L'alimentation nous relie les uns aux autres. Mais aussi à la terre. Elle nous rassemble par-delà nos cultures, nos âges, nos sexes, nos religions, nos origines géographiques et sociales, et toutes nos différences.
Nous avons pris conscience de cela il y a quelques années et rapidement, des questions récurrentes sont venues troubler notre petite vie citadine :
D'où viennent nos aliments ? Par qui ont-ils été cultivés, élevés ? Par qui ont-ils été acheminés jusqu'à moi ?
Dans quelles conditions ?
Oui, dans quelles conditions vivent les êtres qui pourvoient à mon plaisir chaque jour. Animaux, végétaux… et humains !
Et puis, est-il obligatoire d'utiliser pour cultiver la vie des produits en "cide" qui la tuent (pesticides, herbicides, fongicides, insecticides, etc.) ?
Donner de la vache en poudre à manger aux vaches, est-ce le "progrès" ou est-ce insensé ?
Pourquoi la fabrication d'un simple biscuit demande-t-elle jusqu'à 12 ingrédients à l'industrie agro-alimentaire, dont certains reconstitués, modifiés, hydrogénés et toxiques, alors que dans ma cuisine 3 suffisent ?
Quelle est l'idéologie qui justifie le progrès par la disparition d'une ferme toutes les 15 minutes en France ?
Pourquoi dit-on d'une agriculture qui brûle plus de 10 calories d'énergie pour produire une seule calorie alimentaire qu'elle est "hautement compétitive" ?
En cherchant les réponses, nous nous sommes très vite heurtés à l'opacité, aux aberrations et aux contresens de l'alimentation dite "moderne".
C'est ainsi que nous sommes partis en quête de notre responsabilité alimentaire, lorsque s'est éveillée la conscience du poids que font peser nos comportements alimentaires sur l'équilibre des écosystèmes, sur la biodiversité, sur l'aménagement du territoire et sur la dignité humaine, au Nord comme au Sud.
Ce sont tous ces contresens qui nous ont fait prendre la route, avec le besoin de rencontrer les humains qui sont à la base de la chaîne alimentaire, femmes et hommes de la terre et de l'assiette, qui ont fait le choix d'autres agricultures, d'autres rapports à la vie.
Nous souhaitions voir s'il était encore possible en 2005 de nourrir des cercles vertueux. Bien vite, nous nous sommes retrouvés sur les routes, de ferme en ferme, d'atelier en étable, à rencontrer des producteurs, plus de 80 en tout, "chemin faisant"… Et bientôt, nous arrivions en Limousin.
Douze jours pour découvrir l'agriculture limousine…
Nous quittons la Touraine le 8 septembre pour nous rendre en Limousin. C'est l'avant dernière étape de notre périple et nous sommes attendus là-bas de pied ferme par Sophie et Pierre de la Confédération Paysanne de la Haute Vienne, qui ont accepté de coordonner notre visite sur place.
Ah ! Le Limousin ! C'est une région qui ne laisse pas indifférent. Les forêts sont magnifiques, mystérieuses et rappellent étrangement les plus beaux endroits de Bretagne, l'écorce moussue, les rochers de granit érodés, les arbres centenaires… Combien de fois avonsnous eu envie de pénétrer dans cette masse végétale avec la certitude d'y découvrir un trésor… Surtout aux premières heures du jour, lorsque la brume matinale semblent dissimuler quelques secrets…
C'est dans ce contexte que nous avons fait de très belles rencontres. D'abord, le GAEC Champs Libres à Saint Julien le Petit, avec Jean-Luc, Corinne, Jean-Michel et Jean-Jacques qui mènent une ferme en polyculture élevage en biodynamie. Ils nous ont fait découvrir une biodynamie vivante et évolutive. La découverte de cette approche de la terre et de cette relation au vivant est toujours magnifique. Pour ces beaux personnages, agriculture rime avec culture. C'est ainsi qu'ils décident en 2000 de mettre en valeur le site magnifique dans lequel ils se trouvent en créant l'association "Contrechamps" dont les objectifs épousent la diffusion artistique dans une très belle grange restaurée ainsi que les animations pédagogiques avec visite de la ferme et accueil de groupes.
