En 1974, dans le cadre d’un projet d’aménagement global, la commune de Peyrelevade se dote d’équipements de loisirs à destination de la population : terrains de foot, de tennis, de camping, etc. La digue de l’étang communal est créée en barrage du lit de la Vienne. La mise en eau de l’étang de 10 hectares est faite en 1986.
Le plan d’eau a alors le statut d’« eaux libres » : les poissons y sont res nullius (qui n’appartient à personne), dans une eau définie comme « patrimoine commun de la nation ». L’eau de la Vienne qui traversait le plan d’eau est res communis : les propriétaires riverains peuvent en user sous réserve qu’il n’y ait pas d’incidence sur son débit.
La commune, en plus de son investissement de départ, a dû équiper l’étang au fur et à mesure d’une réglementation évoluant avec la connaissance et la prise de conscience des enjeux liés à la nature. À la création de l’étang, la Vienne était notamment classée cours d’eau à poissons migrateurs (article L 432-6 du code de l’environnement), ce qui a impliqué la création d’une passe à poisson en 1986, néanmoins jugée non fonctionnelle dès le départ. En 2000, la commune créé une pêcherie et un bassin de décantation pour minimiser les risques de pollution et permettre la gestion du poisson lors des vidanges. En 2000, c’est aussi un cadre européen sur l’eau qui augmente le niveau d’exigence pour maintenir ou restaurer « le bon état écologique » des milieux aquatiques. La directive-cadre sur l’eau maintient le principe de libre circulation des poissons, l’étend aux organismes aquatiques et introduit la nécessité du libre transfert des sédiments d’amont en aval. La transposition en droit français correspond à l’évolution de la loi sur l’eau en 2006. Les lois Grenelle (2009 et 2010), participent également à démocratiser le principe de la continuité écologique. Les obligations réglementaires s’intensifient pour la commune en 2012, en application de la loi sur l’eau, lorsque la Vienne est classée « Liste 2 » en juillet 2012, et imposent une mise en conformité dans un délai de 5 ans de la continuité écologique au niveau du plan d’eau.
L’ancienne digue du plan d’eau correspond à une limite (arbitraire) entre deux bassins hydrographiques pour lesquels « l’état écologique » est mesuré depuis environ 20 ans. Il est calculé sur la base de paramètres biologiques (poissons, invertébrés, algues, herbiers) et physico-chimiques, tout en définissant les pressions qui s’exercent sur le bassin (continuité écologique, morphologie, hydrologie, phytosanitaire…).
La Vienne perd deux classes de qualité entre l’amont et l’aval, en passant du très bon état écologique à un état moyen. L’étang créait une perturbation thermique majeure par réchauffement des eaux du plan d’eau envoyées vers l’aval : en été la différence thermique entre l’aval et l’amont montait jusqu’à +12°C, soit des températures régulièrement supérieures à 25°C en aval (cf. figure 1). La température létale pour la truite est de l’ordre de 20°C (cf. figure 2).
Figure 1 : Schéma des effets du plan d’eau sur le substrat, la température et l’état écologique - © PNR ML, 2020.
Figure 2 : Effet de l’étang sur le peuplement piscicole - © FDPPMA 19, 2017.
La digue bloquait les sédiments dans le plan d’eau : des sédiments fins qui à chaque vidange venaient colmater les substrats en aval, en particulier les frayères à truites, les habitats de moules perlières et autres espèces. Les sédiments plus grossiers comme les sables et graviers, bloqués eux aussi, inhibaient les dynamiques physiques du cours d’eau, avec notamment un important déficit de sédiment.
En parallèle, à l’heure où les incertitudes climatiques génèrent de plus en plus d’angoisse, confirmée par les constats de tension sur l’eau (périodes d’étiages prolongés et répétés, voire d’assecs), il est nécessaire de visualiser que l’étang de Peyrelevade est le premier obstacle d’une longue série jusqu’à l’océan. Les surfaces d’eau en amont des digues sont soumises à une forte évaporation comprise entre 0,51 et 6 litres par seconde et par hectare. À hauteur de 0,5 l/s/ha, l’évaporation de l’étang de Peyrelevade correspond a minima à la consommation annuelle d’eau potable de 700 foyers2.
