Le granite est souverain sur le plateau de Millevaches. Il constitue le socle du pays et quand il émerge il se donne des fantaisies, tantôt érigé en silhouettes fantastiques, tantôt creusé par les pluies millénaires pour le confort des fées qui, le soir venu, viennent prendre leurs ablutions dans les vasques ainsi aménagées. En prenant de l'âge, ce même granite libère ses parcelles de mica, parsemant alors les chemins de myriades d'étincelles qui pétillent au clair de lune. La légende se cultive de toutes parts, à la faveur des contours et des caprices des roches. Comme sur la tourbière du Longeyroux dont Simon Louradour rapporte quelques histoires dans son livre "Terre de légendes".
Le troupeau des Cent Pierres
Dans la cuvette fermée par le Puy Chavirangeas et son acolyte le Puy Cherfau, la jeune Vézère et les ruisselets qui l'alimentent ne parviennent pas à absorber toute l'eau qui s'y amasse. Il en est ainsi depuis la profondeur des âges ; ce qui a donné à la tourbière du Longeyroux le temps de se constituer, de prendre de l'épaisseur et de la consistance. Les sphaignes, le trèfle d'eau, le comaret, la canneberge et toutes autres plantes spécifiques ont colonisé l'endroit, réduisant à néant toute tentative d'installation arborée. Le pâturage, cependant, n'y a jamais perdu ses droits.
Il fallait être bien nanti, autrefois, pour posséder un troupeau de cent bêtes à cornes. Et peut-être était-il seigneur de quelque fief voisin, celui qui avait envoyé sa jeune bergère garder sur ces fonds, entre les puys. La pauvrette ne s'y trouvait pas trop fière, au milieu de son grand troupeau.
Alors, le jour où vint le terrible orage, où les éclairs se suivaient sans relâche et où les coups de tonnerre faisaient trembler le sol tourbeux, instinctivement elle se mit à prier. Ne prie-t-on pas, dans les moments de détresse ? Ni le Bon Dieu, ni la Sainte Vierge ne paraissant l'entendre, elle s'adressa à saint Roch, à saint Blaise qui, on le sait, ont privilège de conserver la santé des bestiaux. Rien n'y faisait. Les éclairs étaient toujours aussi violents ; et sous les coups de tonnerre, la tourbière remuait de plus belle. De guerre lasse, terrorisée au possible, la bergère ne pouvait plus se contenir. Elle laissa échapper le juron fatal. Per moun arme ! Sur mon âme ! L'Autre avait entendu ; et aussitôt il était intervenu, arrêtant coup sec l'infernale besogne. L'Autre, chacun le sait, se dit aussi Satan. C'est le Diable, quoi !
Qu'en fut-il ? Qui croire, maintenant ? D'aucuns vous diront que la pauvrette qui avait ainsi donné son âme au Diable se retrouva le lendemain matin, indemne, étalée sur le sol de l'étable vide de son maître. Certains autres jureront qu'ils la reconnaissent, couchée sur le Longeyroux, parmi les bêtes de son troupeau. Quoiqu'il en soit, les échines de granite allongées sur la tourbière, au nombre de cent d'après ce que l'on affirme, portent témoignage du plus gros orage qui roula jamais sur ces hautes terres.
Un Noël sur la tourbière
La tourbière du Longeyroux paraissait immense à n'en plus finir, plus étendue, plus désolée que jamais, sous la clarté blafarde de la pleine lune. Seules à percer le poignant silence, les petites bulles des fonts bulidières égrenaient leur interminable chapelet. Un peu plus bas, étrange, l'eau scintillait sur une courbe de la Vézère qui, à cet endroit, se passe d'une enjambée. Le pauvre petit berger du village de Celle attendait.
C'était soir de Noël. Dans la bergerie où il l'avait laissé sur la couche de paille qu'ils partageaient, le berger avait tenu un discours à son chien, qui avait compris. Dans sa jeunesse, il avait appris un peu de catéchisme, le berger ; et voici que l'autre nuit il venait de recevoir la visite de son ange gardien. L'ange l'avait réveillé. Mais l'avait-il vraiment réveillé, pour lui proposer un merveilleux moment ? Enfin, ne lui avait-il pas demander de se trouver sur le Longeyroux, la nuit de Noël, au moment où dans les églises du pays les prêtres élèveraient au-dessus de leur tête la Sainte Hostie et le calice ? Et ne lui avit-il pas promis d'y découvrir, bien à lui, la plus belle crèche du monde ? Non ! Pas un âne et un boeuf pour le réchauffer, comme le petit Jésus, mais tout un troupeau !
