Non ce n’est pas une fable, mais l’illustration concrète de la manière dont les défenseurs de l’environnement font de plus en plus souvent l’objet de surveillance et d’intimidation de la part des forces de l’ordre et des industriels. Juriste spécialisé sur les questions environnementales et membre de l’association Sources et rivières du Limousin, Antoine Gatet vient d’en faire l’expérience. Son tort ? Avoir répondu aux questions de France 3 sur le projet contesté de serres à tomates de Rosiers-d’Égletons (voir IPNS n°63).
Samedi 23 mai 2020, Antoine Gatet a reçu la visite de la gendarmerie chez lui. Elle voulait avoir son numéro de téléphone afin qu’un gendarme d’Égletons puisse l’appeler ! Parce que faire « Antoine Gatet, Sources et rivières » sur Google pour trouver en deux secondes son numéro était apparemment un peu difficile... Et qu’il était bien mieux de consacrer une heure un week-end pour se déplacer à son domicile personnel avec gilet pare-balle et fourgonnette, pour demander à ses voisins « où habite Monsieur Gatet ? » et récupérer son numéro de téléphone directement de sa bouche... Sans être capable de lui dire par ailleurs de quoi il s’agissait.
Diable, un écolo !
Deux jours plus tard, un gendarme d’Égletons l’appelle donc et l’informe du fait qu’une enquête préliminaire est en cours suite à un reportage de France 3 datant de janvier 2020 concernant les serres à tomates d’Égletons, reportage dans lequel Antoine Gatet dénonçait les conséquences environnementales du projet1. L’enquête est directement dirigée contre lui pour avoir pénétré sur une propriété privée sans autorisation ! Comme six mois auparavant, en juin 2019, des engins avaient brûlé sur le site2, il semble que les gendarmes aient fait un peu de zèle : après visionnage du reportage, la gendarmerie d’Égletons a produit une note à la procureure de Tulle, Madame Auboin, mentionnant la présence d’un écolo, les deux pieds sur le site, à la télé. Et la procureure a semble t-il considéré cela comme une information suffisamment grave pour prendre le temps de creuser la chose et a demandé une enquête préliminaire. Le gendarme a auditionné les propriétaires de la serre qui ne souhaitent pas porter plainte (même si on leur a bien dit qu’ils pouvaient le faire...) et ne « souhaitent pas de poursuites. » Il manquerait plus que ça, que ce soit les industriels de la tomate qui décident des poursuites contre les écolos qui dénoncent leur business destructeur des zones humides...
Intimidation
Antoine Gatet doit maintenant être auditionné pour ces faits. Comme il ne compte pas se déplacer à Égletons, ce qu’il a bien confirmé aux gendarmes, c’est la gendarmerie de chez lui, Nexon, qui va le convoquer. Il a réagi assez vivement à la fois à la présence de deux gendarmes chez lui un samedi, et au fait que la justice passe du temps sur ce genre de faits. Il a expliqué gentiment (mais fermement) au gendarme d’Égletons que ce genre de pratiques se multipliaient à l’encontre des militants pour la protection de l’environnement et que cela constituait une pression insupportable en même temps qu’inadmissible. « Nous souhaiterions, lui a-t-il dit, que la justice mette autant d’énergie à poursuivre les multiples infractions environnementales relevées tous les ans pour les atteintes à l’environnement. »
Des pressions inadmissibles
Sur le fond, tout cela n’ira pas loin. Même la gendarmerie en convient puisqu’elle ne demande l’audition de l’écologiste que comme témoin et non « mis en cause ». En effet, l’équipe de France 3 était sur le site avec l’autorisation des industriels propriétaires de la serre et l’interview s’est déroulée en dehors de l’espace clôturé. Même si elle a eu lieu sur un terrain privé, celui-ci était en lien et sans clôture avec des champs et la zone humide restante, et aucune mention « propriété privée défense d’entrée » n’était visible. Reste qu’il est inadmissible pour Antoine Gatet de se retrouver à devoir aller répondre à des questions auprès de ces gendarmes locaux qui risquent de ne retenir de cet épisode qu’une chose : « Gatet, c’est l’écolo de Saint-Priest qui a été mis en cause sur un dossier d’incendie volontaire en Corrèze, en lien avec les activistes du Plateau... » Que la procureure de Tulle mette la pression sur le porte-parole d’une association pour être apparu exactement 30 secondes sur un remblai de zone humide reste absolument inacceptable, mais révélateur de la manière dont toute contestation est aujourd’hui suspecte et contrecarrée.
1 Voir le reportage de France 3 ici : https://frama.link/McmJTtGx
2 Voir sur le site de France 3 : https://frama.link/CNo3g46V
- Sources et rivières du Limousin s’estime victime de « Demeter »
L’État s’est engagé, par la voix de son ministre de l’Intérieur, à faire cesser tout « agri-bashing » à l’encontre du monde agricole, par la constitution de cellules de gendarmerie dédiées, nommées « Demeter » (voir IPNS n°70, page 20). Le chantier des serres à tomates de Rosiers-d’Égletons est un site sensible en Corrèze (sans doute même le seul d’ailleurs) qui mérite toute l’attention des gendarmes : projet très controversé, il a été victime une nuit de juin 2019 de l’incendie de plusieurs engins de chantier au démarrage des travaux. Pour Sources et rivières du Limousin (SRL), « La nouvelle règle semble donc simple : vous critiquez publiquement un projet agro-industriel sensible ? La procureure de Tulle et la gendarmerie d’Égletons ouvrent une enquête ! Peu importe que le dossier ne puisse évidemment pas aller plus loin : le principal est de faire passer le message : entre l’atteinte à l’honneur et le fichage automatique, l’intimidation fonctionnera… »
SRL, qui a écrit en ce sens à la procureure de la République et au ministère de la Justice, demande à l’État de consacrer son énergie dans la poursuite et la sanction des atteintes avérées à l’environnement (pollution des cours d’eau par pesticides, destructions de zones humides, recalibrages de cours d’eau, destruction d’espèces et d’habitats, abandon et brûlage de déchets agricoles, etc.), plutôt que de faire perdre son temps et son honneur aux associations de défense de l’intérêt général environnemental et à ses juristes et porte-paroles.