Roger Vulliez photographe limougeaud enseigne la photographie à l’école des beaux arts de Limoges. Il a réalisé par ailleurs différentes séries de photographies, dont en 1988 une sur les bords de Vienne. Il est retourné cet été sur quatre lieux du plateau qu'il avait photographiés il y a 17 ans. Dans le même cadre, à la même distance, il les a re-photographiés sans savoir à l'avance ce qu'ils seraient devenus, comment ils auraient évolué. Voici le résultat de cette promenade photographique à presque 20 ans de distance.
IPNS : A la fin des années 80 vous avez entrepris un travail consistant à photographier les bords de Vienne de sa source jusqu'à sa sortie du Limousin à Saillat. Comment s'est déclenché ce projet ?
Roger Vulliez : C'est avec l'envie d'un nouveau projet, la certitude de rester en Limousin, et l'idée de m'approcher des productions de photographes californiens tels que Edward Weston ou Ansel Adams que je décidais de m'équiper en conséquence et trouvais l'idée de suivre un axe naturel : la vallée de la Vienne.
IPNS : Vous dédiez le livre qui est issu de ce travail (Bords de Vienne publié en 1990 aux éditions Souny) à un photographe américain : Edward Weston. Pourquoi ?
R.V. Je peux aujourd'hui dévoiler l'anonymat des initiales de cette dédicace. Edward Weston est un photographe américain, vivant sur la côte ouest. Au début je n'aimais pas trop sa production, trop classique, puis j'ai eu l'occasion de lire en 1972, ses "Daybooks", sorte de journaux intimes mélant réflexions artistiques et sentimentales. Sa vie me parut intéressante et j'y trouvais la source de sa façon de travailler. Weston utilise une chambre photographique qui produit des négatifs 20X25cm qui donnent par contact sur papier photo un positif, en évitant l'"agrandissement". Et puis, il y a ses choix d'existence, des principes de vie, végétarien et un bain tous les jours dans l'océan Pacifique et ensuite des sujets et des photographies. C'est à partir des années 30 qu'il faut regarder ses images.
IPNS : Qu'est-ce qui vous intéressait dans l'idée de faire de la photographie de paysage ?
R.V. Je peux répondre au présent. C'est avant tout le côté "naturel" du sujet, bien que je me batte souvent avec les fils électriques, les pylones, et tout ce qui barre le paysage idéal. La sensation que ce "paysage naturel" peut sembler immuable. Mon expérience d’août 2005 prouve le contraire. C'est aussi prendre la route, avoir une vision panoramique de la réalité, comme devant un film, et à un certain moment un arrêt, une mise en place et une prise de vue. Il n'y a pas de règle autre que ma propre décision qui n'est pas toujours mue par les mêmes raisons. De l'envie de voir ce que "ça" peut donner en image noir et blanc, de la correspondance avec une image déjà vue dans l'histoire de la photographie, de l'excitation à un moment météorologique particulier et d'un sentiment précis au moment de la prise de vue.
IPNS : Aujourd'hui vous avez entrepris un travail de longue haleine sur le paysage vu des plus petites routes de France. Vous pouvez nous expliquer ce projet et nous dire ce que vous avez vu et photographié ?
R.V. Les mêmes raisons que précédemment avec un projet sans doute plus long, où je ne prévois pas le contenu exact, la finalité précise et qui conçerne la France entière. Après plusieurs tentatives je n'ai pas encore trouvé l'outil idéal et la façon de m'organiser. J'ai tracé sur une carte de France deux grandes "diagonales" qui passent "en travers", Brest-Nice et Bayonne-Strasbourg dans les deux sens, en empruntant les plus petites routes possibles le long de ces axes. Après les photographies prises depuis août 2000, j'en ai déduis que j'ai plus besoin de grands espaces, de lignes, de droites et de grands ciels. C'est aussi partir le matin dans le sens est-ouest pour avoir le soleil dans le dos. A suivre...
IPNS : En nous proposant de re-photographier 17 ans plus tard certains des lieux que vous aviez déjà photographiés en 1988, vous donnez à la photo un statut documentaire sur l'évolution du paysage. Que vous inspirent les paysages que vous avez redécouverts ?
R.V. J'ai retrouvé facilement les points de prises de vue avec une copie de chaque photographie en mains. Je me suis surtout occupé à documenter ce qu'était devenu le paysage, de copier la photographie déjà faite. J'y vois la marche normale du monde, les arbres poussent et les arbres sont coupés. On rend les choses plus visibles, plus rentables.
IPNS : Vous allez exposer en novembre des photos du Sri Lanka. Ce ne sont pas du tout les photos idylliques des plages de l'océan indien mais au contraire des photos assez inquiétantes qui montrent un pays dévasté par la guerre. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
R.V. En 2000, en terminant une commande publique sur l'architecture contemporaine en Limousin, je me suis aperçu que j'avais atteint le type d'image que je voulais au départ de "Bords de Vienne". Je décidais alors de faire des choix opposés, qui allaient forcement me faire trouver un autre type de matériel et une autre façon de travailler. Je dénichais par internet un appareil de presse des années 50 (Edward Weston faisait des portraits et des nus avec cet appareil) avec un objectif de la même époque. Je voulais retourner au Sri Lanka après un premier séjour en 2003 et une rencontre importante sur place, un photographe-éditeur français Philippe Fabry (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.). Les notions de "territoires traumatisés", de "frontières", d' "espaces limites" m'ont amené dans la région de Jaffna, au nord de l'île. Une ville en résurrection, en reconstruction après vingt ans de guerre et un tout récent cessez-le-feu. J'y retrouve là ce qui m'anime depuis un certain temps, des lieux voués à une disparition certaine (Usine Haviland à Limoges), en construction (la nouvelle mosquée), en modification radicale (Musée National Adrien Dubouché), en destination finale (centre de détention d’Uzerche avant l'arrivée des détenus). Donner à la photographie sa vocation première, documenter le réel, sans en pervertir cette finalité par une trop grande sophistication de l'image. Pour Jaffna, je suis parti avec l'idée en tête d'images légères, vides, et une grande proportion de ciel blanc. Sur place les champs de mines m'ont imposé une certaine "distance" au sujet. Au retour, une longue période de tests de papiers photographiques, de révélateurs, de méthodes de tirage et même de solution numérique ( qui a été adoptée pour les grands formats) m'a permis d'atteindre l'image révée du départ.