Tifenn a joué le spectacle dans la "grange à foin". Une belle soirée de partage, et pour la première fois, grâce à Claude, technicien lumière intermittent du spectacle et bénévole de l'association, des conditions de jeu proche d'un théâtre professionnel.
Comme un heureux hasard, le lendemain se déroulait à la ferme un atelier du Forum Social Limousin, avec comme thématique, l'agriculture durable. Eh bien soit, nous prolongerons notre halte pour suivre ces rencontres.
Bref, le matin nous visitons la ferme sous l'angle "agriculture durable". Nous filmons, et le discours est magnifique, très proche de ce que nous éprouvons à ce stade de notre voyage. A suivre donc dans un prochain document vidéo…
Nous apprenons avec étonnement l'après midi lors de l'atelier FSL que la région Limousin n'est autonome qu'à hauteur de 8 % par rapport à sa consommation alimentaire ! Surprenant pour une région agricole ! D'où viennent donc les 92% autres pourcents ? Que représente donc le poids écologique et social de telles migrations alimentaires ?
C'est sur ces réflexions que nous quittons le GAEC Champs Libres. La route continue et nous faisons connaissance de Dominique et Agnès Diss, restaurateurs à Royère de Vassivière, un petit village étonnant du plateau. Le restaurant " Saveurs Buissonnières " mérite vraiment le détour ! Dominique en cuisine,
Agnès en salle, proposent un menu unique réalisé à partir de produits paysans locaux et pour la plupart biologiques. Dans ce petit écrin qu'ils ont investi et restauré depuis 2001, ils cultivent un certain art de vivre, naturel et savoureux. Si votre chemin vous amène en ces contrées éloignées, ne manquez pas cette petite halte buissonnière…
De là, comme nous avions un peu de mal à nous quitter, nous décidons de dormir sur place et de prendre le café le lendemain matin à "l'Atelier", au bourg de Royère de Vassivière. L'occasion pour nous de reprendre une "claque" tant ce lieu est magique : l'atelier est un bar, épicerie bio-équitable, restaurant, salle de spectacle, conférences, projection, cybercafé. Ce lieu, acheté par des jeunes du pays, partis à la ville, puis revenus à la "maison", montre à quel point la demande est forte pour la rencontre. Du matin au soir, vieux et plus jeunes se côtoient, échangent, se rencontrent autour d'un verre, d'une exposition, d'un spectacle. La vie a repris à Royère depuis que l'Atelier s'est ouvert ! Un bel exemple de dynamique locale autour d'un projet qui créé du lien social et culturel et qui démontre déjà une pérennité économique.
De Royère, nous filons maintenant en Corrèze, direction Vitrac sur Montane, près de Tulle, où Raphaëlle de Seilhac nous attend.
Comme nous n'en avons pas marre de sauter de surprise en surprise, nous débarquons dans une maison bourgeoise du 17ème siècle. Ferme un peu atypique que celle de Raphaëlle qui, suite à un héritage, se voit léguer ce lieu qu'elle réhabilite aussitôt en ferme avec un élevage de moutons et tout ce qui fait qu'une ferme est une ferme : potager, ânes, poules, oies, canards, cochons, chiens, chats, et j'en passe. C'est que la Raphaëlle, toute droit issue de la lignée des Seilhac, n'en est pas moins paysanne jusqu'au bout des ongles. Elle qui a toujours refusé les mirages des rallyes, écoles d'ingénieurs et autres lieux soi-disant destinés à certaines classes sociales, réalise sa passion, son chemin, en devenant paysanne ! Pour mettre en valeur le lieu, elle fait deux ans de travaux, seule, et fait de l'accueil en chambre et table d'hôte. C'est aussi un moyen pour elle de valoriser au maximum les produits de sa ferme qu'elle sert à sa table d'hôtes. Loin de se contenter de ces activités, elle s'engage aussi dans le mouvement des CIVAM et assume la présidence du FRCIVAM
Limousin. Je n'en dis pas plus car la rencontre avec Raphaëlle a été magique et il va se passer pas mal de choses, prochainement, dans cet endroit aux vocations multiples.
