28 juin 2020, 19h30 : Michel Moine est réélu maire d’Aubusson pour un quatrième mandat. Comment ce roublard de la politique a-t-il pu être réélu, lui dont la gestion est épinglée par la Cour des comptes et la Justice pour un trou de 4 millions d’euros à la communauté de communes qu’il a présidée, et pour plusieurs autres opérations douteuses tant à la comcom que dans sa commune1 ?
Commençons par un petit retour sur la campagne électorale à Aubusson, dans l’ordre d’apparition des acteurs.
Premier déclaré, Pissaloux. Téléguidé par Gérard Chabert, maire de Saint-Maixant et opposant farouche à Michel Moine, Jean-Luc Pissaloux, l’homme au CV de 200 pages (La Montagne du 9/12/2019) est un universitaire lyonnais spécialisé dans le droit des collectivités et en finances locales, mais visiblement pas dans la communication. En peu de temps, il parvient à donner de lui l’image d’un personnage imbu de lui-même, donneur de leçons, et finit par horripiler nombre d’Aubussonnais. 9 % au premier tour. Exit Pissaloux.
Deuxième déclaré, Auclair. L’ex-député Jean Auclair, élu du même format que Michel Moine, mais pas du même bord, annonce officiellement sa candidature. Son objectif : « se faire Moine » (même s’il s’en défend). Raté : rattrapé par la Justice « pour des fautes présumées dans la gestion de son commerce de bétail », il jette l’éponge en janvier. Exit Jean Auclair. Il est néanmoins remplacé par Catherine Debaenst, cadre hospitalière à l’hôpital du Mont, sans grande expérience politique.
Troisième déclaré, Moine. Sans véritable surprise, les Creusois découvrent la candidature de Michel Moine en décembre. Il se défend de vouloir croiser le fer avec Auclair: « Je ne veux pas parler de mes adversaires pendant la campagne, je veux juste que l’on s’intéresse aux projets » (La Montagne du 4/12/2019). De fait, il peine à se constituer une équipe : plusieurs de ses adjoints lui ont tourné le dos et non des moindres. Il finit par constituer une liste avec très peu d’anciens. Peu avant le deuxième tour, il retire d’ailleurs leurs délégations à deux de ses adjoints, l’un parce qu’il se présente sur la liste de Jean-Luc Léger, l’autre parce qu’elle a annoncé qu’elle ne voterait pas pour lui. Un troisième adjoint, indigné par ce traitement infligé à ses deux collègues, annonce sa démission dans la foulée.
Quatrième déclaré, Léger. Poussé par le PS local et avec le soutien du député Jean-Baptiste Moreau, Jean-Luc Léger, président de la comcom Creuse Grand Sud se déclare à son tour. Pour constituer sa liste intitulée « Rassembler pour Aubusson » il va jouer la carte de l’ouverture en ratissant très large : il sollicite des personnes connues pour leur implication à droite, la représentante de la REM d’Aubusson, des membres du PS local, des écolos déclarés (il n’y a pas de candidature EELV) et des associatifs plutôt de gauche. De gauche, mais pas trop quand même : une personne connue pour ses sympathies avec La France insoumise a été écartée in fine, en tant que personnalité « trop clivante »...
À noter également une tentative de « liste citoyenne » initiée par trois personnes, animatrices du site Vigie 23 (http://vigie23.chez.com). Ces « citoyens vigilants » comme ils se nomment n’ont pas su convaincre et ont abandonné la partie.
15 mars 2020, premier tour
La liste « Rassembler pour Aubusson » de Jean-Luc Léger arrive en tête avec presque 37 % des suffrages (440 voix), soit 46 voix de plus que la liste « Aubusson Naturellement » de Michel Moine (394 voix soit moins de 33 % des suffrages). Panique chez Moine, mais sauvé par le gong ! La crise du Covid va lui donner une chance inespérée, celle de jouer (et globalement plutôt bien, pour une fois disent les mauvaises langues) son rôle de maire et accessoirement de remettre en selle le candidat. Il va être sur tous les fronts : appels téléphoniques à toutes les personnes âgées repérées comme isolées, soutien médiatisé au personnel soignant, interpellation virulente de l’ARS (mais sans publication de la réponse cinglante qu’il en a reçue), soutien au professeur Raoult, opération de nettoyage des rues, rafraîchissement des peintures et des passages piétons... Sans oublier de publier régulièrement sur sa page Facebook des informations sur ses initiatives de maire et des propos venimeux sur son adversaire principal. Et puis, cerise sur le gâteau, il reprend à son compte l’initiative de la municipalité de Bort-les-Orgues en proposant un soutien de 100 000 euros au commerce local, complété par l’achat pour 3 400 euros de chèques cadeaux édités par l’association des commerçants, chèques d’une valeur de 10 euros l’unité distribués à chaque habitant de la commune. Fidèle à sa méthode, il en fait l’annonce à la presse près de quinze jours avant de présenter le projet au conseil municipal...
