Il y a 12 ans, quittant mon hexagone natal et traversant l'Atlantique pour la première fois, je pensais fort naïvement découvrir la merveilleuse forêt canadienne, gigantesque, généreuse, inépuisable.
J'y ai vu l'envers du décor : sur des dizaines, voire des centaines de kilomètres, la forêt a été coupée, rasée, décimée. Une fois le bois sorti, tout est resté tel quel : aucune remise en état des territoires, aucun souci de reboisement ; des paysages désolés, lunaires, ressemblant un peu à ceux que nous avons pu connaître après notre tempête de 1999, mais tellement plus vastes.
]'y ai visité un village créé par des "colons" au début du XXème siècle. A cette époque, le gouvernement cherchait à créer de nouveaux villages dans les régions du nord, presque inhabitées. Des jeunes, avec l'aide financière du gouvernement, partaient ainsi s'établir en vivant de l'exploitation de la forêt des alentours. lors de mon passage en 1991, les enfants de ces premiers bûcherons travaillaient à 600 km de leur village ; ce qui signifie que tout avait été coupé à 600 km à la ronde. 1999, justement. Richard Desjardin sort un film : "l'erreur boréale", qui fait l'effet d'une bombe. Les Québécois découvrent la surexploitation de leur forêt, et apprennent avec stupéfaction que cette formidable richesse est non seulement épuisable, mais qu'au rythme actuel, elle devrait être épuisée très vite.
Qu'un de nos guides mauriciens nous a montré en riant des arbres devant lesquels nos douglas de 30 ans n'auraient pas à rougir, en nous expliquant que 2 siècles plus tôt, ils faisaient 2m de diamètre, mais que dans quelques années on pourra sans doute les récolter à la faux.
Que j'ai mis un ou deux jours à comprendre pourquoi mes interlocuteurs prenaient un air un peu choqué quand je leur expliquais qu'Ambiance Bois fait de la construction en bois. Autant en France c'est très écologiquement correct, autant au Québec, cela revient à piller un peu plus une ressource naturelle en danger. Il n'est d'ailleurs qu'à examiner de près les fameuses maisons canadiennes, si typiques avec leurs bardages, leurs terrasses en caillebotis et leurs escaliers extérieurs : on réalise vite que l'alu et le PVC ont largement supplanté le bois. Une fois élucidé le quiproquo, j'ai donc pris la peine d'expliquer comment la forêt française est gérée, et comment les prélèvements qui sont faits sont inférieurs à \'ac· croissement naturel, ce qui permet que le capital soit conservé, entretenu et renouvelé grâce aux coupes, mais sans être amputé.
L'atelier sur la forêt auquel j'ai participé lors de l'Université Rurale m'a paru très symptomatique de la situation québécoise:
Un premier intervenant, ingénieur et économiste forestier, a esquissé une analyse fort intéressante de la situation et de ses difficultés. Il voit 3 étapes dans l'évolution de la politique forestière des pays industrialisés :
Pour lui, un pays comme la France en est à l'étape 3, alors que le Québec en serait toujours à la 2ème. Et tout l'enjeu québécois actuel serait de définir une méthode de calcul de la rente, admise par tous, c'est à dire une méthode permettant de définir le montant des prélèvements acceptables pour conserver et enrichir le capital forestier. Ce qui, et il insiste là-dessus, est une question éminemment politique, avant d'être mathématique ou biologique.
Le deuxième intervenant nous a montré comment la forêt publique (80% de la forêt en Mauricie), appauvrit les communes puisque l'Etat se permet de ne pas payer aux communes les taxes auxquelles sont soumis les propriétaires privés ; d'où un sous-développement socio-économique très marqué de ces communes forestières privées de cette ressource. Là encore, une prise de conscience se fait, qui passe par un système de compensation, mais encore bien insuffisant aujourd'hui.
Ensuite, ce fut le représentant d'une de ces méga-entreprises multinationales d'exploitation forestière (exploitation : dans tous les sens du terme), dont le but est purement économique et la logique totalement libérale : faire le plus d'argent possible en exploitant la forêt. Il a commencé son intervention en citant le fameux film de Desjardin, pour dire que, bien sûr, ce film avait eu du bon en révélant certains excès, mais qu'il fallait quand même dépasser cette vision qui avait eu l'inconvénient de caricaturer la situation ... Il nous a ensuite présenté tout l'impact économique de sa société, en concédant qu'un arbitrage semblait nécessaire entre les différentes fonctions de la forêt : production / conservation / autres usages (récréotourisme...).
Enfin, le représentant d'une ZEC, une de ces puissantes sociétés de chasseurs et pêcheurs, nous a expliqué ses difficultés à maintenir et sauvegarder les intérêts de ses affiliés, face aux exigences de la production massive.
En résumé, nous avons eu successivement 4 angles d'approche
Ils se sont exprimés l'un après l'autre, chacun concédant qu'il a des difficultés avec les autres, et qu'il faudrait arriver à les résoudre ; mais ils n'ont pas débattu ensemble, ne se sont ni questionnés ni répondus. Significatif ?
Anne Germain