Plutôt qu'une dissertation de science-po, voici mon vécu de la citoyenneté durant les six ans de pratique associative dans le PNR Périgord- Limousin, en particulier comme ex-Président du "Comité d'Etude pour son Implantation" et de "Vivre le Parc". Afin d'essayer de ne pas céder à la passion et au manque d'objectivité, ayant été très impliqué dans sa création et, depuis, souvent en conflit avec lui, je m'appuierai le plus possible sur des faits et des réalités avérées tirées de ces premières années de "cohabitation". Au lecteur de répondre à la question posée dans le titre.
Le discours que je prononçais lors de l'inauguration du parc, le 5 septembre 1998 à Bussière-Galant, est une excellente entrée en matière pour comprendre nos rêves et nos espoirs avant d'aborder la réalité. " (…) C'est une immense joie et un grand honneur, d'être en ce jour d'inauguration le porte parole de l'ancien "Comité d'Etude pour l'Implantation du PNR Bandiat-Tardoire" devenu aujourd'hui "Vivre le Parc" et de tous les bénévoles anonymes sans lesquels nous ne serions pas là aujourd'hui pour porter, enfin, ce PNR Périgord-Limousin sur les fontbaptismaux.
De ce vendredi 21 décembre 1984, date de la première réunion informelle d'associations du pays, à la mairie de Piégut-Pluviers, pour élaborer un projet de "PNR Bandiat-Tardoire", jusqu'au 9 mars 1998, date du Journal Officiel mentionnant le décret de la création du "PNR Périgord-Limousin", quatorze ans se sont écoulés ! Quatorze ans d'acharnement. Les initiateurs du projet ne prévoyaient pas un tel délai… Heureusement. Seule son excellence peut expliquer la résistance des volontés locales à l'usure des embûches politiques et administratives (…)
Dans ce berceau, les gens du pays, passionnés de culture occitane, d'archéologie industrielle, de conservation des vieilles espèces fruitières, de produits fermiers et de gastronomie, de flore et de faune sauvages ne pouvaient que se rencontrer et s'unir pour préserver et valoriser ce riche patrimoine au service du développement local.
La deuxième qualité de ce projet était d'être "citoyen". Fallait-il qu'il soit bien enraciné pour galvaniser les énergies sur une telle durée. Sensibiliser la population, convaincre les élus, plaider son dossier auprès des services de l'Etat. Combien cela a-t-il nécessité de réunions, d'études, de journées d'animations "Vers un PNR", de conférences de presse, de kilomètres parcourus entre Périgueux, Limoges, Angoulême, Bordeaux, Poitiers et Paris ? …Et souvent, pour tout encouragement, s'entendre dire que notre projet n'était pas assez lisible, visible, pas assez ci, trop ça… A chaque changement de majorité dans les Départements, Régions ou à l'Assemblée Nationale tout était à recommencer.
Mesdames, Messieurs, vous comprendrez qu'après avoir vécu une si longue et intense histoire, les pionniers du Parc, au nom desquels je m'exprime ici, soient animés d'un immense espoir pour notre jeune PNR qui ne va pas sans quelques craintes.
Notre immense espoir, c'est que la nouvelle institution "PNR Périgord-Limousin" fasse perdurer l'état d'esprit qui a animé ses initiateurs pour en faire le premier "PNR citoyen" où élus, équipe technique et habitants, au travers de la fédération d'associations de "Vivre le Parc", établissent un étroit partenariat équilibré, chacun restant, bien sûr, dans le champ de ses compétences. Ces quatorze années de gestation ont fait émerger des projets associatifs innovants qui ne demandent qu'à être coordonnés, amplifiés, promotionnés par le PNR. Nos craintes, certainement injustifiées, c'est qu'une chape administrative supplémentaire vienne se plaquer, sans concertation, sur ces initiatives citoyennes. C'est aussi que les décideurs locaux ne voient dans ce PNR qu'une pompe à subventions pour satisfaire les petits intérêts particuliers en tout genre plutôt que d'y voir un outil à porter les projets inscrits dans une politique de développement durable au service de tout le territoire. Nous sommes persuadés que le PNR est un excellent outil mais que ce n'est qu'un outil dont le mode d'emploi serait : pour l'institution "Faire faire plutôt que faire" et pour ses usagers "Aide-toi, le Parc t'aidera"… Enfin, notre dernière crainte, c'est que ce bel outil devienne l'enjeu des zizanies politiciennes paralysantes ; dans ce domaine, nous savons de quoi nous parlons…".
