Après deux programmes Leader (dénommés Leader 1 de 1991 à 1994, puis Leader 2 de 1995 à 1999), un troisième programme européen, dénommé cette fois Leader +, était mis sur pied pour une durée de six ans (2000-2006).
Si les deux premiers programmes étaient assez généraux dans leurs objectifs (Leader 1 était intitulé "Millevaches, terre d'entreprise" et Leader 2 "Action de Valorisation Economique et Culturelle", dont l'acronyme donnait la formule "Avec Millevaches") Leader + était tout entier centré sur l'accueil. Le choix d'un thème est en effet une obligation posée par la Commission européenne. Il s'agissait pour reprendre les termes du dossier initial de "mobiliser l'ensemble des habitants dans une démarche globale d'accueil (…) en favorisant l'affirmation d'une citoyenneté territoriale" afin de créer les conditions favorables à la venue et à l'installation de nouveaux habitants. Six "enjeux thématiques" déclinaient cet enjeu global :
A la clé pour mener toutes ces actions ce n'est pas moins de 3 300 000 euros qui devaient être mobilisés. Il était prévu que 27% de cette somme proviendrait de l'Etat, la région, les départements et les communes et 28% de financeurs privés (entreprises, artisans, acteurs…). La plus grosse part, 45% (1 488 000 euros), venait de l'Europe.
Le programme est géré par un GAL (groupe d'action local) présidé par Christian Audouin et constitué de quinze élus et quinze "acteurs privés" (essentiellement des représentants des chambres consulaires et des organismes socio-professionnels). Le GAL se réunit environ trois à quatre fois par an pour valider l'attribution des aides qui sont instruites par les services, hier du Syndicat Mixte de Millevaches en Limousin, aujourd'hui du PNR. Chaque année, un "rapport annuel d'exécution" fait le récapitulatif des aides accordées et de l'état d'avancement des projets. Lors de sa dernière réunion, le 8 avril 2005, le GAL a pris la mesure des retards du programme et a pu se rendre compte des incidences financières de ceux-ci.
Essayons d'être clair. Les crédits prévus pour une année dans le cadre du programme Leader + doivent bien sûr être dépensés si l'on veut qu'ils servent à quelque chose. Chaque année on fait donc les comptes et l'on compare ce qu'il était prévu de dépenser (aides et subventions octroyées) et ce qui a été réellement versé. Comme tout cela nécessite des procédures administratives assez longues et qu'il faut laisser un temps pour la réalisation des projets programmés, on ne clôt les comptes d'une année que deux ans plus tard. On regarde alors ce qui s'est passé et, soit l'on constate qu'en gros on a réalisé ce qu'on avait prévu et tout est pour le mieux. Soit l'on constate qu'on a réalisé moins, voire beaucoup moins. Et qu'il y a donc de l'argent qui n'a pas été mobilisé au cours de la période. Cet argent ne peut malheureusement pas servir pour autre chose que ce pour quoi il était prévu. Il ne peut pas non plus être reporté sur une année ultérieure. En fait, il repart au niveau national et/ou à Bruxelles, d'où il est reventilé sur d'autres programmes Leader qui, eux, ont déjà dépensé tous leurs crédits. C'est exactement ce qui s'est passé avec Leader Millevaches en 2002 et que les membres du GAL ont découvert en avril dernier.
L'aventure s'était en fait déjà produite en 2001. 12 000 euros auraient du être retirés à Millevaches (ce qu'en jargon administratif on appelle un dégagement). Mais c'était le démarrage du programme, on pouvait se dire que tout n'était pas vraiment sur les rails, et puis 12 000 euros, ce n'était que 12 000 euros…
Pour 2002, la note est autrement plus salée : cumulés avec le dégagement de 2001, c'est 220 000 euros de crédits européens qui devaient quitter Millevaches pour d'autres Leader (la commission nationale qui réaffecte ces sommes issues des Leaders en retard devait se réunir fin juin). Ainsi, cet argent ira peut-être alimenter des programmes Leader qui ont respecté leurs engagements en Rhône Alpes ou ailleurs. Ces 220 000 euros qui s'envolent ont été durs à avaler pour nombre des membres du GAL. La prise en compte de paiements intervenus entre temps devait du reste permettre de faire baisser cette somme, et ramener ainsi la "facture" à environ 200 000 euros (11 955 euros pour 2001et 189 010 euros pour 2002).
Le problème c'est que, si rien ne change, les années à venir risquent de répéter la même histoire. Le rapport annuel de 2004 explique que depuis le début du programme seulement 391 500 euros ont été programmés sur les 1 488 000 euros de fonds européens prévus (soit 26,3% alors que le programme est écoulé aux deux tiers), dont seulement 146 000 ont fait l'objet d'un paiement ! Est-ce à dire que dans deux ans on apprendra que quelques centaines de milliers d'euros seront retournés vers Bruxelles ? Comme le dit en termes très feutrés le rapport : "la part de consommation de crédit FEOGA - c'est à dire des crédits européens - n'a pas été atteinte en 2004".
