Heureux amateurs de polar ! Serge Vacher, animateur de la revue "la Vache qui lit" (voir IPNS n°8) nous propose pour l'été une nouvelle inspirée par un voyage qu'il a fait en Martinique. Nouvelle noire, bien sûr…
Marco traversa la place écrasée de soleil et enjamba un petit muret d'une cinquantaine de centimètres. Une allée pavée de carreaux un peu disjoints le conduisit derrière un bâtiment blanc qui l'isola immédiatement du brouhaha de "l'enville". Dans les rues étroites, ce n'étaient que klaxons rageurs, vociférations et altercations colorées et coléreuses. On restructurait entièrement le centre. La municipalité avait décidé de construire un mur le long de la mer qui protégerait les commerces des menaces cycloniques. En effet, chaque cyclone déversait des tonnes d'eau salée sur les trottoirs de Sainte-Anne au grand dam des limitrophes. On avait même vu, en 1987, l'eau venir lécher les premières marches du parvis de l'église, au pied du Morne du Calvaire.
Tous n'étaient pas d'accord. Certains disaient que ce mur de béton disgracieux allait dénaturer complètement la plage qui longeait le bourg et que les commerçants, les restaurants y perdraient en qualité de vie, si l'on peut dire, en tout cas en beauté du site. Tout ça pour un cyclone tous les deux ans ! Pierre-Louison, le patron de l'Epi-Soleil, était de ceux-là.
Mais au fond, il s'en foutait un peu.
Marco jeta un coup d'oeil à sa montre. Dix heures. Il longea le bar pour retrouver sa place habituelle. Voilà près d'un mois qu'il s'asseyait sur la même chaise de plastique blanc, devant la même table du même plastique blanc, celui de n'importe quel salon de jardin. En fait depuis la fin de la saison d'hiver du Club Méd', un kilomètre plus loin sur la plage de sable fin. Marco y avait gentiment organisé tout pour les belles femmes plus ou moins seules qui étaient venues chercher sea, sun and sexe. Il avait donné quelques mois, et reçu en échange un pactole qui lui permettait de voir venir. La Martinique est belle quand on y farniente à loisir.
Il se donnait un an, gîte et couvert inclus. Il logeait sur le Morne Anoli, à cinq cents mètres du centre bourg, dans un chalet bois qu'il avait pour mission de retaper pour le compte de Louis Amburgeat, "métro" fatigué de Bourges qui avait l'intention de venir passer sa retraite ici. Logement gratuit pour Marco contre quelques travaux. Le deal lui convenait parfaitement. D'autant plus que les travaux, depuis un mois, avaient bien avancé, plus vite que ceux de l'en-ville. Ils étaient pour ainsi dire terminés. Il avait l'autorisation de plonger à sa convenance dans le congélateur riche en viandes et poissons divers. "Mais si, mais si, avait insisté Louis. J'aime pas garder les trucs trop longtemps. Te prive pas !"
Marco fit signe à Pierre-Louison. Le bistroman ouvrit la porte d'un frigo, en sortit une bière "Lorraine" suante, la décapsula et s'approcha nonchalamment.
- Salut, dit-il en posant la bière et un verre sur la table.
- Salut. T'as le journal ?
- Pas encore. Dans un quart d'heure, il passe le facteur.
- Tant pis, soupira Marco. Il tendit deux euros.
L'autre prit la pièce ...
- T'inquiète. Dès qu'il arrive, il est pour toi. Moi, j'aurai toute la journée pour le lire.
... puis retourna à son poste.
Marco, satisfait, se carra dans son siège et s'autorisa, comme tous les matins, une séance contemplative.
Il avait plu en début de matinée. Une pluie torrentielle qui avait duré à peine dix minutes, mais qui avait tout lavé. Malgré la protection des tôles, les carreaux blancs au bord de la terrasse étaient encore trempés de l'averse. Pierre- Louison n'avait pas pris la peine de passer la serpillière. Pour quoi faire ? La chaleur aurait séché le sol avant midi. Les quelques mètres de sable n'avaient pas souffert de la pluie et la mer, bleue, verte, miroitait jusqu'à l'horizon pour le plus grand plaisir de Marco. Les bateaux étaient posés, tant les fins voiliers qui se profilaient à quelques encablures que les petits caïques multicolores des pêcheurs arrimés dans la rade. Au bout de l'abri, à une centaine de mètres, un ponton de bois attendait ceux qui avaient quelques poissons, des caisses de légumes ou de charbon à débarquer. Tout ça respirait la tranquillité et Marco se sentit bien. Il lécha la dernière goutte de bière et leva la bouteille vide en tournant la tête, signifiant par là qu'il voulait qu'on lui remette ça. Mais Pierre-Louison n'était pas attentif.
