Que ne faut-il pas faire pour arriver à obtenir de la MSA ce qu’elle vous doit ? Ce jeune agriculteur du Plateau sait de quoi il parle. En couple et père d’un enfant, l’ensemble de ses prestations sociales transite comme il se doit par la mutualité sociale agricole : sa prime d’activités, le RSA de sa conjointe, la Paje (prestation d’accueil du jeune enfant) et bien sûr tous les remboursements de ses dépenses de santé.
Le problème est que la MSA s’est fait une spécialité des retards de paiement, des clôtures intempestives de dossiers, des formulaires inadaptés et que tout cela ne fait qu’en rajouter à l’exaspération d’agriculteurs qui sont souvent dépendants d’aides agricoles (PAC, Mesures agri-environnementales MAE) qui, elles-mêmes, ne sont payées qu’avec plusieurs années de retard. Dans le cas présent, notre jeune agriculteur attend encore en 2020 des aides MAE de... 2017 ! « Il faut se démerder pour vivre sans argent pendant plusieurs mois » ironise-t-il. Il égrène les situations kafkaïennes auxquelles il a été confrontées : suite à un accident, la MSA l’a un jour décrété « guéri » alors que l’avis du chirurgien était contraire ; sa compagne est radiée sans raison du RSA, il reçoit un courrier de la MSA qui lui dit de ne pas tenir compte de ce courrier, que c’est une erreur... mais il est obligé d’appeler et de rappeler de nombreuses fois pour obtenir la réouverture de ses droits ; ses prestations s’arrêtent et reprennent alors que ses revenus n’ont pas changé ; et évidemment il ne tombe jamais sur la même personne à chacun de ses appels, ce qui oblige à tout réexpliquer sans garantie de ne pas devoir recommencer la semaine suivante avec un nouvel interlocuteur. « Il faut toujours quémander l’argent qui nous est dû et en plus, on subit une forme de culpabilisation comme si on était des assistés... » s’indigne-t-il, lui qui produit des tonnes de céréales et de viande chaque année et dont ses banquiers le félicitent pour la situation saine de son exploitation !
Des prestations de septembre à décembre 2018, toujours non versées au milieu de 2019 malgré plusieurs appels et relances, le poussent à jouer le grand jeu : « J’suis au bout du rouleau, je vais me suicider, c’est pas possible... » Le versement tant attendu est alors aussitôt viré !
Rebelote fin 2019. Cette fois ce sont 9 mois de paiements qui sont en attente qui, cumulés, avoisinent les 6 000 euros ! Après moult coups de téléphone infructueux, il est obligé de menacer à nouveau : « Très bien, demain je viens devant le siège de la MSA et je m’immole par le feu ! » Le lendemain, les 6 000 euros sont virés sur son compte !
Parmi les interlocuteurs qu’il réussit à avoir, il tombe un jour sur une opératrice qui lui explique que son cas est loin d’être isolé : « Mes parents sont agriculteurs et ma sœur est agricultrice, alors je connais bien la situation et je suis bien d’accord avec vous ! » N’empêche les demandes traînent toujours : un mail est traité en 4 à 6 semaines, il faut 15 jours de délai pour un courrier, mais il manque un document, ce n’est pas le bon, il faut le renvoyer, et quand au final le dossier est complet, il y a un papier qui n’est plus à jour et il faut recommencer !
Pourtant, surprise, au moment de la crise du coronavirus, l’aide exceptionnelle (malgré un lien internet qui renvoyait sur une page qui elle-même renvoyait en boucle sur la page précédente...) a été versée très rapidement après la demande ! Alors ? Incompétence ou mauvaise volonté ? Qu’est-ce qui fait que la MSA semble faire tout son possible pour rendre la vie des paysans impossible ?