Affaire à suivre donc…
Nous filons ensuite chez Catherine et Luc Rabuel, éleveurs de porcs cul noir et de moutons au Vigen, à quelques kilomètres au sud de Limoges. Ils ont réhabilité voilà une quinzaine d'année le porc cul noir du Limousin qui était en voie de disparition. Ce porc rustique, vit dehors et se nourrit de ce que la nature peut offrir dans ces contrées de chênes et de châtaigniers. Catherine et Luc complémentent l'alimentation des cochons avec un mélange de céréales qu'ils cultivent eux-mêmes en bio. La viande est goûteuse et le lard épais ! Ils transforment eux-mêmes toute la viande qu'ils élèvent et vendent l'intégralité de leur production à la ferme, en vente directe. Un sacré équilibre qu'ils ont trouvé là !
Le lendemain, nous visitons un magasin de producteurs, au centre de Limoges. Le magasin "Saveurs Fermières", comme les autres magasins de producteurs que nous avons rencontrés, a l'atmosphère chaleureuse et paisible, et l'engagement des producteurs qui y participent n'y est pas pour rien. Les produits répondent à une charte élaborée collectivement par tous les coopérateurs, mettant en avant des pratiques paysannes, équitables et respectueuses de l'environnement. Ces démarches collectives sont étonnantes et nous en avons fait une petite présentation dans les " pratiques agricoles innovantes et durables " sur le site internet Chemin Faisant.
Nous avons découvert de nombreuses pratiques agricoles et organisations sociales innovantes et durables, de l'agriculture biologique et biodynamique à l'agroécologie, en passant par le Bois Raméal Fragmenté (BRF), la permaculture, l'agriculture paysanne, les travaux du réseau agriculture durable, les magasins de producteurs, le commerce équitable, les Associations pour le Maintien de l'Agriculture Paysanne (AMAP), et d'autres encore. Toutes ces alternatives vertueuses sont explicitées dans le détail sur notre site internet. Il y a vraiment de quoi en faire un livre… Et ça tombe assez bien puisque après ces six mois de voyage et plus de 80 rencontres, nous consacrons une année à la valorisation de tout ce que nous avons collecté et vécu. Nous travaillons à la réalisation d'un livre, d'un film, d'un nouveau spectacle théâtral sur la paysannerie que nous avons rencontrée.
Egalement, des projets de malle pédagogique et de livre pour enfant viendront enrichir ces outils et permettre aux plus jeunes d'appréhender de façon conviviale et ludique les enjeux de l'alimentation responsable et de l'agriculture durable. D'ores et déjà, une exposition photo est disponible. "Voix de la Terre" - l'expo - est composée de 24 clichés commentés et illustrés de portraits de producteurs. Elle peut être louée sur demande. Vous pouvez retrouver un dossier de synthèse sur notre voyage dans les numéros de janvier de Biocontact et de Village Magazine. Nous serons également aux Assises du Limousin les 9 et 10 février 2006 à Limoges où nous apporterons un habillage audiovisuel (ambiances sonores, extraits vidéos de portraits de producteurs, etc.).
Et puis les 25 et 26 mars, nous organiserons chez Raphaëlle de Seilhac en Corrèze un colloque sur "l'agriculture durable et les nouveaux outils de régénération", en collaboration avec la FRCIVAM, la Confédération Paysanne et le Réseau Agriculture Durable.
A suivre…
Frédéric Gana et Tifenn Hervouet
Contacts
Frédéric GANA et Tifenn HERVOUET. Tél : 06 09 42 49 73 Courriel :
GAEC Champs Libres et Association Contrechamps - Trasrieux - 87460 St Julien le Petit - Tél : 05 55 69 13 18
Saveurs Buissonnières - Dominique et Agnès DISS - 23460 Royère de Vassivière
L'Atelier - 23460 Royère de Vassivière - Tél : 05 55 64 52 22
Raphaëlle de Seilhac - Le Mons - 19800 Vitrac sur Montane - Tél : 05 55 27 60 87
Catherine et Luc Rabuel - Le Boudaud - 87110 - Le Vigen - Tél : 05 55 00 41 03
Saveurs Fermières - 10, rue de la Céramique - 87100 Limoges - Tél : 05 55 79 88 51