Pierre-Louison rêvait. Toujours le même rêve. C'était une maison en dur sur le Morne Pichevin, près de l'Anse du Four, à l'Ouest de l'île. Cette baraque était magnifique. A flanc de la colline, elle surplombait le village et du balcon, on avait une vue splendide sur les Caraïbes.
Il cligna des yeux, remarqua enfin le geste de Marco, accéda à sa demande et revint à sa place derrière le petit bar. Il pouvait en toute tranquillité revenir à son rêve perdu. La maison était blanche et Léonora souriait, allongée sur un transat d'osier posé sur la terrasse. Baignée de soleil, en string, elle semblait n'être là que pour lui qui, une fourche à la main longeait la propriété. Au loin, l'eau lançait mille feux. Pierre-Louison transpirait. Etait-ce le poids des herbes sèches qu'il rassemblait ? Etait-ce la vue de cette magnifique sirène blonde qui l'ignorait superbement et qui glissait lascivement vers un sommeil tranquille ?
Pierre-Louison fut une nouvelle fois ramené au bar par la venue d'un clille.
- Le bonjour, Pierre-Louison. Donne moi un Tiponch, s'il te plaît.
- Le bonjour, Hyppolite, grogna le bistroman. Trouve ta place, j'arrive.
Les mains disparurent derrière la planche épaisse du bar pour farfouiller sur une étagère. Il y trouva ce qu'il cherchait. D'abord, s'éloigner du rêve. Il empoigna la bouteille de Clan Campbell et se servit dans son verre, qu'il ne lavait jamais, une dose maxi de liquide ambré. Il avala le tout d'une seule lampée qu'il fit passer d'un grand verre d'eau. Puis il s'occupa du clille : le rhum, l'eau, un citron vert, le bol de sucre roux, le couteau Chien, un verre. Il ramassa tout ça et alla le poser sur la table du type assoiffé. Enfin, il rejoignit sa place et les mains disparurent à nouveau derrière la planche épaisse.
Hyppolite-le-légionnaire parlait :
- Et alors, qu'est-ce que tu crois ? Je vais pas laisser ces salopards me bouffer la vie !
Il empoigna son verre, y fit basculer un soupçon de sucre, puis il coupa une petite languette de citron et la pressa sur le sucre pour en extraire le jus. Il balança enfin le bout de citron dans le verre et reprit sa harangue :
- Tu me regardes, toi ? Il fixait un oisillon posé sur une table de plastique en face de lui qui picorait une miette d'accras. Qu'est-ce que tu crois ? Je te vois bien faire. Ca commence comme ça et ça finit qu'on y peut plus rien.
Il s'empara de la bouteille de rhum, du Trois Rivières, et remplit le verre à moitié. Puis, cul sec, il bascula.
Marco avait entendu les paroles du vieux mais n'avait pas bougé. Rien qu'un bonhomme en proie à ses démons qui émergeaient du rhum blanc. Il lui restait la moitié de sa bière.
Le piaf qui avait énervé Hyppolite s'envola et se perdit au dessus des tôles, hors de sa vue. Au loin, un catamaran glissait vers Sainte-Anne. Ses voiles gonflées le portaient, laissant un sillage blanc. "Un bateau de location" se dit Marco. Il but une gorgée de bière encore fraîche. Le voilier finit par approcher de l'abri assez près pour que Marco pût distinguer, à bord, deux silhouettes qui s'agitaient sur le pont. Leur hâte semblait incongrue dans cet univers si paisible et si beau. Marco finit par comprendre qu'ils se préparaient à jeter l'ancre au milieu de la baie. Effectivement, les voiles s'affalèrent et le bateau s'immobilisa pour se poser dans le décor lumineux. Satisfait, Marco se préoccupa de son environnement proche. Hyppolite s'était resservi.
