 2020 s’appelle « fin des emplois associatifs ».
Les emplois associatifs sont un dispositif qui a été mis en place par notre ancienne région Limousin pour soutenir les associations. Il s’agit d’une aide de 13 000 € par an et par emploi à temps plein, qui se renouvelait facilement d’année en année, sous réserve de fournir à la Région un bilan de l’année écoulée. L’idée était de permettre le développement d’une vie associative diversifiée et de rendre accueillante notre région. Aujourd’hui, la région Nouvelle-Aquitaine refuse de communiquer le nombre d’emplois bénéficiant de cette aide annuelle, mais on peut estimer qu’il y en a au minimum trois cents, et peut-être jusqu’à cinq cents. Cela concerne les trois départements limousins, et tous les secteurs : tourisme, sport, culture, jeunesse, art, environnement, etc.
Rappelons que les aides aux associations ne sont pas une faveur faite à quelques personnes pour leur permettre de s’adonner à leur hobby. Les associations sont des acteurs majeurs du territoire limousin, et elles offrent des services indispensables au maintien d’une vie sociale riche. On pourra se reporter au travail fait par le collectif Associations-Nous1, qui montre que le financement accordé aux associations génère sur le territoire une activité économique bien supérieure aux sommes reçues.
Un budget divisé par 6 pour 4 fois plus de départements !
Au moment de la création de la région Nouvelle-Aquitaine s’est posée la question de la pérennisation de cette aide spécifique au Limousin. Dans l’ancienne Aquitaine, il n’y avait aucune aide de cette sorte, et en Poitou-Charentes, une aide dégressive sur trois ans. La nouvelle Région décide qu’il serait beaucoup trop cher d’étendre le système limousin à tout son territoire. Elle crée un nouveau dispositif appelé « soutien à l’emploi associatif » : une aide dégressive sur trois ans, huit mille euros la première année, sept mille la deuxième et six mille la troisième, soit environ moitié moins que l’aide limousine. Cette aide est liée à une embauche, ce qui signifie que le ou la salarié.e qui était sur le poste doit céder la place. En 2019, le budget que lui a consacré la Nouvelle-Aquitaine n’a permis la création que de trente postes pour les douze départements, c’est-à-dire, quatre-vingt-dix emplois par an financés par le dispositif une fois qu’il est lancé. Un bref calcul permet de comparer le montant de l’aide qui était consacrée par le Limousin aux emplois associatifs (minimum 300 emplois x 13 000€ = 3,9 millions pour trois départements) à celle que la Nouvelle-Aquitaine va mettre sur tout son territoire (90 emplois x 7 000€ en moyenne = 630 000 euros dans douze départements). La différence est de trois millions au bas mot. Ce sont donc trois millions que le Limousin consacrait à ses associations et qui vont désormais partir dans d’autres budgets, et peut-être d’autres départements de la Nouvelle-Aquitaine. Pense-t-on que le Limousin est la zone la plus riche de toute la Nouvelle-Aquitaine ?
Pronostic vital engagé
Pour ne pas mettre les associations en péril tout de suite, l’aide limousine a été exceptionnellement prolongée jusqu’au 31 décembre 2020 pour les associations qui en bénéficiaient déjà. Ce qui explique la gueule de bois qui nous attend début 2021. Concrètement, ça donne quoi ? Quatre-vingt-dix postes par an répartis désormais sur douze départements, donc peut-être une vingtaine de postes sur le Limousin, contre trois à cinq cents qui bénéficient pour quelques mois encore de l’aide limousine. Ce sont donc plusieurs centaines de postes qui ne seront plus financés. Pour une petite association faiblement employeuse, dont le budget fait à peine vingt ou trente mille euros, la disparition de treize mille euros par an signe la disparition du poste. Et même si, comme c’est souvent le cas, il y a à côté un petit temps partiel qui permet d’avoir deux salarié.es travaillant ensemble, par exemple dans l’animation, le maintien du deuxième poste partiel n’a plus de sens, et l’activité de l’association disparaît.