On est par ailleurs assez effaré de constater à la lecture du rapport d'exécution 2004 que nombre des actions envisagées sont au point mort faute de projets… "Prospection de nouvelles activités" : pas de dossier programmé. "Soutien aux producteurs dans le but de la promotion collective des produits" : pas de dossier programmé. "Nouvelles technologies" : pas de dossier programmé. "Soutien à l'accueil par le logement" : pas de dossier programmé. "Nouveaux services et équipements en faveur des femmes" : pas de dossier programmé. La ligne de projets qui a le mieux fonctionné concerne l'aide à l'installation professionnelle et l'aide à la création du premier emploi qui ont consommé les deux tiers de leurs crédits et ont vu la mobilisation de … 225 % des fonds privés programmés initialement sur cette action.
On découvre aussi qu'un projet de coopération avec d'autres territoires Leaders européens "n'a pu être formalisé, compte-tenu, notamment, du fait que le GAL a été privé d'un animateur pendant plusieurs mois". Et l'on est confondu de lire parmi les "chantiers" de l'année 2005 "la consolidation du dispositif d'animation du GAL par l'augmentation du temps d'animation" lorsque l'on sait que le programme est resté sans animateur pendant un an et demi malgré la cinquantaine de candidatures reçues sur ce poste, et que le parc recherche encore un gestionnaire comptable pour gérer le programme…
On s'amuse également de découvrir qu'une évaluation "à mi-parcours" doit être entreprise courant 2005, un an avant la fin du programme qui, rappelons le, se termine en 2006.
Au Syndicat de Millevaches on ne peut pas dire qu'on n'était pas averti. Une réunion avait même été organisée à l'initiative de l'autorité de gestion du programme, le CNASEA, pour informer la direction du Syndicat des risques liés aux retards dans la mise en oeuvre de Leader +. Les causes peuvent en être nombreuses : programme non adapté aux réalités locales et territoriales ; concurrence dans les priorités avec la mise en place du PNR ; absence pendant de longs mois d'un animateur spécifique sur Leader + ; déficit de communication et d'animation autour de Leader + ; incompétence de la direction du parc (refrain entendu et repris dans des cercles de plus en plus nombreux autour du parc, y compris d'élus directement impliqués dans le projet). On peut encore y ajouter des critères trop restrictifs dans l'attribution de certaines aides. Ainsi les créations d'emploi pouvaient être aidées sauf si elles émanaient d'associations ! Du coup plusieurs projets qui pouvaient être exemplaires en matière d'accueil sur le territoire se voyaient d'emblée exclus du fait de leur statut… Mesure sur laquelle on semble vouloir revenir après avoir compris que faute de projets dans les clous l'argent allait nous échapper.
Du côté du parc on a semble-t-il pris la mesure du risque et l'on met sur le dos de la tardive création du PNR il y a un an (mai 2004), les retards de Leader +. Mais le parc étant enfin créé on nous assure que de nouveaux dossiers - une trentaine actuellement - vont dans l'année et demi qui reste, rattraper les retards et même dépasser largement l'enveloppe actuelle. On espère même, sur ces promesses, réussir à récupérer une partie des fonds perdus de 2002. L'hypothèse paraît optimiste, même s'il serait souhaitable qu'elle se réalise.
Pour cela le programme est en cours de réécriture afin qu'il colle davantage aux réalités du terrain. Mais cette révision est aussi financière et prend en compte le dégagement de 200 000 euros opéré sur 2001 et 2002. Du coup dans la nouvelle version du programme, l’enveloppe européenne est passée de 1 488 000 euros à 1 200 000 euros (soit une réduction de 20%). Pour l’avenir tout cela n’est pas très bon. En effet, les futurs programmes que le territoire de Millevaches souhaiterait mettre en oeuvre avec l'Europe, seront construits au vu des réalisations passées. Un Leader + qui aurait vu repartir la moitié ou même le quart de son enveloppe ne témoignerait pas en faveur du Millevaches. Et les crédits espérés seraient alignés sur ce que le territoire aura été capable de faire dans les années passées. C'est-à-dire, au rythme de2002, 2003 et 2004, pas grand-chose.
Dans le dernier numéro d'IPNS, Robert Savy le disait : "Le travail des élus, c'est d'anticiper les problèmes. Ce n'est pas facile, mais c'est cela qu'on doit attendre, voire exiger, d’eux".
Michel Lulek