Un bras sur la table, l'autre en l'air :
"Je laisserai jamais faire ces salopiots. Y m'ont ramené chez moi presque mort. Je pouvais plus manger, y m'ont brûlé l'estomo ! Je pouvais plus boire, y m'ont percé les boyaux ! Plus pisser, m'ont crevé la vessie ! Plus chier, m'ont bouché le trou du cul ! Plus bander, m'ont coupé le zizi. Je suis mort. Qu'est-ce tu crois, hein ? Que je vais me laisser faire ? Et ma femme ? Pff ! Comme les aut'. M'a laissé tomber comme une vieille chaussette. Y ont tué tout le monde et maintenant, je me ramène au pays et j'ai plus rien. C'est quoi, ça ?"
Il se refit le cérémonial du Tiponch et se l'envoya à nouveau.
- Fais attention à toi, Hyppolite. Tu sais bien dans quel état ça te met, le rhum, conseilla Pierre-Louison.
Le bistroman se tut, jugeant que les soucis d'Hyppolite ne valaient pas plus que ça de sa part. Les mains disparurent derrière la grosse planche de bois dur. Elle s'emparèrent de la bouteille de scotch et du verre sale.
La grande maison et la femme blanche réapparurent, perchées sur le Morne Pichevin, surplombant l'Anse du Four. D'une démarche un peu dolente, celle que l'on attend d'un jardinier noir et feignant, il s'approcha de la terrasse baignée de soleil. Sa peau sombre luisait et la sueur lui piquait les yeux. Lorsqu'il constata que Léonora dormait, il jeta la fourche au loin, dans l'herbe près de la brouette et posa le pied sur le carrelage.
Il était maintenant tout près d'elle. Il pouvait distinguer le grain de sa peau fine légèrement hâlée, sentir son parfum suave. Il écoutait le souffle léger ponctué quelquefois d'un ronflement doux qui faisait battre son coeur en chamade, de peur qu'elle ne se réveille. Peur de l'arrivée d'un importun, peur d'une mouche qui se poserait sur le coin de sa bouche, peur du vent léger. Quelques cordes pincées le ramenèrent à la raison.
Marco entendit lui aussi la mélodie. Une guitare égrenait ses accords et le niveau de la bière baissait dans la bouteille. Il ne jugea pas utile de déranger Pierre-Louison. Il restait encore quelques gorgées.
Une petite embarcation à moteur s'éloignait du grand catamaran. Les deux passagers avaient sorti une annexe et se dirigeaient vers le ponton de bois. Sur le quai, quatre types qu'il connaissait déjà regardaient la barque approcher. Pêcheurs à l'occasion, vendeurs d'herbe surtout, ils avaient plus d'une fois interpellé Marco en lui montrant un sachet gonflé. "Goûte, mon pote et donne moi dix euros. Je t'envoie au ciel pour dix jours. Vingt euros, c'est vingt jours de bonheur pour toi, mon pote." Mais il avait toujours refusé jusque là.
Derrière lui, de l'autre côté du muret, la guitare balançait en l'air ses notes sucrées. "Cordes nylon." se dit Marco. La mélodie était très douce et se fondait harmonieusement au décor léger. Même Hyppolite se tut.
Distrait un instant par la musique, il reprit sa harangue.
- Et alors ! Qu'est-ce tu crois, patron de mes deux ? Suis pas cap de tenir quelques tiponch? Tu m'as pas regardé ?
Hyppolite avait les yeux braqués sur le tronc d'un cocotier qui soutenait le toit de la terrasse. Il lançait un bras maigre dans les airs, menace dérisoire.
- Des pleins seaux, j'en ai bu. L'était pas blanc, l'était marron et sec. Putain, c'était pas du rhum, du youki c'était.
C'est ça qu'on sifflait, les copains. Où t'étais toi ? T'étais planqué, Mmm ?
Il bascula et remplit à nouveau. Du rhum sec.
- Ca se trouve, c'est toi qui l'a embarquée Marie-Suzon, Hmm ?
Il avançait le menton, lançait le poing et reprenait :
- Mais m'en fous, maintenant. Suis mort. Pas que moi. Plein ! Tu les connais, toi, les Africons ?
Le tronc ne répondit pas.
- Ils sont tout petits, tout noirs et tout morts. Les toutous, les toussis. Tous ! Des tas de morts par terre, partout ! Hé, hé, ça t'en bouche un coin ?! Mmm ? Plus chaud qu'ici.