Nous avons essayé de comprendre pourquoi il avait fallu à cet agriculteur d’en arriver à la menace de suicide pour obtenir l’argent qui lui était dû, en partant de l’idée que les employés de la MSA ne doivent être, en moyenne, ni meilleurs ni plus mauvais que le commun des mortels. Le délégué CGT des salariés de la MSA au niveau national, Christophe Cziz, qui travaille dans la Drôme, explique tout de suite au téléphone que oui, « [ils] le [savent], le suicide est la première cause de décès chez les agriculteurs ». En Limousin, la permanente CGT des organismes sociaux, employée dans une caisse de retraite explique que c’est à la MSA à peu près comme dans les autres organismes sociaux (Caf, Carsat, Pôle emploi, etc.) : « On remplace seulement un agent qui part à la retraite sur cinq. Ceux qui restent ne sont pas assez nombreux pour gérer la demande. Les directions ferment les accueils “physiques”. Les usagers sont mécontents. » Quiconque a dû contacter par mail, téléphone ou en se déplaçant, un organisme social lui devant des aides le sait. Tout semble fait pour vous décourager d’obtenir ce à quoi vous avez droit. Un cap a d’ailleurs été franchi en Creuse pour le RSA, lors de l’annonce début 2020 par Patrice Morançais, du conseil départemental de Creuse, de l’embauche d’inspecteurs chargés de traquer « la fraude » alors qu’une très grande partie des personnes ayant droit à cette allocation ne la demande pas et que le RSA « coûte » donc au département bien moins que ce qu’il devrait si ce dernier versait correctement cette aide.
Retraité de l’agriculture, infatigable soutien des paysans qui « terminent » au tribunal pour redressement ou liquidation judiciaire, Gilles Roy, bénévole de l’association Solidarité paysans, suit depuis vingt ans les déboires financiers des paysans creusois. Il estime que la MSA a la spécificité de vous balader d’un interlocuteur à l’autre (À voir comment répondent les plate-formes téléphoniques de la Caf ou de Pôle emploi, on peut dire que cette spécificité est partagée par bien d’autres « guichets ») : « Quand il ne peut plus payer ses cotisations MSA, un agriculteur peut avoir au téléphone quelqu’un qui lui assure que c’est bon, un échéancier des dettes va être mis en place, et recevoir quand même trois jours plus tard un courrier d’un autre agent de la même MSA, le mettant en demeure de payer tout de suite. » Cette horreur bureaucratique, qui peut rendre fou, semble atteindre de très hauts niveaux à la MSA. Pour Gilles Roy et les paysans en détresse financière qu’il accompagne au tribunal pour faire face à la MSA lors de « conciliations à l’amiable », le manque de communication entre les services est LA marque de fabrique de la MSA. Pour lui, il est par exemple capital de savoir si les échéanciers de dettes conclus dans ce cadre peuvent s’étaler sur deux ans comme il entend une représentante de la MSA le dire au tribunal ou sur trois ans comme le dit le code rural. Il a posé la question à Guy Faugeron, président de la MSA du Limousin, par courrier début octobre 2019. Il n’a toujours pas obtenu la réponse.
Le système MSA est théoriquement représentatif, avec des personnes élues dans chaque canton par les agriculteurs, les entreprises agroalimentaires et les salariés, collèges qui élisent à leur tour des administrateurs régionaux. En pratique, « ces élus cantonaux, la MSA les invite à deux réunions par an et sinon ils ne sont au courant de rien », schématise Gilles Roy. De même que l’Assemblée nationale représente assez mal les gens qui vivent en France, les administrateurs de la MSA semblent représenter assez peu les gens qui travaillent la terre. Pour la branche agroalimentaire et forestière de la CGT, la MSA est « la “vache à lait” du pouvoir et du grand patronat agricole pour gérer un vaste plan social accompagnant la disparition de petites et moyennes exploitations venant conforter la concentration agraire ».
La Cour des comptes vient de publier un rapport sur la MSA. Sa logique comptable consiste naturellement à constater que la MSA coûte trop cher pour ce qu’elle fait. Le rapport conseille le « rapprochement» de la MSA avec le régime général de la Sécurité sociale. Tout semble se dérouler comme pour d’autres services qui, avant, fonctionnaient mieux, par exemple les trains régionaux : on les rend inefficaces pour les discréditer, et les supprimer peu à peu.
Yann Bureller et Michel Lulek