Je relis ce discours pour la première fois, à l'occasion de l'écriture de cet article. Quelle naïveté, quelle utopie mais aussi quelle vision prémonitoire ! Après les exceptionnelles journées citoyennes de la
fête inaugurale du PNR où élus, associations et équipe technique du Parc, en parfaite cohérence et complémentarité mobilisèrent tout le territoire et drainèrent des milliers de visiteurs, nous pensions la démarche citoyenne acquise.
Hélas, trois fois hélas, les luttes de pouvoir commencèrent très vite entre les acteurs du territoire et la nouvelle institution, obsédée d'imposer "les prérogatives des PNR" et son "image" tant auprès du monde associatif que des collectivités locales. Ainsi il fallut des mois et des mois de négociations pour que le PNR consente à signer une convention avec notre fédération en nous faisant bien remarquer que nous n'étions qu'une association comme les autres ! Crainte d'un contre pouvoir, désir inavoué de tuer le père ?
Contractualiser un partenariat "équitable, solidaire et durable" sur une initiative associative s'est vite avéré impossible sans passer sous les fourches caudines du PNR, plus soucieux d'utiliser la créativité et le travail associatif comme support de communication (au coût très avantageux) pour apposer son logo, que d'instituer une vraie gouvernance participative. La première tentative de labellisation d'un produit Parc créé par des associations fut un échec pour ces raisons. Malgré les multiples mises en garde et propositions de tout mettre à plat pour que nous soyons considérés comme des partenaires associés aux processus de décisions et pas seulement comme de simples prestataires, tout reste à faire, bien que la citoyenneté dans le PNR ait été mise en avant dans sa charte et que certains décideurs croient encore aujourd'hui qu'elle y est pratiquée !
La conséquence de ce blocage, c'est que les associations qui ont porté ce Parc, ont dû se tourner vers d'autres partenaires pour lancer leurs projets innovants et expérimentaux : valorisation du site de la météorite de Rochechouart, Parc "accro branche" et vélo-rail de Bussière-Galant, Eco- Centre du Périgord, Vergers Conservatoires du Haut-Périgord, Pôle expérimental des Métiers d'Art de Nontron, Université de Pays, Route des Tonneaux et des Canons, piste multi-activité sur l'emprise de la voie ferrée Thiviers-Angoulême, Lud'eau Vive de Varaignes, Résau européen d'éducation au Développement Durable, Journées de l'Ecohabitat… Parfois le PNR s'y raccroche, parfois il essaie de s'imposer en concurrence avec les associations locales au nom de ses prérogatives, parfois aussi, il reprend des initiatives associatives pour les dynamiser efficacement comme la valorisation du châtaignier (à noter sa remarquable exposition "Châtaignier en projet(s)").
Il faut ajouter que de nombreuses associations sont allées vers les Conseils de Développement des nouveaux Pays pour trouver le courant de citoyenneté qu'elles attendaient du Parc.
Cette volonté politique d'imposer ses prérogatives sur le territoire a eu des effets semblables, voire pire, vis à vis des collectivités locales. Ce n'est pas le propos ici de rappeler les conflits pour affirmer les compétences de chacun qui ont entraînés perte de temps, d'argent, ralentissement de la dynamique et naissance d'une image négative du Parc. Le projet de Maison du Parc en est la synthèse. A quand son audit ?
Je resterais dans le domaine de la citoyenneté sans porter de jugement sur les autres actions du Parc ni sur le bien fondé de cet outil au service du développement durable sur un territoire. Je constate simplement que les élus locaux, alléchés par ce label porteur de PNR, n'ont pas toujours conscience de l'importance de la mise en œuvre d'une démarche citoyenne pour la réussite d'un Parc et d'une politique de développement durable solidaire. Incorrigible optimiste, je sens un frémissement citoyen monter des rouages du Parc Naturel Périgord-Limousin à l'approche du renouvellement de sa charte mais, en paraphrasant un homme politique connu, je suis maintenant persuadé que "la citoyenneté est un combat".
Alors ? Un Parc citoyen…Rêve ou réalité ?
Jean-Louis Delage