Le berger connaissait bien le Longeyroux. Il savait y retrouver l'emplacement de la vieille église disparue, dont la cloche est conservée à Celle et sonne quand le village en a la nécessité. Il connaissait évidemment l'histoire de la bergère qui, un jour d'orage, avait donné son âme au Diable pour être sauvée. Il savait que si la pauvrette s'en était tirée, de son troupeau de vaches il n'était resté que des croupes étranges, éparpillées sur la tourbière où, suivant les conseils de l'ange, il venait d'arriver. Tout à coup, il s'alarmait. Et si tout ce troupeau affalé sur les mouillères venait à se réveiller à minuit, que saurait-il faire, lui qui n'avait jamais gardé que des moutons ? Pourtant, il avait confiance. Il se mit à compter : ici une vache, et là un taureau, et puis deux veaux, et sûrement une bourette… Mais comment bien compter, dans un tel mêli-mêlo ? Le berger était inquiet.
Tout à coup, dans le grand silence de la nuit, sous le ciel étoilé, un son de cloche fit vibrer l'air. Bientôt, il les reconnaissait toutes, les cloches des alentours, la petite de Celle, mais aussi celles de Chavanac, de Millevaches, de Saint-Merd… Quelle fête soudain ! Il imagina les gens qui pressaient le pas sur les chemins, qui allaient prier, chanter devant l'Enfant-Dieu. Au milieu des cierges allumés, partout maintenant les prêtres montaient à l'autel. Le berger entendait les cantiques, tantôt la voix de l'ange et tantôt celle des bergers. Minuit ! Il grelottait de froid, sur la tourbière. Mais il savait que le troupeau allait se réveiller et venir le réchauffer. Il claquait des dents et pourtant, bon berger, il continuait à compter : une vache par ci, un taureau par là, et encore deux veaux…
Lorsqu'au petit matin de Noël le jour filtra par la lucarne de la bergerie, à Celle, le chien s'étira sur sa paille. Il chercha la main qui le caressait d'habitude, cette main qui aussi partageait le quignon de pain, et ne la trouva pas. Alors, le pauvre chien se mit à aboyer, à hurler : ce qui, sur ces hautes terres, annonce le malheur.
Depuis ce temps là, quelquefois, un voyageur attardé sur le chemin du loup aperçoit dans le Longeyroux une flammèche qui va, qui vient, qui erre… C'est l'âme du berger de Celle qui compte encore le troupeau des Cent pierres, sur la tourbière.
Simon Louradour
Ces deux légendes sont extraites du livre de Simon Louradour : Terres de Légendes, publié aux éditions de la Veytizou.
- Aux éditions de la Veytizou
Les éditions de La Veytizou publient depuis de nombreuses années de la littérature ou des récits limousins. Des romans ou des recueils de légendes comme celui de Simon Louradour, des témoignages ou des livres d'histoire locale. Les amateurs savent trouver au catalogue de cet éditeur de quoi satisfaire leur goût pour une littérature de terroir qui a ses fidèles et ses auteurs. René Limouzin est l'un d'eux. Après une quinzaine d'ouvrages (dont une dizaine aux éditions de la Veytizou), l'écrivain corrézien vient de publier : Vincent, mon grand-père.
Un récit dans lequel le petit-fils (devenu grand-père lui-même entre temps) dresse le portrait chaleureux et émouvant de son grand-père : "Un brave homme, un homme de bien" auquel René Limouzin applique la citation de Voltaire placée en exergue de l'ouvrage : "Il avait le jugement assez droit avec l'esprit le plus simple, c'est je crois, pour cette raison qu'on le nommait Candide…".
De 1939 à 1949, on suivra René le conteur nous raconter cet homme avec, en arrière fond l'actualité terrible de ces années de guerre. "Je pense, écrit René Limouzin dans ce livre hommage, que Vincent avait vécu avec ce souci constant de n'embarrasser personne. Je crois qu'il y était parvenu".
C'est à la même période que se déroule l'histoire de Janot et ses copains telle que la raconte, dans un roman cette fois, un autre auteur de la maison : Jean Pradinas, qui signe son second ouvrage sous le titre : La Balade du sauvageon. Tous ces ouvrages sont disponibles en librairie.
Terres de légendes de Simon Louradour, 231 pages, illustré, 20 euros.
Vincent, mon grand-père de René Limouzin, 283 pages, 20 euros.
La balade du sauvageon de Jean Pradinas, 351 pages, 22 euros.
Contact : Editions de la Veytizou, 87130 Neuvic-Entier. Tel : 05 55 69 71 24