C'était tout jaune, noir et rouge. Et ça puait! Merde! Le grand solide, y disait :" Allez, des trous, c'est pour les africons. Très cons. Les africons, tu connais ? C'est pas ici, c'est loin. C'est de l'autre côté. Faut un gros bateau pour y aller. Arrête, c'est de là que je viens. Chais pas si sont tous cons. Mais sont tous mort ! Les toutous, les toussis, tous ! J'y connais rien.
Il bascula.
- Ca suffit, maintenant, Hyppolite. Tu te fais du mal. sermonna Pierre-Louison.
Il écarta pour un moment le rhum de la table du clille. Se resservit un verre de whisky qu'il épongea.
Allongée, offerte sur le transat, Léonora dormait toujours. Il osa faire ce qu'il n'aurait pas dû. Tout proche de la femme blanche dans la lumière blanche, il avança une main pour effleurer ses cheveux blonds. "Putain, c'est quoi les blés ?" pensa-t-il.
Les cheveux glissaient entre ses doigts tremblants. Il fit doucement mousser la chevelure. Où étaient-ils tous? Comment se faisait-il que Léonora fût seule en ce moment sur cette terrasse brûlée de soleil ?
Il supposa que la kermesse à Saint-Luce n'était pas encore terminée, que Léonora n'avait pas voulu aller traîner dans les souks du coin, qu'elle avait préféré se la jouer cool sur une terrasse sans soucis. C'était certainement cela.
Il laissa glisser le dos de sa main sur la peau tiède.
La bouteille crissa contre le menton mal rasé de Marco. Elle était vide.
La Lorraine arriva avant qu'il eût à dire quoi que ce soit. Il avait souvent vu les quatre types traîner autour du Club Méd'. Tu parles : une clientèle facile à harponner dans un décor de rêve. Il laissait faire. Il fallait bien que le commerce local tourne un peu. Ils avaient apprécié. Une certaine complicité était née entre eux, mais Marco n'essaya pas d'aller plus loin. Correct, mais distant. Les bras chargés de caisses, les types disparurent de son champ de vision, planqués par les murs de la petite halle à poissons.
Sur un air swinguant mi bossa, mi calypso, la guitare continuait son petit concert mélancolique. Les cordes doucement frottées maintenant du gras du pouce, Marco en était sûr, soufflaient accord sur accord dans cette matinée, calme comme toutes, presque passée.
Marco versa la bière dans son verre.
Pierre-Louison regardait maintenant Hyppolite-le-légionnaire sourcils froncés. Ca allait recommencer comme chaque fois que l'autre venait se déchirer au rhum.
- Pierre-Louison ! Le ton était fort, les yeux pleins de larmes.
Ramène cette bouteille mwen. Que j'rempisse mon verre à la santé des p'tis africons tous morts.
- Arrête, Hyppolite, dit le bistroman en ramenant le matos à la table.
- Arrête quoi ? Tu m'aurais vu, avec la casquette toute bleue des soldats d'la paix ! Les salopards ! M'ont bien baisé !
Fallait labourer la terre pleine de sang tout rouge, recouvrir de chaux, et retrourner tout ça à la pelle bêche !
Houuu ! Ca fait mal au dos, mon gars. Alors y'avait le youki tout plein de bouteilles pleines. Couleur rhum vieux, mais plus sec, pas sucré, goût de dégueulis. On dégueulait en rigolant. A dix heures, une bouteille à midi, une bouteille, à quatre heures, une bouteille ; et une autre le soir pour faire jusqu'à demain ! Et on rigolait, on tournait la viande sous la terre avec les pelles. Et on dégueulait tout le youki. Houuu!
- Arrête, Hyppolite. Tu te donnes en spectacle, maintenant.
Faut pas. Les clients veulent pas entendre tes histoires, murmura Pierre-Louison.
Hyppolite remplit son verre, Pierre-Louison retourna derrière le bar. Et se resservit une rasade.