28 juin 2020, deuxième tour
Par rapport au premier tour, 120 électeurs supplémentaires se sont exprimés, et si l’on rajoute les 105 voix obtenues par Pissaloux, cela fait 225 voix qui se répartissent ainsi : Moine + 152 voix, Léger + 65 voix et Debaenst + 8 voix. Michel Moine est élu pour un quatrième mandat avec 546 voix (41,33 % des suffrages), 41 de plus que Jean-Luc Léger (505 voix, 38,23 % des suffrages), loin devant Catherine Debaenst (270 voix, 20,44 %). Il y a trois bureaux de vote à Aubusson : un pour le centre-ville, deux pour les périphéries. Ce sont ces derniers qui ont donné l’avantage : l’Aubusson populaire a voté Moine. Notons que cette victoire est loin d’être un plébiscite et que le taux d’abstention est historiquement élevé (41,76 % contre 29,54 % en 2014).
Le signe d’une confusion
On peut voir dans ce résultat d’une part l’expression du désintérêt à l’égard des politiques politiciennes, d’autre part le signe d’une confusion, d’un manque de clarté des forces en présence.
Si Aubusson n’échappe pas au phénomène national de désintérêt pour les politiques et leurs « affaires » d’où sont issus des mouvements tels que Nuits debout ou les Gilets jaunes, l’effet confusion joue à plein. D’un côté, les Aubussonnais se sont retrouvés face à une droite insipide, incapable de se positionner ni de fédérer, malgré ses nombreux partisans. De l’autre, une pseudo gauche, dont les deux têtes de listes sont impliquées, à des degrés divers certes, dans la catastrophe économique et humaine de la comcom Creuse Grand Sud. Plus précisément, on a assisté au duel de deux « barons », politiciens professionnels, plus aptes à se battre pour la conquête du pouvoir qu’à fédérer pour un projet commun.
Jean-Luc Léger a joué la carte rassemblement de façon trop « macronienne » : il n’y a plus ni gauche ni droite, le PS est moribond, la droite est laminée, sans pour autant donner de ligne claire. Résultat : certains électeurs plutôt de gauche ont trouvé le soutien de la REM inadmissible. D’autres, plutôt de sensibilité de droite, ont regretté que sa liste ne se soit pas assez positionnée vers la REM. Il faut dire que certains de ses colistiers s’y sont fermement opposés.
Bref, vu de l’électeur aubussonnais de gauche, le choix n’était pas simple : d’un côté un élu sentant le souffre, prenant le parti de Dominique Simoneau contre les fantasmés « ultras » du Plateau, mais tenant un discours positionné à « gôche » ; de l’autre, un tenant d’une gauche molle, dont la faute majeure est d’avoir accepté le soutien de la REM. Certains ont préféré l’abstention, d’autres ont adhéré au discours étiqueté « gauche » de Moine en le soutenant clairement plutôt que d’accorder leur voix à Léger, quitte à passer au-delà de ses turpitudes.
Troisième tour : l’élection du bureau du conseil communautaire
Valérie Bertin, maire de Vallière, « petite » commune plus rurale qu’Aubusson et Felletin, se retrouve élue présidente de la communauté de communes Creuse Grand Sud. Elle s’est décidée à la candidature en dernière minute sous la pression « amicale » de la droite départementale (qu’elle soutient) et de… Michel Moine himself qui, s’il n’a pas osé se représenter, a tout fait pour empêcher Jean-Luc Léger d’accéder à la présidence. Néanmoins, cette nouvelle configuration semble globalement plus favorable à un équilibre rural et urbain sur ce territoire. La question qui reste est celle-ci : Valérie Bertin saura-t-elle jouer son rôle ou va-t-elle être un jouet aux mains des politicards ?
Antoine Crouzy
1 Rapport de la chambre régionale des comptes de Nouvelle-Aquitaine - Exercices 2012 et suivants - Juin 2018