Ça s'est passé à côté de chez nous. Du lundi 3 juillet au mercredi 19 juillet, 68 personnes sans papiers ont fait à Limoges une grève de la faim pour obtenir leur régularisation. Certains vivent en France depuis cinq ans, six ans, neuf ans.
Le 18 juin dernier, lors du salon de la revue de Limoges auquel participait IPNS, plus d'une centaine de sans papiers (majoritairement des Guinéens) avaient investi le pavillon du Verdurier où se tenait le salon pour attirer l'attention sur leur sort. Des hommes, des femmes, des enfants, des bébés. Des individus si dépourvus d'espoir et d'avenir face aux nouvelles lois sur l'immigration qu'ils en étaient à vouloir mettre leur vie en danger pour pouvoir rester vivre en France et y construire l'avenir de leurs enfants. Une grève de la faim ce peut être la grève de la fin, l'ultime recours quand on pense que plus rien d'autre n'est possible. Une dernière tentative pour sortir de la clandestinité et de l'exclusion.
En d'autres points de France des mouvements similaires ont eu lieu. A Poitiers par exemple où des grévistes de la faim ont été évacués de force par la police pour être hospitalisés. A Limoges aussi plusieurs hospitalisations ont eu lieu. Après une entrevue avec le Préfet, la grève de la faim a été suspendue, le représentant de l'Etat menaçant de ne pas étudier les demandes de régularisation si la grève se poursuivait. Une vingtaine de sans papiers ont été convoqués à la préfecture début août et pour le moment aucune expulsion de mineurs scolarisés n'a eu lieu en Limousin (nous écrivons cela le 2 août). Le collectif des sans papiers reste extrêmement vigilant et la menace de la reprise de la grève de la faim demeure la dernière arme qu'il est résolu à utiliser. Ça se passe à côté de chez nous et personne ne peut dire : "ça ne me concerne pas !". C'est pourquoi, avec la collaboration des photographes limougeauds de l'association Point d'Encrage et avec les membres du collectif "De quoi on parle ?", nous ouvrons ce numéro d'IPNS sur le drame de nos voisins sans papiers.
Dans ce même numéro, plusieurs articles élargiront notre horizon, que ce soit aux dimensions européenne avec la question du transport ferroviaire et les projets portés dans ce domaine par l'association ALTRO (page 4) ou nationale avec l'Appel des Médias libres lancé par les médias écrits, radios ou télés du "tiers secteur", appel dont IPNS est signataire (page 13). Ça se passe un peu plus loin de chez nous, mais, tout autant, personne ne peut dire : "ça ne me concerne pas". Le plateau n'a jamais été une île sans interactions avec l'extérieur. Pensez donc aux maçons creusois qui ont migrés à Lyon et que nous présente l'historien Jean Luc De Ochandiano (page 16). Et voyez dans notre dossier central consacré au travail des artistes du collectif "Bureau d'Etudes", comment les grandes questions nationales et internationales ont générés tout au cours de l'histoire "micro luttes" et "micro rébellions" sur notre territoire (pages 7 à 10). Ce qui est curieux du reste, c'est qu'aujourd'hui encore de tels constats, il est vrai reliés aux luttes actuelles, gène le pouvoir politique, en l'occurrence dans ce cas, le Conseil général de la Haute-Vienne qui a tout bonnement interdit la diffusion du travail de Bureau d'Etudes ! Ça s'est passé en 2004, et c'était tout près de chez nous.
Nous habitons un plateau qui est ancré sur une petite planète de quelques six milliards d'habitants et ce qui la concerne ne nous est jamais étranger. En 1494, un humaniste alsacien du nom de Sébastien Brant publiait à Bâle un ouvrage qui eut un immense et prolongé succès, allégorie d'une humanité allant à vau-l'eau, dont il moquait les travers et la déraison. Son titre, cinq cents ans plus tard, n'est pas dénué d'actualité : La Nef des Fous.
- Contre les expulsions de sans papiers un numéro national d'urgence a été mis en place en cas d'interpellation ou de menace d'expulsion de familles sans papiers avec enfant scolarisé : c'est le 08 20 20 70 70. Ce numéro est accessible jusqu'au 3 septembre et a pour objet d'orienter et de soutenir les familles sans papiers avec enfant(s) scolarisé(s) ou les jeunes majeurs scolarisés en cas d'interpellation. De même il permet aux citoyens de manifester une solidarité active en participant au réseau de veille et d'alerte.
- Les photos de couverture et des pages 2 et 3 de ce numéro sont dues aux photographes Jacques Dubreuil et Serge Hulpusch de l'association Point d'Encrage. Ils les ont réalisées dans le cadre d'un travail qu'ils ont effectué sur les sans papiers à Limoges. Nous les remercions de nous autoriser à les reproduire ici.