Toutes ces raisons se cumulaient pour arriver à une conclusion radicale : il faut supprimer l’étang de Peyrelevade.
Faire évoluer son cadre de vie, changer le paysage, perdre un patrimoine, une incompréhension de la réglementation, autant de raisons pour une partie des habitants et des élus de Peyrelevade de refuser la perte du plan d’eau. Plusieurs études3 de la FDPPMA (Fédération départementale de pêche et de protection des milieux aquatiques) pour proposer des scénarios d’évolution du plan d’eau en réponse au cadre réglementaire ont été menées (contournement par la rivière, suppression). En 2013, le Parc naturel régional de Millevaches a conduit une étude socio-paysagère(4) pour mesurer notamment l’attractivité du plan d’eau, ses aménités, et le niveau d’acceptation d’un projet de suppression du plan d’eau. En 2015, une réunion publique en présence d’une cinquantaine d’habitants a permis de lever certains freins à l’acceptation de la suppression comme étant la solution la plus économique, la mieux financée et la plus efficace pour les milieux aquatiques. Le coût des travaux (dont maîtrise d’œuvre) s’élève à 311 000 € HT financés à 60 % par l’Agence de l’eau et 30 % par l’Europe (FEDER). L’opportunité du renouvellement du programme Sources en action (www.sourcesenaction.fr) pour la période 2017-2022, coordonné par l’Établissement public territorial du bassin de la Vienne et le PNR de Millevaches pour contractualiser les financements de l’opération (Agence de l’eau) sous maîtrise d’ouvrage de la commune a été saisie en 2016. Avec l’accompagnement technique de la FDPPMA de la Corrèze et du PNR, une dernière étude de dimensionnement des travaux (déplacement des réseaux de la digue, devenir des matériaux bétons, maintien du droit d’eau du moulin du Luguet...) a été menée en 2016-2017.
Les travaux ont débuté en juin 2019. La maîtrise d’œuvre est assurée par le bureau d’étude Impact Conseil basé en Creuse. La première étape a été la création de bassins provisoires pour récupérer les boues charriées en période de travaux et les sédiments fins de l’étang. Les travaux ont été interrompus sur la période estivale pour éviter les dérangements sur l’activité touristique, notamment sur le camping. Une présentation du projet a été faite en juillet 2019 auprès d’une soixantaine d’habitants du bourg. De septembre à novembre, les réseaux (haute-tension, assainissement, eau potable) ont été déplacés et désamiantés. Le déversoir (passe à poisson) a été démoli et les matériaux de la digue ont été profilés pour obtenir un paysage sans rupture depuis la route.
Dans le courant du printemps 2020, une végétalisation de la zone de travaux sera effectuée dans l’esprit d’un remplacement progressif par les espèces locales. L’ancienne digue sera plantée de quelques arbres et arbustes (bouleau, genévrier, pin sylvestre). Les 100 premiers mètres de la rivière en amont du pont seront consolidés par des fascines de saules pour la protection du pont. Le canal du moulin de Luguet sera recréé à ciel ouvert pour permettre son alimentation en eau (droit d’eau historique) et le chantier se terminera par la remise en état des bassins de décantation en aval pour retrouver la zone humide d’origine.
Bien qu’il ne s’agisse que d’une approche qualitative basée sur quelques témoignages, l’acceptation sociale du nouveau paysage semble désormais bonne et plus unanime. Un sentiment de fierté s’exprimera peut-être bientôt.
Le développement de l’offre touristique sur et autour du camping, la réhabilitation du sentier d’interprétation de Rebière-Nègre, le développement des activités halieutiques sur le lac du Chammet, la conservation des zones humides sur l’emprise du plan d’eau, les travaux pour maintenir une avifaune typique du Plateau, le développement d’une activité pêche de la truite sur la rivière restaurée, la gestion paysagère globale autour de l’opération « Habiter mieux les bourgs », le développement de l’activité pastorale sur les zones humides sur et autour du plan d’eau sont autant de projets en réflexion.
Guillaume Rodier