Pour les vingt associations heureuses élues, bénéficier de l’aide Nouvelle-Aquitaine en 2021, cela signifie sans doute qu’il a fallu demander à la personne salariée qui était là depuis longtemps, qui connaissait bien l’association et le travail, de partir pour laisser la place à quelqu’un qui devra à son tour s’en aller au bout de trois ans. Quel sens cela a-t-il pour la vision à long terme d’un projet associatif, et pour la stabilité de l’emploi ? Enfin, l’obligation de lier cette aide à un temps plein est totalement inadaptée à notre situation locale, dans laquelle de nombreuses personnes cherchent plutôt des temps partiels, et où de nombreuses associations préfèrent proposer deux temps partiels plutôt qu’un temps plein pour que deux salarié.es puissent travailler ensemble.
Un nouveau GM&S
Si l’aide à l’emploi se transformait en aide au fonctionnement, cela entraînerait de lourdes charges administratives pour monter des dossiers complexes (celles et ceux qui ont testé les demandes à la nouvelle Région en savent quelque chose), pour un résultat non assuré d’une année sur l’autre. L’ancienne aide était très facilement reconductible, et permettait aux associations d’avoir une visibilité et une sécurité à long terme. Par ailleurs, il faudrait que les associations demandeuses puissent montrer qu’elles agissent dans les domaines de compétence de la Région. Par exemple, la petite enfance n’est pas une compétence régionale : jusque là, il était possible d’obtenir des aides dans le cadre d’une politique de soutien aux associations, mais si ces aides deviennent liées au secteur d’activité, ce ne sera plus possible.
La disparition de ces emplois et de ces activités associatives aura forcément un impact fort sur le territoire. Tout un pan d’actions et d’activités dans les domaines de la culture, de l’animation, de l’art, de l’environnement, du sport, qui soutiennent notre tissu social et rendent la vie locale attractive vont disparaître. Tout un travail de fond réalisé depuis des années pour rendre la vie quotidienne agréable et tisser le fameux lien social va être sapé. Sans parler des centaines d’emplois qui vont disparaître : un nouveau GM&S en Limousin.
Mobilisation
Trop souvent, les petites associations se sentent isolées, avec un.e ou deux salarié.es, et cherchent leurs propres solutions ou baissent les bras. Mais cette situation est d’une ampleur inédite. Les associations ont donc décidé de se rencontrer pour mesurer l’ampleur du problème et réagir ensemble.
Une campagne de courriers, adressés à la Région par tous les salarié.es, adhérent.es et dirigeant.es d’associations, a été lancée début mars pour interpeller son président et demander un rendez-vous : nous exigeons une redéfinition de la politique régionale. La situation est réellement critique et au-delà des associations, elle pourrait impacter tout le territoire. À l’heure où nous rédigeons ce texte, la campagne est toujours en cours et nous attendons la réponse du Conseil Régional.
Anne Germain
1 - Voir « Associations, sel de la terre ou bulle de savon ? » - IPNS n°60 – septembre 2017
- À vos plumes !
Si vous souhaitez vous associer à cette campagne au nom de l’association dont vous faites partie, que ce soit comme dirigeant·e, comme adhérent·e ou comme salarié·e, vous pouvez écrire un courrier que vous envoyez d’une part à :
M. Alain Rousset - Conseil Régional Nouvelle-Aquitaine - Cabinet du Président - 14 rue François de Sourdis - 33000 Bordeaux
et d’autre part à :
M. Alain Rousset - Service vie associative - 15, rue de l’Ancienne Comédie - CS 70575 - 86021 Poitiers cedex.
En ces temps de confinement, profitez de vos disponibilités pour participer à cette campagne en envoyant des courriers, et en incitant les associations que vous connaissez à le faire aussi. Plus il y aura de courriers, plus nous aurons de chances de nous faire entendre. Quand l’épidémie de covid-19 sera terminée, l’épée de Damoclès sera toujours suspendue au-dessus de nos associations ...