"Oh mais là-haut c'est l'pays de la vielle", à Fernoël, quelque part entre Millevaches et Combrailles. Au cours du spectacle "Histoires de Vielle" Georges Prudent nous conte son aventure avec la vielle à roue. Un itinéraire de rencontre et de partage avec ces "musiciens de routine" ; il collecte dans leur répertoire oral la mémoire collective de ces mélodies populaires qui, hier comme aujourd'hui enchantent et entraînent bals et fêtes villageoises. Tout en perfectionnant son art de vielleux, Georges a été jusqu'au bout de sa passion en créant son atelier de lutherie à St Quentin la Chabanne. Dans un prochain IPNS, il nous contera l'histoire de cet instrument mythique qui a pris racine dans l'identité culturelle limousine.
Le nez près de l'instrument, j'ai pointé mon doigt sur la roue et - aïe - je l'ai touchée… C'était mon premier contact physique avec la vielle, et le début d'une véritable aventure avec cet instrument.
Le père Thomas qui jouait pour le club du troisième âge de Felletin, voyant que je m'intéressais de très près à sa vielle, m'a invité chez lui pour faire plus ample connaissance avec ce bizarre instrument, bien représentatif de la musique traditionnelle. C'est donc au mois d'octobre 1976 que je lui ai rendu visite, plus exactement que je leur ai rendu visite, puisque avec son fils René (à la cornemuse ou à la vielle), ils étaient aussi inséparables dans la vie que dans la musique.
Arrivé en début d'après midi, je ne suis sorti qu'à la nuit tombée, conquis par ce passionné, en me disant tout simplement : "il faut que je trouve une vielle". Et moi qui ne connaissais que quelques bribes de cette musique, je me suis plongé à sa recherche afin de connaître les airs et ceux qui les jouaient, et de conserver cette mémoire collective, lien fort avec le pays qui m'a vu naître. Après avoir trouvé un instrument d'occasion, c'est donc Eugène Thomas, dit "Burette" qui m'a lancé dans ce nouveau monde musical en me léguant les "rengaines" de son répertoire, en m'expliquant les arcanes de la vielle (dont justement on ne doit pas toucher la roue sous peine d'obliger l'instrumentiste à la nettoyer, la recolophaner…).
J'ai voulu apprendre cette musique de la même façon que les anciens, tout simplement de vielle à oreille, sans passer par la partition, aidé quand même par un magnétophone. Eugène m'a donc enregistré les airs qu'il jouait, puisant dans ses réserves pour extraire les plus vieux. Je jouais ainsi depuis trois semaines, me débattant avec "La marche à Compagnon" ou "Le bal de Jugon", persuadé que je détenais un instrument complètement voué à l'oubli et dont presque plus personne ne voulait entendre parler, quand … mes yeux se posent sur une affiche : "stage de vielle", et qui plus est, à Aubusson, à quelques kilomètres de chez moi !
C'était le mouvement folk des années 70 qui passait par là, générant de nombreux stages d'instruments et de danse. Après Aubusson avec Hubert Marcheix, infatigable artisan du renouveau, j'ai fait quelques autres stages, notamment à Confolent. Là, je suis rentré de plain pied dans ce mouvement folk, j'ai rencontré de nombreux musiciens, comme Frédéric Paris, tête de file de la nouvelle génération vielle, Patrick Bouffard qui amènera un très large public au "trad" grâce à ses compositions, intégration réussie de plusieurs styles de musiques.
Parallèlement, j'ai continué mes recherches locales de musiciens (ce qu'on appelle le collectage), des vielleux essentiellement, mais aussi d'autres instrumentistes. Par exemple à Fresselines, j'ai fait la connaissance de Désiré Lacoste, qui n'avait qu'un bras. Il se faisait donc aider par un ami pour tourner la manivelle. (C'est d'ailleurs la deuxième fois que j'entendais parler d'un vielleux handicapé de la sorte. Désiré avait longtemps joué avec un cornemuseux originaire de Subligny, dans l'Indre, un gars bâti en colosse qu'on surnommait "le Costaud". Aussi avaient-ils à leur répertoire un air devenu célèbre en Berry : "le pas d'été du Costaud de Subligny".
Adrien Catinaud habitait à quelques kilomètres de chez moi ; il fut tout heureux de me montrer plusieurs airs que jouait déjà son père, dont la fameuse "scottish à Catinaud", qu'on retrouve dans les Combrailles. Il jouait sur une vielle Tixier de Jenzat, la même que la mienne.
Je peux aussi citer un violoneux de Néoux, Alfred Gasne, qui avait pour moi ceci de commun avec Arsène Courty de Bosroger : il avait relégué le violon dans un placard depuis plus de trente ans, parce que "çà n'intéresse plus personne" ou même qu'ils étaient en butte aux moqueries de leur entourage. Alfred mourait d'envie de ressortir le violon et il disait : "mais il sait bien ce que c'est, lui, c'est un musicien et çà l'intéresse". Tous deux se sont donc remis à travailler d'arrachepied chacun de leur côté, puis je les ai fait rejouer ensemble. Des instants de vrai bonheur…
Alfred m'avait indiqué la façon dont il se souvenait des mélodies, car il n'y avait pas d'enregistreur bien sûr ! En revenant du bal sur son vélo, il sifflait quelques airs tout le long du chemin, et les reprenait sur son violon une fois arrivé à la maison.
J'ai ainsi rencontré pas mal de musiciens, engrangé de nombreux airs traditionnels, et depuis je suis resté fidèle à ce mythique instrument : la vielle à roue.
- Mais qu'est ce que la musique traditionnelle ?
C'est tout simplement la musique du pays, d'une région, celle qui était pratiquée par les gens du peuple, donc une véritable musique populaire. Les airs étaient composés la plupart du temps par les musiciens eux-mêmes, et transmis uniquement oralement, de proche en proche, de musicien en musicien. Certains étaient très prolifiques, comme Léon Peyrat en Corrèze1. Ce sont essentiellement des airs à danser, mais ils peuvent accompagner aussi d'autres moments de la vie, fêtes de famille ou religieuses, comme les "réveillez" chantés dans la période de Pâques devant les maisons. On le pratique en chantant ou en jouant d'instruments dont les plus utilisés sont la vielle à roue, l'accordéon diatonique, le violon et la cornemuse.
Où peut-on l'apprendre ?
On peut toujours contacter un musicien, mais actuellement le plus rationnel est de suivre les cours donnés par les écoles de musique. Dans le sud de la Creuse à Felletin et Bourganeuf (école départementale), à Faux la Montagne (Association Millenotes) ; en Corrèze à Ussel, en Haute Vienne à Eymoutiers… Si on ne possède pas d'instrument, il est souvent possible d'en louer.
Qui peut jouer ?
Jeunes ou moins jeunes, cette musique est ouverte à tous (on a vu à Limoges un chabrettaire s'inscrire à 80 ans passés !). Aucune connaissance n'est nécessaire, les cours sont dispensés toujours sans solfège, ce qui permet l'accès à un instrument sans le blocage de l'écrit. Il suffit de se munir d'un petit magnétophone.
1 Voir le récent recueil "Carnets de chansons du pays de Tulle" de Jean-Marc Delaunay, au Centre Régional des Musiques Traditionnelles (CRMT), 19 700 Seilhac.
Georges Prudent
Contact
Pour le spectacle "Histoires de Vielle", pour d'autres manifestations avec le groupe "La Galinette" (bals, animations…) ou simplement pour discuter musique avec plaisir : Georges Prudent, Le Verminier, 23500 St Quentin la Chabanne. Tél. 05 55 66 42 45.