Il caressa l'épaule de Léonora toujours endormie, s'enhardit. La poitrine de la jeune femme montait et descendait au rythme de son sommeil. Pierre-Louison posa un doigt, puis deux sur une ligne pure. Sa paume recouvrit un sein ferme. Il pressa doucement. Le téton durcit sous sa main. La sueur coulait maintenant sur son front, aveuglait ses yeux, glissait en rigole le long de son cou, de son torse, pour inonder le haut de son pantalon. Son sexe gonflé bloquait l'écoulement et la tache sombre qui salissait la toile grise donnait l'impression qu'il avait uriné. Ce fut la première chose que vit Léonora lorsqu'elle s'éveilla et qu'elle ouvrit les yeux. Le brusque mouvement de recul de la femme fut immédiatement bloqué par la main de Pierre- Louison, et sa bouche n'eut pas le temps de pousser le hurlement qui s'étouffa au fond de sa gorge.
La fille se débattit et Pierre-Louison, l'ayant prise à la gorge, dut serrer.
Il ne relâcha la pression qu'il exerçait sur la bouteille que lorsqu'il entendit la voix de Marco:
- La dernière, s'il te plaît !
Ce n'était pas la première fois que Marco assistait au spectacle d'Hyppolite-Le-Légionnaire gesticulant et ânonnant des propos sans suite qu'il ne comprenait pas.
- M'ont donné la prime, ouaip ! M'ont ramené icite, ouaip ! M'ont dit "Salut, mon pote.". Houuu ! Heureusement qu'y a le rhum ! Salut la compagnie.
Toujours gesticulant, il se leva, frappa dans ses mains, et sur un pas de danse grotesque, se glissa entre les tables en chantant.
Marco, impressionné, le regarda disparaître dans les rues de "l'en ville". Puis il reprit sa position contemplative pendant que Pierre-Louison faisait glisser les dernières gouttes de Clan Campbell dans son verre sale.
Hébété, il releva la tête. Il était seul maintenant sur la terrasse, à côté de la morte. Il prit conscience de l'énormité de son geste. Un nègre a étranglé une blanche. La fille de Rolland Lormier, homme d'affaire connu, respecté, riche, et au pouvoir infini sur ce bout de caillou perdu au coeur des Caraïbes. A l'intérieur de la villa, sur une table basse, la boucle d'un sac attira son regard. Aveuglé par la lumière, les larmes, et la sueur, il tituba vers le petit point scintillantet ouvrit. Une liasse de billets apparut. 20 000 dollars USA. Même dans ses rêves, Pierre-Louison n'avait jamais imaginé une somme pareille. D'où provenait cet argent ? Savait-il que c'était un petit cadeau offert par les amis sud-américains du bonhomme d'affaire pour avoir mis à disposition son yacht à leur disposition ? Une tonne de cocaïne avait pu être ainsi lancée sur le marché. Savait-il que ce pognon se trouvait là parce que Lormier, sollicité par une bouffe diurne, et une sieste coquine, voire cochonne, s'était dépêché de répondre à la demande et, sûr de lui, avait laissé tout en plan, que pouvait-il arriver ?
Pierre-Louison s'en foutait. Il venait de tuer une Blanche.
La fille de Lormier.
Il s'empara de la liasse, l'enveloppa dans un sac poubelle qu'il avait toujours sur sa brouette, puis il alla l'enterrer au bord d'une haie de lauriers. Il revint près de la terrasse. Le plus dur restait à faire. Il se plaça à dix mètres du mur qui lui faisait face. Dans un hurlement sauvage, il fonça sur le mur, tête en avant. Le choc le fit sombrer dans l'inconscience noire.
Il se borna à se lamenter : "Ma tête; ma tête !" La police, fatiguée de ses jérémiades, le laissa filer.
Fou de chagrin, Lormier se logea une balle dans le coeur.
On oublia le drame et d'autres salopards purent empoisonner la vie de leurs semblables. Pierre-Louison, au hazard d'une rare nuit sans étoiles, revint récupérer le sac en plastique et disparut dans la mangrove.
Dix-huit ans s'étaient écoulés.
Marco jeta un coup d'oeil à sa montre : midi.
- Pas de journal, aujourd'hui ?
- Non. Beaucoup de circule dans l'en-ville. Le facteur passera qu'en début d'aprème.
- Dis donc, ça s'arrange pas, Hyppolite.
- Oh, non. Il a beaucoup de copains et beaucoup de problèmes, Hyppolite.
- Bon , fit Marco. A demain.
- A demain, répondit Pierre-Louison.
La guitare s'était tue. On entendait tout simplement, dans ce décor paradisiaque, la mer, les vagues qui glissaient doucement sur le sable blanc.